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Les Ailes de la colère PDF

391 Pages·2013·2.17 MB·French
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Celia S. Friedman Les Ailes de la colère La Trilogie des Magisters – tome 2 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Claude Mallé Bragelonne À Betsy Wollheim, Une éditrice formidable, Une muse hors du commun, Et une amie très chère. P ROLOGUE Les dieux arrivaient. Enfonçant ses doigts noirs de suie dans le flanc du volcan, le garçon se pressa contre la terre et la roche chaudes. Des fragments de lave et des cendres encore brûlantes s’infiltrèrent sous ses ongles, lui blessant cruellement la peau. Il s’en aperçut à peine, car toute son attention était rivée sur le ciel – en particulier les rares endroits où on apercevait un carré de bleu entre les épais nuages sombres. Les dieux seraient bientôt là. Il le fallait. Ils ne refuseraient pas le sacrifice. De son point d’observation élevé, le garçon voyait parfaitement les six filles terrorisées et folles de douleur qui se pressaient les unes contre les autres sur la pente du cratère. Très jeunes – l’âge du gamin, voire moins –, les sacrifiées portaient toutes une plaie béante à l’arrière de la cheville. Une précaution prise par les prêtres avant qu’on les jette dans le volcan. Le tendon d’Achille coupé, ces victimes désignées ne pourraient pas échapper à leur destin en se précipitant dans le puits de lave. Les dieux détestaient que les sacrifiées meurent trop vite. Quand ils étaient mécontents, le Sommeil Noir frappait – alors, les enfants mourraient et les céréales, faute de bras pour les récolter, pourrissaient sur pied dans les champs. Les filles étaient vraiment terrifiées. Quand l’une d’elles hurla de peur, le garçon ne parvint pas à voir de laquelle il s’agissait. Pour être franc, il ne s’appesantit pas sur la question. La Terre du Soleil n’était pas bien vaste, et il connaissait tous ceux qui y vivaient… Mais une fois choisie pour le Sacrifice, une fille perdait son nom et son identité pour devenir simplement « Tawa », le prénom réservé aux servantes des dieux. En ce jour, il aurait été horrible de penser à elles comme à des amies – des petites compagnes qui chahutaient avec le gamin, répondaient à ses plaisanteries et ne répugnaient pas à jouer parfois à « montre-moi le tien et je te ferai voir la mienne ». Désormais, elles n’étaient plus que des agneaux sacrificiels attendant les dieux qui les dévoreraient. De la nourriture ! Les prêtres ne le précisaient jamais, pourtant, il s’agissait bien de ça. Dans la Terre du Soleil, tout le monde le savait, même si personne ne l’aurait jamais dit à voix haute. Un père pouvait renoncer à sa fille pour qu’elle devienne l’épouse d’un dieu. Quand on présentait les choses ainsi, ce sacrifice ne manquait pas de grandeur. Mais comment se rengorger d’avoir laissé la chair de sa chair être engloutie comme un vulgaire quartier de viande ? Dès qu’on voyait les choses ainsi, les fleurs piquées dans les cheveux des gamines n’évoquaient plus des couronnes nuptiales – le symbole d’une communion surnaturelle – mais une sorte de macabre bouquet garni. Quant aux cris des sacrifiées, loin d’être les râles de plaisir d’une vierge découvrant l’amour entre les bras d’un époux puissant, ils devenaient de simples hurlements de terreur et de souffrance. Les couinements désespérés d’un cochon qu’on égorge… Pas étonnant qu’aucun villageois ne soit jamais resté en arrière pour savoir si le sacrifice était accepté ! Quand on y regardait de trop près, les illusions de sainteté ne résistaient pas longtemps à la réalité. Soudain, les nuages parurent… s’agiter. La respiration du garçon s’accéléra, lui valant une bonne quinte de toux provoquée par les émanations sulfureuses qu’il inhalait. Fermant les yeux, il se força au silence tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues. Il ne fallait surtout pas que les dieux s’intéressent à lui avant qu’il soit prêt. Surtout s’ils risquaient de le prendre pour une composante du sacrifice… La toux maîtrisée, une belle victoire de l’esprit sur la chair, l’enfant rouvrit les yeux. Bien entendu, ils étaient là. Si purs, oui, tellement purs – des couleurs éclatantes sur le fond rouge du ciel, leurs ailes diaphanes rappelant celles des insectes, n’étaient leur taille extraordinaire et leur puissance. À chaque battement, une colonne de poussière et de cendres s’élevait du sol tel un tourbillon miniature. Comme l’océan sous la lune naissante, leur corps brillant était parcouru de reflets bleus et pourpres – sans parler d’autres couleurs dont le gamin ignorait le nom et qu’il voyait pour la première fois. Tel un rideau de glace irisé de veines cobalt, les ailes des dieux gelaient l’air tout autour d’eux. Plus agiles que des phoques dans l’eau, ils se frayaient avec grâce un chemin entre les nuages empoisonnés. Selon les prêtres, tout être humain qui osait regarder directement les dieux se condamnait à mort. Malgré ces augures, le gamin ne baissa pas les yeux, la peur balayée par le désir de contempler, de comprendre et de s’approprier un si formidable pouvoir. Les unes après les autres, les fantastiques entités jaillirent hors des nuages puis traversèrent les fumées méphitiques en direction du cratère. Les filles ne criaient plus… Toutes tremblaient encore de peur, et l’une d’elles gémissait de douleur. À part cela, alors que les ailes géantes généraient de petits cyclones autour d’elles, les sacrifiées ne bronchaient plus, hypnotisées par l’extraordinaire beauté de leur futur époux. Même de loin, le garçon sentait la puissance brute qui émanait des dieux. Ce contact à distance lui glaçait le sang. En même temps, il le faisait bouillir dans ses veines d’une étrange façon, comme s’il avait espionné les filles tandis qu’elles se baignaient nues dans une source chaude. Incapable de bouger, muet comme une tombe, il regarda les dieux approcher lentement de leurs promises. La souffrance et l’angoisse oubliées, les jeunes épouses, étendues sur le dos, écartaient les bras comme pour accueillir un amant. Un spectacle grotesque, en un sens… Mais assez fascinant, cependant, pour que le garçon ne puisse pas en détourner les yeux. Pour le moment, aucun dieu ne semblait l’avoir remarqué – ou l’avoir jugé digne d’une once d’attention. À part les jeunes victimes, un membre de son peuple avait-il jamais vu les dieux de si près ? Le garçon aurait juré que non. Et pour la première fois depuis qu’il était parti de chez lui, il pensait sérieusement vivre assez longtemps pour voir son plan se dérouler jusqu’au bout. Et si ça fonctionnait… Si ça fonctionnait… Il n’osait même pas imaginer ce qui arriverait. Apparemment, une des filles était morte. Comment avait-elle perdu la vie ? L’aile aux reflets bleus d’un dieu s’était tendue vers elle, comme pour frapper, mais elle s’était rétractée brusquement quand son propriétaire avait repris de l’altitude pour aller rejoindre ses compagnons dans le ciel. En s’élevant, le dieu avait poussé un cri dont les échos se répercutaient encore dans le cratère. L’enfant était certain qu’il n’y avait eu aucun contact physique. Pourtant, la fille ne bougeait plus, et ce genre d’immobilité était l’apanage exclusif des créatures mortes. On eût dit que sa force vitale avait été aspirée d’un coup – si vite que ses compagnes d’infortune ne s’en étaient pas aperçues. À moins qu’elles s’en soient fichues comme d’une guigne, entièrement habitées par la ferveur qui les poussait à s’offrir à leur seigneur et maître. Le garçon aperçut soudain ce qu’il attendait depuis le début. Au premier coup d’œil, l’être perché sur le dos d’un des dieux ressemblait davantage à un insecte qu’à un homme. Ses jambes étant gainées d’une substance bleu foncé semblable à la peau des entités, on avait du mal à distinguer le « cavalier » de la « monture ». Enveloppé par une sorte de paire d’ailes secondaires rabattues en arrière, le faux insecte aurait pu passer pour une chrysalide. Sous le regard émerveillé du garçon, ce cocon s’entrouvrit et dévoila son occupant – un peu comme au moment de la naissance d’une sauterelle. Le cœur du gamin s’affola. Un moment, le temps parut suspendre son vol. Ainsi, les légendes sont vraies ! L’être assis sur le dos du dieu était bel et bien un homme. Pas un membre du peuple de l’enfant, mais une personne assez semblable à celles qu’il connaissait pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. Contrairement à celle du garçon, la peau du « cavalier » était pâle – une étrange teinte maladive qui rappelait celle du lait tourné. L’homme arborait de longs cheveux huilés brillants et sa cuirasse moulante semblait également enduite de graisse. Sur cette surface lisse et noire, les rayons du soleil se reflétaient en une myriade d’arcs-en-ciel à la fois scintillants et sombres. Ce cavalier était terrifiant, ça ne faisait aucun doute. Mais il restait indéniablement humain, et rien n’importait plus que cette vérité-là. Le garçon prit une grande inspiration et rassembla tout son courage. Maintenant, pensa-t-il. C’est le moment ou jamais ! Il se leva. Ses genoux tremblaient beaucoup trop, même après une escalade épuisante. Un instant, il crut qu’il ne parviendrait pas à tenir debout. Au prix d’un gros effort de volonté, il réussit