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Les "Képhalaia gnostica" d’Évagre le Pontique et l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et chez les Syriens PDF

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PATRISTICA SORBONENSIA 5 PATRISTICA SORBONENSIA COLLECTION DIRIGÉE PAR H.-[. MARROU LES 'KÉPHALAIA GNOSTICA' 1 D'EvA GRE LE PONTIQUE Le Stoïcisme des Pères de l'Eglise de Clément de Rome à Clêment d'Alexandrie ET L'HISTOIRE DE L'ORIGÉNISME PAR MICHEL SPANNEUT CHEZ LES GRECS ET CHEZ LES SYRIENS 2 Origène PAR ANTOINE GUILLAUMONT et la fonction révélatrice du Verbe incarné DIRECTEUR D'ÉTUDES A L'ÉCOLE PRATIQUE PAR MARGUERITE HARL DES HAUTES ÉTUDES 3 Introduction à l'étude de Grégoire Palamas PAR JEAN MEYENDORFF 4 Education et culture dans l'Occident barbare VIe-VIlle siècles PAR PIERRE RICHÉ [..2(1516 ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VJe A LA MÉMOIRE DE JEAN BARUZI Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction. réservés pour tous les pays. @ 1962 by Editions du Seuil. SOMMAIRE AVANT-PROPOS • 13 LES « KÉPHALAIA GNOSTICA » D'ÉVAGRE LE PONTIQUE 15 Les Képhalaia gnostica dans l'œuvre d'Evagre 15 Le titre . 17 La composition 18 Le texte . 22 Le contenu : ésotérisme 31 La doctrine. 37 Le problème de l'origénisme d'Evagre. 40 1. ÉV AGRE ET LES CONTROVERSES ORIGÉNISTES CHEZ LES GRECS J. LES RELATIONS D'ÉVAGRE AVEC LES ORIGÉNISTES DE SON TEMPS. 47 Rapports avec les Cappadociens. 48 En Palestine 50 En Egypte 51 Les moines origénistes 55 La controverse anthropomorphite 59 Persécution des Origénistes 62 Les témoins : Saint Jérôme 65 Rufin 69 Pallade . 74 Cassien. 77 II. LES « KÉPHALAIA GNOSTICA » ET L'ORIGÉNJSME DU Ive SIÈCLE. 81 L'origénisme du IVe siècle . 81 Les documents: Le Panarion d'Epiphane. 84 Lettre d'Epiphane à Jean de Jérusalem. . . . 87 Traité de saint Jérôme contre Jean de Jérusalem. . 89 Lettre de Jean de Jérusalem à Théophile d'Alexandrie. 92 9 SOMMAIRE SOMMAIRE Atténuation de l'origénisme dans SI . 231 Lettres de Théophile. 96 Christologie . 233 Lettre synodale de 400 96 Eschatologie. . 236 LLeettttrree s fedset a4l0e2 deet 4d0e1 4.0 4. 9989 Cosmologie : La double création. 241 Le mouvement 244 La doctrine d'Evagre et l'origénisme du IVe siècle. 102 Les jugements. 245 Allégorisme 102 La multiplicité des mondes. . . 247 Cosmologie. 103 Le passage en des corps successifs 249 Eschatologie 113 Les astres . . 252 Christologie 117 Autres corrections. 253 Evagre, témoin de l'origénisme de son temps. 119 L'origénisme conservé . 256 III. ÉVAGRE ET LA CONTROVERSE ORIGÉNISTE III. LES COMMENTAIRES SYRIAQUES DES DU VIe SIÈCLE. 124 « KÉPHALAIA GNOSTICA ~ . 259 Un texte de Barsanuphe . 124 Commentaire de Babai le Grand 259 Les moines origénistes de Palestine. 128 L'Introduction . . . . . 259 Condamnation de l'origénisme en 553 133 L' « Apologie » d'Evagre.. . 263 Evagre anathématisé 136 Vraie nature de l' « Apologie » 266 Anathématismes de 543 . 140 Analyse . 267 Anathématismes de 553 . 143 Babai commentateur d'Evagre . 276 La christologie condamnée en 553. 147 EInltiemripnraéttiaotnio nde ml'yorsitgiéqnuiesm. e.. 228706 La christologie évagrienne . 151 Evagre contre Origène. . . . 286 Evagre, source des anathématismes de 553. 156 Evagre, pilier de l'orthodoxie . 289 Effets de la condamnation : sur sa mémoire. 160 Commentaire de Denys Bar Salibi. 290 Sur la transmission de son œuvre. . 166 Denys commentateur d'Evagre 295 Jugement de Barhébraeus. 297 IV. ÉTIENNE BAR SOUDAÏLI ET L'ORIGÉNISME ÉVAGRIEN 302 II. ÉVA GRE ET LA POLÉMIQUE ANTIORIGÉNISTE Etienne Bar Soudaïli 302 CHEZ LES SYRIENS Sa doctrine . 307 Son œuvre. 310 1. LES SYRIENS ET L'ORIGÉNISME 173 Le Livre de Hiêrothée 311 Les Monophysites. . . . 173 Influence d'Evagre sur lui. 318 Siméon de Kennesrin. 176 Ultimes conséquences de la doctrine d'Evagre .. 323 Les Nestoriens. 183 « Saint Hiérothée », patron de l'origénisme évagrien. 326 Henana d'Adiabène 186 Polémique de Babai le Grand. 