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Les anarchistes contre le mur PDF

135 Pages·2008·3.09 MB·French
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Corisande Jover Master 2 Recherche Relations Internationales UFR de Science politique Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Les Anarchistes Contre le Mur Un mouvement social de contestation politique en Israël Réalisé sous la direction de M. Yves Viltard Septembre 2007 0 Introduction « Le nom lui-même sonne comme un hybride des Monty Python et de Pink Floyd : les Anarchistes Contre le Mur »1. Le groupe évoqué par le journaliste du Jerusalem Post renvoie, il est vrai, une apparence pour le moins singulière. Formé majoritairement de jeunes Israéliens dont le style vestimentaire parfois exhibé n’est pas sans évoquer les mouvements punks des années 1970, il semble aujourd’hui devenir l’un des acteurs phares du militantisme contestataire local. Son action se situe directement au cœur du conflit israélo-palestinien, enjeu international s’il en est, que la plupart des travaux n’envisagent pourtant qu’à travers le prisme de ses implications interétatiques ou de son impact sur l’évolution des mouvements palestiniens nationalistes ou islamistes. Se voulant une contribution nouvelle à l’analyse du conflit israélo-palestinien, l’intérêt de ce travail réside donc dans l’étude d’un troisième type d’acteur, non-institutionnel, issu de la société israélienne. Il ne s’agira pas ici de sous-estimer le rôle central joué par l’Etat israélien dans l’évolution actuelle du conflit, mais davantage d’interroger les modalités d’une participation nouvelle, celle d’individus mobilisés dans la contestation de la politique menée au sein des Territoires palestiniens. Le choix des Anarchistes Contre le Mur dans la définition des contours de l’objet n’a toutefois pas été immédiat. La dénomination du groupe laissant imaginer son insertion dans un « mouvement anarchiste » global, il semblerait pertinent, ainsi que je l’avais d’abord envisagé, de ne le traiter qu’en tant qu’une partie du tout, dans une étude consacrée à la rencontre de l’anarchisme comme idéologie et mouvement avec le conflit israélo-palestinien. La recherche effectuée porterait alors sur un grand nombre de mouvements anarchistes, à partir d’un cadre théorique associant les relations internationales à l’histoire et la philosophie politiques. Néanmoins, les limites temporelles propres à ce travail et la pluralité des questions suscitées par les seuls militants israéliens encouragent une délimitation plus précise de l’objet, que nous choisirons donc de restreindre au groupe formé par les Anarchistes Contre le Mur. La question du degré et du type d’adhésion de ses militants aux principes fondateurs de l’anarchisme devra en effet être posée. Dans cette perspective analytique, la démarche qui sera adoptée dans l’étude du mouvement rejoint celle proposée par Luc Boltanski dans son étude sociologique des groupes professionnels2. Il s’agira d’envisager l’entité désignée par l’appellation « Anarchistes Contre le Mur » comme étant socialement construite, selon une 1 Matthew Gutman, « Another brick in the wall », Jerusalem Post, 29/12/2003. 2 Luc Boltanski, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Editions de Minuit, 1982. 1 dynamique mêlant l’intervention d’acteurs extérieurs aux perceptions développées par les individus concernés. L’intérêt de l’enquête de terrain et de l’analyse ultérieure de ses résultats repose alors sur la déconstruction de l’objet tel qu’il se donne initialement afin de mettre en évidence les processus ayant abouti à sa formation, qu’il s’agisse des modalités de son apparition en tant qu’ensemble reconnu ou des procédés symboliques à l’origine de sa définition idéologique. L’idée d’un « groupe » constitué par les militants des Anarchistes Contre le Mur ne signifie donc pas qu’on l’accepte en tant que tel, mais bien qu’on en interroge la cohérence et les caractéristiques : « essayer, derrière le substantif, de trouver la substance », propose Ludwig Wittgenstein3. Le nom même porté par le groupe introduit déjà la problématique qui sera celle de ce travail : tandis que l’anarchisme se présente d’emblée comme un internationalisme, avec pour objectif établi la réorganisation de la société selon des principes antiautoritaires préalablement définis, la thématique portée par son opposition au mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie situe sa mobilisation dans le temps et