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Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone: (1926-1980) PDF

293 Pages·2019·4.618 MB·French
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Les salles de cinéma Claude Forest en Afrique sud saharienne francophone L’apparition et le développement du cinéma en salles dans les colonies d’Afrique occidentale et équatoriale française sont essentiellement du fait de Français, notamment à la direction de l’entreprise qui a rapidement su dominer toute la fi lière cinéma, la Comacico. Son histoire se confond largement avec celle de son fondateur et dirigeant, Maurice Jacquin, qui bâtit cet empire cinématographique multinational, usant avec ingéniosité e Les salles de cinéma de l’organisation commerciale comme de l’optimisation fi scale pour son n réseau de sociétés africaines de cinéma durant la colonisation, puis encore o une douzaine d’années après les indépendances. Dominant l’importation h et la diff usion des fi lms avec un autre groupe d’entreprises, la Secma, la p en Afrique sud saharienne connaissance précise de ces deux circuits, ici révélée pour la première fois, o s’avère indispensable pour comprendre leurs fonctionnements et ce qui c n francophone s’est véritablement produit sur ces marchés, vastes comme treize fois la a France. r f Sur ordre de Valéry Giscard d’Estaing, elles fi niront par être rachetées en e (1926-1980) 1973 par un groupe conduit par l’UGC, avec le soutien politique et fi nancier n de l’État français, les trois centaines de salles étant ensuite rapidement n revendues aux Africains. Sept ans plus tard, ce sera au tour de la distribution e de la totalité des fi lms, hélas prélude immédiat à un eff ondrement ari extrêmement rapide de l’ensemble de la fi lière cinéma sur la zone. ma h Néanmoins la compréhension des évènements de cette décennie cruciale, éa ici décrits avec détail et précision, permet seule de savoir pourquoi la ns disparition des intérêts français, réclamée véhémentement par les cid réalisateurs africains, signera en réalité la mort des salles de cinéma dans e u tous leurs pays, et l’impossibilité d’amorcer une production pérenne de ds fi lms. Leur fédération, la Fepaci, sera sur toute l’Afrique francophone sud- s e saharienne le procureur involontaire de cette condamnation à mort du eu cinéma prononcée à Alger en janvier 1975, le Consortium interafricain de llq ai distribution cinématographique (CIDC) en étant le fossoyeur huit ans plus r sf tard, la quasi-totalité des dirigeants des États africains concernés tenant de A s fait la main armée du bourreau. en Le Claude FOREST est professeur en études cinématographiques. Ses travaux t portent principalement sur l’histoire économique du cinéma en Europe et en s Afrique, ainsi que sur la socioéconomie de la demande des publics. Il a publié e r une vingtaine d’ouvrages sur ces questions. o F e d u a l C Photographie de couverture : Cinéma Adamaoua à Ngaoundéré au Cameroun © Honoré Fouhba ISBN : 978-2-343-18405-0 IMAGES PLURIELLES 31 € scènes & écrans Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1926-1980) Images plurielles : scènes et écrans Collection dirigée par Patricia Caillé, Sylvie Chalaye et Claude Forest Cette collection entend promouvoir les recherches concernant les cinémato- graphies et les expressions scéniques des Suds qui méritent de gagner en visibilité et d'être mieux documentées, notamment celles d’Afrique, du Moyen Orient, de l’Océan indien et des Amériques. Sans négliger les apports de la critique et de l’analyse esthétique, elle s’intéresse principalement au fonctionnement des filières audiovisuelles, cinématographiques et théâtrales – production, distribution, exploitation, diffusion sous toutes ses formes–, ainsi qu’aux publics et à la réception des œuvres. La collection souhaite fa- voriser les approches historiques issues du dépouillement d’archives et des enquêtes de terrain, afin d’œuvrer à combler le déficit de données permettant de cartographier et de comprendre les enjeux et les acteurs des transforma- tions profondes à la fois géopolitiques, politiques, sociales, technologiques, anthropologiques et culturelles qui affectent le théâtre et la