LE RAPPORT AU FRANÇAIS DE FUTURS ENSEIGNANTS DU PRIMAIRE DE LA PHBERN : RÉCITS D’EXPÉRIENCES DE FORMATION ET DE MOBILITÉ Jésabel ROBIN (France) THÈSE DE DOCTORAT présentée devant la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg en Suisse. Approuvé par la Faculté des Lettres sur proposition des professeurs Aline Gohard-Radenkovic (premier rapporteur) Geneviève Zarate (second rapporteur). Fribourg, le 1er mai 2014, Prof. Marc-Henry Soulet, Doyen. 2 Remerciements J’aime à penser que je suis une heureuse du parcours doctoral. Si les interrogations et les ajustements ont représenté une constante dans ce travail de longue haleine, c’est avec un enthousiasme et une envie sans cesse renouvelés que j’ai vécu ces quatre années de thèse. Je tiens à remercier ici ceux qui ont été les co-acteurs de cette « jubilation doctorale » : la Prof. Aline Gohard-Radenkovic pour sa passion, sa disponibilité, son exigence, son Accompagnement (avec un A majuscule). la Prof. Geneviève Zarate pour m’avoir permis de présenter mes travaux dans le cadre du séminaire Frontières culturelles, diffusion des langues et didactique qu’elle anime à l’INALCO ainsi que lors des séminaires doctoraux internationaux organisés par son groupe de recherche PLIDAM/ INALCO. la Prof. Elizabeth Murphy-Lejeune pour la qualité de sa relecture finale, sa flexibilité et son engagement. le Zentrum für Forschung und Entwicklung de la PHBern (aujourd’hui rebaptisé) pour avoir sélectionné et financé mon projet, m’allouant ainsi un cadre matériel confortable et les moyens de faire connaître mon travail. les « copines doctorantes » pour la qualité de nos échanges, le partage sans fard des avancés et des doutes, pour la confiance et la bonne humeur. les onze étudiants qui ont participé volontairement au projet et sans lesquels rien n’aurait été possible. Sandro Rätzer pour son inconditionnel soutien malgré les concessions et les réaménagements du quotidien, pour son intérêt scientifique sincère et pour nos interminables discussions. ma maman pour ses infatigables relectures et sa curiosité. ma gentille nona pour m’avoir permis de travailler plusieurs mois dans le calme et la paix d’un hiver au cœur de Bregaglia. les Campagne pour m’avoir offert durant plusieurs semaines un cadre de travail splendide : une vue imprenable sur l’océan Atlantique et la plage de mon enfance. le Prof. Albert Tanner pour avoir été très arrangeant sur l’organisation de mon travail durant ces années de thèse et pour avoir appuyé en haut lieu la demande de congé scientifique qui m’a permis de finaliser cette thèse de doctorat loin de toute obligation institutionnelle et de goûter, quelque temps, à l’exotisme d’une autre vie, ailleurs… 3 4 Sommaire Sommaire 5 Table des illustrations 7 Liste des sigles utilisés 8 PARTIE 1. Introduction: d‘apparentes résistances 9 1 Raisons du choix du sujet 9 2 Définition de la problématique 12 3 Questions de départ et objectifs de recherche 14 4 Présentation des étapes du travail 15 PARTIE 2. Cadre contextuel : un terrain institutionnalisé 19 1 Le contexte macro-social : la Suisse alémanique 20 2 Le contexte meso-social: la PHBern 47 3 Notre positionnement par rapport au terrain 63 PARTIE 3. Cadre théorique : s’approprier des outils conceptuels 67 1 La représentation sociale comme lieu de lecture des « rapports à » 67 2 Les récits d’expériences 99 3 Les expériences dans la formation des enseignants 120 4 Les expériences de mobilité étudiante 152 PARTIE 4. