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Le sens des icônes PDF

199 Pages·2003·23.848 MB·French
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LÉONIDE OUSPENSKY VLADIMIR LOSSKY L e Sens des icônes ce,f L'art de l'icône a fait voyager jusqu'en Russie de grands maîtres tels que Matisse ou Picasso. C'est dire sa puis sance d'attraction. Mais, au-delà de cet intérêt qualifié ou de la vogue plus superficielle et moins avertie dont l'icône est l'objet, la question du mys tère des saintes images reste posée. Écrit par Vladimir Lossky, auteur de l 'Essoi sur lo théoloÇJie mystique de l'ÉÇJlisc d'Orient et Léonide ouspensky, auteur de la magistrale synthèse sur Lo Théologie cie l'icône, ce livre fait figure de classique sur le sujet. Sa première édition, au début des années 1 950, fut une véritable révélation : les Russes de l'émigration faisaient connaître leur patrimoine. Au cœur de celui-ci, l'icône que le monde occidental allait décou vrir pour ce qu'elle est vraiment. Nul mieux que les maîtres qu'on va lire ne peut introduire à l'intelligence de cette forme d'art si particulière. Non seule ment ils connaissent et habitent la tradi tion orthodoxe, la théologie et les intui tions spirituelles dont se nourrit l'art de l'icône, mais ils savent y faire entrer le lecteur occidental. Étranger à ce patri moine, celui-ci est toujours menacé par le danger d'un exotisme superficiel. Un sain dépaysement est la condition pour entrer dans l'intelligence du mystère de lïcône. En effet. l'icône ne relève pas de la seule critique artistique, encore moins de la sentimentalité. Ses formes sont conditionnées par la sagesse théolo gique et spirituelle de l'Église ortl10- doxe. Elles relèvent d'une démarcl1e qu·on ne peut qualifier autrement que contemplative. Au fondement de la tra dition iconographique, il y a lïncarna tion même de Dieu, selon l'enseigne ment du vw concile œcuménique. Dieu s·est fait humain pour la joie et la déifica tion de l'homme. Cette «déification» est perceptible chez les saints. Les théolo giens byzantins ont souvent considéré la vocation du peintre d'icône à parité' avec celle du prêtre. Voué au service d'une réalité plus haute, il exerce sa pro fession comme un prêtre. Lo liturgie - l'« authenticité spirituelle de l'icône. son >> pouvoir mystérieux, presque sacré, de convaincre - ne dépend pas seulement de l'observance rigoureuse des règles de l'art de l'icône, mais aussi de la fer veur du peintre. L'art dialogue ici a\·ec l'ascè'se spirituelle. En d'autres termes, tant du point de \·ue de celui qui la fait que de celui qui la regarde et la vénère, les enjeux cie l'icône sont théologiques et tt1éologau:\. Tl1éologiques parce que l'icône est un écl10 \'isuel de l'Incarnation. un relais. la prédication vivante de l'Église, une traduction en image de la connaissan ce théologique et spirituelle. Théologaux parce que cette connais sance ne peut rester lettre morte : le message de l'Évangile a un impact existentiel direct sur son destinataire. Il vise à une transformation vitale, une entrée en sainteté. Le livre comporte une section sur la technique de la peinture de l'icône ; elle précède la partie centrale de l'ouvrage où sont décrits les principaux types d'icône. Outre la présentation détaillée de l'iconostase de l'église russe, on trouve l'explication de cinquante-huit types d'icône - dont dix sont consacrés à la Vierge - avec un nombre égal d'illustrations ; on notera plus particuliè rement cinquante et une icônes repro duites en couleurs, dans toute leur splendeur. Jusqu'en des temps récents, les icônes de Russie étaient inaccessibles. Impos sibles à photographier ou à reproduire. C'est pourquoi le choix des sujets qui doivent permettre de percevoir les traits principaux de l'iconographie orthodoxe est surtout tribu taire ici d'exemples pris hors de Russie. Un bon nombre de musées et de col lectionneurs privés en Europe et en Amérique ont spontanément mis leurs collections à la disposition des auteurs. Ajoutons enfin que le livre offre la reproduction d'icônes superbes jamais publiées ou inconnues du grand public. La traduction des textes de L. Ouspensky a été réalisée par Lydia Ouspensky à partir de l'original russe. @) Tous droits réservés. La loi du 11 mars l 95~ interdit ks copies ou reproduc1 ions destinées :\ une utilis:1tion collecth-e. Toute représentation ou reproduction intégrale ou panielle faite par quelque procédé que cc soit. sans le conscnrcrnent clc l'auteur et de l'<.