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Les mythes gréco-romains ou la force de l’imaginaire: Les récits de la construction de soi et du monde PDF

210 Pages·2017·3.377 MB·French
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IMAGINAIRES chille, Énée, Ulysse continuent à nous parler ; Joël THOMAS les bandes dessinées, les ilms, les séries télévi- sées l’attestent. Pourquoi les mythes résistent-ils au temps qui passe, comme une nappe profonde qui continue d’irriguer notre imaginaire, par-delà les strates des périodes historiques ? Tout récemment, les avancées des neurosciences ont permis de S A constater que voir et imaginer activent les mêmes zones de notre cerveau. M LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS O À travers ses récits, le mythe peut alors se déinir comme une mise en H T miroir des dynamismes organisateurs de l’imaginaire humain : quand nous ël OU LA FORCE DE L’IMAGINAIRE imaginons les héros grecs et romains, c’est nous-mêmes qui nous mettons o J en jeu. Ce livre suit cette genèse et cette élaboration à travers les igures et les aventures héroïques, avant d’élargir notre propos vers l’esquisse d’une Les récits de la construction de soi et du monde grammaire universelle des mythes. Comprendre le mythe, c’est le faire sien, et guérir. Joël Thomas est agrégé de Lettres classiques, professeur émérite de langue et littérature latines à l’Université de Perpignan-via Domitia. Spécialiste e S E nd dl’eim Vaigrignialeir ee,t i l dae p ulab lipéo réésciee mamugeunst tLée’inmnaeg, inaianisrie dqeu el’ hdoems mmeé rtohmodaoinlo. gDieusa lidtée AINAIR u mo (ePt rcéofmacpel edxei tPé a(uBlr Vuxeyelnlee,s ,P Laraitso, mLuess, B2e0l0le6s) Lete Mttryetsh, a2n0a1l5y)s.e de la Rome antique O-ROMMAGIN de soi et d RÉCE L’I ction GD u r S E st EC on HR c www.editions-academia.be 9HSMIKG*baddbe+ MYTA FO s de la ISBN : 978-2-8061-0331-4 ES U L récit 21 € LO s e L Collection : « Imaginaires » LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS OU LA FORCE DE L’IMAGINAIRE 2 3 COLLECTION « IMAGINAIRES » (Anciennement collection « STRUCTURES ET POUVOIRS DES IMAGINAIRES ») dirigée par Myriam WATTHEE-DELMOTTE et Paul-Augustin DEPROOST LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS Les sciences humaines soulignent aujourd’hui l’importance des imagi- naires, c’est-à-dire du réseau interactif des représentations mentales nourri OU LA FORCE DE L’IMAGINAIRE par l’héritage mythique, religieux et historique et par l’expérience vécue. Constamment réactivé dans les productions culturelles, ce réseau constitue un système dynamique qui se superpose au réel pour lui octroyer des struc- tures signifiantes au niveau de l’interprétation individuelle et collective. Ces Les récits de la construction structures sont souvent cryptées et leur pouvoir de mobilisation est d’autant plus fort qu’elles restent en deçà du niveau de conscience ; leur analyse per- de soi et du monde met de comprendre la force de conviction des images utilisées dans les stra- tégies politiques, commerciales, etc. Contrairement aux représentations fixes, les imaginaires visent un réseau sémantique interactif : l’adaptabilité des structures de l’imaginaire à différents contextes explique sa puissance de façonnage du réel. L’objectif de cette collection est de rendre compte des travaux dévelop- pés dans le Centre de Recherche sur l’Imaginaire de l’Université catholique Joël THOMAS de Louvain (Louvain-la-Neuve) ou en lien avec lui. Elle a pour spécificité d’aborder cette problématique dans une perspective transdisciplinaire : elle rapproche à cet égard les champs de l’antiquité (qui interroge les sources, notamment mythiques, et en propose une typologie) et de la modernité (qui porte la trace des permanences et des mutations des imaginaires), et fait se Préface de Paul-Augustin DEPROOST croiser les domaines de la littérature et des arts (lieux d’ancrage prioritaires des imaginaires dans des structures décodables) avec l’histoire (qui témoigne des formes d’efficacité des imaginaires dans le réel). Ce champ d’investigation se trouve renforcé par l’apport de différentes disciplines en sciences humaines. Les auteurs qui publient dans la collection sont responsables de leurs L’Harmattan textes et des droits de reproduction y afférents. 