L'école française par des jeunes nouvellement arrivé-e-s en France : perceptions et expériences scolaires en collèges rennais Camille Giraudon Mémoire de 4e année Séminaire : Identités et Mobilisations Sous la direction de : Jean-François Polo 2010 - 2011 Remerciements Je tiens en premier lieu à remercier tou-te-s les jeunes qui ont accepté de me parler, ainsi que celles et ceux qui avaient certainement leurs raisons pour ne pas le faire mais m'ont néanmoins accueillie avec gentillesse dans leur classe. Je remercie également Sophie Delvallez et Jessica Gaines pour la générosité et la disponibilité dont elles ont fait preuve afin de me permettre de mener à bien mon étude, ainsi que les collèges des Hautes-Ourmes et Clotilde Vautier qui m'ont ouvert leurs portes. Un grand merci à Aline, Pascale et Julien qui, en favorisant grandement mon accès au terrain, ont relancé mon enquête et mon moral à des moments cruciaux ! Merci bien sûr aux bénévoles de l'AFEV qui ont pris sur leur temps d'accompagnement et se sont organisé-e-s pour me permettre de rencontrer les jeunes qu'ils-elles accompagnent. Je n'oublie pas Ahmed Chatmi, de l'UAIR, qui m'a apporté son point de vue éclairant. Une pensée reconnaissante pour mes parents, mes colocs, mes ami-e-s qui ont été présent-e-s cette année et avec qui j'ai partagé conversations enrichissantes et moments de détente indispensables et bienvenus ! Un merci tout particulier à Anouck, pour ses relectures attentives, ses conseils et son écoute patiente, enfin, pour nous avoir supporté-e-s cette année, moi et mon mémoire ! Je remercie enfin mon directeur de mémoire, Jean-François Polo, pour la liberté qu'il m'a laissée dans la réalisation de ce mémoire, et la réactivité dont il a fait preuve quand cela a été nécessaire. Toutes les personnes ayant constitué le séminaire Identités et Mobilisations cette année doivent également être remerciées, en ce qu'elles ont apporté à ma première démarche de recherche une dimension collective que j'ai réellement appréciée. Camille Giraudon Sommaire Liste des sigles et abréviations...............................................................................................6 Introduction............................................................................................................................7 Chapitre 1 -L'école perçue comme espace de socialisation et clé de l'intégration désirée...16 A. Confiance et motivation : l'école lieu de tous les possibles pour la majorité des JNA .........................................................................................................................................19 1. Un discours dominant de valorisation de l'école porté par les jeunes et leur famille .....................................................................................................................................20 a. Des jeunes majoritairement satisfait-e-s de l'école : constat et nuances............20 b. Transmission de la confiance des parents en l'école et motivation palpable dans le comportement quotidien des jeunes...................................................................22 2. L'école lieu d'apprentissages et de socialisation : rôle central dans un projet d'installation en France...............................................................................................24 a. Le collège comme lieu de socialisation juvénile ...............................................25 b. Le collège, maillon clé de l'intégration à long terme dans une perspective d'installation en France...........................................................................................27 B. L'apprentissage du français au cœur de la vie scolaire des jeunes nouvellement arrivé-e-s .........................................................................................................................29 1. L'apprentissage du français : source de difficultés majeures mais vécu comme indispensable...............................................................................................................30 2. La CLA à Rennes : immersion linguistique valorisée mais adaptation nécessaire à la diversité des situations ...........................................................................................33 Chapitre 2 -L'école, cadre sécurisant et peu questionné par des jeunes en recherche de repères et de stabilité............................................................................................................38 A. La CLA sas protecteur et porte d'entrée vers le reste du monde collégien.................39 1. Lieu de rituels et de cohésion du groupe : la CLA, espace approprié par les JNA. .....................................................................................................................................39 2. L'enseignante de CLA adulte référente et point de repère fort...............................43 a. La