Les survivances du vocatif dans le français parlé Christophe Bruno To cite this version: Christophe Bruno. Les survivances du vocatif dans le français parlé. Linguistique. Université de Toulon, 2013. Français. NNT: 2013TOUL3001. tel-00958810 HAL Id: tel-00958810 https://theses.hal.science/tel-00958810 Submitted on 13 Mar 2014 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Ecole doctorale n° 509. « Civilisations et Sociétés euro- méditerranéennes et comparées » Laboratoire Babel EA 2649 THÈSE présentée par : Christophe BRUNO soutenue le : 7 octobre 2013 pour obtenir le grade de Docteur en sciences du langage Spécialité : linguistique générale et phonologie Les survivances du vocatif dans le français parlé THÈSE dirigée par : Madame Dairine O’KELLY Professeur émérite, Université du Sud JURY : Madame Michèle MONTE Professeur, Université du Sud Madame Danielle LEEMAN Professeur, Université Paris Ouest Madame Mariapaola D’IMPERIO Professeur, Université Aix-Marseille Monsieur Philippe MARTIN Professeur, Université Paris Diderot Monsieur Philippe MONNERET Professeur, Université de Bourgogne 1 * Remerciements À tous ceux qui m’ont appris, qui continuent de m’apprendre et qui continueront à m’apprendre, pour leur patience et leur discrétion, qu’ils soient remerciés de leur inestimable contribution à ce travail et à ce qui s’ensuivra. À Dairine Ni Cheallaigh (τ’Kelly), pour cette dernière formation, de loin la plus difficile — je ne perds pas espoir d’y arriver ; à André Joly, pour mon premier article, pour les soutiens ponctuels, pour les débats qui finissent tôt ou tard par s’accorder ; à tous les membres de l’équipe ERIS, Yves Bardière, Pierre- François, Alessandro et les doctorants coreligionnaires, Aurélie, Vladimir, Marine, Marjorie — la parole est d’argent... ; à Clare, pour son humeur toujours égale ; à Michèle Monte, pour m’avoir aidé et soutenu — n’oublions pas que c’était votre sujet à la base ; à André-Alain Morello et Valeria Sgueglia, pour la publication inespérée dont ils m’ont fait bénéficier, ses nombreuses relectures, l’unique consécration de mon parcours littéraire ; à toutes les personnes ayant porté le micro et dont la voix digitalisée ne me quitte plus désormais. Aux amis, Toan, Coin, Reun, Seb, Willou, Ana, Jerem, Clem, Deb, Will, Juju et Jojo, Joanna et Ben, Giacco, Romain, Adrien, Sabine, Géraldine, Tizz, Nono, Alice, Simon, Marine, Quentin, Niels, Faust, Onyx, Yaël, Céline, Patricia ; aux amis qui le deviendront ; à ceux que je reverrai probablement un jour ; à ceux que je ne cite pas de peur de n’en être pas digne ; à tous les membres de ma famille et assimilés qui ont essayé de s’intéresser à ce que je fais — j’avoue, ça fait plaisir ; à Nat, « La Ch’ti », et à tous les habitués, pour m’avoir enseigné la bonne humeur — il aura fallu dix ans tout de même ; à toutes les personnes dont les apostrophes et les insultes ont été citées de mémoire dans la thèse. À mes parents, pour tout ; à ma poupine, pour longtemps j’espère. 2 Sommaire INTRODUCTION.............................................................................................................4 PREMIERE PARTIE — MISE EN BOUCHE ............................................................ 16 CHAPITRE 1 : CORPUS, OUTILS ET METHODES ............................................... 17 1.1. La parole spontanée dans le texte ............................................................ 17 1.2. Modèles choisis ......................................................................................... 33 1.3. Prérequis ................................................................................................... 53 CHAPITRE 2 – L’APOSTROPHE : PROBLEMES D’EXPRESSIVITE ................ 66 2.1. Le vocatif dans la structure prosodique .................................................... 68 2.2. App(cid:396)o(cid:272)hes de l’e(cid:454)p(cid:396)essivit(cid:288) ...................................................................... 99 2.3. L’i(cid:373)p(cid:288)(cid:396)atif et le vocatif comme attitudes psychologiques primaires .... 139 CHAPITRE 3 – POSITION DE L’APOSTROPHE DANS LE DISCOURS ........ 160 3.1. Macro-syntaxe du segment textuel en apostrophe ............................... 162 3.2. Segmentation prosodique ....................................................................... 190 3.3. Faits de syntaxe ....................................................................................... 238 DEUXIEME PARTIE — DEIXIS, REPRESENTATION, VOCATIF... ............... 265 CHAPITRE 4 – « ON NE MONTRE PAS LES GENS DU DOIGT ! »................. 266 4.1. Le modèle instrumental du langage ....................................................... 267 4.2. La fonction appellative, les quatre modes de deixis et l’apost(cid:396)ophe dans le champ déictique ......................................................................... 286 4.3. La deixis de rôle ....................................................................................... 320 CHAPITRE 5 – L’APPEL SYMBOLIQUE .............................................................. 350 5.1. L’apost(cid:396)ophe sa(cid:374)s (cid:374)o(cid:373) ........................................................................... 351 5.2. Emplois subversifs ................................................................................... 396 5.3. L’i(cid:374)sulte : fonctionnement du substantif-attribut .................................. 435 CHAPITRE 6 – LA QUERELLE DU VOCATIF ..................................................... 468 6.1. Morphologie du vocatif ........................................................................... 469 6.2. Le vocatif comme modèle du système casuel I.-E. ................................. 496 CONCLUSION ............................................................................................................ 522 3 Introduction Il y a des locutions, dans toutes les langues, dont il est impossible de dire qu’elles sont l’expression d’une pensée ; on peut en juger au moyen des particules qui entourent cet énoncé : Putain / j'adore les chiottes végétaux / con (15m12s) [Romain 1-3] Si de telles expressions n’expriment rien qui ait trait à la pensée, elles demeurent toujours l’expression de quelque chose : d’un soulagement opportun, d’une douleur vive, d’un étonnement soudain, d’une joie partagée… En cela, et à la différence d’expressions bien formées comme « j’aime mon chat », elles expriment un état global, c’est-à-dire physique ou moral, propre au locuteur ; quelque chose qui, dans tous les cas, n’atteint pas la profondeur de la pensée1. C’est de cette façon, il me semble, qu’un juron ou une interjection sont reconnus en tant que tels. Seulement, les recherches menées dans ce domaine sont souvent freinées par l’absence de modèle théorique, apte à les décrire d’après une méthode déterminée. Pour autant que nous le sachions, ceux-ci échappent, plus qu’à la pensée du locuteur, à la syntaxe de la phrase, au principe sémiologique de différenciation, à l’approche historique comparative, comme à toute tentative de définition de la part des lexicologues. Voilà ces phénomènes relégués au rang de l’expressivité2, de la spontanéité, du non-voulu, loin, très loin de la grammaire. 1. Le terme « pensée » réfère ici au sens commun. Il n’a pas d’acception technique. À noter que le juron, l’interjection ou la forme d’expressivité en général, si elle n’est pas expression de la pensée, possède une fonction sociale plus ou moins établie (le cri de douleur pour alerter, la manifestation de joie pour renforcer des liens, la colère pour intimider, l’étonnement pour amener l’interlocuteur à en dire plus, le soulagement pour rassurer les personnes présentes, etc.). 2. J’emploie le terme « expressivité » selon l’expression consacrée par le linguiste Gustave Guillaume. Une manipulation grammaticale permet de distinguer ce qui, dans le discours, relève de l’expression, de ce qui relève de l’expressivité. Elle consiste à reformuler l’énoncé en discours indirect. Ainsi il est possible de reprendre « j’aime mon chat » en disant « le locuteur dit qu’il aime son chat » ou « Romain 4 Ceci peut être expliqué en partie par la nature « vivante » de ces phénomènes. Tandis que la langue écrite brille par leur absence, la langue parlée, vivante, celle du théâtre par exemple, s’en distingue par le fait. Les récentes approches scientifiques de la langue parlée, et notamment les corpus de paroles spontanées qu’elles mettent en œuvre, illustrent de façon probante cet écart3. La grammaire, comme toute science, est contrainte à l’étude d’un objet stable, qu’il serait loisible à tout homme de pouvoir observer. τr ce n’est que depuis un siècle, tout au plus, qu’il est permis au grammairien de voir, et surtout de faire voir, des phénomènes relevant de la parole spontanée. Cela grâce aux différents outils capables de capturer et de restituer ce signal sonore particulier. La problématique à laquelle se heurte la linguistique du vingt-et-unième siècle, déjà dépendante de ces nouvelles méthodes de conservation des textes, est de savoir si les anciennes grammaires, qui sont essentiellement des grammaires de l’écrit, suffiront à décrire ces nouveaux corpus, c’est-à-dire à rendre compte, et de façon de plus en plus précise, des phénomènes qui caractérisent la parole spontanée. Les jurons et les interjections ont permis d’illustrer cette problématique. Mais d’autres exemples, scientifiquement moins « neutres », auraient pu être cités, adore les chiottes végétaux » en disant « le locuteur dit que Romain adore les chiottes végétaux ». À l’inverse, des emplois comme « hé ho », « yo mec » ou « espèce de troglodyte » ne peuvent être repris au discours indirect. Soit ils demeurent au discours direct : « le locuteur dit hé ho / yo mec », soit ils ne parviennent pas à être restitués sous leur forme expressive, ainsi : « le locuteur dit que tu (l’autre) es(t) une espèce de troglodyte ». 3. Cet écart, à son tour, peut être expliqué de différentes façons. Henri-José Deulofeu faisait remarquer, lors du récent colloque LiCoLar en son hommage, ayant pour thème la subordination dans les langues romanes (Aix-en-Provence, 18 et 19 octobre 2012), que la langue écrite était une langue synthétique, à l’opposé de la langue parlée qui est analytique. Un exemple, que je reprends de Joseph Vendryes (1964 : 167-168) : il est possible d’entendre, dans certains dialectes, « l’homme que je connais sa fille… » ou « le patron que je travaille pour lui… » ; au contraire, à l’écrit, les couples analytiques en italique seront synthétiquement repris par « l’homme dont je connais la fille… » ou « le patron pour lequel je travaille… », synthèmes parfois oubliés dans la parole spontanée. Le souci de synthèse étant commun à de nombreux systèmes de transcription, il peut justifier, dans le cas de l’écrit, le non-recours à des jurons ou à des interjections. Il n’implique pas pour autant que ces dernières ne soient pas essentielles à la langue parlée, ni à la langue en général. Afin de les restituer, l’écrit aura alors recours à une représentation de l’expressivité (ponctuation, didascalies, syntaxe d’expressivité, etc.). 5 comme la remise en question du concept de phrase par les récents modèles de macro-syntaxes, ou les différentes fonctions de l’intonation, reconductibles de la parole spontanée au texte écrit. Afin de satisfaire à la contrainte d’innovation propre à l’exercice de la thèse, le devoir qui suit se propose de décrire un cas grammatical en parole spontanée. PRÉSENTATION DU VOCATIF Le vocatif est un cas grammatical employé pour marquer, dans certaines langues, le nom qui réfère à l’allocutaire, soit la personne, réelle ou fictive, à laquelle l’énoncé, ou du moins le locuteur, est supposé s’adresser. On le trouve employé au travers de nombreuses formes dites « impératives », telles que l’appel (« ohé du bateau »), l’adresse (« écoutez-moi bien / cher confrère ») ou encore l’insulte (« menteur », « boutonneux », « imbécile », etc.). Ce cas est un cas reconnu d’expressivité par les grammaires anciennes et contemporaines : de même que pour les jurons et les interjections, appliquer au vocatif4 des théories de l’expression, ayant fait leur preuve dans d’autres secteurs de la grammaire, revient le plus souvent à expliquer, au moyen de ces théories, le rejet de ce cas. Celui-ci est alors scientifiquement éconduit hors de la phrase, hors du système casuel5, et enfin hors de la langue6. Aussi radicales qu’elles semblent être à l’heure actuelle, ces approches ne devraient pas être remises en cause. Elles clarifient, à travers des points de vue éminents, une distinction qui a longtemps préoccupé la linguistique du vingtième siècle, distinction que l’on retrouve, à différents niveaux de description, dans des 4. Dans cette introduction, le terme générique de « vocatif » désignera aussi bien le cas nominal, que le segment d’énoncé contenant le nom décliné à ce cas, que le nom lui- même. Des dénominations plus précises seront introduites au fur et à mesure de la thèse. 5. La catégorie des cas de Louis Hjelmslev (1972 [1935] : 97) fournit encore la meilleure illustration de ce phénomène : plus de vingt pages de définitions et de remarques méthodologiques pour conclure que le vocatif n’est pas un cas. De façon plus simple et plus directe, Jerzy Kuryłowicz (1960 [1949] et 1995 [1960] : 277sq) expliquait que le vocatif n’avait pas de fonction représentationnelle, mais répondait à une fonction purement appellative, à l’instar du cri ou de certaines interjections. 6. C’est ainsi qu’il se retrouve défini, chez Guillaume, comme cas de parole. 6 paires conceptuelles plus ou moins connues, telles que langue et parole, représentation et appel, ou encore expression et expressivité. Toutefois, ces mêmes approches ne permettent pas d’expliquer certains faits historiques. Dans plusieurs langues, et dans la plupart des grammaires qui enseignent ces langues, le vocatif apparaît aux côtés d’autres cas, et s’en distingue invariablement par sa morphologie. C’est notamment le cas, dans la branche indo- européenne, de plusieurs langues gaëliques et slaves (irlandais, bulgare, ukrainien, lituanien), c’est aussi le cas du roumain, dernière langue romane à conserver certaines formes, bien qu’instables, de vocatif. Ces faits motiveront d’autres approches, de plus en plus nombreuses, qui réaffirment aujourd’hui que le vocatif est un cas grammatical, au même titre que les autres cas, c’est-à-dire possède une signification que sa morphologie et/ou sa syntaxe particulière suffisent à indiquer7. Seulement, de ce point de vue, il faut bien admettre qu’aucun consensus n’est encore établi, et que la plupart des valeurs qui sont attribuées à ce cas (marquage de la seconde personne8, deixis, positionnement respectif des deux interlocuteurs…) se heurtent toujours aux objections des théories de l’expression. La question qui se pose avant toutes les autres est donc de savoir si les deux constats, celui d’un vocatif hors-langue et celui d’un vocatif en langue, n’ont pas vocation à se compléter. Ce débat va bien plus loin que le statut du seul vocatif. Il s’agit véritablement de définir ou d’anéantir la ligne de démarcation entre ce qui relève d’un fonctionnement institué, dans et par les langues elles-mêmes, et ce qui relève d’un fonctionnement propre à la parole sans langue. Sur cette dernière néanmoins, il faut bien reconnaître que les études sont encore peu nombreuses. 7. Parmi les approches les plus récentes en français, seront notamment citées celles de Paulo de Carvalho (1985) et de Guy Serbat (1996) pour le latin, d’Alexandru Niculescu (1983) et de Franck Floricic (2011) pour les langues romanes. 8. Le piège, tendu à celui qui tente d’étudier le vocatif à partir de la seconde personne, est de verser au compte du cas lui-même « l’idée de seconde personne », est de confondre l’essentiel avec l’accidentel, même si l’accident, en ce cas, se manifeste de façon systématique. De ce point a découlé la nécessité de l’approche descriptive présentée ci-après. 7 POUR UNE GRAMMAIRE DE LA PAROLE SPONTANEE Dans les classes mêmes de la société où l’on recherche le plus la bonne éducation, il existe assez généralement un préjugé peu favorable à la science dont je vais vous entretenir. François Thurot, Leçons de grammaire et de logique (1837) Dans un film de Woody Allen, Coup de feu sur Broadway (Bullets Over Broadway, 1994), un garde du corps de la mafia un peu rustre se met à écrire ses pièces à un jeune dramaturge trop intellectuel, en lui expliquant que lui sait « comment les gens causent ». Il est des penseurs en grammaire qu’on ne cite que rarement, tout en leur accordant l’importance qu’ils méritent. François Thurot en fait indéniablement partie. Ce dernier, dès les premières lignes de ses Leçons de grammaire (1837), précisait, à rebours des prétentions que propageaient les manuels de toutes les époques, que la grammaire ne pouvait être « l’art de bien parler ». Selon lui, la prétention à la synthèse des grammairiens ne saurait être justifiée par l’adage du bien-parler, car la synthèse est souvent vite oubliée au-devant des nombreuses règles et exceptions que la langue force à introduire. C’est sans doute ce qui faisait dire à un Tesnière que le latin avait causé beaucoup de tort au français9 : il prive le grammairien de produire une syntaxe parfaitement épurée. À cette observation, il faut en ajouter une autre, plus ancienne, qui envisage la langue comme un objet qui n’est jamais donné une fois pour toute, mais qui s’adapte en permanence à l’usage qui en est fait : « la raison a succombé, l’usage est demeuré le maître » disait Claude Favre de Vaugelas (1981 [1647] : 181), après avoir cité la maxime de droit romain communis error facit jus. Une telle pensée, que rien n’est donné une fois pour toute, était, du temps des sophistes, applicable à tout être. Elle a été systématisée dans l’étude des langues par Ferdinand de Saussure. On la retrouve formulée à plusieurs reprises, de façon plus ou moins savante, dans ses Ecrits : 9. « Synthétisme et analytisme » (1932), cité par Hjelmslev (1972 : 79). 8 Nous posons donc le principe de la transformation incessante des langues comme absolu. (…) La tyrannie de la langue écrite, cette espèce de corset de force qui est le français officiel, a certainement pour effet d’enrayer la marche, mais elle est impuissante à l’arrêter complètement, et souvent nous ne nous doutons pas de la distance où est déjà parvenue la langue vraie… Saussure, « Deuxième conférence à l’Université de Genève », Novembre 1891 Face à ces objections, il devient de plus en plus évident que l’Esprit de Synthèse et d’Épure, qui guide tous les grammairiens et les oriente naturellement vers la langue écrite, doit être temporairement conjuré. Différentes disciplines s’essaient aujourd’hui à extraire un savoir des « nouveaux corpus » qui mettent en scène la parole spontanée. Délaissant bien souvent les vieux manuels, elles se positionnent à un niveau de description où la grammaire n’a plus aucune autorité. La plus connue dans cette voie est la linguistique interactionnelle, dont les méthodes d’investigation sont, à de nombreux égards, plus sociologiques que linguistiques. La linguistique interactionnelle a beaucoup été étudiée en amont de ce travail10. Il est apparu très tôt que cette discipline ne prétendait nullement à la description de cas grammaticaux, et qu’une bonne partie des outils qu’elle mettait au service de l’étudiant étaient empruntée à des traditions diverses (dialectologie, ethnométhodologie, pragmatique…), rarement dans un souci d’affiliation épistémologique, comme on peut en juger à travers la citation suivante : Le métissage théorique n’est pas seulement un luxe, c’est dans certains cas une nécessité : on a tout intérêt à recourir à la fois aux propositions de Labov et de Sacks (entre autres) pour décrire de façon satisfaisante le fonctionnement des récits conversationnels, ou à la notion de face-work pour rendre compte des enchaînements « préférés » ; mais il est carrément impossible de se passer de la notion d’acte de langage pour décrire les paires adjacentes. Ces notions que l’on récupère, rien n’interdit évidemment de les remanier en fonction de ses propres besoins descriptifs. Catherine Kerbrat-Orrechioni, 2005 : 21 (moi qui souligne les adverbes). 10. Mon premier sujet de thèse consistait à étudier la conversation chez l’enfant entre 6 et 8 ans. J’ai pu passer trois après-midi, soit six récréations, à observer des enfants de maternelles et de primaires discuter entre eux. Ces derniers ne s’étant habitués à ma présence que lors de la dernière séance, je n’ai pu commencer à effectuer de réelles observations qu’à ce moment-là. Les inconvénients logistiques, ainsi que le flou épistémologique signalé ci-après, m’ont contraint d’abandonner ce sujet, pourtant passionnant. 9
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