5-7, rue de l’École Polytechnique F – 75005 Paris 2017 2 3 COLLECTION « IMAGINAIRES » (Anciennement collection « STRUCTURES ET POUVOIRS DES IMAGINAIRES ») dirigée par Myriam WATTHEE-DELMOTTE et Paul-Augustin DEPROOST LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS Les sciences humaines soulignent aujourd’hui l’importance des imagi- naires, c’est-à-dire du réseau interactif des représentations mentales nourri OU LA FORCE DE L’IMAGINAIRE par l’héritage mythique, religieux et historique et par l’expérience vécue. Constamment réactivé dans les productions culturelles, ce réseau constitue un système dynamique qui se superpose au réel pour lui octroyer des struc- tures signifiantes au niveau de l’interprétation individuelle et collective. Ces Les récits de la construction structures sont souvent cryptées et leur pouvoir de mobilisation est d’autant plus fort qu’elles restent en deçà du niveau de conscience ; leur analyse per- de soi et du monde met de comprendre la force de conviction des images utilisées dans les stra- tégies politiques, commerciales, etc. Contrairement aux représentations fixes, les imaginaires visent un réseau sémantique interactif : l’adaptabilité des structures de l’imaginaire à différents contextes explique sa puissance de façonnage du réel. L’objectif de cette collection est de rendre compte des travaux dévelop- pés dans le Centre de Recherche sur l’Imaginaire de l’Université catholique Joël THOMAS de Louvain (Louvain-la-Neuve) ou en lien avec lui. Elle a pour spécificité d’aborder cette problématique dans une perspective transdisciplinaire : elle rapproche à cet égard les champs de l’antiquité (qui interroge les sources, notamment mythiques, et en propose une typologie) et de la modernité (qui porte la trace des permanences et des mutations des imaginaires), et fait se Préface de Paul-Augustin DEPROOST croiser les domaines de la littérature et des arts (lieux d’ancrage prioritaires des imaginaires dans des structures décodables) avec l’histoire (qui témoigne des formes d’efficacité des imaginaires dans le réel). Ce champ d’investigation se trouve renforcé par l’apport de différentes disciplines en sciences humaines. Les auteurs qui publient dans la collection sont responsables de leurs L’Harmattan textes et des droits de reproduction y afférents. 5-7, rue de l’École Polytechnique F – 75005 Paris 2017 4 À Arlette et Juliette Illustration de couverture : « Le cerveau à l’épreuve du labyrinthe » (Source retravaillée : http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201603/13/01- 4960294-conferences-a-luqtr-comment-se-porte-votre-cerveau.php) Les originaux de ce livre, prêts à la reproduction, ont été fournis par les directeurs de la publication ISBN : 978-2-8061-0331-4 D/2017/4910/11 ___________________________________________________________________ © Academia-L’Harmattan s.a. Grand’Place, 29 B-1348 Louvain-la-Neuve ___________________________________________________________________ Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit. www.editions-academia.be 4 À Arlette et Juliette Illustration de couverture : « Le cerveau à l’épreuve du labyrinthe » (Source retravaillée : http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201603/13/01- 4960294-conferences-a-luqtr-comment-se-porte-votre-cerveau.php) Les originaux de ce livre, prêts à la reproduction, ont été fournis par les directeurs de la publication ISBN : 978-2-8061-0331-4 D/2017/4910/11 ___________________________________________________________________ © Academia-L’Harmattan s.a. Grand’Place, 29 B-1348 Louvain-la-Neuve ___________________________________________________________________ Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit. www.editions-academia.be PRÉFACE La force de l’imaginaire ! La formule annonce à la fois une autorité et une énergie, la qualité de ce qui s’impose, mobilise ou contraint. En l’occurrence, celle de l’imaginaire, un univers dynamique d’images ou de représentations, parfois viscéral et incantatoire, ancré au plus profond de nous-mêmes, qui nous oblige constamment à inventer l’inconnu pour donner du sens au connu, sans quoi l’aventure humaine se limiterait à n’être qu’un impératif biologique. Pour progresser ou grandir en huma- nité, l’homme ne peut, en effet, se satisfaire du déterminisme de l’instinct animal ; les syllogismes n’y suffisent pas non plus. Car l’instinct n’offre qu’une nécessité sans conscience et les idées ne sont pas de ce monde, comme le reconnaissait déjà Platon ; pour vivre sa vie, l’homme, qui n’est ni