dans l’espace. La question soulevée par ce premier constat est celle de l’identité du groupe en tant qu’acteur, que nous tâcherons de définir en fonction du type de contestation qui lui est spécifique. Celle-ci pourrait être avant tout nationale, en réaction au contexte précis du conflit israélo-palestinien et de la politique menée par l’Etat israélien, ou davantage transnationale, dès lors qu’elle serait inscrite dans une revendication globale également partagée par des mouvements non-israéliens actifs en d’autres lieux. L’une des ambitions de ce travail sera ainsi de déterminer l’attache territoriale propre aux militants des Anarchistes Contre le Mur, selon une problématique pouvant être résumée ainsi : quelle est l’articulation entre les échelles locale, nationale et mondiale dans la mobilisation contestataire observée ? L’étude des militants israéliens sera également l’occasion de nous interroger sur l’existence, ou non, d’acteurs non-palestiniens susceptibles d’influer sur l’évolution du conflit israélo-palestinien. La notion de minorité active, suggérée par le psychologue social Serge Moscovici, n’est pas dénuée d’utilité dans la définition de cette perspective complémentaire : elle désigne les « groupes restreints actifs et idéologiquement cohérents capables d’entrainer des conflits et des changements dans leur société d’appartenance »4. Sans nous restreindre au cadre de la société israélienne, il s’agira ainsi d’évaluer tant la structure organisationnelle et idéologique du groupe que les variations introduites par son existence dans et autour du conflit israélo-palestinien. 3 Ludwig Wittgenstein, Le Cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1965, p. 25. 4 Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979. 2 Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’analyse de trois aspects essentiels à la compréhension du groupe. Le premier a trait à sa formation au début des années 2000 (Partie 1). Outre qu’elle nous renseignera sur les trajectoires militantes de ses membres, l’étude du processus d’auto-identification des individus au groupe en tant que tel permettra de contextualiser l’émergence de la contestation. Si la politique israélienne de construction d’une barrière séparant Israël des Territoires palestiniens semble déterminante dans l’apparition du nouvel acteur, la mise en évidence de l’existence d’un réseau mobilisable ainsi que des étapes successives de l’action collective feront apparaître ses spécificités au sein du paysage contestataire israélien. La seconde thématique que nous aborderons est celle de l’identité collective développée par les militants au fil de leurs interactions (Partie 2). L’étude des discours produits par les membres du groupe sera centrale dans l’identification de son idéologie spécifique, tant à l’égard du conflit israélo-palestinien que de ses revendications sociales plus générales. La question de l’action déployée par les Anarchistes Contre le Mur au sein du conflit israélo-palestinien retiendra également notre attention : élément essentiel de l’élaboration d’une identité partagée, nous verrons qu’il en résulte une reconnaissance accrue du groupe de la part d’acteurs multiples, israéliens ou non, en termes de légitimité et de visibilité. A partir des éléments d’analyse fournis par ces deux premières parties, il conviendra enfin de nous intéresser à l’inscription du groupe sur la scène mondiale (Partie 3). Son identité spécifique sera ainsi mise en perspective avec un ensemble de mouvements non-israéliens dotés de caractéristiques similaires, à la fois sources d’inspiration et de différenciation, parfois mobilisés à travers un processus actif de mise en réseau. Nous tâcherons de définir la participation des Anarchistes Contre le Mur au développement de la transnationalité, en fonction de leur implication en termes de réception et de diffusion d’idées, de modes d’action et d’information à l’échelle mondiale. La problématique et le plan de recherche ainsi définis nous encouragent à mobiliser deux champs théoriques complémentaires, celui de la sociologie de la mobilisation ainsi que celui de la sociologie des relations internationales. Le premier sera essentiel à l’analyse de l’action collective engagée par les militants israéliens des Anarchistes Contre le Mur, qui nous situerons plus particulièrement dans le domaine de la politique contestataire (contentious politics). Celle-ci est en effet définie par Sidney Tarrow comme « l’activité collective menée par les revendicateurs ou par ceux qui affirment les représenter, qui repose au moins en partie sur des formes non- institutionnelles d’interaction avec les élites, les opposants ou l’Etat »5. Les Anarchistes Contre le Mur seront ici envisagés en tant qu’acteur du conflit israélo-palestinien mais également en tant que 5 Sidney Tarrow, « Social Movements in Contentious Politics: A Review Article », American Political Science Review, 90 (4), pp. 874-883, p. 74. 