scène comme le film et ses usages. La collection comprend deux séries : l’une est destinée à accueillir les travaux les plus développés, l’autre, au format de poche, a pour vocation d’explorer de nouveaux champs ou questionnements, y compris méthodologiques. Images plurielles : scènes et écrans privilégie, hors de tout dogmatisme, la lisibilité du texte, la pluralité des approches, la liberté des idées et la valeur des contenus. Claude Forest Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1926-1980) Cet ouvrage est publié après expertise du comité éditorial composé de : Axel Arthéron, Université des Antilles Joël Augros, Université de Bordeaux - Montaigne Olivier Barlet, Critique, cofondateur de la collection Patricia Caillé, Université de Strasbourg Sylvie Chalaye, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Pénélope Dechaufour, Université d'Arras Laurent Creton, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Emmanuel Ethis, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse Claude Forest, Université de Strasbourg Odile Goerg, Université Diderot Paris 7 Edwige Gbouablé, Université Félix Houphouët-Boigny Nolwenn Mingant, Université de Nantes Raphaëlle Moine, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Justin Ouoro, Université d’Ouagadougou Dominique Traoré, Université Félix Houphouët-Boigny © L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-18405-0 EAN : 9782343184050 Introduction Il n’y a même pas de route goudronnée, et tu veux faire une salle en dur, climatisée, avec un toit et une superbe décoration ? Le pauvre, c’est pour lui que je fais le film, mais s’il a faim, comment il va venir dans une salle de cinéma ? Le prix du taxi, c’est le prix pour que sa famille mange, alors comment il peut aller au cinéma ? Moussa Touré1 Si les conditions de production en Afrique sud saharienne francophone (ASF) demeurent difficiles quoiqu’en phase de rapide amélioration depuis la généralisation du numérique et la montée en puissance de groupes étrangers comme Vivendi-Canal+, celles de la diffusion des œuvres cinématogra- phiques persistent à s’exposer de manière extrêmement problématique. De nombreux Africains francophones ont pu se lancer dans la réalisation de films et surtout de courts-métrages ou de séries télévisées, mais à ce jour (2019) il ne s’observe nul mouvement identique au niveau de la distribution des films, et encore moins dans l’exploitation des salles, quasi inexistantes malgré le regain d’intérêt de quelques groupes étrangers. Pourtant, la troi- sième génération post indépendances, qui ne ressent plus du tout les enjeux de cette période historique, est davantage habitée par une grande soif de voir des images, qu’elle consomme massivement sur tous les supports personnels possibles. Parmi elles, quelques films, le cinéma ayant gardé une très forte aura symbolique, alors même que les salles ont massivement fermé depuis les années 1990, et qu’une immense part de la population n’en n’a plus fré- quentées depuis longtemps, lorsqu’elle les a connues, ce qui n’est guère le cas pour la majorité des Africains, désormais âgée de moins de 20 ans. Et pourtant elles ont existé et le parc en a compté plusieurs centaines, mais sur leurs disparitions, qui se sont partout observées, dans tous les pays d’ASF aucune étude précise significative n’a jamais été menée. Beaucoup de déplo- ration, de nombreux boucs émissaires devenus lieux communs (l’ancienne domination française, puis les télévisions, la vidéo et les DVD piratés, les plans d’ajustement structurels, etc.) qui refleurissent à longueur d’articles puis de blogs2, mais pas d’analyse historique approfondie. 1 Entretien le 1er mars 2017 à Ouagadougou, paru dans FOREST Claude, Production et finan- cement du cinéma en ASF (1960-2018), L’Harmattan, 2018, p. 287. 