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L'échelle de M. Descartes PDF

327 Pages·1999·12.341 MB·French
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Frédéric Serror et Herio Saboga P L chelle de Monsieur Descartes Roman € plus Le Pommier Copyrighr © Le Pommier-Fayard, 1999 Tous droits réservés ISBN 2-746-50006-X À quoi j'ajouterai seulement encore un mot, qui est que la philosophie que je cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle rejette l'usage des passions; au contraire, c'est en lui seul que je mets toute la douceur et La félicité de cette vie. Descartes, Lettre à Silhon, mars-avnl 1648. (..] suivant cette règle, il faut dire que Dieu seul est l’auteur de tous les mouvements qui sont au monde, en tant qu'ils sont, et en tant qu'ils sont droits; mais que ce sont les diverses dispositions de la matière qui les rendent irréguliers et courbés. Ainsi que les théologiens nous apprennent que Dieu est aussi l'auteur de toutes nos actions, en tant qu'elles ont quelque bonté, mais que ce sont les diverses dispositions de nos volontés qui les peuvent rendre vicieuses. Descartes, Le Monde ou traité de la lumière, chapitre MI. CHAPITRE PREMIER Alors que l’année 1648 s’appro- chait de sa mi-course et que la querelle ne cessait d’enfler entre la Cour et le Parlement, M. Du Perron consentit, sur l’insistance de ses amis, à partir vers Paris. Il fit une halte à Calais qui, en cette saison — les premiers jours de mai -, regorgeait d’activités et de voyageurs. Ce gentilhomme de Hollande se rendit avec son valet Maçon au relais de la ville où il exhiba sa qualité et l'urgence de son dépla- cement afin d’être pris en considération par un des cochers qui s'apprêtaient à partir. Il n’était pas homme à voyager par des che- mins de traverse. Son choix allait aux chevaux de poste et à la grande route! Il monta dans l’une des voitures de roulage et la partagea avec un marchand plutôt large de carrure et un homme d’Éelise qui, un livre entre les genoux, un éventail à la main, paraissait fort retiré du commerce des mortels. La route de Calais à Paris n'était pas alors entièrement empier- rée. Le carrosse remuait, par endroits, comme un prunier lors de la cueillette. Pour le tirer de ses mauvaises passes, les chevaux redoublaient d'efforts et l’on devait en changer toutes les vingt lieues. Le cocher détachait alors son équipage, tout en congratu- lant ses bonnes bêtes pour les services rendus. Les voyageurs profitaient de ces courts arrêts pour s'assouplir un peu, puis remontaient dans la voiture et reprenaient leurs 7 L'Échelle de Monsieur Descartes places. Certe gymnastique obligatoire permettait, en temps ordi- naire, aux plus renfermés des hommes, de babiller avec leurs com- pagnons de route. Ce qui, cette fois, ne se produisit pas. Au début du voyage, le marchand s'était pourtant mis en tête de conter, pour dégeler l'atmosphère, ses plus belles affaires surve- nues à l’occasion de déplacements comme celui-ci. Harnaché de curieux tissus aux couleurs criardes qui le boudinaient et déré- glaient sa respiration, un col de fourrure masquant un coussinet pour protéger sa nuque, le commerçant ne suscitait qu'indiffé- rence, quoiqu'il mît toute sa jovialité à contribution. « Et si je vous disais qu'il y a deux années, j'ai acquis un oignon de tulipe contre dix mètres de coton... Vous ne me croirez pas mais c'était au temps où, dans notre Hollande, l'oignon de tulipe s'échangeait contre un carrosse, ni plus ni moins. » Voulait-il seulement donner une idée de sa richesse? Ou bien espérait-il, À l’occasion de ce voyage, gagner tout d’un train de nouveaux clients? Toujours est-il que le sieur Du Perron s'en- nuyait. Il goûtait modestement à ce genre de bavardages. Sans le bouder, il lui répondait tantôt par de légers mouvements de tête, tantôt par une banalité exprimée sans conviction. Les paupières mi-closes, il rêvait. | A travers la fenêtre, son regard s’éternisait sur le mouvement de l'une des roues du coche. Il se représentait ainsi rien de moins que le mouvement de la Terre : celle-ci tourne bien comme une roue sur un essieu, tout en traçant une ligne le long du chemin. L'axe de rotation, voilà l'essentiel que le commun des doctes oubliait de considérer! Si elle avait été plate comme un disque, ainsi que le pensaient les Anciens, il eût fallu imaginer que son centre tournait sur un axe pour expliquer le mouvement des étoiles autour de nous, à moins d'invoquer la rotation de tout l’Univers. Au contraire, avec l'hypothèse de son mouvement, tout s’enchaînait à merveille, les trajectoires rectilignes prenaient place dans le grand L'Échelle de Monsieur Descartes mouvement circulaire général... Le moindre petit déplacement imitait le mouvement tourbillonnant de notre planète. Comment le faire comprendre aujourd’hui? Le conclave des car- dinaux en a délibéré autrement! Bien que l'hypothèse restât solide, nul ne s’exposerait, en bon chrétien, À se dire entièrement copernicien. Seuls certains libertins s’aventurent encore à l’affir- mer et cela parce qu'ils font profession de se mettre en travers de la voie de la sainte Église. M. Du Perron, quant à lui, respectait ce que les cardinaux avaient conclu mais n'en pensait pas moins que l'hypothèse contraire se pouvait soutenir couvertement. Ce n'était pas un excès de prudence. Plus d’une fois, on l’avait soupçonné de morguer les cieux. Et il est vrai que c'était là la rai- son véritable de sa cautèle car, du courage, il en avait montré en maintes circonstances. Il se souvenait qu’une fois dans sa jeunesse, il s'était trouvé dans un bateau avec son valet tandis que des marins complotaient en flamand pour les détrousser et les jeter à l'eau. Comprenant leurs intentions, sans hésiter, il avait tiré sa lame et leur avait tenu un discours hardi qui les avait découragés d'aller plus loin dans leur projet. Revenant à sa préoccupation initiale, celle qui se perdait dans le mouvement régulier des roues de [a voiture, il se disait que, sou- vent, un mouvement en compose un autre — le circulaire pour le rectiligne ou l'inverse —, que chaque mouvement dépend d’un autre, d’un genre différent et qu'en la nature rien ne se perd. Ainsi le monde se change tour en se gardant globalement inchangé. Si nous considérons tout ce qui bouge autour de nous, nous avons tendance À ignorer notre propre mouvement. Aussi avait-il eu au moins une raison d'affirmer, par le passé, que la Terre ne se meut point. A côté de lui se tenait dans une position un peu raïde son valet qui prêtait une oreille attentive à tout ce qui se disait autour de lui. L'Échelle de Monsieur Descartes -Maçon était pour M. Du Perron davantage qu’un valet, un confi- dent et un ami qui alliait une curiosité spirituelle et une immense discrétion. Il le formait à toutes les questions épineuses, considé- rant qu'il n'y a pas, en ces matières, de barrière de condition. Maçon était un compagnon de grande humilité et bonté, une sorte d’abrégé de vertu morale. Sur son visage se lisait une aptitude peu commune à rendre service qui contrastait avec l’expression rugueuse de l’homme en noir assis face à lui, que n’arrondissait pas le mouvement preste et intermittent de son éventail. « Quelle belle invention que l'éventail, finit par s'exclamer l'homme d'Église; on se demande où il va trouver cet air si frais! » Cette réflexion étonna le rêveur au point de le faire sourire. « C’est très joliment dit, répliqua Du Perron, et je n'ai jamais entendu parler d’un éventail aussi talentueux! » L'homme d’Église apprécia la remarque sans en saisir l'ironie et persévéra. « Vous comprenez, il y a un instant, j'avais l'impression que l'air avait disparu, et, depuis que j’use de cet éventail, l'air qui fuyait est réapparu pour ne plus nous quitter. » « Cela sent son Aristote! » se dit Du Perron en son for intérieur. L'homme qui avait peut-être le rang de pasteur ne manquait pas de bon sens, ni même, sans doute, d'intelligence. Cependant, il s’accrochait, comme certains doctes, à la pure apparence des choses et attribuait toutes sortes de vertus aux corps matériels, for- geant là-dessus des bourdes nonpareilles. Si l'air caresse ses sens, il ne doute point de le trouver près de lui, sinon il se persuade de sa disparition. Le chaud, le froid, le léger, le lourd! Ces gens de l'École ont inventé des qualités pour expliquer ce qu’ils ne com- prennent pas au lieu de s'en tenir au peu qu'ils connaissent. Du Perron comprit assez vite ce qu’il pourrait attendre d’une conver- sation avec un tel homme et ne se hasarda pas à entreprendre. L'homme lui rappelait certaines autorités savantes auxquelles il 10

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