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Les Paradoxes de la conscience PDF

145 Pages·1966·29.695 MB·French
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\ ( RAYMOND RUYER \ l'iolDSSeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nancy PARADOXES es Savants & le Moode collecljoo (lifiaée naf Andfé Eeofqe G N S C I E N CE LOUIS DE BROGLIE, Physicien et Penseur. JEAN THIBAUD PUISSANCE DE L'ATOME. PH. FRANK I limites de rautomatisme EINSTEIN, SA VIE ET SON TEMPS. LOUIS DE BROGLIE SAVANTS ET DÉCOUVERTES. SUR LES SENTIERS DE LA SCIENCE. ROGER HEIM UN NATURALISTE AUTOUR DU MONDE. P. TEILHARD DE CHARDIN LE GROUPE ZOOLOGIQUE HUMAIN. MAX PLANCK AUTOBIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE. WERNER HEISENBERG PHYSIQUE ET PHILOSOPHIE. NOËL BERNARD LA VIE ET L'ŒUVRE D'ALBERT CALMETTE. PASTEUR VALLERY-RADOT MÉDECINE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI. SELMAN A. WAKSMAN MA VIE AVEC LES MICROBES. U A I B II M colleciiofl Mm lai Aiiilfi ™e Imp. Balme, Paris 66-11.61770 18,00 F Printed in France 18,50 t.l.i. iDIllONS ALBIN MICHEL f LES SAVANTS ET LE MONDE COLLECTION DIRIGÉE PAR ANDRÉ GEORGE DU MÊME AUTEUR RAYMOND RUYER Professeur à la Faculté des Lettres La conscience et le corps P. U. F. et Sciences humaines de Nancy Éléments de psycliobiologie (épuisé) P. U. F. Correspondant de V Institut Néo-finalisme P. U. F. L'utopie et les utopies P. U. F. Le monde des valeurs Aubier Philosophie de la valeur A. Colin PARADOXES DE LA CONSCIENCE La cybernétique et l'origine de l'information Flammarion La genèse des formes vivantes Flammarion ET UMITES DE L'AUTOMATISME L'animal, l'homme, la fonction symbolique Gallimard ÉDITIONS ALBIN MICHEL 22, RUE HUYGHENS PARIS 1 -•••'fv '5 4 INTRODUCTION I L s'agit bien, dans cet ouvrage, des paradoxes de la conscience, et non de paradoxes sur la conscience. L'exposé par paradoxes a l'avantage d'abréger le « discours ». Mais l'ordre et la suite des paradoxes est systématique. Le seul classement peut être révélateur et peut permettre d'éli- miner nombre de théories fausses ou futiles. Comme cet ouvrage est sur la conscience et non sur le paradoxe, le mot paradoxe est employé au sens large. Il englobe : paradoxes classiques, antiparadoxes, pseudo- paradoxes, apories, antinomies, difficultés logiques ou quasi logiques, et même, apparences surprenantes et trompeuses ou, plus souvent encore, pseudo-difficultés tenant à des postulats arbitraires. Je prends position clairement, en général, dans mon jugement sur les paradoxes mentionnés, en indiquant s'il s'agit selon moi, d'un paradoxe vrai, c'est-à-dire d'une vérité paradoxale, ou d'un paradoxe faux, d'une erreur. J'indique aussi s'il s'agit d'un paradoxe authentique, ou d'un pseudo- paradoxe. Cependant, dans un petit nombre de cas, je laisse au lecteur le soin de décider. Le plus souvent, l'apparence paradoxale naît de l'impul- sion à considérer l'homme conscient comme un être physique. Personne ne croit sérieusement que l'homme conscient soit un robot. Et pourtant, par une bizarre inconséquence, tout le monde admet les possibilités indéfinies de l'automatisme pour expliquer la vie et pour expliquer l'homme. Le point I Éditions Albin Michel, 1966. de vue scientifique classique, auquel presque tout le monde r H l'AttAüOXES DE LA CONSCIENCE n'tiHl luil)il,iié, porto à concevoir spontanément des explica- I ioMH tiiôcanistes. C'est relativement à cette illusion spontanée (|ii() la conscience, examinée directement, paraît paradoxale. Plusieurs des paradoxes cités m'ont été fournis par Ber- nard et Dominique Ruyer. MM. Vax, Lechat et Vallin m'ont également fait plusieurs suggestions, que j'ai utilisées. LE PARADOXE FONDAMENTAL La manifestation télévisée. Un spectateur assiste de sa fenêtre à un défilé de mani- festants. Des impressions rétiniennes se succèdent, à quoi correspondent des impressions occipitales. Qui en fait la revue, dans la tête du spectateur? Faut-il penser à un super- spectateur cérébral qui assiste au défilé des impressions? Cette manifestation est télévisée, avec des procédés variés de balayage (scanning devices) à l'émission et à la réception. Un téléspectateur regarde cette émission télévisée. Comment, s'opère, pour le téléspectateur, la perception finale? Est-ce encore par un autre balayage cérébral? Il est évident qu'il faut s'arrêter. A la fin, il y a information- connaissance sans balayage, sans « passage en revue », des éléments d'information. Le paradoxe du comptage. Comment puis-je compter une multitude d'objets? Je dois transporter, d'une certaine manière, cette multitude en moi. Mais, pour ne pas devenir multiple (et par conséquent ne plus pouvoir compter la multiplicité), je dois pourtant y échapper, et rester « un ». Le balayage par la fovea ou l'index. Il y a des animaux qui n'ont pas de rétine mais seule- ment un seul petit cône superposé à un bâtonnet, et analogue ï Kl •AIIAIJOXES DE LA CONSCIENCE LE PARADOXE FONDAMENTAL 11 Il un (le mis (Mritieiits rétiniens. Ce bâtonnet se déplace le vision pour l'émission (le récepteur faisant la transposition lon|r il(i riiiiat);(! optique fourme par un cristallin, de façon à inverse). Mais comment la forme temporelle se perçoit-elle Mrti Htiiimlé successivement par les diverses parties de cette ou se connaît-elle elle-même? Directement? Mais la con- science immédiate d'une mélodie n'est pas moins mystérieuse Mais où donc se forme, pour l'animal, l'image consciente que la conscience immédiate d'une forme spatiale. Indirecte- (l(> col to image optique ainsi balayée? Et en quoi consiste- ment? Est-elle retransposée en forme spatiale? On admet l,-(ill(î? Il ne peut pourtant y avoir balayage du balayage. souvent que les suites de sons peuvent être enregistrées Mftinc un homme muni de deux rétines ne procède pas dans l'aire temporale comme formes spatiales. Mais alors, (l'une façon très différente, pour peu que le champ des faudra-t-il encore un balayage de ces formes spatiales? objets à explorer soit plus large que le champ visuel, ou De plus, l'expérience montre qu'il y a perception et mémoire H(!ulemcnt, ce qui arrive presque toujours, soit plus large que des mélodies et des rythmes aussi bien que des formes. ce qui se projette sur la fovea. Il doit tourner sa tête ou ses Comment distinguera-t-on mélodie temporelle et forme yeux et recevoir un grand nombre d'impressions succes- spatiale, si l'une doit toujours être transposée en l'autre sives. C'est également ce qui se passe quand, dans l'obscu- pour être perçue? On ne peut être renvoyé indéfiniment, pour rité, il passe le bout de son index sur les bords d'une table comprendre la perception de la forme spatiale, à la forme ou d'un meuble. temporelle, par balayage, puis de nouveau, pour comprendre Ce qui informe instant après instant, suivant les phases la perception de la forme temporelle obtenue, être obligé de du balayage, la rétine, et Faire correspondante du cerveau, revenir à son étalement dans l'espace, qui nécessitera à son c'est, pour peu que l'objet soit complexe, ou qu'on le regarde tour un nouveau balayage temporel. liest plus simple d'ad- fragment par fragment, une série d'images très différentes mettre la conscience immédiate d'une mélodie aussi bien les unes des autres. Et pourtant on est conscient de l'objet, que d'une forme, l'une pouvant, dans certains cas, remplacer au singulier. l'autre. Il n'y a pas de parallélisme entre les résultats bruts du balayage, et la connaissance résultante. Car, s'il y avait Le paradoxe de l'intégration sans mélange. parallélisme, il n'y aurait pas de connaissance. Même si nous regardons une figure aussi simple qu'un cercle — mais trop Nous ne sommes pas plus avancés, quand nous essayons de grand pour être perçu d'un seul coup par l'œil immobile—il