Année : 2011 N° d’ordre : 1181 LES FILMS BOLLYWOODIENS DES ANNÉES 1970-80 : DE LA RÉACTUALISATION DES MYTHES ANCIENS À LA CRÉATION DE FIGURES MYTHIQUES NOUVELLES THÈSE DE DOCTORAT Spécialité : Langues, civilisations et littératures étrangères ÉCOLE DOCTORALE SCE (Sociétés, Cultures, Échanges) Présentée et soutenue publiquement le : vendredi 25 novembre 2011 à : l’Université Catholique de l’Ouest, Angers par : Wendy CUTLER Devant le jury ci-dessous : Geetha GANAPATHY-DORÉ (rapporteur) MCF, HDR, Université Paris XIII Benaouda LEBDAI (examinateur) Professeur, Université du Maine, Le Mans Yannick LE BOULICAUT (examinateur) Professeur, Université Catholique de l’Ouest, Angers Marc ROLLAND (rapporteur) Professeur, Université du Littoral, Boulogne-sur-Mer Emmanuel VERNADAKIS (examinateur) Professeur, Université d’Angers Directeur de thèse : Yannick LE BOULICAUT Laboratoires : CIRHiLL (Centre Interdisciplinaire de Recherche en Histoire, Langues et Littératures), Université Catholique de l’Ouest, Angers. CRILA (Centre de Recherche Interdisciplinaire en Langue Anglaise), Université d’Angers. ED N° 496 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toutes les personnes qui m‟ont permis de mener à bien cette étude. En premier lieu, mes remerciements s‟adressent à mon directeur de recherche, le Professeur Yannick Le Boulicaut, pour son suivi, ses corrections avisées et ses remarques pertinentes. Je remercie également l‟équipe de Master et de Doctorat Interculturalité qui, durant les séminaires de recherche, sous le regard bienveillant de Madame la Professeure Béatrice Pothier et de M. Le Boulicaut, a su m‟écouter et me conseiller dans mes choix. Merci aux deux laboratoires dont je fais partie (CIRHiLL-CRILA), qui m‟ont soutenue dans mes déplacements, et au président de l‟association Cinélégende, avec qui j‟ai partagé de nombreuses discussions très enrichissantes autour du cinéma. Les regards de l‟ensemble de ces spécialistes m‟ont, tout au long de ce travail, permis d‟approfondir ma réflexion. Par ailleurs, je remercie le Conseil Général du département du Maine-et-Loire dont le soutien financier m‟a permis de m‟investir pleinement dans ma recherche durant ces deux dernières années. J‟aimerais également exprimer ma reconnaissance à ma famille qui m‟a énormément soutenue. Je remercie en particulier mes parents pour leur attention, leur confiance et leur dévouement. Merci également à mes amis pour leurs encouragements. Enfin, je souhaiterais remercier Mlle Sarah Auvray qui s‟est toujours montrée disponible et à l‟écoute, m‟apportant ses conseils et ses corrections. Merci à vous tous pour le temps, le soutien et l‟énergie dont vous avez fait preuve à mon égard, me permettant ainsi d‟aller au bout de cette aventure. 1 ___________________________________________________________________________________________________ SOMMAIRE ___________________________________________________________________________________________________ INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................. 5 CHAPITRE I : PLACE ET ROLE DE LA MYTHOLOGIE DANS LA CULTURE INDIENNE 1. Les mythes dans la culture indienne ........................................................................... 16 1.1 Qu‟est-ce qu‟un mythe ? ......................................................................................... 16 1.1.1 Définitions ...................................................................................................... 16 1.1.2 Le rapport au temps ........................................................................................ 26 1.2 La mythologie hindoue ............................................................................................ 28 1.2.1 Introduction .................................................................................................... 28 1.2.2 Les trente trois dieux ...................................................................................... 29 1.2.3 L‟Inde et son rapport au temps ....................................................................... 35 1.2.4 Les textes sacrés ............................................................................................. 37 1.2.5 Le Mahabharata et le Ramayana ; deux épopées indiennes .......................... 40 1.2.5.1 Introduction ........................................................................................ 40 1.2.5.2 Le Mahabharata ................................................................................. 41 1.2.5.3 Le Ramayana ...................................................................................... 50 2. Réflexions autour de la notion de re-présentation et de l’image dans différentes cultures ........................................................................................................................... 57 2.1 Les différentes représentations des mythes en Inde : le culte de l‟image religieuse ................................................................................... 57 2.2 L‟image animée et son lien avec le spectateur ....................................................... 66 2.2.1 De l‟image fixe à l‟image animée : naissance de deux nouveaux modes de représentation ................................... 66 2.2.1.1 Des pétroglyphes aux paparazzis........................................................ 68 2 2.2.1.2 La photographie .................................................................................. 74 2.2.1.2.1 La controverse à propos de l‟image religieuse .................. 78 2.2.1.2.2 Réflexions sur l‟acte photographique ................................ 83 2.2.1.3 Le cinéma ......................................................................................... 96 2.2.2 Place et rôle du spectateur ............................................................................ 103 3. Cas particulier du cinéma indien .............................................................................. 139 3.1 La naissance du cinéma en Inde ............................................................................ 139 3.1.1 L‟arrivée du cinéma et la période du muet ................................................... 139 3.1.2 Phalke et le début du genre mythologique ................................................... 142 3.1.3 Le cinéma parlant ......................................................................................... 145 3.1.4 Les années 1950-65 : émergence du cinéma populaire ................................ 150 CHAPITRE 2 : LA REAPPROPRIATION DES MYTHES ANCIENS 1. Comment les films bollywoodiens adaptent-ils les mythes anciens ? .................... 155 1.1 Relation texte/image .............................................................................................. 155 1.2 Texte et image en conflit Ŕ l‟exemple de Slumdog Millionaire ............................ 160 1.3 Deux procédés d‟adaptation .................................................................................. 163 1.4 Analyse filmique .................................................................................................... 168 2. Analyse filmique des films populaires indiens des années 1970-80 ........................ 172 2.1 Le « monomythe » ................................................................................................. 172 2.2 Le « Voyage du Héros » ........................................................................................ 180 2.2.1 Le mythe de l‟enfant abandonné .................................................................. 180 2.2.1.1 L‟absence du père comme « Appel de l‟Aventure » ........................ 180 2.2.1.2 L‟absence du père pour cause de mort ............................................. 184 2.2.1.3 La quête du père ............................................................................... 209 2.2.1.4 Le rôle de la mère et le mythe d‟Œdipe ........................................... 229 2.2.1.4.1 La mère et la notion de sacrifice ...................................... 229 3 2.2.1.4.2 Le complexe œdipien dans les films populaires indiens .. 252 2.2.2 Les rôles féminins secondaires ..................................................................... 267 2.2.2.1 La femme comme mentor ou messager dans le « Voyage du Héros » ... 267 2.2.3 Autres archétypes dans les films populaires indiens et rôle des animaux sacrés . 289 CHAPITRE III : VERS LA CREATION D’UNE NOUVELLE FIGURE MYTHIQUE ? 1. La figure du héros et l’apparition du « Angry Young Man » dans le cinéma bollywoodien ................................................................................................................ 304 1.1 Le héros aux mille facettes : de Héraclès à Superman .......................................... 305 1.1.1 Le héros antique ........................................................................................... 305 1.1.2 Antihéros ou héros marginal ? ..................................................................... 312 1.1.3 Entre histoire et cinéma : la situation politique de l‟Inde des années 1970 .... 319 1.1.4 Le héros « autochtone » ou l‟indianité du héros .......................................... 324 1.1.5 Un super-héros indien ? ................................................................................ 326 2. Le mythe qui se cache derrière le personnage ......................................................... 328 2.1 Le héros comme modèle et personnage mythique ................................................. 328 2.2 La figure moderne du héros peut-elle être considérée comme la création d‟une nouvelle figure mythique ? .................................................................................... 330 2.3 Le héros moderne .................................................................................................. 334 CONCLUSION GENERALE (ET PERSPECTIVES) ........................................................... 337 ANNEXES .............................................................................................................................. 343 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 359 FILMOGRAPHIE .................................................................................................................. 370 4 ________________________________________________________ INTRODUCTION GENERALE ___________________________________________________________________________ En Inde, comme dans de nombreuses autres sociétés, le cinéma constitue l‟un des premiers loisirs. Au point qu‟à ce jour, l‟industrie cinématographique indienne dépasse la production américaine en termes de quantité puisqu‟en moyenne, l‟Inde produit plus de 1 000 films par an1, occupant la première place devant le cinéma américain et japonais. À l‟échelle mondiale, c‟est avant tout le cinéma américain qui domine le marché, en Inde, cependant, les films produits dans le pays remportent un tel succès que le marché américain y est très peu présent. En effet, le cinéma américain ne « représente que 5% du marché local alors que partout ailleurs dans le monde, Hollywood attire la majorité des spectateurs nationaux »2. En Occident, la diffusion du cinéma indien reste encore très limitée alors qu‟en Inde, ce média prospère et occupe une place omniprésente dans la vie de tous les jours. Nous avons fait le choix de nous intéresser tout particulièrement au cinéma dit bollywoodien3, qui n‟est sans doute pas représentatif du cinéma indien en général, mais qui constitue une catégorie de films bien spécifique. Affublé d‟une connotation péjorative, le terme Bollywood est apparu dans la presse indienne à la fin des années 1970, laissant clairement entendre de par son étymologie, que les films indiens copiaient les films américains. De nos jours, ce terme est largement utilisé en Inde comme à l‟étranger pour désigner l‟industrie cinématographique située à Bombay. Nous pouvons même avancer l‟idée qu‟il assure la promotion de ces films indiens à l‟étranger. Le terme Bollywood, néologisme constitué à partir des noms des villes Bombay (laquelle fut renommée Mumbai en 1995) et de Hollywood, désigne ainsi toute une industrie cinématographique, dont le centre névralgique se situe à Bombay, sur la côte ouest de l‟Inde. 1 Selon le rapport annuel du Central Board of Film Certification, 1 288 films furent produits en 2009. Ce chiffre a diminué en 2010 au nombre de 1 274. http://articles.timesofindia.indiatimes.com/2011-08-22/hyderabad/29914569_1_film-industry-k-ramasubba- reddy-tamil (consulté le 11/02/2012) 2 JAFFRELOT, Christophe, L’Inde contemporaine, de 1950 à nos jours, Paris : Fayard/Ceri, 2006, p 717 3 Bollywood désigne les films populaires indiens en langue hindi. 5 Dans cette étude, nous avons choisi d‟utiliser l‟ancien toponyme « Bombay », celui-ci étant en plus étroite adéquation avec notre travail de recherche portant sur l‟univers bollywoodien. De plus, il semblerait que le nom de Mumbai ne soit pas encore entré dans les mœurs : à titre d‟exemple, du 25 mai au 19 septembre 2011, au Centre Georges Pompidou à Paris, s‟est tenue une exposition intitulée Paris Ŕ Delhi Ŕ Bombay… qui a attiré de nombreux visiteurs (voir image ci-contre). L‟exposition invitait le public français à découvrir la société contemporaine indienne Affiche de l‟exposition Paris Ŕ Delhi à travers les yeux de nombreux artistes indiens et français. Ŕ Bombay au Centre G. Pompidou à Paris. Photographie de Wendy Cutler Elle aurait pu s‟appeler Paris Ŕ Delhi Ŕ Mumbai… mais les (juillet 2011) organisateurs ont préféré conserver le nom de Bombay, celui- ci étant culturellement mieux implanté. Dans ce travail de thèse, nous nous intéresserons à la réactualisation de mythes anciens rencontrée de manière récurrente au sein du cinéma bollywoodien des années 1970-80. Compte tenu de la nature même des sujets abordés, notre réflexion s‟inscrira pleinement dans une démarche interculturelle et interdisciplinaire. En effet, nous traiterons de civilisations différentes, vues sous l‟angle de champs disciplinaires divers. Ce faisant, nous nous placerons constamment à cheval entre la tendance actuelle à l‟universalisation des cultures, et une mise en avant de thématiques propres à la culture indienne. Pour se faire une idée des fondements du cinéma indien, il convient, d‟entrée de jeu, de noter que ce dernier ne se limite pas au cinéma bollywoodien. En Occident, le terme Bollywood est parfois utilisé à tort pour englober l‟intégralité du cinéma indien. Mais quantitativement parlant, Bombay ne domine plus la production indienne depuis 1995 (voir Annexe 1, pp. 343-344). Dans le sud de l‟Inde, par exemple, il existe une autre industrie cinématographique appelée Kollywood. Les films y sont tournés en langue tamoule tandis qu‟à Bombay, les films sont tournés en langue hindi. Cela nous permet donc d‟affirmer que le cinéma dont nous allons parler recouvre des œuvres de style, de facture et de conception bien différents. Il n‟en reste pas moins que le terme « Bollywood » continue à englober, dans la conscience collective occidentale, l‟ensemble du cinéma indien, alors que l‟appellation 6 « Kollywood » demeure méconnue. Ce phénomène s‟explique en partie du fait que seuls les films bollywoodiens commencent à s‟exporter Ŕ de diverses façons Ŕ dans les cultures occidentales. En France, par exemple, très peu de films bollywoodiens sont diffusés dans les salles de cinéma. Cependant, le succès de ce type de films reste actuel, grâce notamment à l‟ouverture de nombreux magasins de DVDs à Paris4 et dans d‟autres grandes villes. En outre, d‟autres types de manifestations culturelles (comédies musicales, expositions, foires) contribuent à diffuser la culture indienne, en prenant pour référence l‟imagerie bollywoodienne, telle que véhiculée par les nombreux chants et danses. Ces dernières années, c‟est notamment grâce à ses acteurs que le cinéma bollywoodien s‟est fait connaître : le mardi 29 avril 2008, une foule immense s‟est rassemblée devant le musée Grévin à Paris où l‟un des acteurs les plus célèbres de Bollywood Ŕ Shahrukh Khan Ŕ est venu inaugurer sa propre statue de cire. De plus, Paris, ainsi que d‟autres grandes villes françaises, accueille de plus en plus d‟événements liés à l‟univers bollywoodien. Les comédies musicales (Bharati, Il était une fois l’Inde ou encore La fabuleuse histoire de Bollywood) remportent un succès indéniable. En 2008, la Foire de Lyon a accordé une place importante au cinéma bollywoodien avec la diffusion de plusieurs films et l‟organisation d‟événements tournant autour de l‟Inde et du cinéma bollywoodien. Plus récemment, en janvier 2009, le salon du cinéma à Paris mit le cinéma indien à l‟honneur en invitant « le plus célèbre des acteurs indiens depuis plusieurs décennies »5, l‟acteur Amitabh Bachchan. En 2002, Devdas, film bollywoodien de Sanjay Leela Bhansali, fut présenté au festival de Cannes hors compétition. L‟actrice principale, Aishwarya Rai, fit même partie du jury du festival l‟année suivante. Ces quelques exemples témoignent qu‟en France, lorsqu‟il est question de cinéma indien, Bollywood est inévitablement évoqué. Aux États-Unis, ce cinéma a même tenté un rapprochement avec le cinéma hollywoodien : « Une "déclaration historique" a été signée entre la ville de Los Angeles et l‟industrie du cinéma indien qui permettra d‟augmenter le nombre de films indiens tournés à Hollywood […] »6. 4 À titre d‟exemple, nous pouvons citer « Bollywood Univers », rue du Faubourg St Denis à Paris. 5 http://www.fantastikasia.net/article.php3?id_article=1508 (consulté le 10/09/2011) 6 http://inde.aujourdhuilemonde.com/hollywood-et-bollywood-liaisons-fructueuses-entre-indiens-et-americains publié le 12/11/2010 (consulté le 07/07/2011). 7 Alors que l‟article mentionne « l‟industrie du cinéma indien », il est évident (par le titre notamment : Hollywood et Bollywood, liaisons fructueuses entre Indiens et Américains) qu‟il s‟agit de l‟industrie bollywoodienne. Bollywood cherche donc à s‟ouvrir de plus en plus au marché mondial et un rapprochement entre les deux « géants » semble en cours. Si nous avons choisi de nous intéresser à cette industrie cinématographique, c‟est avant tout parce qu‟elle remporte un succès grandissant dans notre société. Mais c‟est aussi en raison du fait qu‟elle constitue un véritable portail ouvrant sur la culture indienne, de plus en plus accessible au public occidental. En dépit des railleries dont fait l‟objet le cinéma bollywoodien Ŕ souvent considéré comme « kitsch » (terme le plus souvent rencontré pour décrire les films bollywoodiens) Ŕ il nous a néanmoins semblé pertinent de fonder notre travail de recherche sur cette catégorie d‟œuvres pour plusieurs raisons. La première est que, comme nous venons de le suggérer, le cinéma en général constitue un vecteur de diffusion de la culture d‟un pays, permettant des échanges aussi bien culturels, qu‟artistiques et économiques. Cela est d‟autant plus vrai du cinéma bollywoodien qui représente à tort, dans l‟esprit du public occidental, l‟ensemble du cinéma indien. La deuxième raison de notre choix tient au fait que ce cinéma est un exemple parfait de réactualisation de mythes anciens. En effet, par sa façon de raconter des histoires et de mettre en scène des héros modernes, le cinéma peut être considéré comme une nouvelle forme de mythologie ou, tout du moins, comme un nouvel instrument de diffusion des mythes anciens et de création de figures mythiques modernes. Joseph Campbell, mythologue américain, avance qu‟ « un film est peut-être l‟équivalent d‟une représentation mythique […] »7. Ainsi, le cinéma et la mythologie, de manière parallèle, font souvent l‟objet d‟études, à l‟exemple de celles menées par l‟association angevine Cinélégende8 (fondée en 2004). L‟objectif de cette structure est de « découvrir la légende à travers le cinéma, et de relire certains grands films à la lumière de ces mythes et légendes qui, de génération en génération, ont permis de pénétrer les secrets de l‟univers et de donner à nos ancêtres un sens à leur vie »9. Il est donc possible de trouver un fond commun entre le cinéma et la mythologie et d‟établir de nombreux parallèles. 7 CAMPBELL, Joseph, Puissance du mythe, [1988], Paris : J‟ai lu, 1991, p 151. 8 L‟Association Cinélégende travaille en partenariat avec le laboratoire de recherche CRILA (Université d‟Angers) depuis juin 2011. 9 http://www.cinelegende.fr/ (consulté le 28/06/2011) 8 Par ailleurs, nous avons précisé que le cinéma constituait l‟un des premiers loisirs dans de nombreuses sociétés, notamment dans les sociétés occidentales, avec la prédominance sur le marché mondial des films américains. Dans ce travail, les expressions « société occidentale » ou « Occident » seront employées afin de distinguer ce qui relève de la société dite « occidentale », des éléments culturels et mythologiques relevant de la société dite « orientale ». Néanmoins, ces termes pouvant prêter à confusion, nous nous devons de les définir avec précision. Selon le célèbre orientaliste palestinien Edward Saïd, l‟Orient serait une invention de l‟Europe qui a permis à celle-ci de se définir en tant qu‟Occident. « L‟orientalisme n‟est jamais bien loin de ce que Denys Hay [historien britannique] a appelé l‟idée de l‟Europe, notion collective qui nous définit, "nous" Européens, en face de tous "ceux-là" qui sont non européens […] »10. Et même si « la relation entre l‟Occident et l‟Orient est une relation de pouvoir et de domination »11, nous n‟emploierons pas ces termes dans le but de souligner la domination de l‟un sur l‟autre. Notre objectif sera seulement de souligner ce que l‟auteur appelle « une distinction géographique (le monde est composé de deux moitiés inégales, l‟Orient et l‟Occident) » (Edward Saïd, 1978, p 25) et de trouver des passerelles entre les différentes civilisations, en l‟occurrence l‟Europe (l‟Occident) et l‟Inde (l‟Orient), ainsi qu‟entre les grands mythes qui les composent. D‟ailleurs, selon Krzysztof Pomian, philosophe et historien franco-polonais, le terme « Occident » semble inséparable de l‟Europe. Il explique que « […] les Grecs [ont introduit] le mot "Europe" en tant que nom d‟une déesse et celui d‟un continent »12. Pourtant, « […] dans le langage politique […], l‟Occident englobe l‟Europe et les États-Unis »13. Ainsi, comme nous l‟avons déjà signalé, notre travail s‟inscrira pleinement dans une étude interculturelle et transdisciplinaire, ce qui nous permettra de passer outre les frontières sans toutefois les abolir. La mythologie servant à la fois de fil conducteur et de lien permettant d‟établir des ponts entre les cultures d‟Orient et d‟Occident. Bien évidemment, puisque nous allons nous pencher sur des disciplines, des cultures et des civilisations différentes, notre étude couvrira plusieurs paradigmes de recherche. Afin de traiter notre sujet avec précision, l‟étude de ces différents domaines d‟études se limitera à l‟éclairage qu‟ils 10 SAÏD, Edward, L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, [1978], Paris : Éditions du Seuil, 1980, p 19 11 Ibid, p 18 12 POMIAN, Krzysztof, « Occident et Europe » dans La Notion d’Occident, Paris : Revue des deux mondes, octobre-novembre 2004, p 42 13 Ibid, p 42 9
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