\litcur. est illicite et PHOTOC"OP ILLAGE constitue une contrefa~·rm sanctionnée par les :111icks -+25 et .sui,·ants du Code pénal. TUE LE LIVRE © J:es I?ditions du Ce1f 20U:\ www.eclitionsclucerf.fr (29. bouleYarcl La Tour-\lauhourg 75540 Paris Cedex lr) © '-Jicolas Lossky et Lydia Ouspcnsk,- ISB'-J 2-204-07185-1 l"" éd.· Ot'r Sin Il der !honen, Crs Craf \ erlag fkrn Cllt()J1. 1952 2,· éd.: ïlw Jlecming r{ Jcmzs. Boston Book :111d _-\n sh, ,p. B, hl< m. ! lJ(1lJ 3" éd.· St Vladirnir's Scminary Pn:ss, Crestwood '\c"v, York rc:, i,c:d c:dirion. l 'lll2 LA TRADITION ET LES TRADITIONS J LA TRADITION ET LES TRADITIONS La Tradition (T Tapâ8o<JLS', traditio) est un de Devant ces descriptions, fidèles dans leur ces termes qui, pour être trop riches de sens, ligne générale à l'image de la Tradition chez courent le risque de n'en plus avoir du tout. les Pères des premiers siècles, on veut bien Cela non seulement par suite d'une sécularisa reconnaître le caractère de " plérôme ,, propre tion qui a déprécié tant de mots du vocabu à la tradition de l'Église, mais on ne saurait laire théologique - " spiritualité ", " mystique ", renoncer pour autant à la nécessité de distin " communion ,, - en les détachant de leur guer qui s'impose à toute théologie dogma contexte chrétien pour en faire la monnaie tique. Distinguer ne veut pas toujours dire courante d'un langage profane. Si le mot séparer, ni même opposer. En opposant la " tradition ,, a subi le même sort, ce fut d'au Tradition et l'Écriture sainte comme deux tant plus facilement que, clans la langue même sources de la Révélation, les polémistes de la de la théologie, ce terme reste parfois quelque Contre-Réforme se sont mis d'emblée sur le peu flottant. En effet, pour ne pas tronquer inême terrain que leurs adversaires protes la notion de tradition en éliminant quelques tants, ayant reconnu tacitement clans la unes des acceptions qu'elle a pu contenir, Tradition une réalité autre que celle de l'Écri pour les garder toutes, on se trouve réduit à ture. Au lieu d'être l'im60E<JL5' même2 des livres des définitions qui embrassent trop d'éléments sacrés, leur cohérence foncière due au souffle la fois et ne saisissent plus ce qui constitue vivant qui les traverse en transformant la lettre ~L le sens propre de la " Tradition "· Dès qu'on en " corps unique de la Vérité ", la Tradition veut préciser, on se voit obligé de morceler apparaissait comme quelque chose de un contenu trop abondant, en créant un surajouté, comme un principe extérieur par groupe de concepts étriqués dont la somme rappott à l'Écriture. Dès lors, les textes patris est loin d'exprimer la réalité vivante qui tiques qui attribuaient un caractère de s'appelle la Tradition de l'Église. En lisant le " plérôme ,, à l'Écriture sainte3 devenaient savant ouvrage du P. A. Deneffe, Der Traditions incompréhensibles, tandis que la doctrine begrif/1, on se demande si la tradition est protestante de la " suffisance de l'Écriture ,, conceptualisable, ou bien si, comme tout ce recevait un sens négatif, par exclusion de tout qui est " vie ", elle " déborde l'intelligence ,, ce qui est " tradition "· Les défenseurs de la et devrait être décrite plutôt que définie. On Tradition se sont vus obligés de prouver la trouve en effet chez quelques théologiens de nécessité d'unir deux réalités juxtaposées, dont l'époque romantique, tels que Mahler en chacune prise à part restait insuffisante. D'où Allemagne ou Khomiakov en Russie, de une série de faux problèmes comme celui de belles pages de description où la tradition la primauté de l'Écriture ou de