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Les relations entre Juifs et Musulmans en Afrique du Nord : XIXe-XXe siècles. Actes du colloque internat. de l’inst. d. ’histoire des pays d’outre-mer. Abbaye de Sénanque, oct. 1978 PDF

234 Pages·1980·5.77 MB·French
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CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE Centre Régional de Publications : Marseille les relations en tre ju ifs e t musulmans en afrique du nord XIXe-XXe siècles actes du colloque international de l’institut d’histoire des pays d’outre - mer abbaye de sénanque - octobre 1978 ÉDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 15, Quai Anatole-France - 75700 PARIS 1980 7 Centre National de la Recherche Scientifique PARIS 1980 - ISBN 2-222-02690-3 PREFACE Réuni à l’initiative de l'Institut Ben Zvi, s’est tenu à Jérusalem en mars 7977, le premier Congrès International d’Etudes sur les Juifs d'Afrique du Nord. Il rendait compte du renouveau d’intérêt pour cet élément de la communauté sépharade dont le rôle dans la vie intérieure du Maghreb comme dans ses relations avec le monde extérieur fut capital à travers les siècles. Il assurait aussi une large coopération scientifique entre Jérusalem et Aix-en-Provence et prévoyait la rencontre régulière de chercheurs de deux pays. Grâce au C.N.R.S., un deuxième colloque a pu ainsi se tenir à i'Abbaye de Sénanque en octobre 1978. Une quarantaine d’historiens de France (Paris, Strasbourg et Aix), des Etats-Unis, de Belgique et d’Israël ont discuté d’une vingtaine de communications groupées autour du thème «Les relations entre Juifs et Musulmans en A fri que du Nord — X/Xème-XXème siècles ». / Si toutes les communications ne furent pas exemptes, /sur un tel sujet, de subjectivisme et si parfois les débats furent passionnés, l’ensemble du colloque a permis d’apporter de nombreux faits nouveaux, de proposer des interprétations, de nuancer suivant les lieux et les époques ta nature des rapports entre les deux communautés, de souligner enfin les emprunts respectifs et de mesurer l’ampleur historique de ce phénomène de cohabitation. Ce cahier, dans lequel nous présentons l’essentiel des communications marque un jalon dans la meilleure connaissance des communautés Juives d’Afrique du Nord. Jean-Louis MIEGE SOMMAIRE Jean-Louis MIEGE — Préface Pessah SHINAR — La recherche relative aux rapports judéo-musulmans dans le Maghreb contemporain................................................................................................................. 1 Haim ZAFRANI — Les relations judéo-musulmanes dans la littérature juridique : le cas particulier des recours des tributaires à la justice musulmane et aux autorités repré­ sentatives de l'Etat souverain........................................................................................... 32 Noiman A. STILLMAN — Réflexions sur l’influence des Tanzimat sur la condition sociale et juridique des Juifs d’Afrique du Nord au XIXème siècle................................................ 49 Robert ATT AL — Croyances et préjugés : image du Juif dans l’expression populaire arabe du Maghreb......................................................................................................................... 56 Moshe SHOKEID — Jewish existence in a berber environment.............................................. 62 Haim BENTOV — Les relations judéo-musulmanes au Maghreb à la fin du XIXème siècle ... 72 Chalom BAR ACHER — Relations judéo-musulmanes dans le Maroc du XVI llème siècle___ 77 Dons BENSIMON — Relations entre Juifs et Musulmans au Maroc sous le Protectorat fran­ çais ................................................................................................................................. 94 Issachar BEN-AMI — Le culte des saints chez les Juifs et les Musulmans au Maroc................ 104 Michel ABITBOL — Un aspect des relations judéo-musulmanes au Maghreb à la fin du XIXème siècle : les négociants du Roi et la Bourgeoisie marocaine à la veille du Pro­ tectorat ........................................................................................................................... 110 Albert GUIGUI -^Historique de la communauté juive de Meknès.......................................... 118 X Joseph CHETRTT — Niveaux, registres de langue et sociolectes dans les langues judéo-arabes du Maroc......................................................................................................................... 