188 CONCLUSION. 333 Sur l'Union 189 LIVRES ET ARTICLES CITÉS 339 Histoire de Mar Georges. 193 Exaltation d'Evagre chez les Syriens. 196 SIGLES 349 INDEX DES CITATIONS DES Képhalia Gnostica 351 Il. LES VERSIONS SYRIAQUES DES « KÉPHALAIA GNOSTICA » 200 INDEX DES NOMS DE PERSONNES. • • • 357 200 Sl et S2 . 202 Date de Sl . 206 L'auteur: Jacques de Saroug ? . 206 Philoxène de Mabboug? . 214 Date de S2 . 215 L'auteur: Témoignage de Joseph Hazzaya. 222 Serge de Reshaina ? 227 Rapports de Sl et de S2 . 229 Antériorité de Sl . 10 AVANT-PROPOS Cet ouvrage, qui fait suite à l'édition des Képhalaia gnostica d'Evagre que nous avons donnée en 1958 dans la Patrologia Orientalis (tome 28, fasc. 1), est la rédaction des cours que nous avons faits sur « Evagre et l'origénisme», durant les années scolaires 1958-1959 et 1959-1960, à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, section des Sciences religieuses, et dont un résumé a paru dans l'Annuaire de cette section, année 1959-1960, p. 93-95, et année 1960-1961, p. 121-123. Nous l'avons annoncé par notre communication faite le 22 septembre 1959 à la « Third Interna tional Conference on Patristic Studies » d'Oxford: Evagre et les anathématismes antiorigénistes de 553, dont le texte est publié dans Studia Patristica III, « Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatri'r », Band 78, Berlin, 1961, p. 219-226. Nous exprimons notre respectueuse gratitude au R. P. I. HAus HERR, le maître des études évagriennes, aux travaux de qui cet ouvrage doit beaucoup; à M. H.-CH. PUECH, dont les cours sur Origène nous ont initié jadis à l'étude de l'origénisme; à M. H.-I. MARROU, qui a bien voulu s'intéresser à notre livre et en assurer avec dévouement la publication. 13 INTRODUCTION LES KÉPHALAIA GNOSTICA D'ÉVAGRE LE PONTIQUE Les Képhalaia gnostica Formé à l'école des Cappadociens, dans l'œuvre d'Evagre. Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze, devenu ensuite moine au désert de Nitrie, en Egypte, Evagre le Pontique a laissé une œuvre qui prend place parmi les plus vigoureuses et les plus originales du Ive siècle. En elle se sont exprimés conjointement, en une étrange et forte synthèse, les enseignements traditionnels et tout empiriques des premiers Pères du Désert, recueillis et codifiés par un esprit doué d'une remarquable finesse psycho- 'logique, et les spéculations peut-être les plus hautes et les plus hardies qui aient été conçues par un théologien chrétien. L'influence qu'elle a exercée sur le développement de la doctrine ascétique et mystique chrétienne fut immense, en Occident et plus encore en Orient, chez les Syriens comme chez les Grecs 1. 1. Souvent rappelée ces dernières années, cette influence a été sur tout mise en évidence par le R. P. 1. Hausherr, qui, en 1934, concluait ainsi son étude sur le traité De la Prière du Pseudo-Nil: « Ce sont les syriens qui ont raison: l'auteur du « De Oratione '>, c'est Evagre le Pontique. Du coup, celui-ci reprend dans l'histoire de la mystique une place de premier ordre, au-dessus même de Denys pour l'Orient. En Orient, Denys est venu trop tard, lorsque déjà les spirituels y possé daient une doctrine définitivement organisée par Evagre et transmise à travers Climaque, Hésychius, Maxime, Nicétas Stéthatos jusqu'aux hésychastes chez les byzantins; par Philoxène de Mabboug, Isaac de Ninive, Jean Bar-Kaldoun jusqu'à Barhebraeus, chez les syriens. .. Maintenant que nous avons reconnu Evagre dans le pseudo-sinaïte Nil, c'est de « spiritualité évagrienne » qu'il faudra parler poqr désigner la grande école mystique orientale qui va du quatrième siècle au quinzième et même au vingtième ... » (Le Traité de l'Oraison d'Evagre le Pontique (Pseudo-Nil), Extrait de la RAM, XV, 1934, p. 117; voir aussi, du même auteur, Les grands courants de la spiritualité orien tale, OCP 1, 1935, p. 123-124). Cinq ans plus tard, le R. P. U. von Bal thasar écrivait de son côté: « Neben dieser ausseren Ehrenrettung lauf parallel die wachsende Erkenntnis, dass Evagr~us nicht nur der 15 LES KÉPHALA/A GNOST/CA D'ÉVAGRE LE PONT/QUE Malheureusement, cette œuvre est encore assez mal connue. Elle mais de la conduite que doit s'imposer le gnostique, en parti est d'un accès difficile; une part importante, perdue en, g~ec, est culier dans son enseignement 5. Ce petit livre forme ainsi comme conservée seulement dans des versions syriaques et armemennes; une préface aux Képhalaia gnostiea, qui traitent tout spécia de ce qui a été préservé en grec, une parti~ doit ~tre c~erc?