la Tradition, apparaît comme une plénitude catholique, de leur autorité respective, de la différence sans qu'on puisse la distinguer de l'unité, de totale ou partielle de leur contenu, etc. la catholicité (Sobornost de Khomiakov), de Comment prouver la nécessité de connaître l'apostolicité ou de la conscience de l'Église l'Écriture clans la Tradition, comment retrouver possédant la certitude immédiate de la vérité leur unité que l'on a méconnue en les sépa révélée. rant ? Si les deux sont " plénitude ", il ne pour- 1. Dans la collection " Münsterische I3eitùge zur Theologie ", Cahier 18 (Münster, 1931). 2. L'expression est de SAI'sT Im'l\fE, Adv. baer., l, 1. 15-20. 3. Voir l'article du P. Louis I3ocYER, 'Jbe Fathe1~1· of the Church on Tradition and Scripture. dans: ECQ, VII 0947), numéro spécial sur la Tradition et !'Écriture. 9 rait s'agir de deux " plérômes que l'on entre Tradition et Écriture subsistera toujours, » · oppose, mais des deux modalités d'une seule mais au lieu d'isoler deux sources de la et même plénitude de la Révélation commu Révélation, on opposera deux modes de sa niquée à l'Église. transmission : par prédication vivante et par Une distinction qui sépare ou divise n'est écrit. Il faudra donc ranger d'une part la prédi jamais parfaite ni assez radicale : elle ne laisse cation des apôtres et de leurs successeurs, pas discerner dans sa pureté la différence du ainsi que toute prédication de la foi exercée terme inconnu qu'elle oppose à un autre, qui par un magistère vivant; d'autre part - la est supposé être connu. La séparation est en Sainte Écriture et toutes les autres expressions même temps plus et moins qu'une distinc écrites de la Vérité révélée ( ces dernières étant tion : elle juxtapose deux objets détachés l'un différentes quant au degré de leur autorité de l'autre mais, pour pouvoir le faire, elle doit reconnue par l'Église). Dans ce cas, on affir préalablement prêter à l'un les caractères de mera la primauté de la Tradition sur !'Écri l'autre. Dans notre cas, en voulant juxtaposer ture, puisque la transmission orale de la !'Écriture et la Tradition comme deux sources prédication apostolique avait précédé sa consi indépendantes de la Révélation, on dotera gnation par écrit dans le canon du Nouveau inévitablement la Tradition de qualités qui sont Testament. On dira même : l'Église a pu se propres à !'Écriture : ce sera l'ensemble passer des Écritures, mais elle ne pourrait d' autres écrits ou d'" autres paroles non exister sans la Tradition. Ce n'est juste que « » » écrites, tout ce que l'Église peut ajouter à dans une certaine mesure : il est vrai que !'Écriture dans le plan horizontal de son l'Église possède toujours la Vérité révélée histoire. On aura ainsi, d'une part !'Écriture qu'elle rend manifeste par la prédication, ou le canon des Écritures, d'autre part - la laquelle aurait pu aussi bien rester orale et --Tradit1'0(1 de l'Église, qui à son tour pourra passer de bouche en bouche, sans jamais être divisée en plusieurs sources de Révélation avoir été fixée par écrit1. Mais, tant qu'on ou Loci Theologici de valeur inégale : actes affirme la séparabilité de !'Écriture et de la des conciles œcuméniques ou locaux, écrits Tradition, on n'est pas encore arrivé à les des Pères, institutions canoniques, liturgie, distinguer radicalement : on reste à la surface, iconographie, coutumes dévotionnelles, etc. en opposant des livres écrits avec de l'encre Mais alors pourra-t-on parler encore de la et des discours faits de vive voix. Dans les " Tradition et ne serait-il pas plus exact de deux cas, il s'agit de la parole prêchée : la » « dire, avec les théologiens du concile de prédication de la foi sert ici de fondement » Trente, " les traditions ? Ce pluriel exprime commun qui habilite l'opposition. Mais n'est » bien ce qu'on veut dire lorsque, ayant séparé ce pas là attribuer à la Tradition quelque !'Écriture et la Tradition au lieu de les distin chose qui l'apparente encore à !'Écriture ? Ne guer, on projette cette dernière sur les témoi pourrait-on aller plus loin dans la recherche gnages écrits ou oraux qui s'ajoutent à de la notion pure de Tradition ? !'Écriture sainte, en l'accompagnant ou en la Dans la variété des acceptions que l'on suivant. Comme " le temps projeté dans peut noter chez les Pères des premiers siècles, l'espace présente un obstacle à l'intuition de la Tradition reçoit parfois celle d'un ensei » la durée bergsonienne, de même cette gnement gardé secret, sans être divulgué, afin « » projection de la notion qualitative de la d'éviter la profanation du mystère par les non Tradition dans le domaine quantitatif des initiés2. Cela est exprimé nettement par saint " traditions dissimule plus qu'elle ne Basile. dans la distinction qu'il fait entre » découvre son caractère propre, libre de toutes 86yµa et K~puyµa3. Le " dogme » a ici un déterminations qui limitent la Tradition, tout sens contraire à celui que nous prêtons en la situant historiquement. aujourd'hui à ce terme : loin d'être une défi On fera un pas en avant, vers une notion nition doctrinale hautement proclamée par plus pure de la Tradition, si l'on réserve ce l'Église. c·est un " enseignement (8L8aurnÀ.(a) terme pour désigner uniquement la transmis non publié et secret, que nos pères gardè sion orale des vérités de la foi. La séparation rent dans un silence exempt d'inquiétude et 1. SAINT IRÉNÉE envisage cette possibilité : Adv. haer., III, 4, 1. « Sources chrétiennes « n° 34, p. 114 s. 2. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, VI, 61 (Stahlin, 462). 3. Traité du Saint-Esprit, XXVII : P. G. 32, col. 188-193. 10 de curiosité, sachant bien qu'en se taisant on oppose à la prédication faite à haute voix, sauvegarde le caractère sacré des mystères1 font penser aux paroles qui sont dites dans ». « En revanche, le Kiipuyµa (qui veut dire les ténèbres », à l'oreille », dans la chambre « « prédication clans la langue du Nouveau secrète », mais qui seront prêchées en plein « » « Testament) est toujours une proclamation jour sur les toits (Mt 10, 27; Le 12, 3). », « » ouverte, que ce soit une définition cloctrinale2 Ce n'est plus une opposition entre les la prescription officielle d'une observance3, àypmpa et les Ëyypacpa, prédication orale et un acte canonique4 ou des prières publiques prédication écrite. La distinction de la Tradition de l'Église". Bien qu'elles fassent penser à la et de l'Écriture pénètre ici plus loin clans le doctrina arcana des gnostiques, qui se récla cœur du sujet, en rangeant d'un côté cc qui maient aussi d'une tradition apostolique est gardé en secret et, pour cette raison, ne cachée6, les traditions non écrites et secrètes doit pas être consigné par écrit, de l'autre - dont parle saint Basile en diffèrent sensible tout ce qui fait objet de la prédication et, ayant ment. Premièrement, les exemples qu'il donne été une fois déclaré publiquement, peut doré dans le passage que nous avons signalé mon navant se ranger du côté, des Écritures « » trent que les expressions mystériques de Cr pacpaL). Basile lui-même n'a-t-il pas jugé « » saint Basile ne visent pas un cercle ésoté opportun de livrer par écrit le secret de rique de quelques parfaits à l'intérieur de la quelques traditions en les transformant ainsi « » communauté chrétienne, mais bien l'ensemble en KT]pÛyµaTa9? Cette nouvelle distinction qui des fidèles participant à la vie sacramentelle met l'accent sur le caractère secret de la de l'Église, qui sont opposés ici aux non Tradition, en opposant ainsi un fonds caché « initiés ", à ceux qu'une catéchèse progressive d'enseignements oraux reçus des apôtres à ce doit préparer aux sacrements d'initiation. que l'Église propose à la connaissance de tous, Deuxièmement, la tradition secrète (8ôyµa) fait baigner la prédication dans une mer « » peut être proclamée publiquement et devenir de traditions apostoliques qu'on ne saurait ainsi prédication (Kiipuyµa), lorsqu'une éca1ter ou mésestimer, sans porter atteinte à « » nécessité (par exemple la lutte contre une l'Évangile. Bien plus : si on le faisait, on « hérésie) oblige l'Église à se prononcer7. Donc, transformerait l'enseignement prêché ( Tà si les traditions reçues des apôtres restent non Kiipuyµa) en un simple nom », vide de sens10. écrites et soumises à la discipline du secret, Les quelques exemples de ces traditions si les fidèles ne connaissent pas toujours leur proposés par saint Basile se rapportent tous à sens mystérieux8, ceci est clü à la sage la vie sacramentelle et liturgique de l'Église économie de l'Église qui ne livre ses mystères (signe de la croix, rites baptismaux, bénédic que clans la mesure où leur proclamation tion de l'huile, épiclèse eucharistique, la ouverte devient indispensable. On se trouve coutume de se tourner vers l'Orient pendant ici devant l'une des antinomies évangéliques : la prière et celle de se tenir debout le d'une part on ne doit pas donner les choses dimanche et pendant la période pentecostale, saintes aux chiens, ni jeter les perles aux etc.). Si ces coutumes non écrites (Tà « » pourceaux (Mt 7, 6), d'autre part - il n'y a àypacpa Twv Ë0wv ), ces mystères de l'Église ,, « « rien de caché qui ne doive être découvert, (àypacpa Tfjs- 'EKKÀ.T]CTLŒS' µucnripw), tellement ni de secret qui ne doive être connu (Mt 10, nombreux que l'on ne pourrait les exposer au » 26; Le 12, 2). Les « traditions gardées en cours d'une journée entière11, sont nécessaires silence et dans le mystère », que saint Basile pour l'intelligence de la vérité de l'Écriture ( et l. Ibid., 188-189 a. 2. SAI"\T BASILE (Lettre 51, ibid., col. 392 c) appelle l'oµooucJLo,;- - " la grande proclamation dl: la piété (To µÉya TijS' flJCJf~fLŒS' Kî]pvyµa) qui a rendu manifeste la doctrine (Sôyµa) du salut (n)ir Lettre 125. ibid., col. 548 b). » 3. HmmWe sur le jeûne (P. G. 31, col. 185 c). 4. Lettre 251 (P. G. 32, col. 933 b). S. Lettre l 55 (Ibid : 612 c). 6. PTOJÉ~IÉE, T,ettre à Flora. VII, 9 (coll. " Sources chrétiennes ", n° 24, p. 66). 7. L'exemple de J'oµooumos- est typique dans ce sens. L'économie de saint Basile au sujet de la divinité du Saint- Esprit s'explique non seulement par un souci de pédagogie, mais aussi par cette concepticm de la tradition secrète. 8. SAJ"\T BASILE, Traité du Saint-F,spril, ibid.. col. 189 c-192 a. 9. Thiel., col. 192 a-193 a. 10. Ibid., col. 188 ab. ll. Ibid., col. 188 a, 192 c-193 a. 11 en général du vrai sens de toute prédica tion ouverte. Pour dégager la notion pure de « tion »), il est clair que ces traditions secrètes Tradition, pour la dépouiller de tout ce qui signalent le caractère mystérique de la connais est sa projection sur la ligne horizontale de sance chrétienne. En effet, la Vérité révélée l'Église, il faudra dépasser l'opposition des n'est pas une lettre morte, mais une Parole paroles secrètes et des paroles prêchées à vivante : on n'y peut accéder que clans l'Église, haute voix, en rangeant ensemble les tradi « étant initié par les mystères ,, ou sacrements1 tions et la prédication Les premières aussi « » « ». au mystère caché des siècles et des généra bien que la seconde ont ceci en commun « tions, révélé à présent aux saints (Col 1, 26). que, secrètes ou non, elles sont néanmoins » Les traditions ou mystères non écrits de exprimées par la parole. Elles impliquent l'Église, signalés par saint Basile, constituent toujours une expression verbale, qu'il s'agisse clone la limite avec la Tradition proprement de paroles proprement dites, prononcées ou dite, dont ils font entrevoir quelques traits. En écrites, ou bien d'un langage muet qui effet, il s'agit d'une pa1ticipation au mystère s'adresse à l'entendement par une manifesta révélé due au fait de l'initiation sacramentelle. tion visuelle (iconographie, gestes rituels, etc.). C'est une connaissance nouvelle, une gnose Prise clans ce sens général, la parole n'est pas « de Dieu (yvWCJLS' 0rnD) que l'on reçoit uniquement un signe extérieur utilisé pour » comme une grâce, et ce don de la gnose est désigner un concept, mais avant tout un conféré dans une tradition ,, qui est, pour contenu qui se définit intelligiblement