129 Harvey GOLDBERG — Ottoman rule in Tripoli as viewed by the history of Mordechai Hakohen............................................................................. 143 Emmanuel 160 SIVAN — Stéréotypes antijuifs dans la mentalité pied-noir.................................. Carol IANCU — Du nouveau sur les troubles antijuifs en Algérie à la fin du XIXème siècle .. 173 Régine GOUTALIER — Les Juifs et l’O.A.S. en Oranie.......................................................... 188 Fieddy RAPHAËL — Les Juifs du M’zab dans l’Est de la France. Problématique et pre­ mières étapes d’une recherche........................................................................................ 197 Gérard NAHON — Les relations judéo-musulmanes en Afrique du Nord : essai de synthèse et réflexions sur les communications de la Table Ronde.................................................... 225 LA RECHERCHE RELATIVE AUX RAPPORTS JUDEO-MUSULMANS DANS LE MAGHREB CONTEMPORAIN P. SHINAR Presque un siècle et demi s’est écoulé depuis que le judaïsme maghrébin est entré, graduelle­ ment, dans le champ d’observation directe et proche de l’Europe, mais l’étude des relations judéo- musulmanes dans l’Afrique du Nord, abstraction faite des notations ethnographiques de voyageurs- explorateurs, de chargés de mission et d’autres1, ne commence, sporadiquement, qu'après la grande guerre, gagnant un peu d’ampleur après la seconde guerre mondiale et à la suite de la naissance de l’Etat d’Israël et ses répercussions en Afrique du Nord, l’accès à l’indépendance des pays maghré­ bins et la liquidation à peu près totale de la diaspora juive dans cette région. Ce sont ces événements capitaux, parait-il, qui feront naître le besoin de sauvegarder le patri­ moine spirituel et culturel du judaïsme maghrébin et d’approfondir la connaissance de son passé, d’une part, et d’étudier de façon rigoureuse et en détail l’évolution et la problématique des rapports entre Musulmans et Juifs dans un cadre spatial et temporel bien délimité, d’autre part. Preuve tangi­ ble de ce besoin constitue le séminaire tenu à Princeton, le 19 mai 1974, puis le premier colloque international sur les Juifs d’Afrique du Nord, tenu à Jérusalem, 5-8 avril 1977 et, à l’heure actuelle, cette table ronde de Sénanque. Malgré l’importance des facteurs favorisant l’épanouissement de ces études, les publications consacrées à notre sujet, c’est-à-dire aux rapports judéo-musulmans au Maghreb, sont peu nombreu­ ses et pour la plupart de faible teneur. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la précieuse bibliographie de Robert Attal2, où l’on trouve, sous le vocable « relations interconfessionnelles », 19 références seulement, pour la plupart des articles et reportages de revues ou journaux, auxquels il convient d’ajouter quelques autres figurant sous les vocables « Musulmans », « Mellah », « Emeu­ tes », « Culte des saints », « Pèlerinages » et « Proverbes ». La seule exception semble être l’ouvrage de L. Voinot, cité plus loin, et une étude dactylographiée par Cl. Tapia, intitulée « Les contacts des communautés en Tunisie », forte de 113 pages, où l’auteur présente les résultats d’une enquête effectuée en 19623. D’autres apports à considérer on trouvera dans les ouvrages d’ensemble sur le judaïsme nord- africain, comme celui du Grand Rabbin du Constantinois, Ab. Cahen3a, anciennement, et du rabbin Eisenbeth4, d’A. Chouraqui5 et de J.W. Hirâchberg6, de nos jours ainsi que dans les ouvrages consacrés aux Juifs d’un seul pays maghrébin ou d’une ville déterminée. De cette catégorie on retiendra pour lè Maroc la chronique fasie de A. Sarfaty7, les histoires des Juifs marocains de M. Tolédano8, M. Eisenbeth9, I. Abbou10 et D. Bensimon-Donath11, les études historiques de H. Zafrani sur leur vie sociale, économique et religieuse1 la, les monographies des mellahs de Rabat- Salé par J. Goulven12, du mellah de Marrakech par J. Benech13, des mellahs de Demnate et du Sud-marocain par P. Flamand14, et de l’ethnographie des mellahs par E. Malka15. L’histoire des 2 Juifs en Algérie a été traitée de façon générale par J. Hanoune16 et Eisenbeth17 (ce dernier a en outre étudié la démographie juive du Constantinois — étude qui constitue sans doute son plus important travail). La période qui va de l’occupation française au début du XXème siècle est traitée par Cl. Martin18, celle allant du Décret Crémieux à la fin de la seconde guerre mondiale, avec accent sur les années du régime vichyssois, est présentée par M. Ansky19. Il faut réserver une place à part au livre captivant de Briggs et Lami Guède20 sur les Juifs de Ghardai'a, capitale de la heptapole mozabite au Sahara, enquêtés par un anthropologue et une infirmière au cours de leur émigration. Quant aux Juifs de Tunisie, D. Cazès21 relate leur histoire d’avant le Protectorat français, P. Lapie22 décrit leur civilisation, E. Vassel23, J. Vehel et Ryvel24 leur ethnographie et folklore, J.Chalom2s leur condition civile et politique sous le Protectorat, S. Tibi26 leur statut personnel, R. Darmon27 la situation juridique de leur culte. S. Chemla28 s’inquiète de leur assimilation et laïcisation à la veille de la seconde guerre mondiale, P. Ghez et J. Sabille2 9 nous font connaître leurs épreuves sous l’occupation nazie, R. Attal30 leur situation et difficultés dans la Tunisie indépendante. Ce dernier avec C. Sitbon303, vient de nous offrir un recueil de textes-témoignages ressuscitant divers aspects de ce que fut la vie juive en Tunisie du XVIMême au XXème siècles. Pour les ghettos tunisiens on signalera l’enquête de P. Sebag et R. Attal31 sur la hara de Tunis. Celle de Cl. Tapia, déjà citée, ne se limite pas au quartier juif mais englobe les contacts entre quatre communautés à Tunis et à La Goulette. Elle est la seule étude de ce genre qui aborde directement le sujet qui nos occupe. Quant aux Juifs de Djerba, il ne semble pas exister de monographie sérieuse sur cette communauté, sauf la thèse, malheureusement inédite, de B. Roy32. Cela paraît d’autant plus regrettable qu’il s’agit là, comme dans le cas du Mzab et du Djebel Nefousa (Tripolitaine), de la coexistence entre Juifs et Musulmans hétérodoxes, phénomène exceptionnel dans le Maghreb. Ce que ces textes (et une foule d’autres dont les références que l’on trouvera dans la bibliogra­ phie d’Attal) peuvent bien contenir de renseignements intéressant notre sujet, seul un examen attentif pourra nous le révéler. Dans l’immédiat, une contribution importante, directe et spécifique, représente les témoignages et analyses d'intellectuels maghrébins, Musulmans et Juifs, comme ceux de Driss Chraîbi, Said Ghallîb, Abraham Elmaleh et Marcel Ben Abou [ sic ] pour le Maroc ; Malek Bennabié, A.T. al-Madanî, Ferhat Abbas, Ali Merad, A. Chouraqui, Raymond Bénichou et le docteur Henri Aboulker pour l’Algérie321, Albert Memmi et Charles Haddad pour la Tunisie33. A verser au dossier, sont, aussi, les études de Kenneth L. Brown sur Salé34 et de Lawrence Rosen sur Sefrou3 s, qui semblent ouvrir une voie prometteuse pour l’étude des relations dyadiques ou interpersonnelles judéo-musulmanes dans un cadre urbain au Maroc ; les Actes du Séminaire de Princeton36, dont on relèvera, pour l’époque qui nous intéresse, les contributions de N.Stillman traitant des stéréotypes ethniques judéo-musulmans au Maroc, de Jane Gerber sur l’application de la Charte d’Omar au même pays et de Richard Press sur les relations judéo-musulmanes à Marrakech : à signaler égale­ ment deux communications présentées à des colloques tenus à Jérusalem : l’une, par K.L. Brown37, traite des relations entre le mellah et la médina de Salé (1974), et l’autre, par R. Danziger38, sur *Abd al-Qâdir et les Juifs d’Algérie (1977). Pour conclure, on citera encore deux recueils de lettres tirés des Archives de l’Alliance Israélite Universelle et publiés, avec introduction et notes, par D. Littman39. Ils illustrent les tribulations des Juifs de Tripoli (fin du XIXème siècle) et du Maroc (1903-1912), respectivement. Ces efforts sont pourtant de date assez récente et concernent principalement le Maroc. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur les raisons de la longue carence. Est-ce à cause du courant pro-islamique qui a prévalu dans les milieux des intellectuels juifs européens au XIXème et une partie du XXème siècle — tendance que Bernard Lewis a récemment mis en lumière40 — que ceux-ci se désintéressaient des problèmes posés par le statut du dhimmT fans le Maghreb41 ? Est-ce parce que les Juifs maghrébins eux-mêmes, attirés par la civilisation française, s’efforçaient de se détacher du milieu musulman, de s’occidentaliser et renier (ou oublier) leur passé — autre tendance déjà notée par Goulven42 en 1927, puis par Bénech43, Bénichou44 et Memmi45 ? Et du côté 3 musulman, faut-il interpréter le silence comme simple continuation du manque d’intérêt teinté de mépris quasi-traditionnel dont faisaient preuve les lettrés à l’égard du dhimmi, vu que le statut de ce dernier, et partant l’attitude du croyant envers lui, furent une fois pour toutes fixés par la chari’a donc, pour eux, dénués de problématique ? Mais alors on s’attendrait à ce que la transformation dramatique de la condition de ce dernier sous le régime colonial, les incitations de l’antisémitisme européen importé, le réveil du nationalisme arabo-berbère, le sionisme et le conflit israélo-arabe éveillassent le désir chez quelques-uns d’eux de réexaminer le problème des relations judéo-musul­ manes à la lumière des données nouvelles. Et pourtant, semble-t-il, il n’en fut rien ou presque. Quoi qu’il en soit, il ne peut être question ici, dans le cadre d’une simple communication, de dresser le bilan de la-recherche — aussi réduite soit-elle — accomplie jusqu’à ce jour dans ce domai­ ne. On se bornera donc à présenter d’abord quelques témoignages et jugements d’ensemble émanant principalement de maghrébins, en notant certaines questions méthodologiques que pose leur carac­ tère contradictoire. On classera ensuite les thèmes ou aspects traités par les auteurs selon le plan sur lequel ils se situent — perceptuel, juridique, économique, social, religieux et culturel. Chemin fai­ sant, on relèvera certaines interprétations, fera des réserves qui s’imposent, indiquera des lacunes et des nouvelles avenues de recherche. Des témoignages-jugements on en retiendra quatre pour le Maroc, quatre pour l’Algérie et trois pour la Tunisie. D’abord, ceux, courageux et saisissants, de Sa'Td Ghallâb, gauchiste arabe marocain et l’écrivain bien connu D. Chraibi qui vont dans le même sens. Dq premier nous citerons quelques bribes d’un article intitulé « Les juifs vont en Enfer », où il nous dit en parlant de son enfance : « Quant à persécuter les juifs personne ne nous le reprochait. Qn nous approuvait même (...). Dès qu’un Juif s’aventurait chez nous autres Musulmans il était méprisé, parce que le juif c’est la déca­ dence des décadences, l’être le plus vil qui soit. En présence d'un Juif, ipso facto, nous avions devant nous les puanteurs du mellah, le péché total, une décrépitude repoussante. La preuve que le Juif n’était pas un homme c’est qu’à son arrivée, nos mères ne se cachaient même pas4 551. La pire insulte qu’un marocain puisse faire à un autre, c’est de le traiter de Juif (...). Mes amis d’enfance sont de­ meurés antijuifs. Ils voilent leur antisémitisme virulent en soutenant que l.’Etat d’Israël a été la création de l’impérialisme occidental. Mes camarades communistes eux-mêmes sont tombés dans cç piège (...). Or il suffit d’ouvrir les yeux (...) pour saisir, combien est ancrée dans les cœurs la haine du Juif, même dans une classe paysanne très arriérée qui ignore ce qui signifie Israël (...) tout se passe (...) comme si le Juif était l’ennemi héréditaire (...), le mal qu’il faut détruire. Et tout un mythe hitlérien est cultivé parmi les couches populaires. On exalte (et on s’extasie) devant le massa­ cre des Juifs fait par Hitler. On croit même que Hitler n’est pas mort (...) et on attend son arrivée (comme on attend celle de l’imam el-Mahdi) pour délivrer les Arabes d’Israël ». (Suit une critique acerbe du comportement des Juifs dans le Maroc actuel)4 6. La pièce maîtresse du témoignage de Chraibi est le récit de deux événements traumatiques : l’un, datant de l’enfance de l’auteur, décrit, comment lui et ses camarades lapidèrent à mort un vieux Juif assis immobile au bord de la mer (d’où le titre de l’article « La Statue ») ; l’autre, dont l’auteur fut témoin oculaire, relate, comment une foule casablancaise, sortie de la mosquée un vendredi de 1957, mit le feu à un autre vieux Juif et se réjouit du spectacle ; plus atroce encore pour l’auteur, sa propre mère, elle aussi riait !4 7. Du côté juif on citera d’abord Abraham Elmaleh, natif de Jérusalem mais d’origine maghré­ bine, survivant du massacre de Fès du 17 au 19 avril 1912, qui, revisitant le Maroc en 1930, fit l’observation suivante sur les Juifs de ce pays : « Leur évolution logique les portera du côté de la civilisation occidentale, représentée ici par la France (...). Il y a une irréductibilité absolue entre leur conception de la vie et la conception islamique. S’il s’est produit entre eux et les populations musul­ manes, à force de vivre côte à côte, par l’empreinte d’une langue commune, des similitudes apparen­ tes, au premier contact avec une autre civilisation, le Juif s’est retrouvé et s’est immédiatement 4 dégagé d’une ambiance où son caractère distinctif n’était qu’assoupi »48. Trente-quatre ans après, dans le Maroc indépendant, Marcel Ben Abbou confirmera en effet la validité du jugement précédent. L’intégration judéo-musulmane par le biais de la culture lui paraît « utopique », puisque depuis les temps de Maimonide, Juifs et Musulmans se sont repliés sur leur religion. Paradoxalement, la culture française a servi entre eux de médiatrice mais ceux-ci sont allés à elle « en rang dispersés : non pas élan conscient et concerté vers plus d’universalité, mais cheminement parallèle de deux solitudes », qui d’ailleurs ne concernait qu’une minorité. Dans le domaine politique, la situation lui paraît semblable : la participation des Juifs est presque nulle. Sachant que son action engagera tous les Juifs, le Juif se garde d’intervenir en politique, décidé « de se situer hors de l’histoire » et « sauvegarder sa quiétude en mettant sa compétence au service du pouvoir ». Et l’auteur de conclure : « L’on voit donc que pour le Juif marocain, les sources même de l’espérance paraissent empoisonnées. Le sentiment d'être privé d’avenir pourrit tous les autres ». Cependant il s’accroche à l’espoir que la coexistence en paix et la tolérance actuelle se prolongeant, elles finiront par créer un « véritable climat de coopération »4 9. Quant à l’Algérie, nous entendons un tout autre son de cloche chez André Chouraqui et Raymond Bénichou. En parlant de l’attitude des Musulmans envers les Juifs le premier affirme : « C’est moins une explosion de haine que le déchaînement d’appétits (...). On ne retrouve nulle trace d’un antisémitisme comparable — fût-ce de loin — à l’Europe médiévale ou moderne. Et c’est là le lieu de nous élever contre la prétendue haine historique que le Musulman vouerait au Juif (...). L’antijudaïsme des Musulmans a été élevé à la dignité de dogme (...). Les Juifs furent, en définitive, plus heureux en terre d’Islam (...). Le mépris verbal ou réel (...) ne fit jamais totalement oublier les liens plus profonds d’une vie commune et d’une commune origine (...). Si l’on excepte le mépris traditionnel, d’ordre rituel plutôt que passionnel, on peut affirmer que le sort des Juifs n’était pas plus désespéré que celui des basses classes musulmanes (...). Les humiliations du dhimmi, la gifle annuelle qui accompagne la remise de la djizya, les injures, les coups récoltés au passage, les bouscu­ lades, toute honte bue, sont admises comme des réalités courantes dont on souffre à peine... »50. Le tableau brossé par Bénichou, un des protagonistes d’une entente judéo-musulmane en Algérie, dans ses Ecrits juifs, est essentiellement concordant : « ... ii arrivait aux Juifs de subir des sévices, mais en générai leur disgrâce se bornait à quelques humiliations allégoriques et quelques plus positives rançons (...). ii y eut des relations privées étroites. (...) La domination française n’entama pas ces liens d’amitié. N’étant suspects ni aux uns ni aux autres, les Juifs purent Jouer le rôle de « courtiers de civilisation ». Après leur acces­ sion à la nationalité française, leur attitude envers tes Musulmans ne changea pas et ils restaient attachés au passé et au folklore façonnés par l’Islam51. Une hostilité systématique envers les Juifs se développa en fin de siècle chez les Européens, mais les Musulmans restaient hors de l’arène51 a. Entre les deux guerres mondiales les relations s’altérèrent fâcheusement pour trois raisons : 1) l’assimilation juive accélérée leur faisait oublier la langue arabe et les attaches historiques à l’Islam ; 2) l’appel du Mufti de Jérusalem contre les sionistes dès 1929 ; 3) la propagande nazie. Mais nui de ces trois facteurs n’aurait troublé l’atmosphère sans les soins des cercles intéressés : la haute administration française et les colons. Entre ces deux ii y eut complicité pour détour­ ner contre les Juifs la crue subite des revendications musulmanes. C’est de ces milieux que vint l’excitation au massacre de Constantine (5 août 1934), où police et armée adoptèrent une attitude purement contemplative52. Puis ii y eut une réconciliation dont ia solidité ne se

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