comprendre la vision instantanée par un œil immobile muni n'y a donc à aucun moment de cercle dans notre cerveau, et d'une large rétine comportant des millions d'éléments pourtant nous voyons un cercle. analogues à l'élément unique que possède Copilia. Inutile, nous venons de le voir, de recourir à un balayage cérébral de l'aire visuelle. Il serait opéré par quoi, et pour qui? Formes spatiales et formes temporelles. Par quelle caméra nerveuse et pour quel récepteur, qui devrait encore l'enregistrer? Le cône-bâtonnet de Copilia, notre fovea, le bout de Puisque chaque détail visuel (supposé fourni par un seul notre index, transposent la forme spatiale, balayée, en forme élément rétinien) est distinct, il a dû ne pas être mélangé aux temporelle. C'est exactement ce que fait la caméra de télé- autres détails. Mais puisque l'ensemble des détails forme pourtant une forme, dans une conscience unique, il doit y 1. C'est le cas de Copilia, petit crustacé étudié par Exner. avoir, pense-t-on, une certaine proportion de dépendance LE PARADOXE FONDAMENTAL 12 'AIIADOXES un I.A CONSCIENCE miiliioll«, c'(!sl-à-dire, pour employer le mot favori des La maladie, en réalisant l'isolement d'un élémenl. nerveux Molof^ist.es, une certaine intégration. rend la localisation de sa fonction moins précise Mais cette intégration, comment la concevoir, sinon comme un certain mélange, soit de substances, soit de La re-représentation. niveaux énergétiques dans un équilibre homogénéisé, dans une mise en commun partielle, par exemple des charges La rapidité et l'efTicacité du système nerveux des animaux neuro-électriques dans le champ électrique interneuronal? tiennent en grande partie au fait qu'il est un système rcjiré- Pourtant le champ visuel ne ressemble pas à un demi- sentatif de l'organisme tout entier. Il semble doul)lcr mélange, c'est-à-dire à un ensemble d'éléments qui seraient l'organisme, le transposer à un niveau où des modèles confondus par leur pied, dont la tête resterait distincte. réduits d'action peuvent être rapidement montés et essayés. Le champ visuel d'un myope n'est pas « mieux intégré » Cette transposition représentative se fait souvent elle- que le champ visuel normal, parce qu'il comporte des infor- même en étages. Considérons le système nerveux de la seiche mations confondues. A quoi serviraient ce que l'on appelle Il y a un ganglion nerveux à la base de chaque ventouse et encore parfois, avec Pavlov, les analyseurs cérébraux, si, tous les ganglions nerveux d'un tentacule sont connectés pour profiter de leur activité, on ne pouvait que re-mélanger à un gros ganglion de base; ces gros ganglions sont à leur leurs « effets de sortie »? tour connectés au cerveau de l'animal. Chaque ganglion de ventouse est donc re-représenté dans le cerveau, qui peut Même quand il y a « mélange » de sensations (par exemple ainsi centraliser des informations sur tout l'organisme, et des sensations auditives entre elles), ces mélanges ne ressem- commander les mouvements d'ensemble. Il y a certainement blent pas à un mélange ordinaire. Pourquoi, dans l'enregis- un rapport étroit entre cette transposition-représentation trement musical, prend-on la peine d'employer plusieurs et la conscience, au moins la conscience cénesthésique, micros, captant chacun le son d'un instrument, si l'audi- comme facteur inforniatif du comportement. Le cerveau tion consiste à les confondre? En fait, l'auditeur peut alors de la seiche est un véritable petit animal dans l'animal suivre à volonté telle partie orchestrale. Ce faisant, sa (comme Vhomunculus moteur de la frontale ascendante de conscience ne se désintègre pas. l'homme, ou Vhomunculus sensitif pariétal, est une sorte de petit homme dans l'homme). Mais qu'est-ce qui intègre cet La localisation sans « isolants ». intégrateur? Ce ne peut être encore un autre système re- re-représentatif. Et effectivement, on