ange ni bête, a tout simplement besoin d’images et de vision qui humanisent l’instinct en désir, qui donnent chair à sa pensée, et substi- tuent à la pesante inertie de l’« ici et maintenant » la tension libératrice des utopies. Ces images et cette vision, les hommes les ont structurées en récits au cours des âges, pour en partager et en enrichir la mémoire dans leurs communautés ; ce sont les mythes, qui résonnent comme « le chant profond » de l’humanité, selon la belle expression du poète Federico Garcia Lorca, afin de faire advenir à la conscience ce qui n’est plus ou n’est pas encore et qui doit expliquer les enjeux de ce qui est. Éros et Aphrodite pour raconter les mystères de l’amour ; les mythes de création pour raconter l’étiologie des choses, des lieux ou phénomènes naturels ; les armes d’Achille, les rames d’Ulysse, les larmes d’Énée pour raconter les valeurs qui méritent le combat des héros. Sunt lacrimae rerum… Tandis qu’il écrivait ce livre, Joël Thomas fut certainement un homme heureux. Heureux de retrouver ces mythes antiques qu’il a sou- vent étudiés séparément ou dans l’œuvre de son cher Virgile, mais pour les rassembler cette fois dans une réflexion inclusive qui revisite les ty- pologies particulières et en organise les constantes à l’intérieur d’un sys- tème mythologique intégré ; heureux aussi comme l’artisan qui boucle les derniers fils d’une toile patiemment tissée avant d’offrir au regard le chatoiement de l’ouvrage terminé. Car ce livre reprend les intuitions d’une longue carrière érudite consacrée à l’étude des imaginaires anciens, pour les nouer en une pensée globale, et par là même nouvelle et nova- trice, en phase avec la sagesse du mythe, considéré par les anciens comme « système du monde ». Dans son livre pionnier sur les Structures de l’imaginaire dans l’Énéide, Joël Thomas cherchait déjà à redonner du sens à la prégnance des univers symboliques et antagoniques qui consti- PRÉFACE La force de l’imaginaire ! La formule annonce à la fois une autorité et une énergie, la qualité de ce qui s’impose, mobilise ou contraint. En l’occurrence, celle de l’imaginaire, un univers dynamique d’images ou de représentations, parfois viscéral et incantatoire, ancré au plus profond de nous-mêmes, qui nous oblige constamment à inventer l’inconnu pour donner du sens au connu, sans quoi l’aventure humaine se limiterait à n’être qu’un impératif biologique. Pour progresser ou grandir en huma- nité, l’homme ne peut, en effet, se satisfaire du déterminisme de l’instinct animal ; les syllogismes n’y suffisent pas non plus. Car l’instinct n’offre qu’une nécessité sans conscience et les idées ne sont pas de ce monde, comme le reconnaissait déjà Platon ; pour vivre sa vie, l’homme, qui n’est ni ange ni bête, a tout simplement besoin d’images et de vision qui humanisent l’instinct en désir, qui donnent chair à sa pensée, et substi- tuent à la pesante inertie de l’« ici et maintenant » la tension libératrice des utopies. Ces images et cette vision, les hommes les ont structurées en récits au cours des âges, pour en partager et en enrichir la mémoire dans leurs communautés ; ce sont les mythes, qui résonnent comme « le chant profond » de l’humanité, selon la belle expression du poète Federico Garcia Lorca, afin de faire advenir à la conscience ce qui n’est plus ou n’est pas encore et qui doit expliquer les enjeux de ce qui est. Éros et Aphrodite pour raconter les mystères de l’amour ; les mythes de création pour raconter l’étiologie des choses, des lieux ou phénomènes naturels ; les armes d’Achille, les rames d’Ulysse, les larmes d’Énée pour raconter les valeurs qui méritent le combat des héros. Sunt lacrimae rerum… Tandis qu’il écrivait ce livre, Joël Thomas fut certainement un homme heureux. Heureux de retrouver ces mythes antiques qu’il a sou- vent étudiés séparément ou dans l’œuvre de son cher Virgile, mais pour les rassembler cette fois dans une réflexion inclusive qui revisite les ty- pologies particulières et en organise les constantes à l’intérieur d’un sys- tème mythologique intégré ; heureux aussi comme l’artisan qui boucle les derniers fils d’une toile patiemment tissée avant d’offrir au regard le chatoiement de l’ouvrage terminé. Car ce livre reprend les intuitions d’une longue carrière érudite consacrée à l’étude des imaginaires anciens, pour les nouer en une pensée globale, et par là même nouvelle et nova- trice, en phase avec la sagesse du mythe, considéré par les anciens comme « système du monde ». Dans son livre pionnier sur les Structures de l’imaginaire dans l’Énéide, Joël Thomas cherchait déjà à redonner du sens à la prégnance des univers symboliques et antagoniques qui consti- 8 LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS PRÉFACE 9 tuent le poème virgilien, pour redécouvrir, à travers les tensions des héros En ce sens, le mythe relève bien d’une démarche cognitive indis- mythiques, une juste image de la complexité humaine, bien au-delà de ce pensable à tout processus civilisateur. D’Œdipe à Orphée, du Labyrinthe que peuvent nous en dire tous les argumentaires abstraits. On retrouve ici à l’Atlantide, les mythes ponctuent certes les temps immémoriaux de cette même intuition, élargie à une typologie générale des légendes an- l’histoire humaine, mais ils expliquent aussi les rituels d’aujourd’hui. Car tiques : le mythe est le moyen que se sont donné les hommes de tout tout effort de civilisation implique nécessairement des évolutions, des temps pour représenter, à travers la quête initiatique des « grands an- ajustements dont l’histoire des mythes porte la trace. Un mythe n’est ja- cêtres », leur manière d’être au monde, aux autres et à leur environne- mais à sens unique ; il est un carrefour en perpétuel chantier. En émer- ment ; le mythe façonne les sociétés humaines en y créant des réseaux gence explicite ou en immergence implicite, les mythes continuent effec- symboliques et narratifs qui valident, dans la mémoire des temps tivement de vivre dans leurs réécritures, littéraires ou plastiques, pour d’origine, les valeurs fondatrices des consciences collectives. produire les imaginaires nécessaires à la compréhension des sociétés en mutation ; puisque les hommes y inscrivent la mémoire de leur histoire La nouveauté de cette démarche a résolument sorti le mythe de la singulière et collective, les mythes sont doués d’une plasticité qui auto- chasse gardée de l’histoire des religions ; il est devenu un objet de re- rise les lectures les plus diverses, sinon les plus contradictoires. Tous les cherche qui intéresse plus largement l’ensemble des sciences humaines ; mythes évoqués par Joël Thomas dans son livre portent les marques de il est au cœur de la réflexion contemporaine sur les imaginaires, dans la ces évolutions, de ces adaptations, de ces mues, qui, loin d’effacer leur mesure où il fonde des systèmes de représentations mis en œuvre par les identité signifiante, la stimulent et l’enrichissent au gré des environne- cultures pour donner un sens au réel. Le travail de Joël Thomas se situe ments nouveaux qui les convoquent. Ainsi, par exemple, pour compléter exactement à cet endroit, que l’on pourrait définir comme un « bon usage ce qu’en dit Joël Thomas, le mythe de l’âge d’or. Tantôt regretté comme axiologique du mythe » et dont les anciens, philosophes ou poètes, un temps d’innocence, tantôt contesté comme un temps d’inertie, ce avaient déjà eu l’intuition lorsqu’ils avaient commencé de relire les évé- mythe révèle, dès ses relectures antiques, notamment lorsqu’il fut associé nements de leur « histoire sainte » non plus comme des objets de foi, à la quête des Argonautes, la difficulté d’établir un juste rapport entre mais comme des figures symboliques qui emportent l’adhésion là où la l’homme et la nature ; en maîtrisant la nature, et donc en grandissant en raison raisonnante ne convainc pas. Lié aux temps des commencements, à civilisation, l’homme a pris le risque de rompre les alliances originelles et l’époque où « les hommes parlaient aux dieux », le mythe raconte, ex- d’accélérer son propre anéantissement, comme s’il était condamné à ne plique et révèle des vérités profondes que l’esprit humain ne peut à lui progresser qu’« à reculons », en s’éloignant toujours plus du bonheur seul découvrir, mais qu’il cherche à comprendre. Il est le discours primordial vers les âges de souffrance ; la Bible inverse la perspective en qu’utilise la mémoire pour garder ou construire le souvenir de ce qui est faisant sortir l’homme du Jardin de la Genèse pour le conduire vers la trop loin dans le temps — ce sont les mythes de création, de fondation ou Ville céleste de l’Apocalypse, à travers le thème pascal et chrétien de la d’eschatologie —, dans l’espace — ce sont les mythes de voyage ou des felix culpa. Et pour le mythe du phénix, dont il n’est