AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm Ecole doctorale Fernand-Braudel THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE LORRAINE Spécialité : Histoire moderne, contemporaine, mémoire, patrimoine Présentée et soutenue par Jacques DEFRETIN Le 4 décembre 2014 LE ROLE DU GENIE PENDANT LA BATAILLE DE VERDUN (FEVRIER 1916 – AOUT 1917) Sous la direction de Monsieur François Cochet Professeur à l’université Lorraine-Metz Jury Madame Julie d’Andurain Agrégée et docteur en histoire Monsieur François Audigier Professeur à l’université Lorraine-Metz Monsieur Jean-Noël Grandhomme Maître de conférence-HDR à l’université de Strasbourg Monsieur Hubert Heyriès Professeur à l’université Paul Valéry-Montpellier Monsieur le Lieutenant-Colonel Rémy Porte Docteur HDR A mon père, A la mémoire des sapeurs « troupes héroïques qui n’ont pas ménagé leurs peines et qui gardent encore le terrain puisqu’elles y sont enterrées »1 1 Général Caloni, Comment Verdun fut sauvé, Paris, Editions Chiron, 1924. REMERCIEMENTS Nous voulons exprimer ici notre profonde gratitude à notre directeur de thèse, Monsieur le Professeur François Cochet, pour son écoute et la qualité de son suivi de nos travaux, à Monsieur le Lieutenant-Colonel Rémy Porte, pour ses conseils toujours très pertinents et pour son appui, digne d’un sapeur, au démarrage de cette étude, à Monsieur le Commandant Ivan Cadeau, qui nous a bien facilité l’accès aux archives du Service Historique de la Défense et qui nous a fait profiter de son expérience de chercheur, à Monsieur le Général de corps d’armée Alain Richard, pour le partage de sa grande connaissance de l’arme du génie pendant la première guerre mondiale, à Monsieur Bernard Giudicelli, qui a mis à notre disposition l’important travail qu’il a réalisé sur les compagnies du génie, à Monsieur Sébastien Mougin, qui nous a assisté à de très nombreuses reprises dans notre travail de collecte des informations, à Madame Isabelle Rémy qui a mis à notre disposition le fond documentaire du Mémorial de Verdun, à l’ensemble du personnel du département des études et de l’enseignement du Service Historique de la Défense, pour la qualité de leur accueil et leur disponibilité. Nous adressons aussi tous nos remerciements à Marie-Christine et à nos enfants, pour leur compréhension et leur aide, à Madame Michèle Mary, Mademoiselle Axelle Duval et Monsieur Daniel Lesort pour leur travail de relecture. 3 Introduction Avant-propos La bibliographie relative à la première guerre mondiale est particulièrement riche. Tous les aspects de ce conflit semblent avoir été étudiés, de très nombreux ouvrages ont été rédigés sur les combattants, sur l’organisation des armées, sur toutes les grandes batailles, sur les conceptions stratégiques et tactiques ou sur l’emploi des armes. La liste exhaustive de l’ensemble de ces volumes, dont la publication commence pendant le conflit, semble particulièrement difficile à mener à bien. Par ailleurs, les sites qui traitent de cette guerre foisonnent sur Internet ; réalisés par des amateurs passionnés ou par des organismes institutionnels, ils offrent un accès immédiat à un nombre incalculable d’informations. Les célébrations actuelles du centenaire de la Grande Guerre favorisent une accélération de ce processus. Il faut seulement être attentif à la qualité des informations disponibles, qu’elles soient diffusées sous format papier ou numérique. Seuls manquent à cet ensemble les témoignages oraux et/ou filmés. Il est regrettable que les historiens ou les différents responsables de tous les niveaux n’aient pas réussis à sauvegarder une transmission orale de l’histoire de ce conflit. Rien ne remplace jamais le récit de celui qui a vécu les faits, à partir du moment où il accepte de témoigner, ce qui lui est souvent difficile. Il faut espérer que la dynamique insufflée par la solennité accordée aux commémorations permettra d’exhumer quelques-uns de ces témoignages. Les premiers documents disponibles ont été rédigés pendant le conflit. Ils sont surtout basés sur le témoignage des combattants. Pour avoir une idée précise de leur valeur il est possible de se référer à l’ouvrage de Jean-Norton Cru Témoins2, dans lequel il se livre à une critique assez vive de la qualité et de 2 Cru Jean-Norton, Témoins : essai d’analyse et de critique des souvenirs des combattants édités en français de 1915 à 1928, Presses universitaires de Nancy, 2006. 4 l’authenticité de ces témoignages. La parution de ce livre, en 1929, déclenche de vives polémiques, car il remet en cause la qualité du témoignage sur la réalité des combats décrite dans de nombreux ouvrages publiés pendant et dans l’immédiat après-guerre. Des écrivains déjà célèbres, tels Henri Barbusse qui a écrit Le Feu, ou encore Roland Dorgelès et son livre Les Croix de bois sont ainsi visés par cette critique. La polémique reprend en 1993, lors de la réimpression de l’ouvrage. Elle se poursuit toujours quand Frédéric Rousseau3 préface et postface l’édition de 2006 qui regroupe, en fin du document, un dossier de presse reprenant quelques-uns des comptes-rendus de l’ouvrage contemporains de sa sortie en librairie. Elle oppose la conception de Frédéric Rousseau et celle de Christophe Prochasson4. Le premier considère que la démarche très rigoureuse de Jean-Norton Cru permet de dégager une vérité, celle qui s’oppose à la légende de la guerre, bâtie sur la citation d’Horace « Dulce et decorum est pro patria mori »5, celle qui est issue du constat que « sur le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait trompés, et aux premières balles nous reconnaissions tout à coup le mensonge de l’anecdote, de l’histoire, de la littérature, de l’art, des bavardages de vétérans et des discours officiels »6. Pour le second, ce livre est « trop enfermé dans une méthode rigide, trop empreint d’une illusion scientiste et trop marqué par l’expérience de son auteur »7, il estime qu’il est possible de « concevoir qu’un livre renfermant certaines erreurs de détail réussisse néanmoins à imposer à l’esprit du lecteur une image plus pénétrante et en un certain sens plus vraie qu’un autre livre où ces erreurs ne se rencontrent point »8. Les deux historiens demeurent sur des lignes difficilement conciliables méthodologiquement. L’un estime que Jean-Norton Cru a créé une méthode, même s’il la remet en perspective par rapport aux motivations personnelles de l’auteur 3 Frédéric Rousseau est professeur d'histoire contemporaine française à l'Université Paul Valéry de Montpellier où il dirige, depuis le 1er janvier 2009, le Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES). Il est spécialiste de la Première Guerre mondiale. 4 Christophe Prochasson est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Il a consacré de nombreux travaux à l'histoire de la Première Guerre mondiale en participant notamment au Conseil scientifique de l'Historial de la Grande Guerre de Péronne. 5 « Il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie », cité par F. Rousseau en page S5 de l’édition 2006 de Témoins op.cit. 6 Témoins op.cit. p. S4. 7 Christophe Prochasson « Compte rendu de Jean-Norton Cru, Témoins, 2006 », Le mouvement social, n° 222 (janvier-mars 2008), p 184-186, et en ligne : http://mouvement-social.univ- paris1.fr/document.php?id=810. 8 Idem. 5 dans un autre ouvrage9, tandis que le deuxième estime que Norton Cru participe de la « dictature du témoignage » identifiée par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker10. En fait, il s’agit pour nous de prendre en compte les témoignages pour ce qu’ils sont aux yeux de l’historien, mais certainement pas de les sacraliser. Source imparfaite, ils doivent être passés au crible de la critique interne et de la critique externe. Mais ils sont indispensables pour approcher une histoire « par le bas » et compléter les archives administratives qui manquent singulièrement de chair. Simultanément des responsables militaires ayant participé au conflit s’interrogent sur tel ou tel de ses aspects et livrent leurs réflexions dans des cours magistraux quand ils sont professeurs par exemple à l’Ecole Supérieure de Guerre, dans des revues ou ils les publient. De nombreux colloques, nationaux et internationaux, sont organisés sur la Première Guerre mondiale ou sur cette bataille. Nous pouvons citer celui qui a eu lieu à Verdun, en février 2006, intitulé « 1916 – 2006 Verdun sous le regard du monde »11 car, au-delà d’interventions très intéressantes, il propose un découpage de la bataille en cinq