« Le sublime dans les contes et nouvelles de Mérimée, Barbey dřAurevilly et Villiers de lřIsle-Adam » by Maud Pillet A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy Graduate Department of French University of Toronto © Copyright by Maud Pillet 2011 « Le sublime dans les contes et nouvelles de Mérimée, Barbey d’Aurevilly et Villiers de l’Isle-Adam » Maud Pillet Doctor of Philosophy Degree Département d’études Françaises University of Toronto 2011 Résumé Si le sublime occupe une place privilégiée au sein de la réflexion philosophique, esthétique et littéraire, rares sont les travaux qui y sont consacrés pour les œuvres de la deuxième moitié du XIXe siècle. Cřest pour tenter de pallier ce manque que cette thèse analyse le sublime dans les contes et nouvelles de Mérimée, Barbey dřAurevilly et Villiers de lřIsle-Adam. En nous appuyant sur la réflexion du sublime amorcée par Longin et prolongée notamment par Burke, Kant, Schiller ou encore Hugo, il sřagit de définir son évolution et surtout sa spécificité en cette période de crise profonde, où le sublime apparaît comme une réponse à la conquête dřautonomie de la Littérature par rapport à la science et à la question de sa finalité. Dans un premier temps, la thèse aborde la question du sublime dřun point de vue rhétorique. Nous examinons ainsi la capacité du langage à exprimer et à représenter le sublime en oscillant entre une rhétorique de lřeffet, fondée sur lřexpressivité du langage dans la mise en scène des conteurs et lřorganisation rhétorique de la narration, un ii questionnement sur le tragique et enfin une rhétorique de lřineffable, puisque le sublime ressort à bien des égards dřun imprésentable. Dans un deuxième temps, le sublime est analysé en tant que poétique fondée sur un dispositif paroxystique et oxymorique. Enfin il est envisagé en tant que véritable acte esthétique où il tend à rejoindre le concept de sublimation et à se faire, notamment par une expérience du mal, le lieu non seulement dřune connaissance, dřune croyance, mais surtout dřune métamorphose profonde aussi bien de lřhomme que de la littérature elle- même, qui y trouve un moyen de lutter contre les valeurs de la modernité tout en fondant une écriture résolument moderne. iii Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, mřont apporté leur soutien et leur aide au cours de mon projet de thèse et qui ont permis son aboutissement. Je remercie tout particulièrement mon directeur de thèse, le professeur Roland Le Huenen, qui tant par ses précieux conseils que par la sagesse de sa direction a rendu cette expérience à la fois plus sereine et plus enrichissante. Je tiens aussi à remercier les deux membres de mon comité de thèse, les professeurs Pascal Michelucci et Anthony Glinoer qui ont éclairé de leurs lumières certains méandres dans lesquels la thèse mřa parfois menée. Je remercie aussi le professeur Isabelle Daunais pour avoir généreusement accepté dřêtre examinatrice externe ainsi que pour sa lecture attentive et éclairante. Ces années de doctorat nřauraient pas été les mêmes sans le soutien indéfectible de mon conjoint Laurent Barbe dont je loue la patience et la détermination. Mes remerciements vont aussi vers mes parents qui mřont toujours beaucoup soutenue. Cette thèse ne serait pas la même sans mon père Jean-Luc Pillet, qui mřa transmis son enthousiasme et sa passion pour la littérature. La confiance sans failles de ma mère Colette Izzo mřa aussi portée tout au long de ce parcours. Je remercie également mes beaux-parents, dont les encouragements mřont beaucoup touchée. Si la famille est importante, il est des amis sans lesquels cette thèse ne serait pas ce quřelle est aujourdřhui. Je pense ainsi tout spécialement à Ritu Bhatnagar avec qui jřai partagé avec beaucoup de bonheur toutes les épreuves du doctorat ainsi quřà Marie- Thérèse Ballin, Marie Boisvert, Ramona Mielusel, Anna Frolova, Eloïse Pontbriand, Diana Rivero, Ruth-Ellen St. Onge, Vincent Manuele, Yves Bourque ou encore Mirela Cherciov qui mřont apporté leur soutien et qui ont fait du doctorat une expérience sans pareille. Enfin, jřai une pensée toute particulière pour Monique Lecerf qui a toujours su trouver ces mots de réconfort qui sont dřun soutien inestimable. iv Table des matières Remerciements .................................................................................................................. iv Table des matières ............................................................................................................. v Introduction ....................................................................................................................... 1 I. Du grand style au Sublime ..................................................................................... 4 1. Entre « movere » et « pathos » .......................................................................... 4 2. Le Sublime comme enjeu suprême de lřart : de la technè au génie .................. 5 3. Du Père Bouhours à Boileau : Le « je ne sais quoi » ........................................ 7 4. La querelle du Fiat lux : de lřindéfinissable à lřindicible du sublime .............. 8 II. Le langage au centre du sublime : Du Fiat lux à une rhétorique du Diable ... 