ne le trouve pas Alors que dans le monde physique il faut des isolants contre chez la seiche ou chez l'homme. Uhomunculus cérébral n'a l'égalisation spontanée, dans le monde psychologique, c'est pas de cerveau. La seiche cérébrale n'a pas de cerveau. l'isolement qui détermine l'amorphisme et la dés-information. L'unité de la conscience (champ visuel ou cénesthésie), Dans la perception comme dans la motricité, la bonne image du corps, ou comportement global, implique une localisation d'un détail fin demande le bon état fonctionnel auto-intégration sans appareil d'aucune sorte. de l'ensemble du champ. Pour bien localiser un point touché, il faut la sensibilité de toute la peau; pour bien remuer un doigt, il faut toute la motricité en bon état. 1. Von Wcizsaecker, Le cycle de la structure, ji. 72. 2. Cf. J. J. ^Vilkie, The science of mind and bruin, p. 79. 17 \ \ 15 PARADOXES DE LA CONSCIENCE LE PARADOXE FONDAMENTAL tout à l'heure : « Où est l'usine dans l'usine? » — et sans « II se contrôle lui-même. » pouvoir naturellement y répondre. Qui intègre l'appareil d'intégration? Ce ne peut être encore un appareil. Cette phrase peut être prononcée, soit à propos d'un mécanisme à autorégulation, soit à propos d'un homme Voir sans yeux, entendre sans oreilles, adulte et moral. Dans le cas du mécanisme, on peut montrer agir sans tête, manier sans main. l'organe régulateur, mais non le « il » qui « se» contrôle, car ce « il » n'existe pas, et l'organe fait tout le travail. De même Il y a une série presque indéfinie de paradoxes de ce dans le cas de l'homme, on peut montrer le système nerveux type. L'œil ayant fonctionné comme appareil à recueillir central en tant qu'organe de régulation, mais non le « il » des informations optiques, la rétine, le nerf optique, et fina- qui se sert de l'organe. Est-ce cette fois parce que le « il » lement, les centres cérébraux optiques étant en bon état, n'existe pas, parce qu'il est un mot inutile, l'organe faisant un champ visuel avec de multiples détails structurés existe. tout le travail? Pourquoi alors faisons-nous des efforts pour Il « est, vu » sans avoir besoin d' « être vu » au sens du nous contrôler, au lieu d'enregistrer simplement le résultat verbe passif, plus exactement encore, le champ visuel est des opérations cérébrales de contrôle? « présent », dans son absolu, sans être « présenté ». C'est l'objet qui est vu, ce n'est pas le champ visuel. Le nsiteur de Vusine, et les deux questions. Le fonctionnement de l'œil est une phase technique, qui n'entre plus dans le mode d'existence de la vision, du champ Un enfant, ou un visiteur naïf, visite une usine. Il avait visuel conscient. La page d'écriture que notre œil parcourt grande envie de «voir l'usine ». On lui montre successivement se lit nécessairement elle-même dans notre champ de vision, tous les ateliers, les machines, les bureaux. Mais il demande sans regard, sans être encore « parcourue ». encore : « Mais où est l'usine? » Un autre visiteur, après De même, il n'y a pas l'oreille plus qu'interne pour écou- avoir de même visité les ateliers, bureaux, machines, ter les sons entendus. De même, dans l'ordre correspondant demande : « Où est le bureau central? » La première question du comportement, Vhomunculus cortical n'a pas encore à est naïve et absurde, la deuxième question est parfaitement penser, dans une petite tête correspondant à notre tête orga- sensée nique, l'action coordonnée et commandée. La « main » de la De même pour un organisme vivant. Si quelqu'un, après frontale ascendante agit sans main. avoir étudié tous les organes, demande : « Mais où est l'orga- nisme? » il pose une question absurde, tandis qu'il n'est pas absurde, s'il demande : « Où est, dans l'organisme, le A partir du paradoxe central naît toute une série de para- centre, ou le centre des centres d'intégration? » doxes, ou de questions paradoxales — ou plutôt encore de Mais voici maintenant le vrai paradoxe. Naïf ou non, rai- questions naïves, naïves par l'inconscience du paradoxe cen- sonnable ou non, pour le Bureau central, pour le Centre d'in- tral. tégration lui-même [Homunculus, ou système re-représentatif de la seiche), on est ramené nécessairement à une question Pourquoi ne voyons-nous pas analogue à la « question naïve » : « Où est l'unité de l'inté- les bords du champ visuel? gr.-itour? » « Où est l'intégrateur dans l'intégrateur? », comme Un bord d'une surface S n'existe que pour un appareil I. (lu pumdoxe est dans J. J. Wilkie, op. cil., chap. VIII. à balayage A, balayant S et S' entourant S (flèches h, b', \ \ 16 PARADOXES DE LA CONSCIENCE LE PARADOXE FONDAMENTAL 17 h"). Si S se voit elle-même, cette autovision (accolade a) ne peut être vision de ses propres bords. Puisqu'un champ Notre vie consciente n'a pas de bords. L' « absence de bords » vaut pour l'ensemble d'une con- science individuelle. Nous ne nous sommes pas vus naître, et nous ne nous verrons pas mourir. Nous ne nous voyons pas nous endormir, ou nous évanouir. Nous ne sommes pas conscients d'oublier, La conscience est vision d'elle-même, mais elle-même ne se voit pas, comme partie d'un tout (sauf par des procédés symboliques toujours imparfaits et indirects). Ce paradoxe est aussi important pour la situation humaine en général que pour le statut de la connaissance de vision « est, vu », mais n'est pas vu, comment pourrait-il humaine. Notre vie consciente n'est bordée par rien. Pour « être », « vu », là où il n'est pas? Les bords d'une vision le « je », qui est l'unité de cette conscience, elle est tout. ne peuvent être visibles, puisqu'une vision n'est pas elle- « Je » ne puis sortir de ma conscience, tomber par inadver- même chose vue. tance hors de ma conscience. La mort ne concerne pas le « je ». Enlei>er les bords d'une surface. Au début d'un décollement de la rétine, le sujet voit le Pourquoi la vision nulle bord de son champ visuel dans la zone du décollement. Plus n'est pas la vision noire? exactement, il voit une zone-frontière entre la partie saine et la partie décollée rendue aveugle (comme si la surface On voit noir, lorsqu'on a les paupières closes, ou lors- S avait une zone-bordière B, où l'autovision est noire ou qu'une partie de la rétine est lésée : le champ de vision trouble, mais non pas nulle). Après l'opération, qui consiste n'est plus qu'une sorte de « bruit de fond ». Mais la vision à recoller le bord de la rétine par coagulation du bord décollé nulle, hors du champ visuel, n'a aucune espèce d'existence, (ce qui détruit nécessairement des cellules visuelles), la sauf par le mythe d'un appareil à « vision de la vision», vision du bord, de nouveau, disparaît. voyant au-delà de ses bords, ou par une reconstruction Pour mesurer le caractère paradoxal du phénomène rela- idéale à base de schématisme, élaborée à partir du champ tivement à notre habitude des objets vus, il suffit d'imaginer visuel. cet attrape-nigaud. Son maître dit à Jeannot le benêt : « Tu La confusion « vision noire » et « vision nulle » est une vois cette feuille de papier. Je voudrais une feuille, mais analogie-clé pour une foule d'erreurs vénérables ou récentes. sans bords. » Alors Jeannot prend une paire de ciseaux et L'être n'a pas de contraire, de même que l'absence de vision enlève les bords sur une largeur d'un centimètre. Puis il n'est pas noire, n'est pas contraire de « lumineuse » ou de est tout étonné de constater que la nouvelle feuille a encore « blanche ». Le non-être, le néant, ne peut jouer aucun rôle. dos bords. Or, l'instrument du chirurgien fait précisément Ce n'est que par plaisanterie que l'on peut dire : « Je ne 1(1 (juc sou maître s'amuse à demander à Jeannot le benêt : pense pas, ou quand je pense, je ne pense à rien », ou, comme il léiissil h snp])ri)ner un bord. Alice : « I see nobody. » I 18 PARADOXES DE LA CONSCIENCE LE PARADOXE FONDAMENTAL 19 guillotine en panne. Comme il est bon bricoleur, il les écarte, Le cahier d'absences. expédie la réparation à faire, puis, pour essayer l'appareil, tout fier, il met sa tête sous le couperet, et presse le bouton. Dans cette classe, un élève est chargé de porter le cahier d'absences sur lequel le professeur inscrit les absents. Au cours d'une épidémie, tous les élèves manquent, sauf le por- La Sacculine. teur du cahier. Le professeur inscrit les absents (vision noire). Puis l'élève unique restant tombe malade lui-même, Le mime joue de son corps exactement comme l'infusoire et ne peut plus apporter le cahier d'absences (vision nulle). se fait main, bouche, estomac, etc. Ce n'est pas là une méta- Il n'y a plus d'absents pour l'administration, s'il n'y a pas phore, c'est la réalité, du moins pour le dernier étage de de cahier d'absences. l'organisme du mime : le comportement neurologique de son homunculus moteur est l'équivalent exact du comportement L'argument ontologique qui prétend passer de l'essence de de l'infusoire. Les relais moteurs et les effecteurs perfec- Dieu à son existence revient à utiliser positivement le paradoxe tionnés, dont dispose le mime et dont ne dispose pas l'infu- du cahier d'absences. Un élève modèle impeccable n'est jamais à soire, ne changent rien à l'affaire. porter absent sur le cahier d'absences. Donc, si l'élève modèle Un crustacé parasite du crabe, la Sacculine, se transforme est chargé du cahier d'absences, il y a toujours un cahier d'ab- en seringue à injection pour s'injecter lui-même dans le crabe. sences pour y inscrire que l'élève modèle n'est pas absent. Sa larve mue, rejette tous ses organes et devient un sac à demi plein de cellules indifférenciées, au-dessus desquelles Le paradoxe du mime. se forme une sorte de dard qui perce la peau du crabe et permet l'inoculation de la masse cellulaire. La Sacculine Un mime, un danseur, s'emploie lui-même pour jouer son se transforme ainsi elle-même tout entière. « Qui » se trans- rôle. Il est à la fois virtuose et instrument, cheval et jockey. forme? « Qui » préside à la transformation? Et de « qui »? Il s'abandonne à son jeu, tout en se surveillant et se diri- Les deux pronoms désigent le même être. geant. Comme il y a des étages dans le fonctionnement psychobiologique, et aussi comme il y a de mauvais mimes Or la transformation de la Sacculine n'est pas un cas pour lesquels la fusion entre cheval et jockey se fait mal, exceptionnel, aberrant; c'est, rendu plus frappant par les le paradoxe n'est pas très apparent, ou il est aisé, appa- conditions, le phénomène fondamental de tous les organismes remment, à résoudre. On dit que l'acteur se dédouble. Un vivants. La transformation embryonnaire, d'une cellule et physiologiste peut même expliquer le dédoublement par les d'un amas cellulaire à un organisme adulte, est encore plus différents niveaux d'intégration du système nerveux. Mais étonnant. Ce phénomène fondamental est recouvert et voilé là encore, finalement, il faut bien, au dernier étage, le plus par les fonctionnements des formes une fois créées, mais il élevé, qu'il y ait auto-dédoublement commeilya auto-vision se continue dans le système nerveux de l'adulte sous la — et c'est un dédoublement sans double étage. forme des improvisations créatrices de comportements. Le mime ne se transforme, lui, que cérébralement, corticalement. Le condamné à mort bricoleur. Le paradoxe des verbes réfléchis. Lomme il arrive souvent pour les paradoxes de la con- Mcioii(!