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Les Ailes du corbeau PDF

208 Pages·1986·1.15 MB·French
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-1- ELLIS PETERS LES AILES DU CORBEAU Traduit de l’anglais par Serge CHWAT -2- Edith Pargeter, alias Ellis Peters, né en 1913 se passionne pour le Moyen Age, en particulier les XIIe et XIIIe siècles anglais. Auteur de soixante romans historiques dont quinze criminels sur fond d’histoire médiévale, c’est à ces derniers qu’elle réserve son nom d’emprunt. En 1977, Ellis Peters crée avec son roman Trafic de reliques frère Cadfael, ce détective inhabituel dont elle prolonge désormais la chronique de livre en livre. Titre original : The Raven in the Foregate -3- -4- CHAPITRE PREMIER En ce premier jour de décembre, l’abbé Radulphe arriva au chapitre, le visage morose et préoccupé, et il expédia sans tarder les affaires courantes que lui amenaient ses obédienciers. Bien qu’il ne fût pas homme à se laisser aller à de longs discours, il était en général disposé à accorder à ceux qui étaient moins directs dans leur façon de s’exprimer tout le temps pour en venir au fait ; mais, ce jour-là, il était évident qu’il avait d’autres chats à fouetter. — Je dois vous dire, commença-t-il, après avoir résolu d’une manière satisfaisante le dernier point d’importance médiocre, que je vais devoir vous laisser pendant quelques jours sous la houlette du père prieur vis-à-vis duquel je vous demande, ce qui me paraît normal, de vous montrer aussi respectueux et coopératifs qu’envers moi-même. Je suis convoqué à un concile qui doit se tenir à Westminster le 7 de ce mois sous la présidence du légat du Saint-Père, Henri de Blois, évêque de Winchester. Je reviendrai aussitôt que possible, mais en mon absence, je voudrais que, dans vos prières, vous demandiez que descende sur cette assemblée de prélats un esprit de sagesse et de réconciliation, afin que cette terre retrouve la paix. Il s’exprimait d’une voix calme et sèche, avec une pointe de résignation. Au cours des quatre années passées, la réconciliation n’avait pas vraiment fait recette entre les partis rivaux qui se disputaient la couronne, et on n’avait guère montré de sagesse d’un côté comme de l’autre. Mais c’était le devoir de l’Eglise de continuer dans ce sens et de garder espoir, dans la mesure du possible, même si les affaires du pays semblaient être revenues au point où elles se trouvaient quand avait éclaté la guerre civile, et si chacun paraissait prêt à -5- recommencer les mêmes erreurs. — Je me rends bien compte qu’il y a des choses importantes ici qui requièrent également notre attention, poursuivit l’abbé, mais elles devront attendre mon retour. Il y a en particulier la question de la succession de frère Adam, le précédent vicaire de la paroisse de Sainte-Croix, dont nous portons encore le deuil. C’est à notre maison que revient son bénéfice. Pendant bien des années, frère Adam s’est montré un collaborateur très estimé dans le service de Dieu et la guérison des âmes, et son remplacement est à la fois une question de prière et de réflexion. Jusqu’à mon retour, le père prieur dirigera les services de la paroisse au mieux de ses capacités et chacun de vous se mettra à sa disposition. Il jeta un long regard sombre sur toute la salle capitulaire, prit le silence de chacun pour une acceptation tacite et se leva. — Le chapitre est terminé. — Eh bien, s’il part demain, il aura beau temps pour voyager, c’est déjà ça, dit Hugh Beringar, regardant le jardin aux simples, depuis la porte grande ouverte de l’atelier de frère Cadfael, l’herbe encore verte et quelques roses encore vivaces, très hautes à présent et passablement maigrelettes, mais qui fleurissaient courageusement. En cette année de grâce 1141, décembre était venu tout doucement, sur la pointe des pieds, avec des brises légères, des ciels légèrement voilés. — Comme tous ceux qui ont tourné casaque et se sont jetés dans les bras de l’impératrice quand sa gloire était au zénith, dit Hugh avec un sourire en coin, et qui se trouvent forcés de se montrer discrets aujourd’hui en attendant de changer à nouveau de camp. Ils doivent être assez nombreux à retenir leur souffle et à se faire tout petits pour l’instant. — Manque de chance pour notre légat pontifical, murmura Cadfael, qui, lui, ne peut guère se permettre de rester au second plan ou dans la coulisse, malgré qu’il en ait. S’il retourne sa veste, il faudra que ça se passe au grand jour, sous le regard de chacun. Et deux fois dans la même année, c’est quand même beaucoup, même pour quelqu’un comme lui. -6- — Mais voyons, Cadfael, au nom de l’Eglise, tout est possible ! Ce n’est pas l’homme qui change, mais le représentant du pape et de l’Eglise, dont il a le devoir de préserver l’infaillibilité à tout prix. Il est vrai qu’Henri de Blois avait convoqué deux fois en un an ses évêques et abbés pour un concile de légats, une fois à Winchester le 7 avril pour justifier son rapprochement avec l’impératrice Mathilde, au moment où son étoile montait et où son rival le roi Etienne était dans un cul-de-basse-fosse au château de Bristol, et à présent le 7 décembre à Westminster pour justifier son retour vers Etienne, maintenant que ce dernier était de nouveau libre, et que la cité de Londres avait mis un holà sans appel aux efforts de Mathilde pour s’installer dans la capitale et s’emparer enfin de la couronne. — S’il n’a pas la tête qui tourne en ce moment, ce n’est pas normal, dit Cadfael opinant du chef où grisonnait sa tonsure, partagé entre l’admiration et le mépris. Combien de fois a-t-il changé de camp ? Primo, il a prêté serment à l’impératrice quand le père de Mathilde est mort sans héritier mâle ; secundo, il a fermé les yeux quand son frère Etienne s’est emparé du pouvoir en l’absence de la dame ; tertio, quand l’étoile d’Etienne est sur le déclin il se rabiboche avec la dame – enfin, si l’on peut dire ! – et s’en justifie en accusant Etienne d’avoir trompé et peiné la sainte Eglise... Le tout est de savoir s’il va se servir du même argument contre l’impératrice ou s’il a une nouvelle idée derrière la tête. — Que dire d’autre ? demanda Hugh avec un haussement d’épaules. Mais non, il utilisera au maximum son appartenance à notre sainte mère l’Eglise, d’autant plus facilement que tous les participants auront déjà entendu cette litanie, et ce, pas plus tard qu’en avril dernier. Etienne ne sera pas plus convaincu que Mathilde ne l’a été, mais il s’inclinera, avec un petit ricanement peut-être, puisque lui non plus ne peut pas se permettre, pas plus que Mathilde il y a quelques mois, de mettre sur la touche Etienne de Blois. Notre évêque grincera des dents, regardera ses clercs droit dans les yeux et ravalera sa bile sans pouvoir broncher. — Il n’aura peut-être plus d’occasion de trahir ses associés, -7- émit Cadfael, attisant son feu de quelques coups de tisonnier judicieusement distribués pour qu’il continue à brûler doucement sans donner de grandes flammes. Elle a probablement gâché sa dernière chance de ceindre la couronne. La fille du feu roi Henri s’était en effet étrangement comportée. Mariée dès l’enfance au souverain du Saint-Empire romain germanique, Henri V, elle s’était si bien entendue avec les sujets de son époux que, quand elle fut rappelée en Angleterre à la mort de ce dernier, le peuple entier, consterné, s’était unanimement dressé pour la supplier de rester. Et pourtant dans son propre pays, alors que la fortune des armes jetait son ennemi entre ses mains et la mettait à deux doigts de prendre possession du trône, elle s’était comportée avec tant d’arrogance vindicative et s’était vengée si brutalement des affronts qu’elle avait subis que les habitants de Londres s’étaient soulevés, tout aussi unanimement, non pas pour lui demander de rester, mais pour la chasser manu militari et mettre le point final à ses espoirs de devenir un jour leur souveraine. Tout le monde savait qu’elle pouvait se montrer particulièrement virulente envers ses propres alliés tout en étant capable, chez les premiers de ses barons, d’inspirer une fidélité et un amour indéfectibles. Parmi la haute noblesse qui avait pris le parti d’Etienne, aucun n’arrivait à la cheville de son demi-frère, le comte Robert de Gloucester, ou de son champion (et amant, paraît-il), Brian FitzCount, son paladin du monde oriental dans sa forteresse de Wallingford. Mais il faudrait plus de deux héros pour lui sauver la mise à l’heure actuelle. Pour récupérer son demi-frère, sans qui il était vain d’espérer arriver à quoi que ce soit, elle avait dû libérer son prisonnier royal. Et l’Angleterre était revenue à son point de départ ; tout était à recommencer. Car si elle ne pouvait pas gagner, elle ne pouvait pas non plus renoncer à la lutte. — De là où je me trouve, dit Cadfael, méditatif, tout cela paraît étrangement lointain et irréel. Si je n’avais pas passé quarante ans dans le siècle et porté les armes moi-même, je me demande si je pourrais considérer l’époque dans laquelle nous vivons autrement que comme un mauvais rêve. — Votre abbé ne doit pas voir les choses sous le même -8- angle, suggéra Hugh avec une gravité inhabituelle. Il tourna le dos au spectacle reposant, humide qu’offrait le jardin qui commençait à s’enfoncer dans son sommeil hivernal, et vint s’asseoir sur le banc de bois appuyé à la cloison. Les flammes discrètes du foyer, sous leur couche de tourbe, se reflétaient sur ses pommettes, ses mâchoires et ses sourcils au dessin hardi et fin, les détachant de la pénombre et allumant de brèves étincelles dans ses yeux noirs avant qu’il ne batte des paupières garnies de longs cils. — Cet homme, poursuivit-il, serait de bien meilleur conseil pour les rois que la plupart des hommes qui se pressent autour d’Etienne maintenant qu’il est de nouveau libre. Mais comme il ne leur dirait pas ce qu’ils ont envie d’entendre, ils refuseraient tous de l’écouter. — Et, à propos, comment va Etienne ? Comment a-t-il supporté son année de captivité ? Est-ce qu’il se sent capable de reprendre le combat, ou a-t-il perdu son ardeur guerrière ? Comment va-t-il se comporter maintenant ? — Je pourrai sûrement vous en dire plus après Noël, répliqua Hugh. A ce qu’on dit, il est en bonne santé. Mais elle l’a fait enchaîner et ça, il aura sûrement du mal à le lui pardonner. Il est sorti plus maigre et affamé qu’il n’était entré, et d’avoir connu la faim lui aura peut-être mis du plomb dans la cervelle. C’est tout à fait le genre d’homme à être tout feu tout flamme le premier jour d’une campagne ou d’un siège, à se lasser le troisième jour s’il n’a pas emporté le morceau et à suivre un autre gibier avant la fin de la semaine. Aujourd’hui il a peut-être appris à se concentrer sur un problème jusqu’au bout avant d’en aborder un autre. Il m’arrive de me demander pourquoi on le suit tête baissée, puis je le vois lancer son cri de guerre et se jeter à corps perdu dans la mêlée, comme à Lincoln, et j’arrête de me poser des questions. Tiens, quand il a eu cette femme à sa merci, le jour où elle débarqua à Arundel, il lui a donné une escorte pour se rendre au château fort de son frère au lieu de se conduire normalement et de s’assurer de sa personne ! Alors là, sa sottise m’indigne, mais en même temps je ne peux m’empêcher de l’aimer. Quelle folie grandiose, quelle imprudence chevaleresque va-t-il commettre la prochaine fois, -9- Dieu seul le sait ! Mais je ne manquerai pas l’occasion de le revoir, et j’essaierai de découvrir ce qu’il a derrière la tête. Moi aussi, Cadfael, j’ai prêté serment, comme l’abbé. Cette année le roi Etienne compte passer Noël à Canterbury et coiffer de nouveau la couronne afin que tous puissent voir qui est vraiment l’oint du Seigneur ici. Il a demandé à tous les shérifs de venir auprès de lui et de lui rendre leurs comptes, chacun pour son comté. Moi comme les autres, puisque nous n’avons pas de shérif officiellement nommé pour jouer ce rôle. Il leva son visage brun et adressa à Cadfael, attentif et réfléchi, un sourire en coin. — C’est une démarche qui s’impose. Il a besoin de savoir sur qui il peut vraiment encore compter au terme d’une année de prison, ou pas loin d’une année. Mais inutile de se cacher la vérité, je ne suis pas sûr de revenir shérif. Pour Cadfael, ce fut une idée nouvelle autant que dérangeante. Hugh avait été forcé d’exercer cette responsabilité quand son supérieur, Gilbert Prestcote, était mort des suites de ses blessures reçues au combat, achevé peu après par le geste d’un désespéré1 ; à cette époque, le roi était déjà prisonnier au château de Bristol et dans l’incapacité de nommer ou de destituer aucun officier dans aucun de ses comtés. Hugh l’avait servi et maintenu la paix ici sans en avoir l’autorité, et avait bien mérité du royaume. Mais aujourd’hui, le roi était libre de faire ou de défaire les nominations. Allait-il maintenir sur son poste un officier aussi jeune et de si petite noblesse, ou utiliser son pouvoir pour flatter et s’attacher un quelconque baron des marches ? — Plaisanterie ! affirma Cadfael sans ambages. Il ne se conduit bêtement qu’envers lui-même. Il vous a nommé shérif adjoint, comme ça, quand il vous a vu à l’œuvre. Qu’en dit Aline ? Il suffisait à Hugh d’entendre le prénom de sa femme pour que son visage maigre et subtil s’adoucisse aussitôt d’un sourire chaleureux, et Cadfael ne pouvait le prononcer, fût-ce en une 1 Voir Cadfael-9] la Rançon du mort du même auteur dans la même collection, n°2152. -10-

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