ée lement de la science spirituelle, avec ses différents degrés ou sous d'autres noms, spécialement sous celUI de Nil, et. Il ~ est contemplations, et surtout des mystères, réservés aux seuls pas aisé de démêler ce qui revient à ce .dernier et ce ~Ul revI.ent gnostiques, concernant l'origine des êtres, leur évolution et leur à Evagre; aussi ses contours restent-ils, en plus d un polOt, fin. Les Képhalaia gnostiea sont le grand ouvrage doctrinal incertains 2. d'Evagre. Malheureusement, le texte grec en est perdu, à l'excep Dans cette œuvre, assez diverse, trois livres ont entre eux des tion d'un certain nombre de fragments; le livre n'est connu dans liens particulièrement étroits, comme Evagre lui-m~me l'a mar son ensemble que par deux versions syriaques et une version qué dans sa Lettre à Anatole, mise en tête du Pract.zeos : «. Nous arménienne. Trois problèmes se posent à son sujet, concernant son titre, sa composition et son texte. avons exposé ce qui concerne la vie pratique et la VIe gnostIque. .. en traitant, d'une part, en cent chapitres, des choses prati~ues et, d'autre part, des choses gnostiques en cinquante chapItres en plus des six cents 3. » Evagre désigne ainsi .d'abo~d le Prae Le titre. Dans le passage cité ci-dessus de lieos formé de cent chapitres, soit une centurie, pUlS le Gnos la Lettre à Anatole, Evagre ne donne lieos' formé d'une demi-centurie ou cinquante chapitres, enfin pas de titre à son livre, non plus qu'aux deux autres qu'il men les Képhalaia gnosliea, formés de six centuries. Dans cette tri tionne en même temps. Il est permis de se demander s'il lui en a jamais donné un. Dans un précieux catalogue qu'il a dressé logie, ce dernier ouvrage est le plus important, non seulement des livres d'Evagre qu'il connaissait, l'historien Socrate, après par son ampleur, mais aussi par la nature de son conte~u. Le avoir mentionné le Monachos (par quoi il faut entendre le Prae premier traite de la vie « pratiq~e »~. c'est-à:d~r.e de la VOle ?a~ laquelle le moine atteint l'apatheza, .IImpa~sIbIhté, .e! peut :lOsi lieos), le Gnostieos et l'Antirrhétieos, ajoutait XIX). €~lXx60'LIX accéder à la vie « gnostique » et a la SCIence spIrItuelle . Le 1tpOyvCùO''t'LXcX 1tp06À~[J.IX't'IX, désignant ainsi sans aucun doute notre Gnostieos ne traite pas à proprement parler de cette dernière, ouvrage, formé de six centuries 6. Ce titre, souvent retenu 7, ne va pas sans difficulté : ni 1tpo6À~[J.IX't'1X ni 1tpOYVCùO''t'LXcX ne semblent appartenir à la langue d'Evagre; le second terme, même pris fast unbeschrankte Herrscher der gesamten syrischen und ~yzanti­ avec le sens qu'il a dans la langue médicale, « pronostic », nischen Mystik ist, sondern auch die abendlandische Myshk u~d « symptomatique », ne convient pas du tout au contenu de Aszetik in ganz ausschlaggebender Wei se beeinflusst hat » (~etaph!1slk l'ouvrage 8. Aussi paraît-il préférable de s'en tenir au titre sous und Mystik des Evagrius Ponticus, ZAM, 1939, p. 31). VOIr spécIale lequel le texte de ce livre est mis dans la tradition manuscrite _ ment pour l'influence d'Evagre sur :Maxime .le Confesseur, M. VILLER, Aux ;ources de la spiritualité de saint Maxime, Les œuvres d'Evagre le plus précisément la tradition syriaque, puisque la tradition Pontique, Extrait de la RAM, XI, 1930, p. 156-1~4, 239-26.8 et 331-~36, et grecque est depuis