(*, ce paradoxe peut prendre des formes comiques. Un La plupart des verbes réfléchis manifestent le même para- coiiilaimié f» iiuirt voit les bourreaux s'affairer autour d'une doxe : « se développer » (ce qui est fondamentalement diffé- I 20 PARADOXES DE LA CONSCIENCE 21 LE PARADOXE FONDAMENTAL rent d'être « développé », « copié », « calqué ») ; « se mouvoir » D'ailleurs, le cas symétrique de la conscience d'une mélo- (fondamentalement différent d' «être mu»); s'affairer, se die nous avertit. Dans quelle dimension perpendiculaire à donner du mal, « se presser » (fondamentalement différent celle du déroulement du temps de la mélodie devrait être de ce qui est, pour un moteur, « être accéléré »); se distraire, « la conscience », dans l'audition? se tourmenter, se persuader, se convertir, etc... A quelle distance devrait être la « conscience-je » de la Un maître, un propriétaire, dans l'ordre social, préside vision, pour la voir? Il n'y a pas de nouvelle accommoda- aux transformations qu'il fait subir à son domaine. Ici, un tion mentale, de changement de distance mentale pour la domaine se transforme lui-même, comme s'il était à la fois conscience de la vision, comme il y a changement de distance maître et domaine — et en effet toute conscience est à la de nos yeux pour la bonne vision. Le survol sans distance fois maître et domaine. est un survol sans survol. Surface absolue et suri>ol sans distance. Le spectateur fantôme. Le champ visuel et la mélodie, une fois qu'ils existent, Notre « impression de paradoxe » vient d'une attente grâce au bon fonctionnement de l'appareil visuel et auditif, injustifiée. Et l'attente injustifiée vient ici clairement de sont spectacle sans spectateur, audition sans auditeur. Et notre habitude de la mise en scène matérielle de la vision pourtant ils semblent se survoler eux-mêmes. Or, pour « sur- (ou de l'audition). Pour bien voir et entendre, nous nous voler » au sens ordinaire, physico-géométrique, du mot, il mettons à bonne distance de l'objet. faut être à quelque distance du domaine survolé, dans une Nous avons une longue habitude de nous voir nous-mêmes dimension perpendiculaire aux dimensions du domaine. Pour évoluant dans un monde à trois dimensions au milieu d'ob- voir une ligne comme ligne, il faut que je sois quelque part jets. Nous ne pouvons nous empêcher de transporter cette en dehors de cette ligne, sur une surface. Pour voir une sur- habitude, devenue une sorte d'exigence rationnelle, dans face comme surface, il faut que je sois en dehors de cette notre effort pour comprendre la conscience de la vision. La surface, dans l'espace. « Je », ici, désigne mon corps, mes conscience de la vision nous paraît comme devant être rap- yeux de chair. La vision d'un objet, comme opération phy- portée à une sorte de spectateur fantôme, obtenu par une siologique, obéit à cette loi géométrique. Si je mets mes yeux duplication inconsciente de notre organisme et de son appa- sur la page même, je ne vois plus la page. Mais le champ reil de vision. visuel une fois obtenu, bien qu'il ressemble à une surface (de même qu'une mélodie ressemble à une ligne sinueuse), Les Surfaces-sujets. n'a pas, de nouveau, à être vu du dehors. Heureusement, puisqu'il faudrait un deuxième spectateur, localisable hors Le champ visuel n'est pas un objet, c'est un absolu de du champ, et qui aurait une vision de la vision, et ainsi de présence ou d'existence. Aussi son caractère de surface (ou suite indéfiniment. Le « je conscient » (par opposition au de quasi-surface) n'exige pas une dimension perpendiculaire. « je organisme »), à supposer qu'il ne soit pas une fiction, C'est une « Surface absolue », non plongée dans un espace ne peut en tout cas jouer le rôle de deuxième spectateur. à trois dimensions, on pourrait dire aussi une « Surface- La conscience que-j'ai-de-mon-champ-visuel ne peut être sujet ». Dire : « Une Surface absolue existe » est équivalent à détachée, comme un fantôme abstrait, de « mon-champ- dire : « Il y a conscience », car la conscience n'est pas un visuel-conscient ». « point sujet » qu'il faudrait adjoindre, hors de la « Surface absolue ». ï

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