E mpédocle Les purifications Un projet de paix universelle édité, traduit et commenté par Jean Bollack B I L I N G U E G R E C - F R A N Ç A I S I nédit Essais r w Les Purifications Un projet de paix universelle U N I V E R S I T É S DE P A R I S BIBLIOTHÈQUE DE LA SORBONNE 13, RUE OE LA SORBONNE * 75257 PARIS CEDEX 05 TEL 01 40 46 30 27 - FAX : 01 40 46 30 44 • ■ Λ/ ,/U / )9s In v SIGB b ib l. SIGB e x. : SU ppn : SU epn : :_ i(fl __ c° te 1158638434 III llll IIII II I mil II lll II II Empédocle Les P urifications U n projet de paix universelle ÉDITÉ, TRADUIT DU GREC ET COMMENTÉ PAR JEAN BOLLACK E ditions du Seuil CET OUVRAGE EST PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION D’ALAIN BADIOU ET DE BARBARA CASSIN 2-02-056915-9 ISBN © Éditions du Seuil, mars 2003 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com « Ici, plus que dans n ’importe quel domaine, chaque langue contient [...] un système de concepts qui, précisément parce qu'ils se touchent, s’unissent et se complètent dans la même langue, form ent un tout dont les différentes parties ne corres pondent à aucune de celles du système des autres langues » (Friedrich Schleiermacher, Des différentes méthodes du tra duire, traduit par Antoine Berman). Bref il y a des ordres philo sophiques parce qu’on philosophe en langue. Cette série voudrait mettre à la disposition de tout lecteur français des textes essentiels pour la philosophie, faisant date, structurant un champ ou une problématique ; des textes par là même «intraduisibles», toujours à retraduire. Et comme il s’agit souvent de l ’instauration d’un vocabulaire, on pourra ouvrir le volume à des textes qui se répondent. D ’où le choix du bilingue, pour que l ’œil revienne à l ’origi nal comme à un point d’arrivée. D ’où la nécessité du glossaire qui pose les problèmes du point de vue de la langue et présente dans la langue maternelle une langue étrangère qu’on pourra ainsi entendre sans la connaître. A. B. et B. C. Présentation Dieu sur terre Une action subversive Les Catharmes marquent une rupture complète avec la tradition culturelle, que l’on pourrait aussi bien appeler litté raire ou religieuse. Le poème invente un mythe, une histoire nouvelle, qui pose en deçà d’elle toutes celles qui ont jamais été racontées, d’Homère et d’Hésiode jusqu’aux productions contemporaines de la tragédie athénienne. L’invention, appelée à démythifier, est faite de reprises de thèmes mythologiques, qui ne se lim itent pas au bannissement du dieu ou au dépeçage de son corps. L’exercice de la réinterprétation des textes écrits tient la première place, comme chez les orphiques, trop souvent invoqués pour les croyances d’outre-tombe, alors qu’on néglige le travail de composition et d’exégèse sur la littéralité des mots, qui relie ce monde à l ’autre et fait accéder au salut. L’énigme verbale chez Empédocle n’est pas utilisée pour elle-même, pour l’exercice ésotérique, fû t-il salutaire. Ce stade est comme dépassé. L ’écriture est maîtrisée, portée à l ’éclat d’une parole poétique, et, par son attrait, rendue communicable et publique. La visée panhellénique de l ’écrit, rival d’Homère, avec ses techniques substitutives, prend son sens dans cette volonté d’expansion culturelle. Le travail interprétatif autour d’une table, entre amis lettrés, est élevé jusqu’au niveau d’un message reli gieux et politique. Les Catharmes se présentent comme un manifeste et un projet de réforme universelle des sociétés. Dans le peu de vers qui nous restent, la tension s’exprime entre la matière de l ’exégèse, fondée sur la relecture et la méditation des livres - il faut sans doute préciser : de tous les livres - et la voix d’un programme politique sans doute 10 Présentation révolutionnaire. S’il n’y a pas proprement en Grèce de « reli gion du livre », il n’est pas moins vrai qu’il existe, d’une part, une culture livresque, d’autant plus influente qu’elle ne justifie pas directement une pratique, et, d’autre part, une tradition inter prétative forte, qui stimule toutes les libertés que l’on prend. La forme, le ton et le fond émanent d’un dynamisme social particulier : les « amis », un groupe de gens plutôt haut placés, refusent le pouvoir tel qu’il s’exerce, avec les passions qui s’y déchaînent, pour intervenir plus directement en faveur des masses et de leurs besoins. Ce ne sont pas seulement des « amis » : ce sont des « parents » (philoi), dans la mesure où ils connaissent les principes de l’affinité universelle qui les lie. La médiation d’un contre-pouvoir, engagé dans une action égali taire (en un sens démocratique, mais d’abord antityrannique), apparaît clairement à travers les informations recueillies dans la partie consacrée à l’activité politique d’Empédocle, homme d’Etat, de la Vie du livre VDI de Diogène Laërce (IIe ou ine siècle) ; lui qui, pouvant être roi ou tyran, rejeta le pouvoir et adopta le parti populaire1. La cité ne compte pas, elle n’est que le lieu de la lutte pour le pouvoir où se déchaîne la violence. Le renoncement est une prise de position. Les travaux d’assai nissement ou de protection contre les épidémies, circons crivent, comme la médecine, un domaine de vérité. La primauté accordée dans le groupe à la connaissance se traduit politique ment au dehors. Le refus s’appuie, avec ses règles ascétiques et plus intellectuelles que guerrières, sur un contre-mythe fonda teur. Le texte des Catharmes légitime le double mouvement d’un repli dans l’autonomie d’une citadelle du savoir, et le projet d’expansion universelle sur les bases d’une vérité extraterrito riale nouvelle. Diogène, dans cette section, commence par rappe ler la récitation des Catharmes aux Jeux olympiques. C’était une intervention panhellénique d’un grand retentissement. Il revient à l’histoire politique d’étudier les conditions dans lesquelles une partie importante de la classe dirigeante s’est libé rée d’une emprise pour se tourner vers une légitimation cultu relle, appartenant à un autre ordre. Et en même temps sur le plan de la sociologie religieuse, comment ce groupe s’est-il imposé la discipline et le mode de vie ascétique, d’où est sortie, comme portée sur une scène, la figure charismatique d’Empédocle ? 1. Voir le texte cité plus bas, p. 29.