à convaincre le monde de ne plus tourner comme une toupie autour de lui. Puis ses jambes consentirent à supporter son poids. Une bonne chose, car il n’avait plus le choix. Les dieux venaient de le remarquer, et s’il laissait transparaître le moindre signe de faiblesse, il aurait plus vite fait de se précipiter dans le cratère afin de finir comme les pauvres fillettes. Quand il eut recouvré son équilibre, le garçon reprit une profonde inspiration, ferma les yeux un moment pour se concentrer, puis poussa un cri qu’aucune créature vivante aurait pu ne pas entendre. L’écho se répercuta dans tout le cratère, ricochant en direction des nuages de plus en plus sulfureux. Les dieux ne cessèrent pas de tourner en rond dans le ciel. Pourtant, il sentit qu’ils l’avaient entendu. Rouvrant les yeux, le garçon chercha l’entité qui portait un homme sur son dos. Contrairement à ses compagnons, ce dieu-là n’avait jamais plongé vers le sol pour se nourrir. Occupé à décrire des cercles concentriques au-dessus du cratère, avait-il seulement repéré l’enfant ? Entendrait-il le cri que celui-ci brûlait de lancer vers lui comme un appel ? Le volcan grognait en sourdine et les fragments de schiste, sous les pieds du garçon, tremblaient légèrement, comme pour lui répondre. Les dieux émettaient- ils des sons, à l’instar des animaux et des hommes, ou utilisaient-ils le volcan comme porte-voix ? On savait si peu de choses à leur sujet… Les yeux du cavalier – pleins d’un mépris incontestablement humain – se rivèrent sur le garçon. S’il ne saisissait pas sa chance maintenant, il n’en aurait plus jamais l’occasion, c’était évident. — Emmenez-moi avec vous ! cria-t-il. Je servirai les dieux. Tout d’abord, il sembla que le cavalier et sa monture n’avaient rien entendu. L’enfant répéta ses deux phrases, braillant à s’en briser les cordes vocales. Sous ses pieds, le sol vibra de nouveau et une bouffée de fumée sulfureuse vint lui agresser les narines. — Je suis fort ! hurla-t-il. J’ai survécu au froid de la glace et à la chaleur des pierres initiatiques. J’ai chassé le lion de mer et affronté l’ours des neiges ! Voyez, je suis assez courageux pour braver la colère de la terre ! Et assez fou pour venir ici ! aurait voulu ajouter le garçon. Assez téméraire pour escalader la Montagne du Sacrifice et me dresser sans couteau et sans armure face aux dieux. À part la certitude de pouvoir leur être utile, rien ne me protège du courroux de ces divinités vengeresses ! Le cavalier ne battit même pas des paupières. On eût dit le regard glacial et fixe d’un lézard. Puis l’homme se détourna du suppliant. Un cri plus bestial qu’humain jaillit de la gorge du gamin. Dans le cratère, une des filles leva les yeux pour voir d’où provenait ce hurlement. Puis elle se concentra de nouveau sur son futur « époux ». Avait-elle reconnu un de ses compagnons de jeu – un petit garçon avec qui il lui était arrivé de partager des secrets ? Ou ne voyait-elle qu’un animal couvert de suie qui hurlait à la mort comme un phoque agonisant entre les mâchoires impitoyables d’un prédateur ? Les serres d’un dieu se refermèrent soudain sur le torse de la fille. Soulevée brutalement de terre, la petite victime mourut quelques instants plus tard, la nuque brisée par le choc. Apparemment, les dieux avaient quand même envie de chair fraîche. Et aucun d’eux n’accordait d’attention au gamin. Pas un seul… — Emmenez-moi ! cria-t-il, fou de rage. Ma place est auprès de vous ! Les dieux reprenaient de l’altitude, six d’entre eux tenant entre leurs serres un petit cadavre désarticulé. Le sacrifice venait d’être accepté… Le cavalier jeta un dernier coup d’œil au garçon puis se détourna tandis que les ailes diaphanes se refermaient de nouveau sur lui. — Emmenez-moi avec vous ! cria encore l’enfant. Un choc d’une violence inouïe, dans son dos, lui coupa le souffle. À moitié sonné, il aurait basculé dans le cratère si des serres ne s’étaient pas accrochées à ses épaules avant de le soulever du sol sans autre forme de procès. Des images du monde fragmentées et irréelles défilèrent devant ses yeux tandis qu’il prenait de l’altitude. Des tourbillons de fumées noires… Des ailes bleu foncé battant l’air au-dessus de sa tête… Le sol qui rapetissait, devenant de plus en plus indistinct… Dans le lointain, au-delà de la Terre du Soleil, le garçon aperçut une grande bande blanche qui barrait l’horizon d’un point cardinal à l’autre. Cette étendue verticale était infinie et ne connaissait pas la pitié… Je vous servirai mieux que quiconque, promit l’enfant aux dieux ailés. Vous verrez… Nul ne lui répondit.

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