phases, inscrites chacune dans un cadre espace-temps différent, ce qui facilite la compréhension des évènements et leur enchaînement. Depuis quelques années, nous assistons à l’émergence d’une approche culturelle de la guerre. Il s’agit de saisir l’intimité du combattant, son vécu quotidien : il faut comprendre, non pas de l’extérieur mais de l’intérieur de la tranchée, de l’abri ou du poste de secours, comment ces hommes ont réussi à faire ce qu’ils ont fait. Ce nouvel axe de réflexion est apparemment une source de divergences dans la communauté des historiens spécialistes de cette période, mais il offre l’avantage d’ouvrir de nouveaux champs de recherches. La Première Guerre mondiale est littéralement disséquée depuis bientôt cent ans. Mais un fait peut cependant retenir l’attention de l’observateur qui 9 Frédéric Rousseau, Le Procès des témoins de la Grande Guerre. L’affaire Norton Cru, Paris, Seuil, 2003. 10 Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 52. 11 « 1916-2006 Verdun sous le regard du monde » Actes du colloque Verdun 23 et 24 février 2006, sous la direction de F. Cochet, Editions 14-18, 2006, pp 332 333. 6 s’intéresse à la dimension militaire du conflit. Les missions de l’infanterie ont été abondamment commentées, les évolutions de la cavalerie ont fait l’objet d’études détaillées, la part croissante prise par l’artillerie dans les combats est bien connue tout comme l’essor de l’aviation. A aucun moment, il ne trouvera d’étude exhaustive sur le génie. Nous n’avons pas trouvé un tel document parmi toute la bibliographie étudiée, mais il existe de très nombreux articles souvent techniques, qui abordent tel ou tel aspect de la mission du génie, publiés dans différentes revues souvent militaires ou qui sont édités. Nous avons ainsi découvert que l’histoire du génie pendant la Première Guerre mondiale reste à écrire. Mais le sujet étant trop vaste pour une thèse, nous avons décidé de n’écrire qu’un premier chapitre de cette histoire à travers l’action des sapeurs pour la bataille de Verdun, qui est la première bataille réellement défensive de la guerre. Dans la mémoire du peuple français, mais aussi en son temps pour les autres nations de l’Entente et dans beaucoup de pays neutres, les combats de Verdun représentent d’abord l’expression la plus élevée des souffrances et des sacrifices du soldat. C’est l’image, si souvent reprise, de ces hommes, rescapés du plus terrible bombardement jamais effectué à cette époque, hagards, perdus, ne sachant plus où sont les copains, où sont leurs chefs, presque étonnés d’être encore vivants, mais tous animés par une farouche détermination que traduit le célèbre ordre du jour de Pétain du 10 avril 1916 : « On les aura! ». La formule court les « popotes », est reprise de trou d’obus en trou d’obus. Comme leurs camarades fantassins, les sapeurs la font leur. Mais c’est aussi la victoire de la défensive sur l’offensive : « Voici les murs où se sont brisées les suprêmes espérances de l’Allemagne impériale. C’est ici qu’elle avait cherché à remporter un succès bruyant et théâtral. C’est ici qu’avec une fermeté tranquille la France a répondu : on ne passe pas. Honneurs aux soldats de Verdun. Ils ont semé et arrosé de leur sang la moisson qui lève aujourd’hui »12. Définition de la problématique 12 Déclaration du Président de la République, Raymond Poincaré, 13 septembre 1916, à l’occasion de la remise de la croix de la Légion d’honneur à la ville de Verdun, in Jean-Pierre Verney « Verdun, 1916 on ne passe pas » 14 – 18 Le Magazine de la Grande Guerre n° 30 février/mars 2006, p. 69. 7 Le sapeur est l’homme du terrain, le spécialiste formé pour que la tactique tire le meilleur parti du relief, des axes naturels de pénétration, des obstacles naturels (cours d’eau, zones inondées ou inondables, forêts, excavations, etc.), de la nature du sol et du sous-sol. Sans nous livrer à une étude approfondie de la géographie de la zone de Verdun, il nous semble important d’en évoquer les points particuliers, car ils permettent de situer les axes d’effort possibles du génie. La place de Verdun est au cœur d’une région particulièrement humide, compartimentée d’est en ouest par les Hauts de Meuse, la plaine de la Meuse et les côtes de l’Argonne. Ces obstacles naturels sont orientés nord-ouest sud-est et si la Meuse constitue une barrière naturelle efficace, les côtes de Meuse sont assez pénétrables car elles sont sillonnées de thalwegs sensiblement perpendiculaires à l’orientation générale du relief. Même si leur altitude moyenne est peu élevée, en moyenne quatre cent mètres, de nombreux points hauts marquent le terrain et constituent d’excellents observatoires, mais les ravins et les creux, très boisés, échappent facilement à leurs vues. Nous comprenons donc que l’infiltration par ces cheminements est assez aisée. La lecture attentive du chevelu13 de la rive droite permet de comprendre toute l’importance des forts de Douaumont, de Vaux, de Souville et de Tavannes qui pris isolément sont au débouché de nombreux thalwegs mais qui, pris dans leur ensemble, permettent le contrôle des accès directs sur Verdun (cf. carte en annexe 1). La vallée de la Meuse butte souvent sur les Hauts de Meuse sur sa droite, alors qu’elle est un peu plus ouverte sur sa rive gauche. Facilement inondable, la rivière se franchit difficilement en dehors des points de passage existants depuis l’antiquité. Les rives sont friables et elles dominent souvent les eaux de quelques mètres, tandis que les itinéraires d’accès à la coupure sont peu nombreux et fragiles. Un franchissement en dehors des sites existants nécessite un important volume de matériaux pour renforcer les accès et aménager des cales de mise à l’eau des bateaux du génie, ainsi que des délais de préparation souvent 13 Le chevelu d’un terrain est la représentation schématique des courbes de niveaux principales, les thalwegs sont en bleu et les crêtes en rouge. Ce système permet de rapidement comprendre où se situent les points forts et les points faibles du terrain. C’est sur cette analyse que le sapeur s’appuie pour proposer au commandement l’utilisation du terrain la mieux adaptée à ses objectifs tactiques. 8 incompatibles avec le rythme des opérations, sauf à anticiper très en amont de l’action. Ces points de passage, peu nombreux, sont des cibles privilégiées pour l’artillerie adverse, il faut impérativement les maintenir opérationnels. La rive gauche a un relief plus doux, marqué par quelques points hauts qui constituent ses verrous d’accès en venant du nord : le Mort-Homme, la cote 304, la côte de l’Oie. Qui tient ces hauteurs tient la rive gauche et peut prendre Verdun à revers. L’ensemble du secteur de Verdun peut s’inscrire dans un quadrilatère d’environ quarante kilomètres de longueur – les Hauts de Meuse, sur une trentaine de kilomètres de profondeur – jusqu’aux premiers contreforts de l’Argonne. Dans les faits, les engagements les plus violents et les plus décisifs pour le sort de la bataille sont circonscrits, sur la rive droite à une zone d’une quinzaine de kilomètres de long entre le fort de Moulainville au sud et le bois des Caures au nord sur environ dix kilomètres de largeur – celle des Hauts de Meuse. Sur la rive gauche, le front part de la Meuse jusqu’à Avocourt, soit une moyenne de douze kilomètres. Il ne s’agit pas pour nous de minimiser l’importance des engagements qui se sont déroulés ailleurs, mais simplement de permettre au lecteur de continuer à approcher les zones d’effort du génie. C’est dans ces espaces restreints que sont engagés, entre le 21 février 1916 et le 31 août 1917, des milliers de soldats transportés au plus près des zones d’engagements pour leur éviter d’inutiles fatigues, qu’il est indispensable de protéger des effets dévastateurs des millions de projectiles de tous calibres et de toutes natures tirés par l’ennemi et à qui il faut assurer les munitions, le matériel et les vivres dont ils ont besoin pour la bataille. A la relève, ces hommes récupèrent des épreuves subies dans des cantonnements où ils trouvent le confort maximum que la II°Armée peut leur assurer. Ils partent et rentrent de permission en prenant le train sur des voies entretenues en permanence. Les blessés sont évacués le plus souvent en véhicules ambulances, parfois en bateau, pour ensuite prendre le train vers les hôpitaux de l’Intérieur. Tandis que le fantassin se bat, appuyé par les canons de l’artilleur, c’est le sapeur qui assume toutes ces missions qui concourent à son efficacité. 9
Description: