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L'Enéide médiévale et la chanson de geste PDF

318 Pages·1994·8.392 MB·French
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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUED U MOYEN GE Sousl a dim:tion dt Jtan DUFOURNEr. pro/t11t11dr la SorbonM 23 L' ENÉIDE MÉDIÉVALE ET LA CHANSON DE GESTE Francine MORA-LEBRUN ,, ,, ,, L'E NEIDE MEDIEVALE ET LA CHANSON DE GESTE PARIS HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 7, QUAI MALAQUAIS (VI") 1994 Diffusion hors France: Editions Slatkine, Genève Illustration tk la couverture: CommentE neas et Tumus se combatirente nsemble pour la fille au roy Latin et pour la terre. Et comment Eneas le vainqui et l'ocist. B.N.f.fr. 60 (fin X~ sièck),/olio 182. 0 1994.H orm ChampionE diteur,P aris. meme Reproductione t traduction, partielles,i nterdites. Tous droits raerv& pour tous les pays. ISBN2 -85203-356-9 ISSN 0769.()1)4() A~sparerus AVANT-PROPOS Ce livre constible la reprise alng~ de la premiàep anie d'une dàe de Doctorat d'Etat soutenue en janvier 1992 sous le titre suivant : Lire, lcoUler et rkrire l'Enéitk : rlceptions de l'lpople virgilienM du /X0 au Xl/ 0 siAcle. A l'issue de ce travail, j'aimerais remercier ceux qui l'ont rendu possible. Ma gratitude va d'abord, bien sûr, à M. Daniel Poirion, mon directeur de thèse, dont les conseils et les encouragementsn e m'ont jamais fait défaut Je dois beaucoup aussi à M. Joseph Hellegouarc'h et à Mme Pascale Bourgain, qui m'ont accueillie dans leurs séminaires et m'ont fait profiter avec beaucoup de gentillesse de leurs vastes compétences, l'un dans le domaine( ô combien délicat!) de la stylistiquel atine, l'autre dans le dl.dale de la littérature médio-latine.E nfin je remercie M. Jean Dufoumet d'avoirb ien voulu accueillirm on livre dans sa collection. Et je n'ai garde d'oublier mon mari, qui m'a élé d'un grand secours pour l'élaborationm atérielle de l'ouvrage. Introduction Dans le d6bat opposant individualistese t ttaditionalistes à propos de l'origine des chansons de geste, la IWorie des origines latines n'a plus aucun succès : elle est maintenant décrik des deux côtés, sunout après les charges polémiques lancées contte elle par 1. Sicilianol. Mais peut-être le problème a-t-il été mal posé. Il est évident que la chanson de geste n'a pu naîtte de l'épopée latine, ni même des épopées médio-latines qui lui ont succédé. Pourtant ces dernières ne méritent pas d'être écartks avec mépris : car elles présentent parfois avec les chansons du XII0 siècle d'indéniables ressemblances, des points de contact qu'il serait intéressant d'examiner de plus près. D'autant que si elles véhiculent presque toutes le souvenir de l'Enlide - la langue latine ayant joué son rôle de vecteur -, c'est le souvenir d'une Enlide considérablement transformk par la médiation d'oeuvres novatrices qui semblent avoir voulu renouveler le genre même de l'épopée. Plus souples que les sytèmes très normatifs issus des analyses d'Hegel et de Lulcacs,l es principes méthodologiquesd e H. R. Jauss2 peuvent alors nous amener à prendre en compte l'existence d'un "horizon d'attente" continuellement remanié par la modification, d'une époque à l'autte, des relations établies entte des oeuvres qui cherchent à s'organiser en un système cohérent. Il faut en effet penser au statut doublement ambigu de la chanson de geste, qui fait problème, puisqu'elle se situe, sur le plan formel, à mi-chemine ntte le narratif et le lyrique, et que sur le plan ~tique elle associe intimementl 'élémentg uerrier à l'élément religieux. "Le genre épique, illustté dans la littérature grecque antique par l'Iliade et l'Odyssée, et dans la littérature latine par l'Enlide de Virgile et plusieurs auttes poèmes, [ ... ] apparaît ttès tôt dans la littérature française, ~ la fin du Xl0 siècle, sous la forme de la chanson de geste". Cette phrase introductrice de G. Moignet à son édition-ttaductiond e la Chanson de Roland3 semble pourtant proposer implicitement à son lecteur l'idéal 1 D'abord dansL e6 origiM6 da ci,,a,uo,u r;k gute. TMorÏ46 d dilcu6iotU, Paria, Picard, 1951, puis dans Le6 cltaluo,u tü guie •• l'lpopa. M'Yllw6l,& i.rloire,p oh,ta, Tarin.1 968e t Galève. Slatkine. 1981. 2 Enonœan orammentd ans 1011 article "Liu.&aturem 6di6valee t th6orie des gemea•, parud ans Poltique, t.l, 1970 et repris dans Tltiori• fÜ6 ge11Te6P, aria,S euil, 1986, p.37-76. 3 f.A Clraluon tü Roi.and6.d . et b11dG. . Moipet. Puis.8 ordu.1 969,p .S. 10 L'F.NEIDEM EDIEVA Œ d'une filiation historique continue. ou du moins celui d'une soumission spontaœe aux nonnes atemporellesd 'un "genre" producteur d'oeuvres qui se définiraient comme suit: "poème[s] narratif[s] chanté[s] ayant pour sujet des exploits héroïques" 4• Mais la suite de l'introduction vient très vite démentir cette apparente harmonie; abordant "le problème des origines". l'auteur repousse de manière assez catégorique la "théorie des origines savantes" : "on a cru trouver dans les épopées françaises des réminiscences de poètes carolingiens des IX0 et X0 siècles. comme Angilbert. Ermold le Noir, Abbon, qui écrivaient en latin des imitations de Virgile et de Stace. de sorte que les chansons françaises seraient des oeuvres érudites où aurait passé un peu de la poésie épique latine; mais on n'a pu. dans la Chansond e Roland.p ar exemple. trouver aucune référence 5 pr«ise à un texte antique" . Pas de filiation directe. donc. ni même indirecte. entre l'Enéide et la chanson de geste médiévale : "l'hypothèse des sources savantes est aujourd'hui abandonnéen6. Et il est vrai que lorsqu'au milieu du Xll0 siècle se forme le projet de translaler l'épopée virgilienne. les formes spécifiques de la chanson de geste ne sont convoquées que très épisodiquementa u sein d'un autre genre narratif long. le roman. plus jeune d'un demi-siècle environ et créé tout spécialement. semble-t-il. à l'occasion du transfert en langue romane des épopées latines : s'il y a eu filiation. elle parait donc bien s'être établie d'abord entre l'Enéide et l'Eneas. entre épopée et roman - et non pas entre épopée et chanson de geste. Toutefois. on peut voir en lisant l'Eneasc ombien la simple opération de transfert linguistique.a vec le déplacementd es contraintess tylistiques.a pu introduire de modifications sensibles d'une oeuvre à l'autre, au point que si le modèle n'était pas expressémentn ommé. le lecteur pourrait hésiter à reconnaitre l'épopée latine dans plusieurs passages de son adaptation romane. Aussi un critique comme A. Burger, pour qui l'auteur de la Chanson de Roland "était à coup sûr un homme cultivé[ ... ]. un clerc. au sens qu'on donnait alors à ce terme: un lettré. un homme qui a passép ar l'école", en tire-t-il argument pour essayer de prouver que ce clerc a fort bien connu et exploité non seulement Virgile, mais encore Homère sous sa forme latine: "bien des critiques ont douté ou doutent encore que Turold ait connu l'Enéide. C'est qu'au moyen-âge le poète d'expression française ne traduit pas les vers latins dont il s'inspire. il les transpose dans sa propre perspective. On s'en convaincra facilement en lisant l'Eneas. écrit vers 1160. dont l'auteur anonyme ne traduit pas l'Enéide. mais la refait à sa manière. selon l'esprit du temps. en en transformant complètement le caractère. De même Turold; si on en tient compte, on n'aura pas de 4 Ibi.d. 5 /bid., p.8. 6 ibid .. INl'RODlJCnON 11 pœtes diffacult6 à voir qu'il est nourri de Virgile et d'autres latins. en particulier de l'HmMru.s lalinu.s. un abr6g6.e n hexamètres latins. de 1 l'lliath. qu'on appelle aujourd'hui l'llias lalina" . Voilà donc rétablie. par l'intermédiaire de textes latins familiers aux clercs du XII0 siècle, la double filiation historique que nous avait laissé espérer, avant de la d6mentir cat6goriquement,l 'introduction de O. Moignet. Suit une série de rapprochements cherchant à ~montrer que Turold était non seulement "nourri de Virgile" et d'Homère, mais aussi de Stace et du Walthariu.s,u n poème épique médio-latind u IX0 ou du X0 siècle8• Il faut cependant reconnaître que les opinions d'A. Burger ne vont pas pr6cis6ment dans le sens de la critique actuelle qui. à la suite 9 essentiellement de J. Ryclmer mais aussi de P. Zumthor , s'attache plutôt l démontrer la destination populaire et l'oralit6 des chansons de geste, dans leurs conditions de cr6ation comme dans leur mode de diffusion. C'est ainsi que J. J. Duggan, au terme d'une intéressante confrontation entre l'EnJide. le Roman d'Eneas et la Chanson de Roland qui met bien en évidence,d ans quatre domaines (deux thématiques et deux stylistiques: l'analyse psychologique,l 'indécisiond u h6ros. le catalogue des guerriers et la comparaison en forme), l'étroite parent6 des deux premiers textes et l'irréductible originalit6 du dernier. pouvait conclure voici une vingtaine d'années, sur les traces de J. Rychner et de M. Parry: "liueraturc falls into two great parts not so