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Les camps français d'internement PDF

952 Pages·2009·5.371 MB·French
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UNIVERSITÉ PARIS 1 Panthéon-Sorbonne Thèse pour l’obtention du grade de docteur d’État es-lettres (histoire contemporaine) 9 0 Denis PESCHANSKI 0 2 b e F 8 1 - 1 n o Les camps français d’internement (1938-1946) si r e v 3, 2 5 2 6 3 0 0 - el t Directeur de thèse : Antoine PROST 2000 UNIVERSITÉ PARIS 1 Panthéon-Sorbonne Les camps français d’internement (1938-1946) [Doctorat d’État] Denis Peschanski* Centre d'histoire sociale du XXe siècle CNRS UMR 8058 Université - Panthéon-Sorbonne Paris 1 9 Rue Malher 75181 PARIS CEDEX 04 http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/ Pour citer la thèse à partir de sa version numérique en libre accès [TEL OAI AO-CSD] Peschanski Denis, 2009/02/18, Les camps français d’internement (1938-1946), tel-00XXXXXX**, 952 p. [facsimile hors ill. & cart., 2000, Thèse de doctorat d’État en Histoire, direction AntoineProst, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 3 vol., 948 p., bibliogr. pp. 898-948, index.. Num. national de thèse 2000PA010665]. ** {{rajouter le numéro identifiant à 6 chiffres qui figure en marge à gauche du document}} Résumé Entre févier 1939, date de l’ouverture du premier camp d’internement administratif, et mai 1946 date de la fermeture du 9 dernier, quelque 600 000 personnes se sont retrouvées enfermées non pas pour des délits ou des crimes qu’elles auraient 0 commis mais pour le danger potentiel qu’elles représenteraient pour l’Etat et/ou la société. Quatre logiques successives se 0 2 sont succédé : l’exception (1938-1940), l’exclusion (1940-1942), la déportation (1942-1944), à nouveau l’exception (1944- b 1946). Ainsi s’enchaînent des périodes et des logiques différentes pour un phénomène unique. On notera que souvent il e F s’agissait pour les gouvernements français de répondre à une contrainte externe, ce qui tend à privilégier une approche 8 « fonctionnelle » du phénomène. Mais, une fois la contrainte acceptée, il y avait plusieurs possibles et le choix de 1 l’internement répondait alors, souvent, à des préconstruits idéologiques. Le plan choisi rend compte à la fois de ces coupures - chronologiques et des continuités (étude de la société des internés, de la garde, de l’opinion et de l’environnement immédiat, 1 de la topologie même des camps). n o Histoire; Seconde Guerre mondiale; France; opinion; résistance ; communisme; juifs; déportation; camps; archives; tsiganes; réfugiés si espagnols ; Vichy ; épistémologie r e v Abstract , 3 French Internment camps 1938-1946 2 5 2 From the beginnings in February 1939, to the closing of the last camp, in May 1946, I estimate that there were 600,000 6 internees in around 200 centres, not for offences or crimes which they would have made but for the potential danger that they 3 0 would represent for the State and/or the society. Internment policies were governed by four successive logics : exception 0 (1938-1940), exclusion (1940-1942), deportation (1942-1944), and again exception (1944-1946). These different periods and - el logics for a single phenomenon are connected. It will be noted that often it was a question for the French governments of t answering an external constraint, which tends to privilege a “functional” approach of the phenomenon. But, once the constraints accepted by French State, there were several possibilities and the choice of the internment is linked, often, with ideological “préconstruits”. The structure of this “doctorat d’Etat” gives an account at the same time of these chronological cuts and continuities (study of the company of the internees, the guard, the opinion and the immediate social environment, the topology of the camps). History; Second World War; France; Opinion; Resistance; Communism; Jews; Deportation; Camps; Archives; Gypsies; Spanish refugees; Vichy; epistemology Précisions Doctorat d’Etat soutenu le 30 novembre 2000 en Sorbonne (salle Liard). Président du jury : François Bédarida (directeur de recherche émérite au CNRS). Directeur de thèse : Antoine Prost (professeur, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne). Autres membres du jury : Jean-Pierre Azéma (IEP Paris), Robert Frank (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), José Gotovitch (Université libre de Bruxelles), Pierre Laborie (directeur d’études, EHESS). Le jury a attribué la mention « Très bien » (mention correspondant à « très honorable avec félicitations à l’unanimité » pour le doctorat nouveau régime). Version partielle publiée in : Peschanski Denis, 2002, La France des camps. L’internement 1938-1946, Paris, Gallimard, (coll. La suite des temps, dir. Pierre Nora), 456 p. ISBN 978-2-07-073138-1. * [email protected] Contributeur Open Acces Self-archiving – http://hal.archives-ouvertes.fr/aut/Denis+Peschanski/ En 2002, D.P. était membre de l’Institut d'histoire du temps présent (IHTP), CNRS UPR301 -http://www.ihtp.cnrs.fr/ Remerciements La liste des archives utilisées (voir fin de volume) suffit à montrer ma dette envers des hommes et des femmes dont l’aide fut essentielle et, sauf exception, bienveillante. Pour la France, le directeur des archives et le chef de la section contemporaine (appelée depuis « section du XXe siècle ») furent les clés majeures dans un dispositif qu’on sait complexe. En la matière, Jean Favier et Chantal Bonazzi, qui furent mes interlocuteurs au moment où le programme de recherche fut mis au point et largement avancé, me témoignèrent une confiance constante. Ce fut aussi le cas de leurs successeurs respectifs (Alain Erlande-Brandenburg et Philippe Belaval, Paule René- Bazin et Isabelle Neuschwander). On sait aussi la connaissance qu’ont les archivistes de leurs fonds et, plus d’une fois, à Paris comme en province, dans ces si riches archives départementales, j’ai pu en tirer mon meilleur profit. Il reste que la loi prévoyait le plus souvent des dérogations. Dans certains cas, peu nombreux, il a fallu surmonter l’obstacle des autorités versantes, ce que j’ai pu faire 9 0 grâce à l’intervention de Michel Rocard, alors Premier ministre, et Pierre Joxe, alors 0 2 ministre de l’Intérieur, sollicitée par Antoine Prost. b e Avec des traditions et des cultures administratives différentes, j’ai trouvé à l’étranger, F en Italie ou en Allemagne, en Espagne ou en Russie, un accueil favorable. Beate 8 1 Husser m’a très utilement guidé dans mon périple allemand et Marina Arzakanian - 1 dans les méandres moscovites ; dans les deux cas leurs connaissances institutionnelles n et linguistiques m’ont été indispensables. o si Le dépouillement de ces fonds fut favorisé par un contrat signé avec le ministère de la r e v Justice, grâce à Robert Badinter et Michelle Perrot. Un contrat du secrétariat d’Etat 3, aux anciens combattants (Serge Barcellini étant alors délégué à l’information 2 historique et à la mémoire), soutenu par le secrétariat général à l’intégration (Premier 5 2 ministre) et la Fondation pour la mémoire de la déportation, m’a permis de faire le 6 3 point sur le sort des Tsiganes de France. 0 0 - Si les fonds du Consistoire central (Alliance israélite universelle) ne sont exploités par el t les spécialistes que depuis quelques années, les historiens savent depuis longtemps que le Centre de documentation juive contemporaine leur est ouvert. Dans les deux cas, l’accueil a été, sans surprise, excellent et la récolte de documents fructueuse. Au gré des contacts, des fonds privés sont venus compléter la liste, ainsi grâce à Marianne Ranson (Comité américain de secours), François Marcot (Joseph Weill), Claude Bloch (Henri Jacob) ou Serge Klarsfeld (procès des gendarmes de Drancy) qui, en outre, m’a fourni de riches données. Les photographies prises par l’inspecteur Philiponeau dans les divers camps où il a exercé constituent une source rare d’illustration. Grâce à Éric Conan, j’ai eu connaissance de ce fonds privé et Mme Philiponeau a eu la gentillesse de me confier ces documents. Les autres photographies viennent pour l’essentiel des fonds de l’Inspection générale des camps (archives nationales) ; Marie-Paule Arnaud (Centre historique des archives nationales), Isabelle Neuschwander (section du XXe siècle) et Françoise Clavaud (nouvelles technologies de l’information et de la communication) m’ont permis d’utiliser et ainsi de faire connaître cette source exceptionnelle. Il leur a fallu pour cela agir dans l’urgence du bouclage de la thèse. IV C’est dans les mêmes conditions que j’ai sollicité