longtemps disparue et que l'arménienne J. PEGON, Centuries sur la Charité, SC .9, ParIs, 1945, l?trodu~tlOn et dépend, comme nous le verrons, de la syriaque: rêsê deidaclâ, ce notes; sur Diadoque de Photicé, éd. E. DES· PLACES, SC ,5 bIS, ~ar~s, 1955, qui recouvre l'expression grecque ou, mieux, introduction, sp. p. Il; sur Pallade, R. DRAGUET, L «Histoire lau XE:cpOCÀIXLIX yvÛ>O'E:Cùç siaque », une œuvre écrite dans l'esprit d'Evagre, RHE 41: 1946~ XZcpOCÀIXLIX yvCùO''t'LXOC. Ce titre, sous sa forme grecque, est devenu p. 321-364, et 42, 1947, p. 5-49; sur Cassien, ~'. MARSILI, GIOV?nnz courant dans la littérature spirituelle byzantine, pour désigner Cassiano ed Evagrio Pontico, Doltrina sulla carzta econtemplaZlOne, Rome, 1936. , . d • 2. Un premier inventaire de l'œuvre d'Evag.re a ete r~sse. par O• . ZOCKLER, Evagrius Ppntikus, Seine Stellung zn der altchrl.stlzehell; 5. Ce livre n'est conservé intégralement qu'en syriaque (FRANKEN Literatur-und Dogmengeschichte, Munich, 1893, p. 18-54;. VOIr aUSSI BERG - cité ci-dessous, n. 14 -, p. 546-553) et en arménien (SARGHI I. MOYSESCU, EÙlXrp~oc; b llOV'mtoc; . B[oc; . l:uyyplX}Jo}Joct'tct . ÂtÔctO'xû.~ct, Athènes, SIAN - cité ci-dessous, n. 30 -, p. 12-22). 1937, p. 51-100; en dernier lieu, A. et C. GUiLLAUMONT, Evagre le Pon 6. Histoire Ecclésiastique, IV, 23, PG 67,516 ab. 7. Par exemple par B. ALTANER, Patrologie, 58 éd., Fribourg-en tique, DS 4, col. 1731-1744 (1961). l ,~ 'ta Brisgau, 1958, p.237. 3. hct'tov }JoV€ Xt€f>ctÀctlOtc; 'ta 1tpctX'ttXIX, 1tv€ 'tTjxov'tct Ô~ 1tpOC; 'to~c; ~;ctxocr(otc; rvwO''t~~a O'uv't'€t}JoT\}JoÉvwc; Ôt À€ ov'tc€; , PG 40, 1221 c. . 8. Cf. les Prognostica d'Hippocrate. Pris en ce ;"t!ns, le mot convien 4 Le texte de ce livre est édité dans PG 40, 1221 d-1252 c, malS sous drait mieux à d'autres parties de l'œuvre d'Evagre, par exemple au un~ forme très défectueuse (cf. J. MUYLDERMANS, La teneur du « Prac Practz'cos, qui décrit les symptômes des diverses passions et les signes précurseurs de l'impassibilité. lieus» d'Evagrius le Pontique, Mu 42, 1929, p. 74-89). 16 17 GUILLAUMONT. 2 LES KÉPHALA/A GNOST/CA D'ÉVAGRE LE PONT/QUE des ouvrages où généralement l'influence d'Evagre est mani ces considérations ne pouvaient que plaire à Evagre, chez qui feste 9. C'est lui aussi que l'on retrouve, sous une forme abrégée, la mystique des nombres tient une grande place. Or, fait étrange, dans un passage de l'écrivain ascétique Barsanuphe (t vers 540) les six centuries, telles que nous les avons, comportent seulement sur lequel nous aurons l'occasion de revenir: un moine vient quatre-vingt-dix sentences chacune, en sorte que le livre entier trouver le saint vieillard et lui dit qu'il est tombé par hasard contient seulement cinq cent quarante sentences, et non pas six sur les livres d'Origène, de Didyme « et sur les Gnostica ("IX cents, ce qui paraît aller contre le témoignage d'Evagre lui rv{ùO''nxcX:) d'Evagre » ; il en cite ensuite deux extraits qui montrent même qui, dans sa Lettre à Anatole, parlait de « six cents » bien qu'il désigne ainsi.nos Képhalaia gnostica 10. Les manuscrits chapitres et contre celui de Socrate qui mentionnait les « six syriaques, principalement dans les explicit, portent aussi la cents problèmes prognostiques ». Le fait est d'autant plus singu mention « les Six Centuries d'Evagre » : cette expression fournit lier que toutes les centuries connues de nous et écrites à l'imi un titre commode, qui a l'avantage, comme nous allons le voir, tation de celles d'Evagre, à commencer par celles de saint d'éviter une équivoque. Maxime, sont des centuries complètes. Comment se fait-il que celles d'Evagre soient incomplètes? On possède un« supplément » aux Six Centuries. Si l'on se La composition. Ainsi abordons-nous un second pro- reporte, en effet, à l'édition de Frankenberg, où le texte d'Evagre, blème, plus délicat que le précé- en version syriaque, est donné avec le commentaire qu'en