much because thcre are two kinds of culture, but becausc thcre are two kinds of form : one part of literat,ue is oral, IM otMr written" 10• L'Enlide, "a romance in epic's clothing" dont les modes d'expression et de pensée sont inextricablement li6s à l'écrit, n'a donc pu selon lui engendrer qu'une oeuvre elle aussi écrite : "the medieval product of Virgilian inspiration is the Roman d'Eneas, not the Chanson de Roland, and that is u should be expected"11• La cause est-elle donc entendue? Pas vraiment. Car d'autres affirmations, faisant écho à celles d'A. Burgcr, nous invitent malgr6 tout à réouvrir le dossier, tout en gardant paenac à l'esprit la distinctionr ychnériennee ntre oral et écriL Plusieurso uvrages récents attirente n effet de nouveau notre attention 7 A. BurgerT, woltl.poâetk lafi"'lill, Genhe, Droz,1 977,p .73. 1 Ibid., p.73-81. ,,;q,,. 9 J. Rychner,L a cluuuo1tk1 guk. Euai 111r l'art daj011Bk11nO, enhe, Droz, 1955, et P. Zurntbar, La kure el la w,i;c. De la "lillirat..n" midiévale, Paris, Seuil, 1987. Citons aussi J. Griswud, Arc/tiologie de l'lpopée médiévale, Paris, Payot, 1981, qui propose une lecture •dum&ilienne• de la chanson de aesre,f aisant apparaitre clairement dans certaines d'entre elles une subsb'Ucturea rticul6e sm la vieille idlologie des •IIOÎI fonctions•p roprea ux peuples ~•- l O JJ.Duggan, •virgilian inspiration in the Roma,i d'E11ea and the Claa,uo11d e Rola,u/', dans Medievol epie IO tltc "epic" tlwakr of Br«ltl, R.P.Annato et J. M.Spaleh &1.,L os An1e1es.1 968, p.9-23 (p.20). 11 Ibid., p.21. 12 L'ENEIDEM FDIEVA LE sur l'existence et l'intérêt des épopées carolingiennes. relais possibles d'une ttadition épique capabled e remettre en cause le principe apparemment bien établi d'un hiatus, d'une radicale solution de continuité entre modèles latins et tradition romane. Ainsi D. Boulet et A. Strubel, après avoir proposé une brève analyse du poème d'Ermold ln honoremH ludowici et du Wa ltharius, concluent à propos de ce dernier poème, où "l'influence de 12 l'Antiquité (Virgile, Prudence) est faible" mais non absente, qu'il "inaugure un style nouveau" et se demandent s'il ne faudrait pas voir là "l'ancêtre de nos épopées romanes" 13. Quant à M. Tyssens, présentant dans une synthèse récente sur l'épopée médiévale une quinzaine de poèmes épiques médio-latins, métriques et rythmiques, des IX0 et X0 siècles, elle souligne bien que "[leurs] sujets ou [leurs] moyens narratifs présentent d'évidentes affinités avec ceux d'épopées françaises ou germaniques", et que "[leur] existence même pose le problème des relations de ces épop6es 14 nouvelles avec la veine antique" . Bref, comme l'écrit avec pertinence D. Poirion, "la continuité d'une tradition épique, à panir des modèles gréco latins, fait évidemment problème. Elle contredirait l'idée d'une réinvention du genre à partir du seul génie national, voire populaire. Elle compromettrait la précellence du jongleur sur le clerc, comme celle de l'oralité sur l'écriture. Et pounant les indices ne manquent pas, dans la littérature médio-latine à panir de la "renaissance carolingienne", d'une cenaine imitation de la poésie classique. C'est le cas pour le poème d'Ermold le Noir consacré à Louis le Pieux (820-830), qui cite Lucain, 15 Homàc, Cicéron, Ovide" . C'est que la négation de toute filiation, relation ou influence entre l'épopée antique et la chanson de geste laisse bon gré mal gré subsister un certain malaise, en raison d'une commune appanenance, généralement admise, à ce "genre épique" sur la mention duquel G. Moignet, nous l'avons vu, ouvrait son introduction. Même si l'on admet avec D. Poirion que la chanson de geste "se partag[e] avec [les oeuvres roman~ues] la place que les théoriciens réservent traditionnellementà l'épopée"1 , il n'en reste pas moins "paradoxalq ue le contenu épique de la littérature latine ne joue qu'W\ rôle épisodique dans la chanson de geste, alors que l'épopée 17 latine se transforme en roman" , et c'est la conscience plus ou moins l2 Nousr eviendronsam œae affumaliond iscutable. 13 D. Boutet et A. Strubel. La lillirOl,ue frt111çailed MM oyen-Age, Paris, PUF, 1978, p.6. 14 M.Ty1sen1, "L'6pop6e latine", dans L',pop,e, J.Victorio et J.Ch.Payen dir., Turnhout, Brepols, 1988 ("Typologie des sources du Moyen-Ageo ccidental",f uc.49), p.39-52. lS D. Poirion dir., Précis tû li.llira1,uej rt111ÇaildeM M oyen-Age, Paris, PUF, 1983, p.62. 16 Ibid., p.60.

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