11 1. Rhétorique humaine et rhétorique divine ........................................................ 11 2. Des Lumières au romantisme .......................................................................... 15 3. Le sublime romantique ou le domptage artistique de lřhorrible ..................... 18 4. Du roman noir aux « petits romantiques » : entre le Diable et le monstre humain ....................................................................................................................... 21 5. De Baudelaire à « lřimaginaire décadent » ..................................................... 25 III. Présentation de la thèse ........................................................................................ 28 1. Justification du corpus ..................................................................................... 28 A. De Mérimée à Villiers de lřIsle-Adam ....................................................................... 29 B. Les nouvelles .............................................................................................................. 36 2. Organisation du travail .................................................................................... 39 1ère PARTIE ...................................................................................................................... 42 Le sublime : de la performativité du langage à un questionnement herméneutique 42 I. La Rhétorique des effets ....................................................................................... 62 1. La mise en scène des conteurs ......................................................................... 62 A. « Sous la griffe » des conteurs ................................................................................... 65 v B. Sombre récit, conteur plus sombre : le sublime contre le mélodrame ........................ 74 2. Lřorganisation rhétorique de la narration : la mise en scène de la terreur ...... 80 A. La mise à distance de la terreur .................................................................................. 80 B. La mise en abyme de la fascination pour le mal ........................................................ 86 C. Le sublime terrifiant et sa mise en danger .................................................................. 87 a. Les diaboliques et la narration terrifiante comme mise en abyme de lřeffet sublime ........................................................................................................................... 90 b. Les Âmes du purgatoire........................................................................................ 102 D. La parole comme mise en danger .................................................................. 106 a. La parole diabolique de Barbey............................................................................ 106 b. Lřéchafaud comme métaphore de la parole et de lřécriture de Villiers................ 110 II. Une rhétorique du pathos : entre tragique et sublime .................................... 115 1. Le « sublime infernal » et un tragique moderne ............................................ 122 A. Le chant du cygne de lřaristocratie dans Les diaboliques ........................................ 127 a. Les spectres sublimes ........................................................................................... 128 b. Le sacrifice tragique dans le crime ....................................................................... 132 B. La vengeance tragique .............................................................................................. 134 C. « Les Caïns de lřamour » : Le destin tragique dřun amour sublime ......................... 136 2. Une lutte entre tragique et sublime ................................................................ 142 A. Un conflit tragique ................................................................................................... 143 a. La « malédiction » de Fortunato .......................................................................... 143 b. La question de la fatalité et la fatalité mise en question ....................................... 145 c. Le sublime de la liberté contre le tragique de lřamour ......................................... 150 B. La remise en cause du tragique ................................................................................ 151 C. Colomba : Le chant tragique de la vendetta ............................................................. 153 3. Une conception tragique du sublime ............................................................. 158 III. Une rhétorique de l’ineffable ............................................................................. 163 1. Une rhétorique de la litote ............................................................................. 165 A. Le laconisme : de la brièveté de la nouvelle à la poétique du sublime .................... 165 B. Une poétique du non-dit : les récits lacunaires ......................................................... 170 2. Une rhétorique du sphinx : lřécriture énigmatique ........................................ 176 A. Mérimée et une herméneutique des possibles : lřécriture du cryptogramme ........... 178 vi B. Barbey dřAurevilly et la poétique du mystère .......................................................... 190 C. Le symbolisme sublime des Contes cruels............................................................... 197 2e PARTIE ...................................................................................................................... 206 Entre une poétique de l’oxymore et une esthétique de la sublimation ..................... 206 I. La poétique du paroxysme ................................................................................. 206 1. La tension narrative ....................................................................................... 206 A. La structure oxymorique : les éléments paratextuels ............................................... 207 a. Le titre .................................................................................................................. 208 b. Lřépigraphe .......................................................................................................... 209 B. La pointe du sublime ................................................................................................ 212 2. Des personnages aux figures de lřexcès ........................................................ 217 A. Le sublime : lřexigence de grandeur et dřinfini ....................................................... 217 B. LřOnomastique : les noms comme lieux dřune résonance sublime ......................... 224 a. Hauteclaire : Le nom comme forme dřélévation sublime .................................... 226 b. Le Don Juan de Barbey : le nom comme quête dřabsolu ..................................... 228 c. Marguerite et Julien : le nom prophétique ............................................................ 229 d. La duchesse dřArcos : le nom sublimé comme symbole et tombeau ................... 230 e. Lřantonomase ....................................................................................................... 232 3. Des figures dřagrandissement à lřagrandissement des figures : lřamour comme idéal sublime ............................................................................................... 234 A. Le couple Serlon-Hauteclaire et la sublimité de lřamour et du bonheur .................. 235 B. Véra et lřamour comme absolu : entre idéal et réalité .............................................. 237 C. Lřamour suprême ou le sublime de lřexpérience mystique : Une poétique des élus .................................................................................................................................. 241 II. D’une poétique des contraires à une poétique du dépassement ..................... 245 1. Le rire sublime : du grotesque au tragique .................................................... 248 A. Le rire cruel : une lutte entre grotesque et sublime .................................................. 248 B. Le rire tragique ......................................................................................................... 253 2. La poétique du sublime comme principe de dualité ...................................... 256 A. Une poétique du mal ................................................................................................ 256 B. Don Juan lřAntéchrist ? ............................................................................................ 258 vii C. Les criminels sublimes : une lutte entre animalité et civilisation ............................. 261 a. Tamango et le cri sublime et sauvage de la liberté ............................................... 263 b. Colomba et la lutte entre raison et passion : le sublime contre le romanesque .... 267 c. « Lokis », dualisme sublime ................................................................................. 271 3. Le sublime de lřenfer et lřoxymore érotique ................................................. 275 A. Les diaboliques ou le sublime de lřEnfer ................................................................. 275 B. Satanisme ou la poétique de la tentation .................................................................. 278 C. La Rosalba : ange et démon ..................................................................................... 282 D. Lřamour dans le crime .............................................................................................. 289 III. L’esthétique sublime : d’un principe de connaissance à un principe de métamorphose ............................................................................................................ 295 1. Du Sublime à la sublimation esthétique : du Fiat lux au Credo.................... 302 A. Mérimée et les superstitions ..................................................................................... 302 B. Les diaboliques ou lřœuvre dřun moraliste chrétien?............................................... 309 C. Lřinconscient comme forme moderne du sublime : de la catharsis à la sublimation esthétique ...................................................................................................... 314 a. Lřinconscient archaïque comme forme du sublime ............................................. 