2 Bineta Diagne, « Un cinéma désaffecté à Dakar », SlateAfrique, 10 janvier 2007, http://www.slateafrique.com/465/dakar-senegal-cinema-culture ; Pierre Barrot, « Cinéma en 7 Longtemps nous-mêmes avons attendu, espérant la publication de recherches africaines afin de comprendre et connaitre les détails historiques de cette disparition du spectacle cinématographique sur cette immensité continentale que l’on a si souvent certifiée au développement prometteur. Car il nous semblait que les universitaires des pays d’ASF possédaient la plus grande légitimité pour s’intéresser à ce qui s’était déroulé chez eux. Mais le constat est là et doit être dressé : dans le champ du cinéma, six décennies après les indépendances politiques, si le secteur audiovisuel se dynamise en ASF, cela est dû à l’injection massive de capitaux du groupe français Bolloré ; si des salles se reconstruisent, cela est essentiellement encore dû au même groupe (via les salles Canal Olympia), qui a été suivi d’un second (Les cinémas Pathé-Gaumont). Et dans le champ académique, il existe en ces pays très peu de formations universitaires portant sur le cinéma ni l’audiovisuel, secteur économique pourtant fort dynamique au niveau mondial ; sur le plan de la recherche rien de consistant n’a été publié sur cette question depuis près d’un demi-siècle, ce qui déjà, en soi, devrait interroger, à commencer par les responsables scientifiques et politiques des pays concernés. Dès lors, pour la nouvelle génération qui souhaite entrer dans ces métiers, la situation est éminemment frustrante et peu compréhensible, notamment faute de connaissance précise du passé, tandis que la période contemporaine lui est peu propice pour se lancer dans des recherches historiques, que nous croyons toutefois indispensables afin de mieux appréhender le présent et construire un avenir qui ne reconduise pas aux mêmes errements. Sans antériorité séculaire dans le cinéma du fait de la domination coloniale, et avec une cinématographie nationale très limitée et orientée dans des voies tracées par deux générations antérieures de cinéastes habités par des préoc- cupations qui leur sont aujourd’hui massivement allochtones, les prétendants à une professionnalisation dans le cinéma et l’audiovisuel se voient double- ment déracinés, et souvent désemparés, même si très dynamiques et volon- taires. Au niveau pratique, il n’existe plus d’école publique formant à ces métiers, et si les écoles privées pullulent, leurs qualités paraissent largement aléatoires, pour ne pas dire globalement superficielles ou défaillantes. Au niveau théorique, faute de formation réellement structurée pour l’audiovisuel et le cinéma dans les disciplines économiques, juridiques, sociologiques voire historiques, la situation est encore pire, alors même que les coûts de formation ne sauraient être un obstacle et que l’essor démographique de tout le continent appelle à un effort de formation sans précédent. Non considéré, tant économiquement que culturellement, ce secteur a massi- vement été délaissé par les pouvoirs politiques africains francophones, lais- sant la voie libre à la profusion dans la diffusion sur leurs territoires d’images conçues, produites et réalisées par des étrangers. Afrique : table rase et renaissance ? », INA, 24 mai 2011, https://larevuedesmedias.ina.fr/cinema-en-afrique-table-rase-et-renaissance ; etc. 8 Pourtant, après 1960, la fin de la colonisation devait apporter un ensemble de libertés, dont celle de fabriquer enfin ses propres représentations et raconter ses histoires singulières. Elle devait permettre la prospérité dans une nou- velle économie débarrassée de la ponction métropolitaine et des colons. La maîtrise politique de son destin devait aboutir à des décisions optimales en faveur des populations, avec une liberté des artistes pour recréer, y compris filmer, ce que moult contraintes, y compris juridiques comme le décret Laval de 1934, ne leur avaient antérieurement pas facilité l’exercice. Si la liberté d’entreprendre ne leur avait jamais été déniée, tout au moins la désormais maitrise des lois, la récupération de leur langue, l’exercice affranchi des coutumes et pratiques ancestrales auraient dû balayer les entraves liées à six décennies d’une administration étrangère subie parfois dans les chairs, tou- jours dans les destins. Longtemps rêvées, s’ouvraient enfin les voies d’un possible autonome. Las, six autres décennies plus tard, force est de constater que ce temps ar- demment souhaité, pour lequel en certains pays la conquête se paya chère- ment, n’est nulle part advenu en ASF. La grande pauvreté