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L’Emancipation de Kant à Deleuze PDF

246 Pages·2013·8.739 MB·French
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L’Émancipation de Kant à Deleuze 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 1 03/10/13 12:23 Collection Hermann Philosophie dirigée par Roger Bruyeron et Arthur Cohen Ouvrage publié avec le soutien du Collège international de philosophie, la Fondation Calouste Gulbenkian, le Centre de philosophie des sciences de l’Université de Lisbonne ainsi que la Fondation pour la science et la technologie. www.editions-hermann.fr Illustration de couverture : Guillaume Lebelle, Sans titre, 2005, Gouache sur papier, 50 x 50 cm © Guillaume Lebelle, courtesy galerie Christophe Gaillard ISBN : 978 2 7056 8757 1 © 2013, Hermann Éditeurs, 6 rue Labrouste, 75015 Paris Toute reproduction ou représentation de cet ouvrage, intégrale ou partielle, serait illicite sans l’autorisation de l’éditeur et constituerait une contrefaçon. Les cas strictement limités à l’usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars 1957. 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 2 03/10/13 12:23 Diogo Sardinha L’Émancipation de Kant à Deleuze Depuis 1876 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 3 03/10/13 12:23 Du même auteur Avec Bertrand Ogilvie et Frieder Otto Wolf (org.), Vivre en Europe : philosophie, politique et science aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 2010. Ordre et temps dans la philosophie de Foucault, Paris, L’Harmattan, collection « La Philosophie en commun », 2011. 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 4 03/10/13 12:23 Introduction Ce livre souhaite raconter une histoire de l’éman- cipation depuis deux cents ans telle qu’elle peut être reconstituée par la philosophie. Elle se distingue tout d’abord d’une histoire de la libération, dans la mesure où l’émancipation est entendue ici comme l’un des exercices possibles de la liberté ou l’une des formes qu’elle peut prendre. De ce point de vue, la liberté est une condition de possibilité de l’émancipation, et ne se confond donc pas avec elle. Par ailleurs, cette histoire se différencie d’un récit sur l’émancipation en son sens légal, qui porterait sur l’affranchissement des individus de l’autorité paren- tale et de la tutelle. Elle garde toutefois quelque chose de cette acception juridique, puisque son point de départ est précisément la conversion, opérée par la philosophie, du devenir-majeur légal individuel en devenir-adulte de l’humanité dans son ensemble, et plus rigoureusement de l’humanité comprise comme genre humain. S’il est vrai que nous avons affaire ici à une analogie ancienne entre l’individu et l’espèce qui remonte à Augustin, la référence moderne concernant ce thème est Kant et la définition qu’il donne des Lumières dans un article de journal de 1784, comme la sortie de l’homme de l’état de minorité dont il est lui-même responsable, par laquelle il transpose à l’humanité en général un statut en principe réservé aux personnes singulières. Mais il ne le fait pas sans opérer en même temps un changement considérable : autant nul n’accuse un enfant ou un adolescent d’être responsables de leur propre minorité, autant il reproche à l’humanité de rester mineure, puisqu’elle le reste par sa propre faute. 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 5 03/10/13 12:23 6 L’Émancipation de Kant à Deleuze Cette définition kantienne et l’assignation de respon- sabilité qui l’accompagne ont connu une prodigieuse fortune. Parmi les réactions diverses auxquelles elles ont donné lieu, les unes explicites, les autres seulement implicites, celle de Foucault au début des années 1980 compte parmi les plus remarquables. On peut la lire aussi bien dans différents textes de cette période, que dans ses derniers cours au Collège de France. Beaucoup a été écrit sur ce retour foucaldien à Kant, mais relativement peu sur son association intrigante avec Baudelaire. À première vue, le but dans lequel Foucault les rapproche est limpide : il s’agit d’expliquer comment la modernité a pris au sérieux le défi de l’émancipation lancé par les Lumières, l’ayant même porté plus loin. Mais à mieux y regarder, c’est un tour de force insolite que de mettre ainsi en accord le philosophe du rationalisme critique avec un dandy fervent, poète du mal. Sur quelle base cette