3 mouvement social issu de la société israélienne. La notion de mouvement social relève selon Florence Passy de deux définitions théorique : l’une, représentée par les travaux d’Alberto Melucci, porte l’accent sur le rôle des identités ainsi que des perceptions entretenues par les individus sur le mouvement et le conflit social auquel ils participent ; la seconde est celle développée notamment par Charles Tilly et Sidney Tarrow, qui envisagent le mouvement social comme le résultat des interactions successives entre les détenteurs du pouvoir et les groupes organisés de la société civile dépourvus de représentation formelle6. Complémentaires dans l’étude des Anarchistes Contre le Mur, ces deux perspectives sur l’action collective ont en commun d’interroger les processus intervenant dans la mobilisation du groupe, de l’engagement individuel à l’élaboration de l’identité collective nécessaires à son inscription en tant qu’acteur du conflit. Le second champ théorique sur lequel reposera ce travail est celui des relations internationales, que nous choisirons d’aborder plus particulièrement dans son approche transnationaliste. La question de l’évolution du mouvement social national au sein d’un espace mondial caractérisé par la croissance des flux transnationaux sera en effet l’une des lignes directrices de notre étude des Anarchistes Contre le Mur. Elle nécessitera de recourir largement aux apports de la sociologie des réseaux, afin de rendre compte des interactions entre les échelles micro-sociologique et macro-sociologique propres aux mouvements sociaux contemporains, parfois transnationaux, que nous tâcherons d’identifier dans le cas des militants israéliens. L’imbrication entre national et mondial ainsi mise en évidence contribuera dès lors à l’analyse des relations internationales, en nous renseignant simultanément sur l’évolution des flux transnationaux ainsi que sur le poids de l’Etat-nation dans la formation du militantisme. Appui essentiel à la compréhension de notre sujet, cet éclectisme théorique inscrira les résultats de l’enquête de terrain dans une perspective plus large de définition de l’action collective contestataire au sein des réseaux transnationaux. Il convient à présent de revenir, dans un chapitre introductif, sur les modalités méthodologiques de l’enquête ayant permis la réalisation de ce travail. 6 Florence Passy qualifie la première de « culturaliste » et la seconde de « politologique », voir Florence Passy, L’Action altruiste, Genève, Librairie Droz, 1998. 4 Chapitre introductif : Notes méthodologiques sur l’enquête de terrain ******** L’enquête de terrain qui a rendu possible ce travail a été réalisée en février 2007, et repose sur une combinaison d’entretiens et d’observations directes menées tant en Israël qu’en Cisjordanie. La Bande de Gaza, dont l’accès est conditionné par l’octroi d’une autorisation préalable des autorités israéliennes, demeure de fait une terre inconnue pour les Israéliens des Anarchistes Contre le Mur et a par conséquent été exclue du terrain étudié. Le présent chapitre vise à rendre compte des difficultés éprouvées lors de l’enquête, dans une zone de conflit nécessairement empreinte de violence et porteuse d’interactions complexes avec les acteurs en présence. La question de la posture du chercheur au sein du conflit et face aux enquêtés est alors posée avec d’autant plus d’acuité que les données obtenues résultent d’une double rencontre entre l’engagement scientifique et l’engagement militant : celle établie dans la relation enquêteur-enquêtés, mais aussi celle touchant l’enquêteur lui-même, confronté à une dualité des rôles lorsqu’il se joint aux activités militantes du groupe étudié7. Les modalités méthodologiques de l’enquête par entretiens seront enfin abordées, afin de préciser les contours et les limites propres au travail réalisé. Enquêter en terrain difficile : le chercheur face à la violence quotidienne En septembre 2006, les Palestiniens du village de Bil’in organisent une petite fête en l’honneur d’un Israélien