demeure, la cor- ruption et le clanisme dominent ; le maître a changé, une nouvelle classe dirige, désormais nationale certes, mais un dénuement paradoxal règne en fait, partout, même dans les zones au sous-sol richement pourvu. Pourtant, tel n’est plus le cas en d’autres zones et continents, au demeurant eux-aussi antérieurement soumis aux affres de la colonisation, qui développent une économie, et une cinématographie, insolentes : Inde, Chine, Brésil, Indoné- sie, partout la situation est désormais incomparable, y compris dans le ciné- ma où certains de ces pays figurent parmi les premiers producteurs mon- diaux de films. Nécessitant nettement moins de capitaux que la production de longs mé- trages, on aurait pu s’attendre à ce qu’un dynamisme s’observe au niveau du commerce des salles, ou de la distribution des films. Mais là non plus, rien : pas un seul entrepreneur africain ne s’est lancé durablement et de manière profitable dans l’aventure, ni au niveau de son pays, ni encore moins au ni- veau sous-régional ou à l’international. Pourtant, le démantèlement à la fin des années soixante-dix du duopole détenu par des Français leur avait laissé le champ totalement libre dans les dix-sept pays concernés. Mais aucun en- trepreneur africain n’émergea à cette date, pas plus qu’aujourd’hui, car par- tout règne une économie de rente, une captation des capitaux qui se voient stérilisés et très peu réinvestis, le somptuaire, la gabegie, l’incohérence éco- nomique, l’absence de volonté de poursuivre un intérêt général s’ajoutant à un désordre administratif qui caractérisent ces États, dont l’inaction est pa- tente dans la régulation des marchés ou une facilitation du dynamisme entre- preneurial comme culturel. Certes ils s’en défendent en renversant l’accusation de spoliation, en trouvant moult boucs émissaires, en affirmant par exemple que le nouvel ordre mondial les dépècerait et instaurerait un néo-colonialisme pire que l’ancien, ou que s’ils étaient corrompus, la faute 9 n’en reviendrait évidemment qu’au corrupteur, que le passé et la traite des esclaves expliciteraient encore tout le présent, etc.3 Pragmatique si ce n’est désabusée, l’actuelle génération a totalement remisé les espoirs et utopies nés avec les indépendances. Elle est la première à avoir grandi avec le numérique et vit depuis le début du XXIe siècle au milieu de toutes les images du monde, tandis que les pays voisins du Nigeria, mais aussi désormais du Kenya, de l’Ouganda ou du Ghana, et même l’Éthiopie, consomment et exportent leurs propres images depuis longtemps, construi- sent leurs salles dans des lieux renouvelés. Mais les Africains francophones ne voient toujours rien venir. Quel contraste avec le minuscule Rwanda (26 500 km², un cinquième de la France) qui, parti de rien voici seulement un quart de siècle, abrite aujourd’hui une économie attractive, accueille des tournages étrangers, monte plusieurs festivals de cinéma4, construit des salles5, remporte l’Étalon d’or de Yennenga avec l’un des premiers longs métrages qu’il y présente6, envoie un satellite en orbite pour permettre l’accès de toute sa population à Internet7. Pendant ce temps, les capitales d’ASF subissent toujours des coupures d’électricité, ont un accès aléatoire au bas débit d’Internet, et la majorité des zones rurales ne sont pas alimentées. Faut-il un génocide et le départ des armées et influences françaises pour y permettre un développement observé ailleurs, et que les élites nationales souhaitent enfin sortir du modèle économique forgé par l’esclavage colonial (absence d’industrie, exportation des ressources naturelles, etc.)8? Inévitablement, devant la béance de cette carence, la frustration, la colère, mais aussi l’impatience et l’envie de faire habitent la jeunesse africaine, notamment francophone, et nombre se lance dans la réalisation d’œuvres filmées, par eux-mêmes, sans formation, empruntant le long chemin de l’autodidacte, qui n’est pas forcément le moins bon ni le moins intéressant, mais pas forcément non plus le plus facile ni le plus performant. Assoiffés de connaissances, malgré des conditions matérielles majoritairement difficiles – nécessité de travailler pour poursuivre ses études, bibliothèques étriquées, manque d’accessibilité aux travaux de référence, etc. – malgré un encadre- 3 Sur ces mécanismes, voir notamment, MEMMI Albert, Portait du décolonisé arabo- musulman et de quelques autres, Gallimard, 2004, 167 p. 4 Dont le Rwanda Film Festival (Hillywood) depuis 2005. 5 En 2019, Kigali comptait sept salles, plus que n’importe quel pays d’ASF en sa globalité. 6 L'Étalon d'Or de Yennenga du 26e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a été décerné en mars 2019 à The Mercy of the jungle (La miséri- corde de la jungle), du réalisateur rwandais Joël Karekezi. 7 L’État rwandais s’est associé à une société britannique pour lancer le satellite Icyerekezo Vision le 27 février 2019 depuis la base de Kourou afin de couvrir tout son territoire. 8 NUBUKPO Kako, L’urgence africaine. Changeons le modèle de croissance, Odile Jacob, 2019, 235 p. 10 ment par des enseignants du supérieur qui ne sont pas incités à la recherche, ni matériellement ni symboliquement, et qui se satisfont trop souvent, eux- aussi, de leur position de rente, ils sont pourtant nombreux à tenter de com- prendre le réel pour essayer de modifier la situation dans leur pays. Mais sans mémoire, sans connaissance de l’histoire – déjà de leur filière cinéma- tographique-, trop souvent narrée au prisme d’un combat post-colonialiste très réducteur mais inoculé pour apaiser leur vindicte, ils demeurent sans prise au niveau méso économique. En effet, si les écrits sur les films et sur quelques réalisateurs africains abondent, cette absence de l’histoire, tant des cinématographies elles-mêmes que des modes de fonctionnement et de diffu- sion des films ne cesse d’interroger9. Depuis l’origine, de manière fort com- préhensible, tant pour des motifs idéologiques que pratiques, la focalisation sur la production caractérise les rares écrits, études et analyses, francophones durant les deux premières décennies post indépendances, anglophones les deux suivantes. Et assurément la référence au modèle français, lui-même construit face à l’impérialisme états-unien, et les dépendances absolues vis- à-vis de l’industrie et de l’appareil d’État français, économiques et symbo- liques, de reconnaissance comme de moyens techniques et financières no- tamment, complexifie considérablement les approches possibles. Si, sur cette question, il convient de tenir à distance les approches identitaires, essentia- listes voire parfois racistes, il faut mentionner l’obscurcissement des regards et le rejet de la compréhension effective du réel par deux phénomènes qui ont joué en miroir. Au Nord, peu avouables, il ne faut toutefois pas mésesti- mer la culpabilité post coloniale et le sentiment d’échec comme la lassitude des bonnes volontés « tiers mondistes » à favoriser un développement pé- renne du continent10. Au Sud, la question du ressentiment qui voile le réel rend difficile la distanciation comme la séparation du présent et du passé11, incite à la désignation d’un bouc émissaire plutôt qu’aux recherches histo- riques, sature le présent d’études sur les quelques œuvres qui ont pu émer- ger, induisant une vision téléologique de l’histoire dans laquelle la lutte légi- time pour la légitimation et la reconnaissance12 dévie les regards des méca- nismes qui ont œuvré pour aboutir à la situation contemporaine. Sauf que l’anathème et la déploration n’ont évidemment jamais suffi pour modifier un présent insatisfaisant. 9 Voir notamment LELIEVRE Samuel, « Les cinémas africains dans l’histoire. D’une histo- riographie (éthique) à venir », Mille huit cent quatre-vingt-quinze, n°69, 2013, p. 136-147. 10 Mais quel développement ? Sur cette question, voir notamment LATOUCHE Serge, L'Oc- cidentalisation du monde : Essai sur la signification, la portée et les limites de l'uniformisa- tion planétaire, La Découverte, 1989 ; L'Autre Afrique : Entre don et marché, Albin Mi- chel, 1998 ; Décoloniser l'imaginaire : La Pensée créative contre l'économie de l'absurde, Lyon, Parangon, 2003. 11 FERRO Marc, Le Ressentiment dans l’Histoire. Comprendre notre temps, Odile Jacob, 2007. 12 HONNETH Axel, La Lutte pour la reconnaissance, Cerf, 1992. 11

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