et se « saint Basile, la confession de la Trinité lors déclare en prenant corps, en s'incorporant du baptême : formule sacrée qui nous intro dans le discours articulé ou dans toute autre duit clans la lumière2. Ici la ligne horizontale forme d'expression extérieure. des traditions reçues de la bouche du Si telle est la nature de la parole, rien de « » Seigneur et transmises par les apôtres et leurs ce qui se révèle et se fait connaître ne saurait successeurs vient de croiser avec la verticale, lui rester étranger. Que ce soient les Écri avec la Tradition - communication de l'Esprit tures, la prédication ou les traditions apos « saint qui ouvre aux membres de l'Église une toliques gardées en silence », le même mot perspective infinie de mystère clans chaque Myos- ou ,\oyLa pourra également s'appliquer parole de la Vérité révélée. À partir des tradi à tout ce qui constitue l'expression de la tions telles que saint Basile nous les présente, Vérité révélée. En effet, ce mot revient sans il faut donc aller plus loin et admettre la cesse dans la littérature patristique pour dési Tradition qui s'en distingue. gner aussi bien la Sainte Écriture que les En effet, si l'on s'arrête à la limite des tradi Symboles de la foi. Ainsi, saint Jean Cassien tions non écrites et secrètes, sans faire la dit-il au sujet du symbole d'Antioche : c'est « dernière distinction, on restera encore clans le le verbe abrégé (breviatum verbum) que le plan horizontal des TTapa8ôans-, où la Seigneur a fait... en contractant en peu de Tradition nous apparaît comme projetée dans paroles la foi de ses deux Testaments, pour « le domaine des Écritures Il est vrai qu'il y faire tenir brièvement le sens de toutes les ». sera impossible de séparer ces traditions Écritures3 Si l'on considère ensuite que ». secrètes des Écritures ou, plus généralement, !'Écriture n'est pas un ensemble de paroles de la prédication », mais on pourra toujours sur Dieu, mais la Parole de Dieu (À.Ôyos- Tou « les opposer comme parole dite en secret ou 0EoD), on comprendra pourquoi, surtout gardée en silence et parole déclarée publi depuis Origène, on a voulu identifier la quement. C'est que la distinction finale n'a présence du Logos divin clans les écrits des pas encore été faite, tant qu'il reste un dernier deux Testaments avec l'incarnation du Verbe, élément qui apparente la Tradition à l'Écriture par laquelle les Écritures se sont trouvées - la parole, qui sert de fondement pour " accomplies Bien avant Origène, saint ». opposer les traditions cachées à la prédica- Ignace cl 'Antioche refusait de voir dans les 1. Sur l'identification de ces deux termes et le sens " rnystérique , des sacrements chez les auteurs des premiers siècles, voir Dom Odo CASFL, Das Christliche Kul!usmysterium, Ratisbonne. 1932. p. 105 s. 2. SA!'\T BASILE, ibid. (X), col. 113 b. 3. "Hoc est ergo brel'iatum uerbum quod fecit Dominus, /. . .Jjîdem scilicet dup.. licis _T esta menti sui _in pauca collige~is, et sensum omnium Scripturamm in breuia corzcludens, (De irzcarn., VI, 3 : P. L. 'iO. col. 149 a). Le "breviatum uerbw,\, est une allusion à Romains 9, 27, citant à son tour Isaïe 10, 23. Voir sc1.1:,T ALGLSTIN, De Symbolo, I. P. L. 40, col. 628; SAINT CYRILLE DP ]ÉRl'SALJ:ill dans Catéchèse, V : 12 : P. G. 33, col. 521 ab. 12 Écritures autre chose qu'un document histo Comme nous l'avons dit, elle n'est pas à rique, des archives », et de justifier l'Évan chercher sur la ligne horizontale des tradi « « gile par les textes de l'Ancien Testament, en tions qui, aussi bien que l'Écriture, sont » '\fd éclarant : Pour moi, mes archives, c'est déterminées par la Parole. Si nous voulions « ésus-Christ; mes archives inviolables, c'est Sa encore l'opposer à tout ce qui appartient à Croix, et Sa Mort, et Sa Résurrection, et la la réalité de la Parole, il faudrait dire que la Foi qui vient de Lui. .. Il est la Porte du Père, Tradition est Silence. Celui qui possède en « par laquelle entrent Abraham, Isaac et Jacob, vérité la parole de Jésus peut entendre même et les