construction d'une relation de confiance entre les jeunes et leur enseignante ................................................................................................................................43 b. L'enseignante de CLA, un rôle d'intermédiaire dans le triangle élèves- professeurs-famille.................................................................................................45 3. Le système CLA au cœur d'un processus d'intégration progressive au monde collégien......................................................................................................................47 B. Une discipline acceptée voire valorisée : contexte propice à une intériorisation fluide des normes scolaires........................................................................................................49 1. Interrogations et acceptation : des règles qui interpellent mais sont décrites comme légitimes......................................................................................................................50 a.« d'un côté c'est sévère ici, mais d'un autre côté c'est bien »...............................50 b. Le droit de poser des questions et d'avoir des réponses : des règles expliquées, dans une école satisfaisant le désir de comprendre ...............................................53 2. Les JNA, parfaits sujets d'un apprentissage de « ce que c'est d'être à l'école »......54 a. Des interactions quotidiennes à l'intériorisation des normes : transmission d'une culture scolaire non neutre.....................................................................................55 b. L'apprentissage du français et le rapport aux notes : deux exemples de l’intériorisation des exigences et hiérarchies propres au monde scolaire..............56 Chapitre 3 -Entre facteurs extrascolaires déstabilisants et limites du système scolaire : des 2011 4/95 Camille Giraudon adolescent-e-s confronté-e-s à un parcours scolaire complexifié.........................................59 A. École et famille, entre cloisonnement et immenses attentes......................................61 1. Des familles peinant à trouver une place dans la scolarité de leurs enfants : entre sur-investissement et implication concrète limitée.....................................................62 2. Incompréhension mutuelle et sentiment d'illégitimité............................................64 B.Situation migratoire et familiale : conséquences sur le statut de jeune et d'élève.......68 1. « Ils ont tellement de trucs dans la tête autre que le scolaire... »............................68 2. Lourdes responsabilités et absentéisme..................................................................71 C. Limites d'un dispositif d'accueil qui s'inscrit dans un système scolaire imparfait......73 1. Cadre national peu précis, applications locales plus ou moins adaptées et rigides73 2. Un fonctionnement dépendant des volontés et des initiatives individuelles des enseignants..................................................................................................................79 3. Le désir d'école des jeunes souvent contrarié par une sélection aiguë et une orientation partiellement subie....................................................................................82 Conclusion............................................................................................................................87 Bibliographie........................................................................................................................89 Annexes................................................................................................................................91 Annexe 1 -Entretiens et observations réalisé-e-s.............................................................91 Annexe 2 -Localisation des collèges accueillant une CLA à Rennes..............................93 Annexe 3 -Procédure d'évaluation des JNA à leur arrivée..............................................94 2011 5/95 Camille Giraudon Liste des sigles et abréviations AFEV : Association de la Fondation Étudiante pour la Ville B.O: Bulletin Officiel CADA : Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile CASNAV : Centre Académiques pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage. Remplace les CEFISEM : Centres régionaux de Formation et d'Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants CLA : Classe d'Accueil, anciennement appelée Classe d'Adaptation CLA NSA : Classe d'Accueil pour élèves Non Scolarisés Antérieurement CLIN : Classe d'Initiation CRI : Cours de Rattrapage Intégré ENA/ENAF : Élève Nouvellement Arrivé/Élève Nouvellement Arrivé en France JNA : Jeune Nouvellement Arrivé-e SEGPA : Sections d'Enseignement Général et Professionnel Adapté 2011 6/95 Camille Giraudon Introduction En entamant cette première démarche de recherche, j’ai souhaité articuler