320 b. Lřinconscient au cœur de la création aurevillienne .............................................. 326 2. Le sublime : un jeu sur lřécriture mythique .................................................. 328 A. Mérimée et Barbey dřAurevilly : un jeu sur lřécriture du mythe de Don Juan ........ 329 a. Les origines du mythe de Don Juan : un principe de variabilité et dřintertextualité ............................................................................................................ 329 b. Le mythe de Don Juan dans « Les Âmes du Purgatoire » .................................... 331 c. Le mythe de Don Juan dans « Le plus bel amour de Don Juan »......................... 333 B. Le sublime comme principe de renouvellement dřun mythe littéraire : la palingénésie ...................................................................................................................... 334 a. Don Juan : entre mythe et mythe littéraire ........................................................... 334 b. Don Juan : Dieu OU le diable ? ............................................................................. 335 c. Don Juan : Dieu ET le diable ................................................................................ 337 C. Le sublime comme dépassement du mythe littéraire : le retour au mythe des origines ............................................................................................................................. 339 a. Entre mythe littéraire et mythe littérarisé ............................................................. 339 b. La fascination pour lřarchaïque chez Mérimée .................................................... 340 c. Sacré et profane : le mythe sublimé de Don Juan ................................................ 343 viii 3. Villiers et le spiritualisme : entre la foi du sublime et la fin de lřart ............. 346 A. La science comme « religion de la raison » : la connaissance contre la croyance ... 348 B. Le credo chrétien et ses « dogmes immuables, divins, au sens infini » ................... 352 C. La foi en lřart sublime : le génie pur ........................................................................ 354 Conclusion ...................................................................................................................... 360 I. Sublime et sublimation ....................................................................................... 360 II. Le sublime comme enjeu de la modernité et d’une libération de l’art .......... 366 III. Quelques maux pour finir .................................................................................. 370 Bibliographie .................................................................................................................. 373 ix 1 Introduction Oui, je le sais, nous ne sommes que de vaines formes de la matière, mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme1. Dans le langage courant, le sublime renvoie le plus souvent à un superlatif du beau ; nřest sublime que ce qui est au fond excessivement beau, grandiose, merveilleux ou encore magnifique. Cřest sous sa forme adjectivale quřil tend le plus Ŕ à lřinstar de lřadjectif beau Ŕ à perdre toute subtilité, toute nuance et finalement toute valeur, en se rapportant à des domaines aussi variés quřinsignifiants. Il ne se restreint plus à un style, à une qualité morale ou intellectuelle, ni même au domaine des beaux-arts. À quoi bon dès lors sřintéresser à une notion dont la légitimité même tend à se dissoudre dans un « attrape-tout » plus ou moins valable et plus ou moins significatif ? Si on le sort de son acception courante et banalisée, le sublime offre un formidable réseau de significations qui permettent dřéclairer dřune lumière nouvelle les œuvres qui en portent lřenjeu. En réalité, il occupe une place historiquement privilégiée au sein de la réflexion philosophique, esthétique et littéraire et les définitions le concernant ne manquent pas, toutes porteuses dřune profonde dualité qui fait aussi sa richesse. Ainsi, sřil échappe à toute classification restrictive et réductrice, cřest quřune définition seule semble incapable de saisir toute la portée dřune notion déterminée par son caractère justement indéfinissable, tant au niveau de ses modes de représentation, de création que de ses effets suscités ou recherchés. Il ne sřagira donc pas, dans le cadre de notre thèse, de prétendre apporter une définition supplémentaire du sublime, ce qui serait à la fois le restreindre et le contredire. Il sřagira bien plutôt de tenter de comprendre comment les multiples sens que le sublime peut revêtir ont, dřun côté, influencé lřécriture des nouvelles de Mérimée, Barbey dřAurevilly et Villiers de lřIsle-Adam et, dřun autre côté, comment leurs œuvres elles-mêmes ont entraîné un renouvellement du sublime en tant que concept littéraire, agent dřune poétique et enjeu esthétique. Plutôt quřune définition de plus sur le sublime, nous chercherons donc davantage à proposer une 1 Stéphane Mallarmé, lettre à Henri Cazalis du 28 avril 1866, Œuvres complètes, Bertrand Marchal éd., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t.1., 1998, p. 696.
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