prophètes, et les apôtres, et l'Église1. » Son silence (T fjs- 170uxlas- aùToù àKounv) », Si, par le fait de l'incarnation du Verbe, les dit saint Ignace d'Antioche2. Pour autant que Écritures ne sont pas des archives de la Vérité, je sache, ce texte n'a jamais été utilisé dans mais son corps vivant, on ne pourra posséder les études si nombreuses qui citent en abon les Écritures que dans l'Église qui est le corps dance des passages patristiques sur la unique du Christ. De nouveau on revient à Tradition, toujours les mêmes, connus de tous, l'idée de la suffisance de l'Écriture. Mais ici sans que l'on s'avise jamais que les textes où elle n'a rien de négatif : elle n'exclut pas, le mot tradition n'est pas expressément « » mais suppose l'Église avec ses sacrements, mentionné peuvent être plus éloquents que institutions et enseignements transmis par les bien d'autres. apôtres. Cette suffisance, ce plérôme de La faculté d'entendre le silence de Jésus, « » l'Écriture n'exclut pas non plus d'autres attribuée par saint Ignace à ceux qui possè expressions de la même Vérité que l'Église dent en vérité Sa parole, fait écho à l'appel pourra produire (comme la plénitude du réitéré du Christ à Ses auditeurs : Que celui « Christ, Chef de l'Église, n'exclut pas l'Église qui a les oreilles pour entendre, entende. » - complément de Son humanité glorieuse). Les paroles de la Révélation ont donc une On sait que les défenseurs des saintes images marge de silence qui ne saurait être captée fondaient la possibilité de l'iconographie chré par les oreilles de ceux de l'extérieur. Saint tienne sur le fait de l'incarnation du Verbe; Basile va dans le même sens lorsqu'il dit, dans les icônes, aussi bien que les Écritures, sont son passage sur les traditions : C'est aussi « des expressions de l'inexprimable, devenues une forme de silence, que l'obscurité dont se possibles grâce à la révélation de Dieu qui sert l'Écriture, afin de rendre difficile à saisir trouva son accomplissement dans l'incarna l'intelligence des enseignements, pour le profit tion du Fils. Il en est de même pour les défi des lecteurs3. » Ce silence des Écritures ne nitions dogmatiques, l'exégèse, la liturgie, pourrait en être détaché : il est transmis par pour tout ce qui, dans l'Église du Christ, parti l'Église avec les paroles de, la Révélation, cipe à la même plénitude de la Parole qui comme la condition même di leur réception. est contenue dans les Écritures sans y être S'il peut être opposé aux paroles (toujours limitée ou amoindrie. Dans ce totalitarisme sur le plan horizontal où ellè:,s expriment la « » du Verbe incarné, tout ce qui exprime la Vérité révélée), ce silence qui a<\compagne les Vérité révélée s'apparente donc à l'Écriture paroles n'implique nulle insuffisance ou implé et, si tout devenait effectivement écriture », nitude de la Révélation, ni la nécessité d'y « le monde lui-même ne saurait contenir les ajouter quoi que ce soit. Il signifie que le livres qu'on aurait à écrire 0n 21, 26). Mais mystère révélé, pour être vraiment reçu puisque l'expression du mystère transcendant comme plénitude, exige une conversion vers est devenue possible du fait de l'incarnation le plan vertical, afin que l'on puisse de la Parole, puisque tout ce qui l'exprime comprendre avec tous les Saints non seule « » devient en quelque sorte écriture à côté ment la largeur et la longueur de la « » « » de la Sainte Écriture, on se demandera où Révélation, mais aussi sa profondeur et sa « » est finalement la Tradition que nous avons hauteur (Ep 3, 18). « » cherchée en dégageant progressivement sa Au point où nous en sommes, nous ne notion pure de tout ce qui pouvait l'appa pouvons plus opposer l'Écriture et la Tradition, renter à la réalité scripturaire? ni les juxtaposer comme deux réalités 1. Aux Philadelphiens, VIII, 2 et IX, 1, « Sources chrétiennes ,, n° 10, 2e éd., p. 150. 2. Aux Éphésiens, XV, 2, Sources chrétiennes ,, n° 10, 2e éd., p. 84. « 3. SAINT BASILE, col. 189 be. 13

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