pas question ici, on confins —, dans le cœur — quand le mythe dit les peurs, les tabous, les pourrait même parler d’une mise à jour massive dans la pensée chré- bonheurs ou les malheurs que la raison s’interdit de penser. tienne, car le mythe païen, plutôt confidentiel dans ses attestations an- Pour autant, les événements dont le mythe porte la mémoire ne tiques, a gagné en force symbolique et en épaisseur narrative lorsque les peuvent pas être contrôlés, sans quoi il rejoindrait la science et perdrait de poètes chrétiens ont chanté le destin singulier de cet oiseau à la fois pri- sa valeur incantatoire. « Ces événements n’eurent lieu à aucun moment, mordial et eschatologique, mort et rené, cyclique et maître du temps, abs- mais existent toujours ». Cette parole du philosophe Saloustios définit tinent et chaste. très précisément la qualité du discours mythique, insaisissable dans la Tant il est vrai que la plasticité du mythe est la condition même de matérialité de ce qu’il raconte, et pourtant reconnaissable dans la réalité sa survie. Si l’on veut conserver au mythe la marge d’enchantement qu’il de ce qu’il dit. Quoi de plus mythique que la légende de Romulus et requiert pour donner du sens aux choses, le mythe doit rester ouvert aux Rémus ; quoi de plus réel que la Ville qui en est issue et qui elle-même a interférences, sans quoi il se fige en un formulaire dogmatique qui stéri- donné naissance à un mythe urbain fondateur d’une certaine conception lise la pensée et qui produit l’intégrisme ou l’idéologie. Pour légitimer de l’homme dans la cité. Ulysse a vécu à l’aube des temps historiques et son nouveau pouvoir, Auguste a donné une nouvelle interprétation à la il serait bien vain d’en rechercher la dépouille ; mais les territoires qu’il a chute de Troie, à travers la quête d’Énée chantée par Virgile, reconnais- traversés, les monstres qu’il a affrontés, le pays où il est revenu sont ceux sant ainsi la flexibilité du mythe homérique ; mais il a lui-même brisé le que traversent, qu’affrontent et où reviennent tous les hommes lorsqu’ils souffle mythique lorsqu’il a interdit à Ovide de jeter la suspicion sur la acceptent de sortir d’eux-mêmes, lorsqu’ils rencontrent l’altérité ou qu’ils piété d’Énée dans ses Métamorphoses. Le héros mythique est alors de- reconquièrent une identité perdue. 8 LES MYTHES GRÉCO-ROMAINS PRÉFACE 9 tuent le poème virgilien, pour redécouvrir, à travers les tensions des héros En ce sens, le mythe relève bien d’une démarche cognitive indis- mythiques, une juste image de la complexité humaine, bien au-delà de ce pensable à tout processus civilisateur. D’Œdipe à Orphée, du Labyrinthe que peuvent nous en dire tous les argumentaires abstraits. On retrouve ici à l’Atlantide, les mythes ponctuent certes les temps immémoriaux de cette même intuition, élargie à une typologie générale des légendes an- l’histoire humaine, mais ils expliquent aussi les rituels d’aujourd’hui. Car tiques : le mythe est le moyen que se sont donné les hommes de tout tout effort de civilisation implique nécessairement des évolutions, des temps pour représenter, à travers la quête initiatique des « grands an- ajustements dont l’histoire des mythes porte la trace. Un mythe n’est ja- cêtres », leur manière d’être au monde, aux autres et à leur environne- mais à sens unique ; il est un carrefour en perpétuel chantier. En émer- ment ; le mythe façonne les sociétés humaines en y créant des réseaux gence explicite ou en immergence implicite, les mythes continuent effec- symboliques et narratifs qui valident, dans la mémoire des temps tivement de vivre dans leurs réécritures, littéraires ou plastiques, pour d’origine, les valeurs fondatrices des consciences collectives. produire les imaginaires nécessaires à la compréhension des sociétés en mutation ; puisque les hommes y inscrivent la mémoire de leur histoire La nouveauté de cette démarche a résolument sorti le mythe de la singulière et collective, les mythes sont doués d’une plasticité qui auto- chasse gardée de l’histoire des religions ; il est devenu un objet de re- rise les lectures les plus diverses, sinon les plus contradictoires. Tous les cherche qui intéresse plus largement l’ensemble des sciences humaines ; mythes évoqués par Joël Thomas dans son livre portent les marques de il est au cœur de la réflexion contemporaine sur les imaginaires, dans la ces évolutions, de ces adaptations, de ces