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Les frontières du politique en Amérique latine : Imaginaires et émancipation PDF

262 Pages·2006·1.345 MB·French
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LES FRONTIÈRES DU POLITIQUE EN AMÉRIQUE LATINE Publié avec le concours du Centre national du Livre KARTHALAsur Internet: http://www.karthala.com Couverture: Martine Della Croce, «Assedis», ou «la ville assiégée» ©Éditions Karthala, 2006 ISBN: 2-84586-812-X André Corten (éd.) avec la collaboration de Vanessa Molina et Julie Girard-Lemay Les frontières du politique en Amérique latine Imaginaires et émancipation Éditions Karthala 22-24, boulevard Arago 75013 Paris Cet ouvrage est également publié avec le concours du Conseil de recherche en Sciences humaines (CRSH) du Canada Avant-propos La politique semble se dissoudre dans l’économie. Les choix des pays d’Amérique latine semblent conditionnés par les paramètres de l’éco- nomie internationale. En particulier de la dette extérieure. Le politique s’est-il effacé au point de correspondre avec l’économique ou au contraire s’est-il rétréci et porte-t-il désormais sur des choix secondaires? Pour répondre à ces questions, ce livre propose une trajectoire qui part de la théorie, emprunte des véhicules méthodologiques pour finalement aller sur le terrain et traiter de cas concrets: en Argentine, au Brésil, au Chili, au Mexique, au Venezuela, et à une échelle plus globale des imagi- naires de l’indianité. Au plan théorique, un effort de grande rigueur a conduit à proposer, à partir de la pensée de deux théoriciens – Cornelius Castoriadis et Ernesto Laclau – des concepts précis: imaginaires, clôture du politique, sacré, émancipation. Le tout permet de penser d’une autre façon le politique en Amérique latine. Constant est le souci de toucher ces questions à travers des instru- ments méthodologiques qui pourraient être repris et testés par tous ceux qui tentent de répondre, en Amérique latine et dans l’Atlantique nord, aux mêmes questions. Quatre pistes sont proposées: une analyse du discours qualitative, une analyse plus lexicométrique, une analyse sociocritique et puis la méthode plus traditionnelle d’enquête d’opinions. En Argentine, au Brésil, en Bolivie, au Venezuela, demain peut-être au Mexique, des virages sont pris. Comment lire les changements de l’Amé- rique latine? À partir de ces virages et avec un bagage théorique et méthodologique novateur, peut-on renouveler la réflexion sur ce qu’est le politique en Amérique latine ou plus généralement encore ce qu’est le politique? Là est en fin de compte l’objectif de ce livre. Répondre, sui- vant un chemin systématique et contrôlé, à l’éternelle question «Qu’est- ce que la politique?». L’ambition est énorme. Elle anime une équipe de chercheurs de Montréal entourés, au sein du GRIPAL(Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine), par des chercheurs d’Amérique latine. Au cours du travail de recherche, une rencontre internationale a eu lieu. Ce livre présente sous une forme transformée les exposés présentés dans ce colloque international, tenu les 21-22 et 23 octobre 2004 à l’Université du Québec à Montréal. Il s’en est suivi un sérieux travail d’écriture et de réécriture pour que chacun des textes s’aligne dans le projet général. 6 LES FRONTIÈRES DU POLITIQUE EN AMÉRIQUE LATINE Cette recherche comme la rencontre internationale qui en a été un point fort ont bénéficié de subventions du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC). Elle a compté avec la collaboration de nombreuses personnes. Chacun des textes a été évalué par un lecteur externe anonyme. Les remarques faites ont permis aux auteurs d’appro- fondir et de clarifier leur argumentation. Anne-Lise Polo a revu soigneu- sement l’ensemble du manuscrit et a rendu les textes plus clairs et plus fluides. Nos remerciements vont enfin à tous les répondants des quartiers paupérisés de la banlieue de Buenos Aires, de São Paulo, de Porto Alegre, de Mexico, de Caracas et de Santiago du Chili ainsi qu’aux étudiants universitaires de ces villes qui ont bien voulu remplir le questionnaire d’enquête. Ce questionnaire est un des quatre instruments méthodolo- giques sur lesquels s’articule une recherche orientée par une préoccupa- tion principale de théorie politique. L’objectif fondamental du Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine est de tra- vailler à une théorie politique qui soit nourrie du contact avec le terrain. A.C., V.M., J. G.-L. Introduction André CORTEN Imaginaire de l’Indien... La représentation qu’on se fait de l’Indien s’élabore à partir d’une place qu’on tient pour déformante par rapport à la réalité. Les autorités coloniales ont construit à travers les siècles un imaginaire de l’Indien. Par la suite, les autochtones, sans le savoir tou- jours, ont eux-mêmes élaboré un imaginaire de l’Indien. Les deux imagi- naires ne s’affrontent pas nécessairement, ils ne se rencontrent tout simplement pas. Par ailleurs, la multiplicité de représentations de l’india- nité renvoie, comme le montre Pierre Beaucage dans le chapitre 8, à un «éclatement» de ces imaginaires. L’imaginaire dans le langage courant Dans son acception courante, le terme d’imaginaire ne renvoie pas à quelque chose qui n’existerait que dans l’imagination, quelque chose qui serait purement et simplement imaginaire. Dans notre définition de l’ima- ginaire, nous utiliserons le substantif plutôt que l’adjectif. Parler de l’Indien imaginaire suppose que celui-ci n’existe pas. Par contre, l’expression «l’imaginaire de» l’Indien maintient des traits de la réalité (quel que soit le statut qu’on lui donne) et implique qu’il s’agit d’un cliché relevant du domaine de l’imagination. Dans l’usage courant du terme d’imaginaire, il s’agit d’une représenta- tion de la réalité guidant – ou du moins influençant inconsciemment – notre comportement ou le comportement d’autrui. On parle d’imaginaire collectif pour justifier une spécificité propre à notre appréhension de la réalité, spécificité qui n’est écrite nulle part, mais qui est comme une image surplombant la société. On admet que cette image procède du domaine de l’imagination et qu’elle fonctionne sur le mode du cliché, mais ce cliché est rassembleur. Prenons le cas de la démocratie participa- tive, imaginaire collectif de la gauche latino-américaine: elle est à la fois représentation d’expériences bien concrètes – on pensera au Brésil – et déformation par l’imagination. Ce cliché rassembleur n’est pas pour rien 8 LES FRONTIÈRES DU POLITIQUE EN AMÉRIQUE LATINE dans l’élection de Lula comme le souligne Ari Pedro Oro dans le cha- pitre 10. Le réalisme magique est un genre littéraire attaché aux noms de Carpentier, Garcia Marquez, Rulfo et bien d’autres. Il représente en quel- que sorte l’imaginaire latino-américain où miracles et réalité se côtoient. Le discours de fiction des écrivains latino-américains a ainsi construit le tissu d’un imaginaire particulier qui traverse leur œuvre et que leur travail esthétique développe à travers des aspects contradictoires. Viviana Frid- man le met en évidence dans son étude sur la figure du gaucho judiodans la littérature argentine au chapitre 4. Les Occidentaux ont également une idée de l’imaginaire latino-américain. Or, lorsqu’on parle de l’imaginaire des autres, il subsiste toujours un doute quant à savoir si nous projetons notre point de vue sur le comportement d’autrui ou si nous parvenons à nous mettre dans la tête de l’autre1. Nous surchargeons souvent l’imagi- naire cliché de l’autre d’un certain archaïsme responsable du blocage de son comportement ou de sa société et c’est bien ainsi que durant des décennies anthropologues, sociologues et politologues ont traité du sous- développement. L’autre reprend... Les autochtones reprennent aussi à leur compte l’imaginaire qu’on leur attribue. L’image du «barbare imaginaire»2 que l’on retrouve ancrée dans la vision des élites haïtiennes est issue de la manière dont Américains et Français voyaient les paysans haïtiens. Plus largement encore, les pays du Sud reprennent la manière dont les gens du Nord voient la pauvreté3 (et parlent de «lutte contre la pauvreté»), et leurs populations se trouvent enfermées dans cette image qui contribue à approfondir leur misère. En d’autres mots, nos préjugés influent sur la vision que les autres ont d’eux-mêmes. Que les imaginaires soient imposés de l’extérieur ou qu’ils apparaissent comme une construction de soi, éventuellement sur le mode de l’utopie, ils ont des conséquences objectives. L’utopie elle-même, qu’elle soit assumée comme irréalisable ou comme moyen pour faire reculer l’horizon a, de manière différente, ses effets objectifs. Spontanément, nous portons du crédit à ces conséquences. Un crédit positif si le cliché est rassembleur et dynamisant ou un crédit négatif lorsque le cliché bloque la compréhension et implique, pour nous ou pour l’autre, la répétition du même. Ainsi en va-t-il de l’imaginaire populiste. Est-il la manière dont nous caractérisons le rapport passionnel entre masse et dirigeant, rapport qui échappe en partie à nos catégories poli- tiques et dans laquelle nous reconnaissons une vertu perdue de la démo- cratie? Ou bien devons-nous attribuer à l’opposition tenace du populisme 1. Corin, Ellen, «À la recherche d’une figuration: L’imaginaire-écrans», Cahiers des imaginaires, nº 2, 2004. 2. Hurbon, Laënnec, Le barbare imaginaire, Paris, Cerf, 1988. 3. Louis, Jean-Marie, «La question de la pauvreté des nations dans l’économie poli- tique», article à paraître. INTRODUCTION 9 et de l’antipopulisme une tendance à la répétition du même, enfonçant les sociétés latino-américaines dans une stagnation? Apparemment opposés, populisme et anti-populisme fixent un même horizon et bloquent les alter- natives. De la construction d’un concept d’imaginaire Dans l’univers du relativisme dit postmoderne, l’imaginaire est devenu un des termes les plus utilisés aussi bien dans la conversation courante que dans les débats savants. En effet, on admet qu’une perception n’est jamais pure reproduction du réel. Le statut ontologique de celui-ci est du reste contesté. On admet qu’une représentation est toujours une fabrica- tion. À l’heure où fiction et histoire se croisent4, tout relèverait du domaine de l’imagination, tout serait, en quelque sorte, imaginaire. Avec l’émer- gence du continent de l’inconscient, l’imaginaire avait déjà pris un statut fort. Avec Lacan, il est devenu un concept à forte densité conceptuelle! Même si c’est pour insister sur la répétition du même5. Quelle est l’importance des imaginaires dans la politique? La notion d’imaginaires est-elle féconde pour comprendre les inflexions de la poli- tique latino-américaine dans cette première décennie du XXIesiècle? Peut- on donner un sens précis aux termes d’imaginaires politiques? Comment construire un concept qui tienne compte de l’acception courante et qui, en même temps, explicite ou résiste aux présupposés épistémologiques de certaines acceptions savantes? Il ne s’agit pas tant ici de construire un concept original d’imaginaire, mais de justifier un choix qui réponde à ces deux préoccupations. Nous nous devons de partir de l’acception courante d’imaginaire comme cliché de l’imagination. Mais ce faisant, il faut pouvoir également faire pièce au relativisme, de même que résister à l’impératif d’un ordre symbolique qui se présenterait, dans le langage, comme principe d’autorité et qui donne- rait nécessairement à l’imaginaire un rôle second. On y reviendra plus loin. Pour répondre à ces critères, nous nous engageons dès le départ, dans une démarche paradoxale. En effet, on tient en général la confusion 4. White, Hayden, Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore & London, The Johns Hopkins University Press, 1973. Ricoeur, Paul, Temps et récit, T. 1., Paris, Seuil, 1983: 286-301. 5. La répétition du même est un concept de Freud que Lacan réinterprète dans son schéma «imaginaire/ réel/ symbolique». Voir Lacan, Jacques, «Le séminaire sur “La lettre volée”», Écrits 1,Paris, Seuil, 1966: 19-75. La répétition du même est un raté du symbolique devant l’insupportable du «réel». Elle est l’arrière-fond de toutes les échap- patoires imaginaires. 10 LES FRONTIÈRES DU POLITIQUE EN AMÉRIQUE LATINE conceptuelle comme résultant du sens extensif accordé au terme dans ses acceptions courantes et savantes. De notre point de vue au contraire, c’est son sens restrictif qui empêche de définir correctement le concept. Partir d’un sens extensif ne nous conduit pas nécessairement à adopter la posi- tion relativiste qui consiste à affirmer que tout est imaginaire. Dans le premier chapitre, Vanessa Molina, Julie Girard-Lemay et moi-même avons défini le cadre conceptuel qui sert de ligne directrice à l’ensemble des réflexions présentées dans ce livre. Ce cadre tente d’articuler les positions de Castoriadis et de Laclau. Pour Castoriadis, la société généralement «ne reconnaît pas dans l’imaginaire des institutions son propre produit»6. Un des problèmes majeurs des sociétés – y compris de notre société dite postmoderne – c’est que l’imaginaire n’est pas vu comme le produit des participants à la société. Même aujourd’hui – ou peut-être aujourd’hui plus que jamais dans notre société de spectacle et de simulacre – l’homme ou la femme de la rue ne voit pas nécessairement dans la marchandise un fétiche produit par la société comme le faisait Marx il y a presque un siècle et demi. Marx fut en effet le premier à mettre en évidence le fétichisme, c’est-à-dire l’imaginaire, comme produit de la société, le premier aussi à souligner l’importance du fétichisme de la marchandise pour le fonctionnement du capitalisme. Mais Marx ne va pas jusqu’au bout de sa réflexion, car il voit l’imaginaire à travers son rôle fonctionnel comme un chaînon «non économique» dans la chaîne «économique»7. «Lorsqu’on affirme, dit Castoriadis, que dans le cas de l’institution, l’imaginaire n’y joue un rôle que parce qu’il y a des problèmes “réels” que les hommes n’arrivent pas à résoudre, on oublie donc, d’un côté que les hommes n’arrivent précisé- ment à résoudre ces problèmes réels, dans la mesure où ils y arrivent, que parce qu’ils sont capables d’imaginaire; et d’un autre côté, que ces problèmes réels ne peuvent être problèmes, ne se constituent comme ces problèmes-ci que telle époque ou telle société se donne comme tâche de résoudre, qu’en fonction d’un imaginaire central de l’époque ou de la société considérée»8. Dans son histoire du concept d’imaginaire, René Barbier9 attribue à Castoriadis un rôle majeur dans l’affirmation du rôle premier et consti- tutif de l’imaginaire et ceci, dit-il, à l’encontre de Jacques Lacan. Pour Barbier, le concept a connu trois phases: la première est celle de la philo- sophie grecque qui impose un dualisme entre réel et imaginaire, la seconde, phase de subversion, est celle du romantisme et plus tard du surréalisme qui actualise l’imaginaire créateur, enfin la troisième, phase 6. Castoriadis, Cornelius, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975: 184. 7.Ibid.: 185. 8.Ibid.: 187. 9. Barbier, directeur du CRISE (Centre de recherche sur l’imaginaire social et l’éduca- tion – depuis 2004 enseignement et recherche à l’Université de Paris 8). http://www. barbier-rd.nom.fr/Histoiredimaginaire.htm

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