Les polynoˆmes cyclotomiques Pr´eparation a` l’agr´egation de math´ematiques Universit´e de Nice - Sophia Antipolis Antoine Ducros Novembre 2007 Remarque. Dans tout ce texte, nous utiliserons implicitement le fait suivant, qui peut se d´emontrer `a l’aide de l’identit´e de Bezout, ou de l’algorithme d’Eu- clide : si k (cid:44)→L est une extension de corps et si P et Q sont deux polynˆomes `a coefficients dans k, leur PGCD dans L[X] est ´egal `a leur PGCD dans k[X]. Lemme 1. Soit k un corps et soit n un entier non nul tel que n.1 (cid:54)= 0 (ce k qui signifie, ou bien que k est de caract´eristique nulle, ou bien que k est de caract´eristique p>0 avec p∧n=1). Toute racine de Xn−1 dans k est simple. D´emonstration. Si n = 1 c’est ´evident car Xn − 1 est alors de degr´e 1. Supposons n>1, et soit α une racine de Xn−1 dans k. Si elle ´etait multiple, elle annulerait le polynˆome d´eriv´e nXn−1; on aurait donc nαn−1 = 0. Comme n.1 (cid:54)=0 et comme n−1>0, ceci entraˆıne α=0, ce qui contredit l’hypoth`ese k que αn =1. (cid:3) Lemme 2. Soit k un corps, soient n et m deux entiers et soit d leur PGCD. Le PGCD de Xn−1 et Xm−1 dans k[X] est ´egal `a Xd−1. D´emonstration. Supposons (par exemple) que n ≥ m. Si m > 0, ´ecrivons (par division euclidienne) n=am+r avec r <m. On a alors Xn−1=Xam+r−1=(Xm)a.Xr−1 =((Xm)a−1).Xr+Xr−1=(Xm−1)((Xm)a−1+...+1)Xr+Xr−1. On en d´eduit que (Xn −1)∧(Xm −1) = (Xm −1)∧(Xr −1). On a ainsi remplac´e le couple (n,m) par le couple (m,r). L’algorithme d’Euclide garantit qu’enr´ep´etantl’op´erationunnombrefinidefois(´eventuellementnulsim=0!) on obtient le couple (d,0). On en d´eduit que (Xn−1)∧(Xm−1)=(Xd−1)∧(X0−1)=(Xd−1)∧0=(Xd−1). (cid:3) Th´eor`eme.Il existe une unique suite (Φ ) de polynˆomes `a coefficients dans n n>0 Q tels que : i) Φ =X−1; 1 ii) Pour tout n>0, on a Xn−1= (cid:81)Φ (X). d d|n De plus chacun des Φ est unitaire, `a coefficients dans Z, de degr´e ϕ(n); les n Φ sont deux a` deux premiers entre eux. n 1 D´emonstration. Commen¸cons par l’unicit´e. Donnons nous deux suites (Φ ) n et (Ψ ) satisfaisant les conditions requises, et montrons par r´ecurrence sur n n que Ψ = Φ . Pour n = 1, c’est ´evident puisqu’en vertu de i) Ψ et Φ sont n n 1 1 tousdeux´egaux`aX−1.Soitn>1telquel’´egalit´esoitvraiepourtoutm<n. De ii) d´ecoulent les formules (cid:81)Φ (X) = (cid:81)Ψ (X) = Xn −1; pour tout d d d d|n d|n divisant strictement n, on a Φ = Ψ par l’hypoth`ese de r´ecurrence; on en d d d´eduit aussitˆot (Xn−1 ´etant non nul et l’anneau Q[X] int`egre) que Φ =Ψ . n n Montrons maintenant l’existence. On va construire les Φ r´ecursivement, en n montrant `a chaque ´etape les propri´et´es requises. On pose Φ = X −1; il est 1 bien unitaire, `a coefficients dans Z, et de degr´e 1=ϕ(1). Supposons avoir construit une suite (Φ ,...,Φ ) telle que 1 n−1 (cid:89) Xm−1= Φ (X) d d|m pour tout m<n, telle que chacun des Φ soit unitaire, `a coefficients dans Z, de i degr´e ϕ(i), et telle que les Φ soient deux `a deux premiers entre eux. i Soit d un diviseur strict de n. Comme Xd−1 divise Xn−1 (on peut le voir `a la main, ou utiliser le lemme 2 si on le souhaite...),Φ divise Xn−1. Les Φ , d d ou` d parcourt l’ensemble des diviseurs stricts de n, sont deux `a deux premiers entre eux; il en d´ecoule que (cid:81) Φ (X)|Xn−1. Ces deux polynˆomes ´etant d d|n,d(cid:54)=n unitaireset`acoefficientsdansZ,leurquotientestunitaireet`acoefficientsdans Z. On d´efinit Φ comme ´etant ´egal `a ce quotient. n Par construction, on a maintenant Xm−1 = (cid:81) Φ (X) pour tout m ≤ n. d d|m Il reste `a s’assurer que le degr´e de Φ est bien ϕ(n), et que Φ est bien premier n n avec Φ pour tout i<n. i En ce qui concerne le degr´e, l’´egalit´e Xn−1= (cid:81)Φ (X) et le fait que, par d d|n l’hypoth`ese de r´ecurrence, on ait deg Φ = ϕ(d) pour tout d < n, entraˆınent d (cid:80) (cid:80) que n=degΦ + ϕ(d). Comme n= ϕ(d), on a bien degΦ =ϕ(n). n n d|n,d(cid:54)=n d|n On termine en trois courtes ´etapes : • Si δ divise strictement n, alors Φ est premier avec Φ ; en effet, soit L n δ uncorpsded´ecompositiondeXn−1surQ.L’´egalit´eXn−1= (cid:81)Φ (X) d d|n et la simplicit´e des racines de Xn −1 dans L (lemme 1) impliquent que Φ et Φ sont tous deux scind´es dans L et sans racine commune; ils sont n δ donc premiers entre eux. • Si d divise strictement n, alors Φ est premier avec Xd−1; en effet, on n a Xd−1= (cid:81)Φ (X); or si δ divise d, il divise strictement n et donc Φ δ n δ|d est premier avec Φ d’apr`es ce qui pr´ec`ede, d’ou` l’assertion. δ • Soit i un entier strictement inf´erieur `a n et soit P le PGCD de Φ et Φ ; n i soit d le PGCD de n et i. Comme P divise Φ (resp. Φ ), il divise Xn−1 n i 2 (resp. Xi−1) d’apr`es la sempiternelle formule; il divise donc leur PGCD, qui n’est autre Xd−1 en vertu du lemme 2. Comme i<n, l’entier d est un diviseur strict de n; d’apr`es l’´etape pr´ec´edente, Φ est premier avec n Xd−1. Tous deux ´etant multiples de P, on a P =1. (cid:3) Proposition. Soit n un entier non nul et soit L un corps de caract´eristique nulle dans lequel Xn −1 est scind´e. Pour tout d divisant n, le polynˆome Φ d est scind´e `a racines simples dans L; ses racines sont exactement les racines de l’unit´e d’ordre d dans L. D´emonstration D’apr`es le lemme 1, le polynˆome Xn−1 est scind´e `a racines simplesdansL;siddivisen,alorsΦ diviseXn−1etestdoncscind´e`aracines d simples dans L. Soitαuneracinen-i`emedel’unit´edansLetsoitω sonordredanslegroupe L∗ (c’est un diviseur de n); comme Xn−1 = (cid:81)Φ (X) et comme les Φ sont δ d δ|n deux `a deux premiers entre eux, il existe un et un seul diviseur d de n tel que Φ (α)=0. On va montrer que d=ω, ce qui permettra de conclure. d Montrons que ω divise d. Comme Φ (α) = 0 et comme Φ |Xd −1, on a d d αd =1 et ω divise d. Montrons que d divise ω. Comme αω =1, le polynˆome Xω−1 annule α. Or (cid:81) ils’´ecrit Φ (X);onend´eduitqu’ilexisteδ divisantω telqueΦ (α)=0.Par δ δ δ|ω d´efinition de d, on a δ =d et donc d|ω. (cid:3) Soit p un nombre premier. Pour tout n, on notera Φn,Fp l’image de Φn dans F [X] (obtenue en r´eduisant modulo p chacun de ses coefficients). L’´egalit´e p Xn−1= (cid:81)Φ (X), valable dans Z[X], devient apr`es r´eduction modulo p d d|n (cid:89) Xn−1= Φd,Fp(X) dansFp[X]. d|n Proposition.Soit n un entier premier `a p et soit L un corps de caract´eristique p dans lequel Xn −1 est scind´e. Les Φd,Fp pour d divisant n sont scind´es `a racines simples dans L et deux `a deux premiers entre eux; pour tout d divisant n, les racines de Φd,Fp dans L sont exactement les racines de l’unit´e d’ordre d dans L. D´emonstration.D’apr`eslelemme1,lepolynˆomeXn−1estscind´e`aracines simples dans L. L’´egalit´e Xn −1 = (cid:81)Φd,Fp(X) implique alors que les Φd,Fp d|n (pour d divisant n) sont tous scind´es `a racines simples dans L, et deux `a deux sans racine commune; ils sont donc deux `a deux premiers entre eux. LadescriptiondesracinesdeΦd,Fp sefaitaveclesmˆemesargumentqueceux employ´es ci-dessus concernant les racines de Φ (il suffit de recopier mot pour d mot la d´emonstration en rajoutant des F en indice `a l’occasion). (cid:3) p Corollaire. Soient d et δ deux entiers distincts et premiers `a p. Les po- lynˆomes Φd,Fp et Φδ,Fp sont premiers entre eux. D´emonstration.L’entiern=dδ estpremier`ap,etdetδ sontdeuxdiviseurs de n. Il n’y a plus qu’`a appliquer la proposition pr´ec´edente. (cid:3) 3 Contre-exemples en caract´eristique p On d´esigne toujours par p un nombre premier. A` propos des racines de Xn −1. Soit n un multiple non nul de p et soit L un corps de d´ecomposition de Xn−1 sur F . E´crivons n = mp. On a alors p Xn−1=(Xm)p−1=(Xm−1)p, et toute racine de Xn−1 dans L est donc au moins de multiplicit´e p. A` propos des Φn,Fp. On a Xp−1=(X−1)p =Φp,FpΦ1,Fp =Φp,Fp(X−1) et Xp2 −1=(X−1)p2 =Φp2,FpΦp,FpΦ1,Fp =Φp2,FpΦp,Fp(X−1). On en d´eduit que Φp,Fp =(X−1)p−1 et Φp2,Fp =(X−1)p2−p; en cons´equence, le PGCD de Φp,Fp et Φp2,Fp est ´egal `a Xp−1−1. 4