deux thématiques larges qui m’intéressent particulièrement, l’éducation et la migration, en me centrant plus spécifiquement sur les jeunes nouvellement arrivé-e-s en France. Beaucoup d’études croisent les questions scolaires et migratoires, s’intéressant par exemple à la gestion de la multiculturalité par l'école républicaine ou aux parcours scolaires de jeunes issu-e-s de l'immigration. Cependant, une des problématiques récurrente y est celle de « l’échec scolaire » des jeunes d’origine étrangère, notion que je ne souhaite pas placer au centre de ce mémoire. De plus, il m’a semblé que la population spécifique des jeunes nouvellement arrivé-e-s (JNA) constituait rarement l’objet central de ces recherches, et lorsque c’était le cas, il s’agissait généralement d’une entrée par le dispositif des Classe d’Accueil (CLA) ou par la dimension linguistique. L'évolution de l'immigration juvénile justifie pourtant que l'on s'intéresse à ce public particulier arrivant en France pendant l'enfance et de plus en plus pendant l'adolescence. Dans un article publié en 20071, Claire Schiff constate en effet que « ces dernières années, les entrées de mineurs admis dans le cadre du regroupement familial représentent plus de 10% de l'ensemble des entrées d'immigrés sur le territoire soit entre 15 000 et 20 000 par an. On observe également que ces mineurs arrivent à un âge de plus en plus tardif et que peu d'entre eux sont susceptibles d'accomplir toute leur scolarité en France. En effet 43% des mineurs admis au séjour en 1980 avaient moins de 6 ans, alors que cela n'était le cas que de 20% de ceux qui étaient enregistrés en 2000 comme bénéficiaires du regroupement familial ». Elle précise ensuite que ces chiffres de l'Office des Migrations Internationales ne comptabilisent ni les mineur-e-s isolé-e-s, ni les enfants de demandeur-se-s d'asile ou de réfugié-e-s. Même si les recensements effectués par l’Éducation Nationale sont plus ou moins précis selon les Académies, pour l'année 1 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs », Écarts d'Identité n°110/2007, p.4 2011 7/95 Camille Giraudon scolaire 2004-2005, presque 40 000 élèves auraient été accueilli-e-s dans les écoles collèges et lycées français. Ce mémoire a alors répondu à l’envie de m’éloigner un peu des approches citées précédemment, de prendre une certaine distance par rapport à l’étude du dispositif pour donner la parole à ces jeunes en les considérant comme acteur-trice-s de l'école. J'ai voulu interroger la relation des jeunes primo-arrivant-e-s à l’école française, en mettant en avant ce qu'ils-elles avaient à en dire, en saisissant leurs perceptions et représentations. Les problématiques tournant autour de l'institution scolaire, du dispositif CLA et de la langue, étant intimement liées à l’expérience scolaire de ces jeunes, elles ne seront pas absentes de ce travail, mais n’en seront qu’une dimension parmi d’autres. Il ne semble pas exister de définition officielle et permanente des notions de jeunes « nouvellement arrivé-e-s » ou « primo-arrivant-e-s ». Pour l'Académie de Montpellier, « il convient d’appeler Élève Nouvellement Arrivé en France (ENAF) les élèves nouvellement arrivés, au sens strict : élèves non scolarisés en France l’année civile précédente, non francophones ou n’ayant pas une maîtrise suffisante des apprentissages scolaires leur permettant d’intégrer immédiatement une classe du cursus ordinaire »2. Cette définition, déclinée sous des formes similaires dans diverses autres académies, apparaît pertinente en ce que la non-francophonie n'y apparaît pas comme un élément incontournable de définition des ENAF. C'est au contraire une dimension parmi d'autres, plus ou moins prononcée. Claire Schiff insiste sur les profils divers des élèves nouvellement arrivé-e-s, « allant des jeunes bien scolarisés mais particulièrement éloignés de la langue française, à d'autres peu ou pas scolarisés, mais déjà partiellement francophones »3. L'arrivée récente en France vient compléter la définition des ENAF, cependant pour cette étude, j'ai considéré comme « nouvellement arrivé-e-s » des jeunes ayant vécu « physiquement » et relativement récemment la migration sans me limiter strictement à la condition de la non-scolarisation en France l'année civile précédente. Je me suis centrée sur des jeunes actuellement scolarisé-e-s en collège, en Classe d'Accueil ou 2 www.ac-montpellier.fr consulté le 10 mai 2011 3 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », revue Hommes et Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251, p.76 2011 8/95 Camille Giraudon en étant sortis depuis peu. Bien que le terme « d'élèves nouvellement arrivés » soit officiellement reconnu, je lui préférerai bien souvent celui de jeunes nouvellement arrivé-e-s, plus à même de rappeler que ces jeunes ne se résument pas à leur condition d'élèves et sont d'abord des adolescent-e-s. A cette période