le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère. Avec l’autorisation et le soutien de Jean-Claude Duclos, son directeur, Nora Esperguin a réalisé, dans l’urgence, trois cartes de camps (décembre 1940, août 1942 et décembre 1944). Les historiens Christian Ingrao et Gabor T. Rittersporn ont répondu également présents dès que je les ai sollicités, en cette dernière ligne droite. Dans plusieurs dépôts, j’ai trouvé des fichiers d’internés ou de gardiens. Jean-Pierre Bonérandi (UMS 824 CNRS/Justice) m’a fourni les moyens techniques de les exploiter, mais aussi aidé à préciser mes objectifs et à affiner mon questionnement. Les données socioprofessionnelles demandaient un traitement particulier ; j’ai profité en la matière de l’expérience de Claude Pennetier. Il est vrai que je n’ai jamais pensé que mon travail, articles, ouvrages ou, donc, thèse d’État, demandait qu’on s’enfermât dans sa tour d’ivoire, loin de tout contact scientifique, qu’il fallût sacrifier l’entreprise collective au travail individuel. Je ne devais pas y être vraiment prédisposé, mais cette attitude tient d’évidence à la « culture IHTP » voulue par François Bédarida avec lequel je partage, aussi, 9 l’attachement profond et/car raisonné au CNRS. Je dois donc beaucoup à ceux qui 0 0 furent longtemps mes collègues à l’Institut d’histoire du temps présent, chercheurs, 2 administratifs et, bien sûr, bibliothécaires. Responsable quatorze années durant du b e groupe des correspondants départementaux, je ne dirai jamais assez combien ce travail F en réseau a apporté à la connaissance de la France des années noires, combien les 8 1 rencontres régulières ont permis d’enrichir ma réflexion, sans qu’il soit nécessaire - d’insister sur les liens d’amitié profonde qui se sont ainsi tissés. 1 n o Travail collectif, échanges scientifiques, amitié, fidélité : d’évidence le « groupe si Résistance » qui s’est cristallisé quand il fallut relever un défi aussi fou r e qu’indispensable regroupa mes interlocuteurs réguliers dans mon entreprise v , personnelle. Ainsi de Christian Bougeard, Robert Frank, José Gotovitch, Jean-Marie 3 2 Guillon, Pierre Laborie, François Marcot, Robert Mencherini, Jacqueline Sainclivier, 5 2 Dominique Veillon, Serge Wolikow. S’ajoutent Jean-Marc Berlière, Philippe Burrin, 6 3 Renée Poznanski et Patrick Weil. 0 0 - Fort de la confiance (et de la patience) de Pierre Nora, j’ai vu l’avant-dernière version el t du texte étudiée en détail, comme trop rarement dans le milieu de l’édition, par Bénédicte Vergez. Enfin, j’ai profité sans vergogne des compétences et de la disponibilité de Cécile Thiébault pour mettre au point le manuscrit définitif. Que tous ceux que j’ai évoqués ici et tous ceux que je n’ai pu citer soient très chaleureusement et très sincèrement remerciés. Février 1939 : le premier camp d'internement français ouvrait ses portes à Rieucros, en Lozère. Mai 1946 : les derniers internés quittaient le camp des Alliers, en Charente. Entre ces deux dates quelque 600 000 personnes furent internées, pour un temps variable, dans quelque 200 camps, à la durée et au statut variables. Ce qui frappe au premier abord c'est à la fois l'ampleur du phénomène et sa durée, puisqu'il a concerné tous les départements sans exception et qu'il a traversé trois régimes, la Troisième République finissante, l'État français sous tutelle et la République renaissante. QUESTION DE MOTS, QUESTION D'HISTOIRE 9 0 0 2 b La difficulté croît si l'on considère les statuts qu'ont connus les camps e F français d'internement : certains sont dits d'internement, mais d'autre 8 1 d'hébergement, de transit, voire de concentration. Ils relèvent tous de notre - 1 n objet d'étude, même si la différence de terminologie ne relève pas que du o si r discours. Nous parlerons indifféremment de « camps d'internement ». Cela e v , vaut spécialement pour l'expression de « camp de concentration » pourtant 3 2 5 utilisée par certaines autorités locales, surtout en 1939 et 1940, et plus 2 6 3 largement par les internés eux-mêmes ou la presse. Les autorités 0 0 - gouvernementales évitèrent de le faire, pour des raisons politiques évidentes. el t La querelle de mots n'est pas innocente. Compte tenu de la charge émotionnelle qui leur est nécessairement associée, les employer ou ne pas le faire a une signification d'abord politique. Elle discrimine le complice et le pensant-juste. On se trouve là, on l'a compris, sur de mauvais rails. La question est pourtant claire à défaut d'être simple : quel concept nous permettra de rendre compte au mieux de l'objet d'étude1 ? Le XXe siècle a été le siècle des camps. C'est même au tournant de ce siècle que furent érigés les premiers. Le système se développa ensuite sur tous les continents et dans tous les régimes. La singularité de ce siècle interdit de 1 En français, on renverra à Annette Wiewiorka, "L'expression camp de concentration au 20e siècle", Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 54, avril-juin 1997, pp. 4-12. Introduction 2 faire l'impasse sur toute approche comparatiste. Pour autant, il faut éviter de postuler l'identité des phénomènes observés. Il y a d'abord l'évidence, celle qui veut qu'on distingue les camps visant à la mort systématisée et industrielle, à la destruction programmée de la personnalité ou à la rééducation, à l'exploitation économique, à la neutralisation des personnes jugées dangereuses ou à leur exclusion du corps social. La question se complique si l'on constate que la diversité des objectifs poursuivis par les autorités qui se sont succédé en France de 1939 à 1946 appelle une réponse nuancée et différenciée. En outre, et peut-être surtout, il ne faut pas se satisfaire des objectifs affichés pour comprendre le système. Qu'est- ce qui fut premier : l'idéologie ou la conjoncture ? L'internement a-t-il répondu 9 0 d'abord aux objectifs, si variés furent-ils, ou à une sollicitation extérieure ? 0 2 b L'idéologie se situe-t-elle en amont, dans la détermination d'une politique e F volontariste, ou en aval, dans le choix entre des possibles ? 8 1 S'il faut mesurer dès lors l'apport des recherches sur les autres - 1 n expériences concentrationnaires ou internementales2, l'affaire est plus o si r compliquée. Si l'historien se méfie, par définition, des globalisations et des e v , modélisations, il ne doit pas s'interdire l'approche comparatiste. Pour autant la 3 2 5 situation n'est pas encore mûre pour la systématiser et les études sont encore 2 6 3 trop éclatées. Pour mon travail, je me limiterai à des emprunts ponctuels, 0 0 - ciblés, aux expériences étrangères. On a vu le cas particulier de l'école el t fonctionnaliste pour l'appréhension des processus et du poids respectif de la décision et de la logique propre. Mais on peut citer d'autres exemples : la Grande-Bretagne pour la gestion des « ressortissants des puissances ennemies » pendant la « drôle de guerre »; la Belgique pour l'épuration et le rôle des divers pouvoirs à la Libération ; l'Italie pour repérer la spécificité de la politique de Vichy dans les persécutions antisémites et, au-delà, pour s'interroger sur la définition des régimes ; la Belgique encore, les Pays-Bas, le Danemark ou la 2 Je m'autorise ce néologisme pour éviter le piège des mots-valises qui interdisent d'analyser une réalité dans sa spécificité. Le camp de concentration appelle une volonté politique qui dépasse la gestion d'une conjoncture d'exception (et fait en cela système) et il génère une autre société avec ses lois propres. La situation des camps français de 1939 à 1946 ne rentre pas dans ce cadre. Introduction 3 Norvège pour comparer les réactions des hiérarques juifs face à l'internement et aux déportations. Une étude récente sur les camps français de la Première Guerre mondiale permettra une utile mise en perspective diachronique. On comprend l'esprit et les limites de ces éclairages ponctuels : il ne s'agit pas de prendre en compte globalement un système contemporain étranger pour marquer différences et ressemblances ; il ne s'agit pas non plus de nous interroger sur le système concentrationnaire et internemental au XXe siècle, même si nous espérons, par ce travail, participer d'un tel débat. L'interrogation même sur la nature du phénomène amène à s'interroger sur ses limites compte tenu des aléas de ses fondements pratiques. On peut sans difficulté repérer les camps d'internement. Mais en situation exceptionnelle, 9 0 ainsi dans le maelström des premiers temps de la Libération, l'internement 0 2 b administratif ne s'est pas limité, loin de là, à ces camps. Des prisons, officielles e F ou improvisées, ont accueilli des internés, ce qui ne fut pas sans conséquence – 8 1 on le verra – sur les relations traditionnellement difficiles entre la Justice et - 1 n l'Intérieur. Mais la question peut se poser également pour les structures liées au o si r camp mais dont le statut est différent ; tel est le cas des Groupements de e v , travailleurs étrangers ou des lieux d'astreinte à résider. Sans faire l'impasse sur 3 2 5 le sujet, nous nous limitons aux internés. L'historien Christian Eggers parle 2 6 3 quant à lui de système en traitant de front ces trois degrés du contrôle des 0 0 - étrangers et des Juifs. Notre choix initial imposait une autre voie : trop de el t catégories différentes sont concernées et trop de régimes différents sont engagés dans le processus pour parler de système unique et cohérent qu'il faudrait analyser dans ses diverses modalités. DE MULTIPLES ACTEURS Si la cartographie des camps confirme sa diffusion dans l'espace français, on doit également mesurer l'implication de la société. Commençons par le plus évident : il y eut les internés et ceux qui les gardèrent. Mais est-ce déjà si évident parmi les gardes ? Il faut certes avoir une lecture classique, Introduction 4 hiérarchique, prenant en compte du gardien civil auxiliaire au directeur de camp, mais se côtoyèrent des hiérarchies différentes, souvent concurrentes, ainsi de la gendarmerie ou des Renseignements généraux, des douaniers ou des douairs, mais aussi des médecins. L'aide officielle aux internés passa aussi, et souvent d'abord, par les œuvres d'entraide. S'ajoute la machine administrative qui participa directement de l'entreprise. On pense aux services de la préfecture comme à ceux du ministère de l'Intérieur. Mais un camp ne peut vivre sans ravitaillement. Et si – période de pénurie oblige – se surimposa une administration spécialement en charge du ravitaillement, il y eut les entreprises et les particuliers qui fournirent les denrées nécessaires. En amont il fallut d'abord construire ces camps. Et voilà, à côté de l'administration des Ponts-et- 9 0 Chaussées, tous ceux, petits ou gros, qui construisirent ou fournirent les pièces. 0 2 b Quand vint le temps des transportations et des déportations, fut concernée au e F premier chef la SNCF, du conducteur au directeur général. Et que dire, au-delà, 8 1 de la société environnant le camp qui avait à « vivre avec » ; avec la présence - 1 n même des internés ; avec la vision des transferts et déportations ; avec les o si r bouleversements de l'économie locale. e v , La liste est loin d'être close, mais cet inventaire sommaire n'a pas pour 3 2 5 objet de fournir les bases d'un procès. La culpabilité collective n'est pas un 2 6 3 concept opératoire en histoire. Appliquée à l'histoire de la France des années 0 0 - noires et entretenue par un « devoir de mémoire » qui envahit l'espace social, el t elle débouche sur les simplifications les plus dangereuses pour l'exigence de connaissances. Pour autant cette énumération suffit à montrer, d'une part, l'importance du sujet, d'autre part, la difficulté majeure à prendre en compte des acteurs aussi nombreux et aussi différents. Prendre en compte ne signifie pas, bien au contraire, traiter sur un même pied. L'un des enjeux de notre travail tient dans la détermination des objectifs poursuivis par les autorités françaises. Comme les régimes ont changé et que les camps sont restés, on doit s'interroger sur la nature précise de ces objectifs en fonction des autorités de tutelle. En synchronie, l'imbrication des pouvoirs accroît la complexité du tableau. Il s'agit de traiter des camps français d'internement plus que des camps d'internement en France. Cela signifie que Introduction 5 Compiègne, depuis son ouverture, et Drancy, à dater de juillet 1943 et de la prise en main directe par les autorités allemandes, mais également les camps de la zone annexée d'Alsace-Moselle, ne sont pas retenus dans notre étude. Du moins en est-il ainsi pour la vie quotidienne des internés ou le fonctionnement des camps, mais pas pour le rôle de ces camps dans le processus de déportation. L'HISTOIRE DE L'HISTOIRE L'interrogation est là, cependant, pour souligner l'importance de la 9 0 0 production historiographique récente sur les camps d'internements. C'est