fit, dent, celui de la composition des Képhalaia gnostica. Le livre est au début du VIle siècle, le théologien nestorien Babai, on remar formé de six centuries. Le groupement de sentences en séries quera qu'à la suite des Six Centuries se trouvent, également est bien dans la tradition du genre gnomique grec, mais il ne commentés par Babai, « soixante chapitres qui manquent aux semble pas qu'il ait existé avant Evagre des recueils de sentences Centuries et ne leur sont pas joints 14 ». Dans l'édition armé groupées par centaines 11. Après lui, et à son imitation, de nom nienne, les Six Centuries sont suivies d'un supplément analogue 15. breux auteurs grecs donneront la forme de centuries à leurs Dans l'introduction qui précède son commentaire, Babai explique, traités ascétiques et mystiques: Diadoque de Photicé, saint par d'ingénieuses raisons, « pourquoi ces chapitres de science Maxime le Confesseur, Thalassius, Hésychius de Batos, Syméon sont chaque fois limités à cent chapitres et pourquoi chaque fois le Nouveau Théologien 12. Cent était un nombre sacré, ayant dix chapitres en sont mis à part, comme cachés et déposés dans valeur mystique: « Le nombre cent indique la plénitude et la un Saint des Saints» : c'est à cause de la signification mystique perfection; en lui il renferme mystiquement la totalité des du chiffre dix, « qui est la consommation de la science parfaite», créatures raisonnables, comme nous le lisons dans les Evangiles, et aussi du chiffre soixante résultant de la multiplication de dix où il est dit que celui qui avait cent brebis vint à en perdre par six 16. Mais si l'on compare avec un peu d'attention le une ... Ce nombre cent, ou plutôt l'ensemble des créatures raison « supplément » syriaque et le « sUpplément » arménien, on nables ... », avait écrit Origène dans ses Homélies sur la Genèse 13; s'aperçoit qu'ils n'ont pas la même composition. De plus, l'examen de la tradition syriaque amène aux constatations suivantes: à l'exception du Vaticanus Syr. 178, qui contient le commentaire 9. Entre autres, les Gnostica képhalaia de Maxime le Confesseur (PG de Babai avec le texte d'Evagre et que Frankenberg a utilisé 90, 1084 a-1173 a) et les Képhalaia practica, gnostica, théologica de pour son édition, les manuscrits syriaques donnent tous les Six Syméon le Nouveau Théologien (éd. DARRouzÈs, SC 51, Paris, 1957). 10. PG 86, 892 b; ce titre est répété deux fois dans la suite, 893 a. Centuries sans le « supplément »; d'autre part, le texte consti Nous reviendrons sur ce passage, p. 124-128. tuant ce dernier est présenté d'ordinaire indépendamment des 11. Voir I. HAUSHERR, Centuries, DS 2, col. 416-418 (1938), qui tient Six Centuries, comme un traité absolument différent, bien que Evagre pour « le premier auteur de Centuries ». 12. Diadoque, éd. E. 'DES PLACES, SC 5 bis, Paris, 1955; Maxime, PG 90, 960 a-l080 d (quatre Centuries sur la Charité), 1084 a-1173 a (deux Centuries gnostiques); Thalassius, PG 91, 1428 a-1469 c (quatre Centu 14. Euagrius Ponticus, Abhandlungen der Kôniglichen Gesellschaft ries sur la Charité et la Continence); Hésychius, PG 93, 1480 d-1144 d der Wissenschaften zu Gôttingen, Philol.-hist. KI., neue Folge, Band (deux Centuries sur la Sobriété et la Vertu); Syméon, voir ci-dessus, XIII, nO 2, Berlin, 1912. Le texte des Six Centuries, pris dans le com n.9. mentaire de Babai, est aux pages 48-422; celui du « supplément », 13. II, 5, éd. BAEHRENs, GCS 29, Leipzig, 1920, p. 34, 13-19. Nous aux pages 422-470. citons d'après la traduction L. Doutreleau, SC 7, Paris et Lyon, 1943, 15. SARGHISIAN (ouv. cité ci-dessous, n. 30), p. 207-216. p.l02. 16. FRANKENBERG, p. '24-26. , 18 19 D'ÉVAGRE LE PONT/QUE LES KÉPHALAIA GNOSTICA verrons face à face. Et il a ôté dix chapitres à chaque centurie souvent mis sous un titre identique: « chapitres de science »; parce que le nombre dix est parfait et accompli et qu'il symbolise en outre, la teneur de ce petit traité est extrêmement variable pour nous l'accomplissement parfait de la divinité de Jésus, lui selon les manuscrits, le noyau fixe étant un groupe d'une quaran dont le nom commence par la lettre youdh, c'est-à-dire dix, et taine de sentences, dont le texte grec a été conservé 17. C'est dans le monde à venir c'est en Jésus-Dieu que sera achevée et par un pur artifice que ce chiffre a été porté à soixante, par accomplie la science des saints» ; un peu plus loin, Denys spécule addition d'autres petites séries de sentences, de façon à obtenir sur le total des cinq cent quarante sentences: « Le nombre des le nombre nécessaire pour compléter les Six Centuries. Ces sen chapitres des six centuries s'élève à cinq cent quarante: six fois tences ~ont peut-être ce qui reste d'un ouvrage laissé inachevé quatre-vingt-dix font, en effet, cinq cent quarante. Le chiffre par Evagre, mais rien n'indique que celui-ci ait eu l'intention de cinq symbolise les sens, et le chiffre quatre les quatre éléments. s'en servir pour compléter ses Centuries. Le nombre cent, quand il est multiplié cinq fois, fait cinq cents, Le « supplément » étant ainsi écarté comme factice, restent symbole de la science spirituelle, et celui de dix, quand il est donc les six centuries avec seulement quatre-vingt-dix sentences multiplié quatre fois, fait quarante: cela signifie que par la chacune; il faut s'en tenir aux données des manuscrits qui, la science spirituelle des cinq sens de l'âme on se délecte de la plupart, libellent ainsi l'explicit de chaque centurie: « est finie contemplation de ce monde qui est constitué des quatre éléments la première (la deuxième, etc.) centurie, à laquelle manquent et, à partir de cette science qui nous est maintenant donnée par dix chapitres », et il faut renoncer à vouloir retrouver ailleurs le moyen de ces nombres, nous progressons vers la contemplation ces chapitres manquants. Comment alors expliquer ce fait? Le livre aurait-il été mutilé au cours de sa transmission, chaque impassible du monde à venir 19. » Ces considérations ne sont pas aussi déplacées qu'elles peuvent le paraître d'abord. Non seu centurie ayant été tronquée des dix dernières sentences? Cela lement ce symbolisme de quatre et de cinq est tout à fait est peu probable: les plus anciens témoins, remontant à la pre mière moitié du VIe siècle, le donnent déjà sous cette forme. évagrien 20, mais surtout Evagre lui-même nous invite à recher cher une signification mystique dans la composition de ses livres. Il faut sans doute admettre que cette composition étrange corres Ainsi le Traité de la Prière est formé de cent cinquante-trois pond bien à l'intention de son auteur et que celui-ci avait quelque sentences; ce nombre a une valeur symbolique, comme l'auteur raison de faire des centuries de quatre-vingt-dix sentences seu lui-même a soin de nous en prévenir dans son prologue : il cor lement. Parmi les autres œuvres d'Evagre, le Practicos est formé respond au nombre des poissons pris au cours de la pêche mira d'une centurie complète, mais seuls les quatre-vingt-dix premiers culeuse (Jean, 21, 11) et, d'autre part, il a une valeur mystique « chapitres » forment un tout homogène, les dix derniers, qui relèvent du genre apophtegmatique, étant d'un caractère assez comme nombre triangulaire 21. Dans la symbolique évagrienne la mystique des nombres occupe une place non négligeable. En différent 18 : peut-être faut-il rapprocher ce trait de la compo conclusion aux Képhalaia gnostica eux-mêmes, Evagre a explici sition du Practicos et l'aspect incomplet que présentent les six tement indiqué la valeur symbolique du nombre six, qui est celui centuries des Képhalaia gnostica. Quelle raison a donc pu des centuries : « Scrutez nos paroles, ô nos frères, et expliquez amener Evagre à faire des centuries de quatre-vingt-dix chapitres avec zèle les symboles des centuries, au nombre des six jours de seulement? Un commentateur syriaque du XIIe siècle, Denys Bar Salibi, s'est posé la question et y a répondu de la manière sui vante: « Pourquoi les centuries sont-elles incomplètes? Nous 19. Commentaire des Centuries d'Evagre, Introduction, ch. 1, cité disons que la science des parfaits ici-bas, comparée à celle qu'ils d'après le Cod. Syr. 37 (Petermann 26) de la Preussischen Staatsbiblio doivent recevoir dans l'autre monde, est incomplète, puisque thek de Berlin, fol. 2. Sur ce commentaire, inédit, voir ci-dessous, p. 290 s. maintenant nous voyons comme dans un miroir et là-bas nous 20. Cf. dans les Képhalaia gnostica les sentences 1 15 16 19' II 39 40, 41. ' , , , , , 21.. ,PG 79,. 1165 a-1168 b (pour l'attribution à Evagre de ce traité 17. Conclusions acquises par l'étude de J. MUYLDERMANS, Evagre le publIe parmI les œuvres de Nil, voir HAUSHERR Traité de l'Oraison Pontique. Les « Capita cognoscitiva » dans les versions syriaque et cité ci-dessus, n. 1). Le symbolisme des nombre~ utilisé dans ce Pro~ arménienne, Mu 47, 1934, p. 73..:106. Texte grec édité par le même log~e a été ét~dié plus spécialement par J. MUYLDERMANS, Evagriana Syrzaca, Louvam, 1952, p. 39-46, et (sans référence à l'étude précédente) auteur, Evagriana, Extrait de la revue Le Musêon, t. XLIV, augmenté par A. Z.IGMUND-CERBU, La préface du « De Oratione » d'Evagre, Societas de Nouv'eaux fragments grecs inédits, Paris, 1931, p. 15-18 et 38-42. 18. Plusieurs manuscrits donnent le Practicos avec les 90 premiers ~cad.emIca Daco-Romana, Acta Philologica, t. II, Rome, 1959 (paru en JanVIer 1961), p. 251-257. èhapitres seulement. 21 20 LES KÉPHALAIA GNOSTICA D'ÉVAGRE LE PONT/QUE la création 22. » Si, de l'aveu même d'Evagre, le nombre six des tions qu'en ont faites des auteurs grecs: Barsanuphe en a con centuries a une signification symbolique, il est tout à fait légitime servé deux (II, 64 et 69), Dorothée une (IV, 76), Léonce de Byzance de rechercher une signification de même nature pour le nombre une (IV, 50), Maxime le Confesseur deux (II, 78 et V, 11); cer quatre-vingt-dix, auquel s'élèvent les sentences formant chaque taines aussi ont été recueillies dans les chaînes : deux dans des centurie. Nous penserions volontiers que quatre-vingt-dix doit chaînes exégétiques (IV, 46 et VI, 61) 24, quatre dans la chaîne être entendu comme étant la somme de quarante et de cinquante: doctrinale éditée par F. Diekamp sous le nom de Doctrina quarante, représenté par la quarantaine qui précède Pâques, Patrum 0, 36; IV, 16; VI, 21 et 31); les plus nombreuses ont été symbolise ce qu'Evagre appelle « la contemplation naturelle retrouvées par M. J. Muyldermans dans des florilèges et collec seconde», qui a pour objet les corps formés des quatre éléments; tions ascétiques de la Bibliothèque Ambrosienne et de la Biblio cinquante, représenté par les cinquante jours de la Pentecôte, est thèque Nationale de Paris 25. Ces citations et extraits ne corres le symbole de « la contemplation naturelle première », qui, pondent pas toujours à des sentences complètes et leur texte pré s'exerçant par les cinq sens spirituels, a pour objet les natures sente les garanties assez médiocres qui sont liées à ce mode de immatérielles 23. Ainsi le total de quatre-vingt-dix symbolise la transmission. Pour certaines sentences nous avons un texte grec science spirituelle de l'ensemble des natures créées au cours des parallèle, plus ou moins exactement identique, dans d'autres livres six jours de la créatiO'n. La composition de l'ouvrage obéit donc d'Evagre conservés en grec, car il arrivait à celui-ci de se à un symbolisme subtil que nous retrouverons souvent dans recopier: dans le Praclicos (ou, du moins, ce qui est publié sous l'expression même et qui contribue grandement à en rendre ce titre) pour les sentences l, 39 et 4026, dans le traité Des malaisée l'interprétation. Diverses mauvaises pensées, qui est édité sous le nom de Nil, mais qui très probablement doit être restitué à Evagre, pour la sentence III, 7827, dans la lettre VIII de saint Basile, qui est en Le texte. Après avoir discuté du titre et de réalité d'Evagre, pour la sentence IV, 1928, et surtout, pour plu la composition des Képhalaia gnos sieurs sentences, dans le Commentaire des Psaumes 29; ces lica, nous en venons à un troisième problème, plus important et non moins délicat, celui qui concerne le texte de cet ouvrage. 24. Le texte grec de cette dernière sentence est à identifier avec le Le texte original grec est, dans son ensemble, perdu. Quelques fragment d'Evagre édité par R. DEvREEssE, Les .anciens c.0r;tmenta~eurs sentences ont survécu dans leur texte original grâce aux cita- grecs de l'Octateuque et des Rois, « Studi e Tesh ». 20~, CIte du Vabc~n, 1959, p. 173. Les références précises des autres cItatIOns sont donnees dans l'édition des Six Centuries (mentionnée ci-dessous, n. 32), ad loc. 25. Elles sont publiées par cet auteur dans Evagriana, ~aris, 1931,.et 22. Les Six Centuries (référence complète donnée ci-dessous, n. 32), dans A travers la tradition manuscrite d'Evagre le Pontzque, Louvam, p. 257. Le texte cité est celui de la version S2. Dans SI (ibid., p. 256), le 1932. Le texte grec de quelques autres sentences, transmises sous le symbolisme est un peu différent: « Scrutez nos paroles, ô nos frères, nom de saint Maxime le Confesseur, est publié par 1. HAUSHERR, Nou les expliquant avec une belle pensée à ceux qui détiennent ce signe veaux fragments grecs d'Evagre le Pontique, OCP 5, 1939, p. 229-233. mis par nous dans ce nombre de six centuries, mystère du nombre six 26. PG 40, 1240 ab, soit le ch. 65, selon la numérotation reproduite de nos générations »; cette dernière expression est ainsi glosée en par Migne. En réalité, ce chapitre (comme l'ensem.ble des ~hapitres. 63- marge du manuscrit F : « Je pense qu'il appelle ici mystère du nombre 71) ne fait pas partie du texte original du Practzcos: malS apparh.ent six des générations les six mille années qui vont d'Adam jusqu'à ce à une reèension longue du traité pseudo-nilien Des Dwerses mauvazses temps. » Pour la valeur mystique du chiffre six, figure de ce monde, pensées (cf. MUYLDERMANS, A travers, p. 53). chez Origène, voir Homélies sur Josué, X, 3, éd. BAEHRENS GCS 30, 27. PG 79, 1221 d-1224 a. p. 361, 5-6, et A. JAUBERT, SC 71, Paris, 1960, p. 278 (autres références 28. Lettres de' saint Basile, éd. Y. COURTONNE, « Le!) Belles Lettres », données en note). Paris, t. l, 1957, p. 24. Pour l'attribution de cette lettre à Evagre, voir 23. KG (S2), II, 38 : « De qui est la nature dans les jours d'avant la R. MELCHER, Der 8. Brief des hl. Basilills, ein lVerk des Evagrius Pon Passion, et de qui est la. science de la Pentecôte sainte? »; 39 : « Les tikus, Münster, 1923. Plusieurs sentences des KG se retrouvent aussi cinq sont apparentés aux cinquante, et ceux-là sont les préparateurs dans les autres lettres d'Evagre conservées en syriaque; ces citations, de la science de ceux-ci »; 40: « Les quatre sont apparentés aux si elles ne nous procurent pas un texte grec, montrent, du moins, elles quarante, et en ceux-là est la contemplation des quarante »; 41 : « Il aussi, qu'Evagre se recopiait volontiers. y en a un qui, sans les quatre et les cinq, connaît les quarante et les 29. Le texte de ce commentaire est dispersé dans les Selecta in Psal cinquante »; 42 : « Qui viendra à la Pâque sainte, et qui connaîtra mos publiés sous le nom d'Origène (PG 12, 1053-1685; J. B. PITRA, la Pentecôte sainte? » (Les Six Centuries, p. 77). Pour la « contempla Analecta sacra, II, p. 444-483, et III, p. 1-364). Il a été restitué à Evagre tion natureile seconde » et la « contemplation naturelle première », par H. URS VON BALTHASAR, Die Hiera des Evagrius, ZKT 63, 1939, spé voir, entre autres textes, les sentences II, 2, 4, 13, 20. cialement p. 90-106, et par M. J. RONDEAU, Le commentaire sur les 22 23

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