clé de leur vie, l'adolescence, où les repères et les cadres sont bien souvent remis en cause, ces jeunes se retrouvent projeté-e-s dans un environnement inconnu, dans une succession chaotique de situations nouvelles : ils-elles quittent leur pays, avec ou sans leur famille, connaissent un parcours migratoire sur lequel ils-elles n'ont que peu de maîtrise. Ils-elles arrivent dans un pays inconnu, la France, et passent parfois par de nombreuses villes avant de se « stabiliser » – pour un temps incertain et dans des conditions parfois précaires – dans une d'entre elles. C'est souvent parvenu-e-s à cette étape qu'ils-elles sont scolarisé-e-s en collège. Leur porte d'entrée sur le monde scolaire est alors la classe d'accueil (CLA) : si ces classes ne seront pas l'objet central du mémoire, il est néanmoins fondamental d'en connaître le fonctionnement afin de comprendre l'environnement dans lequel évoluent les jeunes. A Rennes il existe cinq CLA, dans cinq collèges différents : les Hautes-Ourmes, Clotilde Vautier, les Chalais, Échange, et Montbarrot4. Les jeunes de moins de 16 ans qui arrivent à Rennes, sont orienté-e-s vers la Coordination Migrant5, où ils-elles passent des tests destinés à évaluer leur niveau linguistique et scolaire. En fonction des résultats de cette évaluation, ils-elles peuvent intégrer directement une classe ordinaire au collège ou même au lycée, ou être accepté-e-s dans une CLA. Les jeunes n'ayant pas été scolarisé-e-s dans leur pays d'origine peuvent intégrer la classe d'accueil pour jeunes non-scolarisé-e-s antérieurement (CLA-NSA) au collège Montbarrot. Un-e jeune a droit à passer une année scolaire complète en CLA, qui peut dans certains cas faire suite à une année en CLA-NSA. En arrivant en CLA (ce n'est pas le cas en CLA-NSA), les jeunes sont dès les premières semaines rattaché-e-s pour quelques matières à une classe ordinaire (6ème, 5ème, 4ème ou 3ème) supposée correspondre plus ou moins à leur niveau scolaire. Au fil de l'année, les JNA intègrent progressivement leur classe de rattachement dans 4 Annexe 2, Localisation des collèges accueillant une CLA à Rennes 5 Service spécifique au sein de l'Inspection d'Ille et Vilaine, qui travaille en accord avec le Centre d'Information et d'Orientation (CIO) et le service d'affectation de l'Inspection Académique. 2011 9/95 Camille Giraudon d'autres matières, le nombre d'heures passées en CLA diminuant parallèlement à l'augmentation du temps passé en classe ordinaire. Le programme officiel de la CLA suppose un enseignement centré sur un objectif linguistique de maîtrise du français articulé à un objectif spécifiquement scolaire d'acquisition des bases et du vocabulaire permettant de suivre l'enseignement dispensé au collège. Une seule enseignante – à Rennes les responsables des cinq CLA sont des femmes – se charge de l'ensemble des heures d'une CLA, constituant ainsi une personne de référence pour les jeunes nouvellement arrivé-e-s. Suite à mes premières réflexions, je souhaitais interroger les attentes et les stratégies des jeunes primo-arrivant-e-s par rapport à l'école française : qu'attendent- ils-elles de l'école, comment sont gérées des injonctions familiales et scolaires que je supposais différentes, quelles stratégies d'adaptation mettent-ils-elles en place dans ce cadre ? Rapidement la rencontre avec le terrain m'a, pour plusieurs raisons, montré qu'il ne serait pas possible répondre à ces questions. Une maîtrise du français parfois insuffisante pour aborder ces thématiques, une grille d'entretien peut-être inadaptée, un manque de recul sur leur expérience migratoire et surtout scolaire, peuvent expliquer cette impossibilité à valider la pertinence de mes interrogations. Venant tout juste d'arriver en France et scolarisé-e-s depuis peu, on peut supposer que ces jeunes en sont à un stade de découverte des normes et codes sociaux en vigueur dans le cadre scolaire, qu'ils-elles ne questionnent pas encore et qui ne viennent pas encore bousculer leur socialisation familiale. De plus, l'étude des phénomènes de construction identitaire des jeunes, des stratégies d'adaptation et de socialisation mises en place par les jeunes primo-arrivant-e-s par rapport à l'école et dans l'école aurait nécessité, au delà des entretiens, une observation de longue durée dans les CLA, dans les classes ordinaires, dans la cour. Les entretiens m'ont alors poussée à étudier de plus près les discours des jeunes sur l'école. Je me suis centrée sur la perception de l'école exprimée par les JNA, sur leur façon de me parler de leur expérience scolaire et notamment sur un phénomène récurrent dans les entretiens : malgré l'évocation de difficultés linguistiques et scolaires, une opinion positive et valorisante de l'école en ressortait nettement et presque systématiquement. Au moins à première vue, une de mes hypothèses 2011 10/95
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