sans 2 b doute l'un des fronts qui a connu le plus d'avancées. Si l'on ne trouve pas dans e F 8 cette abondante production de synthèse d'ensemble, plusieurs travaux 1 - scientifiques se sont essayés, avec succès, à dépasser les limites thématiques ou 1 n o chronologiques traditionnelles. Tel est le cas pour la thèse qu'Anne Grynberg a si er soutenue en 1989 ; consacrée à l'internement des Juifs de 1940 à 1942, elle v 3, englobe les camps espagnols de 1939 et ceux de la « drôle de guerre ». Cela lui 2 5 2 permet de poser deux des questions majeures du sujet : y a-t-il continuité entre 6 3 0 la Troisième République finissante et la France de Vichy ? Quel fut le rôle des 0 - el organisations d'entraide dans la situation des internés mais également, de facto, t dans le fonctionnement de la machine ? C'est toujours à la zone Sud que s'est tenu l'historien allemand Christian Eggers. C'est dans sa longue et riche thèse, soutenue en 1992, qu'il s'attarde sur la diversité des modalités de contrôle et d'exclusion. Mettant à juste titre en lumière l'articulation entre camps, groupements de travailleurs étrangers, lieux d'astreinte à résider, centres du Service social des étrangers, il avance que ce tissu complexe fait réseau et, au total, fait système. La piste est riche pour qui s'intéresse à mieux appréhender la politique d'exclusion du régime vichyssois et sa capacité à gérer les contraintes. Elle permet plus difficilement de comprendre l'internement dans la diversité des pouvoirs de tutelle et dans la durée. Avec les thèses d'Anne Introduction 6 Grynberg et de Christian Eggers, la connaissance de l'internement français a franchi, sans aucun doute, une étape importante3. Auparavant, les travaux monographiques s’étaient multipliés depuis la fin des années 1970. En la matière l'ouvrage publié en 1979 (en France) par un témoin, Hanna Schramm, et une historienne, Barbara Vormeier, est sans aucun doute pionnier. Depuis, la spécialisation est nécessaire pour mieux appréhender le phénomène : on s'intéresse, qui aux Allemands et Autrichiens, ressortissants de puissances ennemies à interner en priorité après la déclaration de guerre du 3 septembre 1939, qui aux Espagnols accueillis dans les conditions qu'on connaît après la Retirada en février 1939, qui aux Juifs, internés par Vichy pour la seule raison qu'ils étaient Juifs et étrangers après la loi du 4 octobre 9 0 1940 ou internés pour être transférés à Drancy, antichambre des camps de la 0 2 b mort, qui aux Tsiganes de zone Nord, internés à la demande des autorités e F occupantes dès l'automne 1940. Les monographies sont plus rares qui prennent 8 1 comme objet d'étude un camp et retracent leur histoire dans la durée. Il faut - 1 n mettre à part le travail de Claude Laharie qui, dès 1985, avait pu fournir un o si r long travail sur le camp de Gurs, fort d'une exploitation systématique des très e v , riches sources conservées aux archives départementales. Avec une chronologie 3 2 5 différente – Allemands et Autrichiens, Juifs dans un premier temps, Espagnols 2 6 3 et monographies de camps plus tardivement -, on est loin du champ de ruines 0 0 - que se plaît en général à décrire l'historien en ouverture de son travail, el t nécessairement et entièrement novateur, et que continuent à évoquer curieusement quelques agents de la mémoire sociale4. 3 Anne Grynberg, doctorat nouveau régime soutenu en 1989 à l'Université Paris 1 sous le titre Les Internés juifs des camps du sud de la France, 1939-1942. Assistance, solidarité, sauvetage (donnant l'ouvrage : Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, La Découverte, 1991) ; Christian Eggers, Im Vorzimmer zu Auschwitz. Juden aus Deutschland und Mitteleuropa in französischen Internierungslagern 1940-1942, Freie Universität Berlin, 1992, et son long article paru dans Le monde Juif. Revue d'histoire de la Shoah, sous le titre "L'internement sous toutes ses formes : approche d'une vue d'ensemble du système d'internement dans la zone de Vichy", pp. 7-75. 4 Hanna Schramm et Barbara Vormeier, Vivre à Gurs. Un camp de concentration français 1940-1941, Paris, Maspéro, 1979 ; Claude Laharie, Le Camp de Gurs 1939-1945. Un aspect méconnu de l'histoire du Béarn, Pau, Infocompo, 1985.

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