touché quelques semaines plus tôt par le tir d’un officier de la police des frontières israélienne8. Limor Goldstein, 28 ans, qui porte les séquelles d’une blessure grave à la tempe, demeure étrangement silencieux face aux chants et aux souhaits de bon rétablissement qui affluent. Les retrouvailles avec les Palestiniens de Bil’in et ce premier retour sur le lieu de l’incident semblent douloureux, malgré la présence à ses côtés de ses amis des Anarchistes Contre le Mur. Cet 7 Deux dossiers fourniront à cette note méthodologique des références précieuses : Cultures & Conflits (Éd.), « Dossier : Les risques du métier : engagements problématiques en sciences sociales », (47), automne 2002, pp. 5-192, et la Revue française de science politique (Éd.), « Dossier : Enquêter en milieu « difficile » »,57 (1), février 2007, pp. 5-90. 8 Bil’in est un village palestinien d’environ 1700 habitants situé à l’Ouest de Ramallah. Les terres appartenant aux villageois de Bil’in sont aujourd’hui traversées par le mur de séparation israélien. Voir carte en Annexe 2, p. 122. 5 épisode, qui fut pour moi la première rencontre avec le groupe que je déciderai plus tard d’étudier, illustre à lui seul les difficultés présentées par l’enquête de terrain dans les Territoires palestiniens. En premier lieu, il s’agit bien pour le chercheur de faire face à la charge émotionnelle forte portée par les acteurs. En de telles circonstances, le vécu traumatique n’est plus seulement celui d’un individu isolé : inscrit dans la mémoire collective des personnes témoins de l’incident, son empreinte sur les villageois comme sur les activistes israéliens procède ensuite d’une « collectivisation du destin individuel », susceptible d’atteindre de même le chercheur qui travaillerait à leur contact ou dans ce même village9. D’autre part, cet exemple permet d’entrevoir la violence propre au terrain étudié, à savoir la Cisjordanie, que Vincent Romani qualifie de diffuse et d’imprévisible10. Diffuse, car elle n’est pas seulement celle des armes et de l’usage des armes. Les successions de contrôles d’identité auxquels l’étranger est soumis au même titre que les Palestiniens, qu’ils aient lieu lors des passages de checkpoints ou simplement dans la rue, les patrouilles policières et militaires fréquentes, les interrogatoires parfois très longs subis au passage des frontières internationales, forment un dispositif de coercition omniprésent dont résulte un sentiment d’insécurité physique constant. L’enquêteur étranger est alors amené à modifier son comportement par des micro-mesures routinisées de protection, en dissimulant notamment les raisons de sa présence en Cisjordanie, ou d’information, pour faire face aux incertitudes sur les possibilités et durées des déplacements de village à village, dues aux attentes répétées aux checkpoints. Les cas d’irruption soudaine de la violence auxquels peut être confronté l’enquêteur sont de plusieurs natures : parfois attendue, lors des manifestations routinières contre le mur par exemple, la violence peut également surprendre l’enquêteur par son imprévisibilité. Ainsi, les affrontements opposant lanceurs de pierres et forces israéliennes au checkpoint de Qalandya en février 2007, ou encore les attaques de colons contre des militants israéliens et étrangers dans les collines du Sud d’Hébron, constituent ce que Valérie Amiraux et Daniel Cefaï appellent des « situations limites », c’est-à-dire des contextes de menace – réelle ou perçue – pour le corps de l’enquêteur11. Celui-ci se trouve alors physiquement exposé au danger, sa citoyenneté étrangère ne garantissant plus nécessairement son intégrité physique. 9 Selon Vincent Romani, qui emploie cette notion de « collectivisation du destin individuel », le processus de projection, voire de dilution, d’une trajectoire individuelle et de ses souffrances au sein d’un collectif permettrait de donner un sens au traumatisme tout en en atténuant les effets sur l’individu. Voir Vincent Romani, « Enquêter dans les Territoires palestiniens. Comprendre un quotidien au-delà de la violence immédiate », Revue française de science politique, op.cit., pp. 27-45, p. 31. 10 Ibid. 11 Valérie Amiraux, Daniel Cefaï, « Les risques du métier. Engagements problématiques en sciences sociales », Cultures & Conflits, op.cit., pp. 15-48, p. 16. Le checkpoint de Qalandya est un point de passage obligatoire pour toute personne souhaitant se déplacer entre Jérusalem-Est et le nord de la Cisjordanie ; il est situé entre Jérusalem et Ramallah. 6 Toute enquête de terrain dans les Territoires palestiniens contient donc un engagement corporel et psychologique de la part du chercheur, dont l’intensité dépend largement du choix du lieu d’habitation retenu. Séjourner en Cisjordanie constitue indéniablement un gage de confiance pour les Palestiniens, tout en n’altérant pas la qualité de l’enquête réalisée sur des militants israéliens tels que les Anarchistes Contre le Mur. Une telle immersion en territoire palestinien contient toutefois un risque important en termes d’intériorisation des craintes et des affects collectifs, qui tend à troubler la perception de la violence inculquée par les référents européens de même qu’à sous-estimer les situations de mise en danger de soi vécues par le chercheur. En résulte une prise de risque accrue, potentiellement néfaste pour le bon déroulement de l’enquête : l’attachement au sujet et l’envie de le mener à bout peuvent alors s’avérer salvateurs, lorsque la crainte d’une blessure ou d’une arrestation qui marqueraient la fin du travail de recherche encouragent l’enquêteur à s’éloigner d’une situation de danger. Consciente de ces risques, j’avais pour ma part choisi le compromis en séjournant à Jérusalem-Est : vivant dans un environnement palestinien, je limitais néanmoins mon appartenance au terrain et échappais ainsi au risque du sentiment d’enfermement décrit par Vincent Romani par ma proximité avec la partie Ouest, israélienne et plus touristique, de la ville12. Cette introduction sur les spécificités de l’enquête en terrain difficile ayant posé le cadre nécessaire à la compréhension de l’environnement de recherche, il s’agit à présent de s’intéresser aux modalités concrètes de l’enquête en abordant la question des interactions avec les enquêtés et des difficultés qu’elles comportent. De la proximité à la distanciation, le dilemme de l’interaction avec les enquêtés Les récits ayant trait au déroulement des enquêtes de terrain font émerger un schéma relationnel du chercheur aux enquêtés partant d’une posture distanciée, progressivement mise à mal par l’intensification des liens interpersonnels et aboutissant souvent à une proximité accrue. L’application de ce schéma dans ce travail sur les Anarchistes Contre le Mur semblait d’autant plus redoutable que les circonstances m’ayant amenée à l’envisager étaient déjà celles d’un engagement militant commun dans les Territoires palestiniens. « L’engagement du chercheur dans son objet est donc toujours problématique. Implications personnelles, intérêts professionnels, convictions militantes : les raisons de la recherche sont souvent inextricables », écrivent Valérie Amiraux et 12 Vincent Romani, « Enquêter dans les Territoires palestiniens… », op.cit., p. 34. 7 Daniel Cefaï13. A l’origine de ce travail se trouve une forme d’anthropologie militante, répondant au désir de témoigner d’un mode de coopération entre Palestiniens et Israéliens tout en rendant compte de la spécificité d’un groupe suscitant à maints égards la curiosité de l’observateur étranger. L’observation directe se devait donc d’être partiellement participante, tandis que la sympathie ressentie à leur égard risquait de compromettre la qualité scientifique de la recherche effectuée. Outre ce biais originel, le rapport nécessairement affectif liant ensuite le chercheur-acteur aux enquêtés dans les situations limites décrites précédemment peut aboutir à l’élaboration d’une logique ami-ennemi partagée, fondée sur un vécu commun pendant la durée de l’enquête. Ceci laissait craindre de ma part une difficulté accrue à contrôler la nature des informations transmises, et plus généralement à maintenir une posture d’engagement distancié souvent érigée comme une garantie de « vérité ». Plusieurs remarques s’imposent néanmoins. L’immersion partielle, dans des séquences de vie des enquêtés, ajoutée à la violence du terrain, semble rendre illusoire le modèle de neutralité et d’extériorité auquel souhaiterait parvenir le chercheur. L’alternance entre deux pôles, du point de vue des acteurs à l’intérieur du champ à la position critique de l’observateur extérieur, qui est rendue possible par une participation limitée aux activités du groupe étudié, ne garantit nullement sa capacité de distanciation affective. D’autre part, l’extériorité au terrain peut aussi apparaître comme un désavantage face à des individus peu enclins à partager leurs récits de vie14. Outre le statut d’étudiante à l’Université de la Sorbonne, qui m’a fait bénéficier d’une position sociale prestigieuse dans mes rapports avec les Israéliens et jusque dans les Territoires palestiniens, mon engagement militant et le partage de valeurs communes qui y était associé m’ont offert des opportunités d’entretien non négligeables. A titre d’exemple, c’est à la suite d’une manifestation à laquelle je participais avec certains membres des Anarchistes Contre le Mur que j’ai pu m’entretenir avec une personnalité importante du Fatah à Ramallah, avant de l’interroger plus longuement sur la nature de ses relations avec les Israéliens de ce groupe. Davantage que ces convictions militantes, ce sont surtout les connaissances interpersonnelles qu’elles m’ont permis d’établir qui se sont révélées décisives dès mon arrivée sur le terrain d’enquête. La confiance accordée par le représentant palestinien de l’International Solidarity Movement (ISM), organisation dans laquelle je m’étais engagée au cours d’un séjour précédant en Cisjordanie, ainsi que l’aide fournie par une militante israélienne des Anarchistes Contre le Mur rencontrée en France, ont constitué le point de départ de ma recherche. Si la mesure de ces contributions demeure impossible à évaluer, il semble néanmoins 13 Valérie Amiraux, Daniel Cefaï, « Les risques du métier… », op.cit., p. 46. 14 Voir à ce sujet l’article d’Elise Massicard, « Etre pris dans le mouvement. Savoir et engagement sur le terrain », Cultures & Conflits, op.cit., pp. 117-143. 8 qu’elles m’aient permis d’établir un contact plus rapide avec les acteurs israéliens comme palestiniens, en les encourageant par ailleurs à répondre d’autant plus librement à mes questions qu’ils savaient trouver en moi un écho favorable à leurs propos. Les craintes préalables que j’éprouvais de voir mon enquête limitée par une méfiance des Anarchistes Contre le Mur à l’égard d’un observateur étranger au groupe ont ainsi été rapidement dissipées : en me communiquant des informations pratiques sur leurs activités, ou encore en me transmettant des documents susceptibles de contribuer au travail de recherche que je menais, ils ont l’ont facilité sans toutefois en orienter les résultats. L’intervention du chercheur comme nouvel acteur du conflit n’est certainement pas sans impact sur l’objet étudié lui-même. De l’aveu même des Palestiniens, le discours scientifique devant être produit constituerait une ressource au moins aussi utile que le travail journalistique, en tant qu’il remplit une fonction de témoignage et qu’il accroit la visibilité internationale des activités menées. Ceci tient à une perception assez répandue de l’étranger en Cisjordanie sinon comme garantie, du moins comme vecteur de protection physique face aux forces israéliennes ainsi que de légitimation sur la scène médiatique internationale. Si les attentes semblent moindres de la part des Israéliens, il n’en reste pas moins que le travail mené par le chercheur et sa présence à leurs côtés joue un rôle certain dans l’existence même du groupe de conflit aux yeux de ses militants, de ses sympathisants, de ses partenaires ou de ses opposants, c’est-à-dire dans les perceptions qui lui sont attachées. L’intervention de la recherche dans le domaine de l’action peut ainsi créer une situation artificielle devant être explicitement reconnue, bien que ses effets variables soient difficilement mesurables à court terme. Les limites de l’enquête par entretiens Par la technique des entretiens, le chercheur est susceptible d’attirer l’attention des enquêtés sur des thématiques parfois peu explorées, avec le risque de contribuer à l’élaboration d’un discours « sur le vif » dont on pourrait surestimer le poids. De même, par l’application de l’enquête rétrospective que m’imposait le temps court du travail de terrain, il ne m’a été permis d’obtenir des enquêtés que des itinéraires de vie reconstitués a posteriori et peu détaillés. Une enquête prospective aurait sans doute été plus fertile, qui aurait mis en évidence des trajectoires militantes par observation directe en évitant l’écueil d’une reconstruction subjective des raisons d’agir par les 9

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Le nom lui-même sonne comme un hybride des Monty Python et de Pink Floyd : les. Anarchistes Contre le Mur »1. Le groupe évoqué par le journaliste du Jerusalem Post renvoie, il est vrai, une apparence pour le moins singulière. Formé majoritairement de jeunes Israéliens dont le style vestiment
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