association est-elle possible ? Kant et Baudelaire ne sont-ils pas les symboles de manières de penser opposées aussi bien dans leurs formes d’expression que dans leurs contenus, et encore plus dans les directions vers lesquelles elles évoluent ? Le premier problème à l’origine de ce livre concerne justement cette opération réalisée par Foucault, dont on soupçonne qu’elle n’est pas aussi innocente qu’on pourrait le croire et dont il faut à la fois révéler le sens ultime et l’importance pour notre actualité. Le second problème à l’origine de cet ouvrage est le suivant : lorsqu’on cherche à répondre à ces questions, on constate qu’un philosophe contemporain de Foucault oppose à l’accès kantien à la majorité une sorte de fin de non recevoir, en expliquant que nul ne devient majeur, mais que tous deviennent mineurs. C’est Deleuze, qui dans ses travaux personnels comme dans ceux signés 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 6 03/10/13 12:23 Introduction 7 conjointement avec Guattari va même jusqu’à affirmer qu’il convient à chacun de prendre en charge son propre devenir-mineur, pour le pousser à la limite. Dès lors, une opposition s’esquisse : autant Kant définit les Lumières comme l’entrée de l’humanité dans l’âge majeur, époque dans laquelle les individus pensent par eux-mêmes et délaissent l’état dans lequel leurs esprits étaient dirigés par d’autres ; autant Deleuze valorise une « minoration », comme il l’écrit dans Critique et clinique, qu’il fonde sur un autre sol, et qui ne semble pas pour autant être le contraire d’une démarche émancipatrice. Les Lumières, en élaborant leur programme d’un devenir-majeur qui en est aussi un pour l’émancipation des esprits, ne peuvent sans doute mériter de notre part qu’une approbation sans réserves. Néanmoins, deux cents ans plus tard, elles butent contre un programme, également philosophique et en toute apparence libérateur, pour devenir mineur. On est en droit de se demander si, en renonçant au devenir-majeur et en insistant sur un devenir-mineur, Deleuze n’affirme pas le contraire de Kant. Ou bien disent-ils la même chose à travers des discours différents, cette différence n’étant alors qu’extérieure ? Entre le fran- çais et l’allemand, leurs textes ont recours à des termes susceptibles d’être aisément mis en communication, tels majorité, Mündigkeit et minorité, Unmündigkeit, avec les radicaux qui s’y associent, majeur, mündig et mineur, unmündig. Or, il se peut que cette similitude nous tende un piège, en nous poussant à rapprocher des perspectives, des langues et des contextes peut-être trop éloignés les uns des autres. Dans ce cas, s’efforcerait-on de comparer l’incomparable ? Il semble pourtant qu’on ne commet pas de contresens en prétendant que le problème, chez l’un et chez l’autre auteur, est le même : ce qui pour Kant est 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 7 03/10/13 12:23 8 L’Émancipation de Kant à Deleuze une libération par rapport aux tuteurs, est pour Deleuze un affranchissement par rapport au pouvoir. S’il en va bien ainsi, ils appartiennent tous deux à la même histoire philosophique de l’émancipation, mais à une histoire qui ne se répète pas et dont ils représentent des moments distincts. Autrement dit, le devenir-majeur du premier et le devenir-mineur du second frayent deux voies pour explorer le même thème, et bien qu’ils mènent à des issues distinctes, ils se trouvent de ce point de vue déjà en rapport. Pourtant, cela ne dit rien de comment, dans l’espace de deux siècles, de l’un la pensée en est venue à l’autre, et c’est précisément lorsqu’on éprouve le besoin de saisir ce passage que les deux problèmes présentés se lient, la tension entre les deux devenirs (kantien majeur et deleu- zien mineur) d’une part, et le rapprochement foucaldien du dandysme et du criticisme d’autre part. En premier lieu, on comprend qu’ils prennent forme à l’intérieur du même récit, ce qui les replace déjà dans un espace commun. Par ailleurs, c’est la démarche de Foucault qui rend possible de les mettre en relation, quand en écrivant sur Baudelaire il éveille de façon très discrète et seulement implicite un passé marqué par la vive discorde entre Sartre et Bataille au sujet de l’auteur des Fleurs du mal. En effet, Foucault n’est pas sans savoir que Baudelaire se trouve au centre de textes de l’un et de l’autre auteurs, sur des points cruciaux concernant la liberté, l’émancipation, et les choix qu’on peut faire vis-à-vis de la première comme de la seconde, textes dans lesquels Sartre accuse le poète de toujours avoir voulu vivre en enfant et de ne jamais avoir assumé la responsabilité d’un adulte, à quoi Bataille rétorque qu’entre l’« attitude majeure » de l’adulte et l’« attitude mineure » de l’enfant, la seconde est la plus 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 8 03/10/13 12:23 Introduction 9 libre et par conséquent celle qui convient à l’art. Il prépare ainsi le chemin que parcourra Deleuze peu de décennies plus tard et auquel il fera subir une inflexion abrupte, en soutenant qu’il n’y a tout simplement pas de devenir- majeur, mais seulement de devenir-mineur. En toile de fond de ces débats, la position des termes du problème par Kant se trouve constamment supposée, de telle sorte que seule une reconstitution intégrale de ces déplacements théoriques nous met à même de comprendre comment de l’apologie du devenir-majeur, la pensée est parvenue à la préférence accordée au devenir-mineur. L’importance de Foucault dans cette métamorphose découle de ceci, que dans son œuvre se rencontrent ces figures, auxquelles il faudrait sans aucun doute ajouter celles de Nietzsche, de Benjamin et de Heidegger, dont on saisira bientôt le grand rôle qu’ils jouent ici. Bref, entre l’Allemagne et la France, et à la croisée de la philosophie et de la littérature, il crée les conditions à partir desquelles cette histoire peut enfin être racontée. C’est lui qui permet de connecter autrement ces auteurs et ces problèmes, raison pour laquelle son œuvre servira d’axe autour duquel nous les feront tourner. Exposée ainsi et puisqu’elle se présente comme une histoire, cette recherche semble ne se soucier que du passé et du « déjà fait », ayant peu d’utilité pour le présent et pour l’avenir. Or, ce n’est là qu’une impression. Car son but est, au contraire, de dresser une carte sur laquelle seront marquées ce qu’on appellera différentes stratégies critiques pour l’émancipation, autant de possibilités pour des prises de position théoriques et pratiques dans la vie de tous les jours. Elles seront désignées des noms des auteurs qui sont les personnages de cette histoire : « Kant », « Baudelaire », « Nietzsche », « Sartre », « Bataille », 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 9 03/10/13 12:23 10 L’Émancipation de Kant à Deleuze « Foucault », « Deleuze ». Ces stratégies s’opposent parfois les unes aux autres, se distinguent toujours et se recoupent par moments, les plus récentes relançant les précédentes et les revivifiant y compris lorsqu’elles les démentent ouvertement ou les combattent en silence, le plus important à retenir étant le fait qu’on peut choisir entre elles. La philosophie a en effet ceci de singulier que le temps n’oblitère pas nécessairement ses théories, ce qui lui permet de réécrire sa propre histoire. Ainsi, tout comme il y a un Kant de Foucault qui ne se confond pas avec celui de Deleuze, de même on verra dans ce livre combien la « stratégie Baudelaire » est différente selon qu’elle est décrite, et par là reconstituée, par Sartre, Bataille ou bien Foucault. Il arrive également qu’un seul nom serve à désigner des stratégies distinctes, parfois reconstituées par le même auteur. Pour preuve, le Kant fustigé par Foucault dans Les Mots et les choses comme précurseur du sommeil anthropologique moderne n’est pas le même Kant qu’il récupère plus tard dans « Qu’est-ce que les Lumières ? » comme penseur de l’effort pour l’émancipation. Dans ce cas, deux stratégies considérées comme divergentes par celui qui les reconstitue sont appelées du même nom. Au moment où nous examine- rons le détournement que Foucault fait subir au projet kantien, nous tâcherons justement de comprendre en quoi ces stratégies se distinguent, et sur quels points à la fois elles s’opposent et se complètent. Ainsi, pour l’exprimer de manière brutale, l’essentiel de ce livre consiste à introduire, dans le domaine de l’émancipation, une perspective nominaliste : les noms mentionnés sont autant de voies ouvertes, susceptibles d’être empruntées, détournées, recomposées, croisées, combinées par celui qui les parcourt. Elles sont des stratégies dans la mesure 8757_Emancipation Kant Deleuze_MEP2.indd 10 03/10/13 12:23

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