mues, qui, loin d’effacer leur mesure où il fonde des systèmes de représentations mis en œuvre par les identité signifiante, la stimulent et l’enrichissent au gré des environne- cultures pour donner un sens au réel. Le travail de Joël Thomas se situe ments nouveaux qui les convoquent. Ainsi, par exemple, pour compléter exactement à cet endroit, que l’on pourrait définir comme un « bon usage ce qu’en dit Joël Thomas, le mythe de l’âge d’or. Tantôt regretté comme axiologique du mythe » et dont les anciens, philosophes ou poètes, un temps d’innocence, tantôt contesté comme un temps d’inertie, ce avaient déjà eu l’intuition lorsqu’ils avaient commencé de relire les évé- mythe révèle, dès ses relectures antiques, notamment lorsqu’il fut associé nements de leur « histoire sainte » non plus comme des objets de foi, à la quête des Argonautes, la difficulté d’établir un juste rapport entre mais comme des figures symboliques qui emportent l’adhésion là où la l’homme et la nature ; en maîtrisant la nature, et donc en grandissant en raison raisonnante ne convainc pas. Lié aux temps des commencements, à civilisation, l’homme a pris le risque de rompre les alliances originelles et l’époque où « les hommes parlaient aux dieux », le mythe raconte, ex- d’accélérer son propre anéantissement, comme s’il était condamné à ne plique et révèle des vérités profondes que l’esprit humain ne peut à lui progresser qu’« à reculons », en s’éloignant toujours plus du bonheur seul découvrir, mais qu’il cherche à comprendre. Il est le discours primordial vers les âges de souffrance ; la Bible inverse la perspective en qu’utilise la mémoire pour garder ou construire le souvenir de ce qui est faisant sortir l’homme du Jardin de la Genèse pour le conduire vers la trop loin dans le temps — ce sont les mythes de création, de fondation ou Ville céleste de l’Apocalypse, à travers le thème pascal et chrétien de la d’eschatologie —, dans l’espace — ce sont les mythes de voyage ou des felix culpa. Et pour le mythe du phénix, dont il n’est pas question ici, on confins —, dans le cœur — quand le mythe dit les peurs, les tabous, les pourrait même parler d’une mise à jour massive dans la pensée chré- bonheurs ou les malheurs que la raison s’interdit de penser. tienne, car le mythe païen, plutôt confidentiel dans ses attestations an- Pour autant, les événements dont le mythe porte la mémoire ne tiques, a gagné en force symbolique et en épaisseur narrative lorsque les peuvent pas être contrôlés, sans quoi il rejoindrait la science et perdrait de poètes chrétiens ont chanté le destin singulier de cet oiseau à la fois pri- sa valeur incantatoire. « Ces événements n’eurent lieu à aucun moment, mordial et eschatologique, mort et rené, cyclique et maître du temps, abs- mais existent toujours ». Cette parole du philosophe Saloustios définit tinent et chaste. très précisément la qualité du discours mythique, insaisissable dans la Tant il est vrai que la plasticité du mythe est la condition même de matérialité de ce qu’il raconte, et pourtant reconnaissable dans la réalité sa survie. Si l’on veut conserver au mythe la marge d’enchantement qu’il de ce qu’il dit. Quoi de plus mythique que la légende de Romulus et requiert pour donner du sens aux choses, le mythe doit rester ouvert aux Rémus ; quoi de plus réel que la Ville qui en est issue et qui elle-même a interférences, sans quoi il se fige en un formulaire dogmatique qui stéri- donné naissance à un mythe urbain fondateur d’une certaine conception lise la pensée et qui produit l’intégrisme ou l’idéologie. Pour légitimer de l’homme dans la cité. Ulysse a vécu à l’aube des temps historiques et son nouveau pouvoir, Auguste a donné une nouvelle interprétation à la il serait bien vain d’en rechercher la dépouille ; mais les territoires qu’il a chute de Troie, à travers la quête d’Énée chantée par Virgile, reconnais- traversés, les monstres qu’il a affrontés, le pays où il est revenu sont ceux sant ainsi la flexibilité du mythe homérique ; mais il a lui-même brisé le que traversent, qu’affrontent et où reviennent tous les hommes lorsqu’ils souffle mythique lorsqu’il a interdit à Ovide de jeter la suspicion sur la acceptent de sortir d’eux-mêmes, lorsqu’ils rencontrent l’altérité ou qu’ils piété d’Énée dans ses Métamorphoses. Le héros mythique est alors de- reconquièrent une identité perdue.

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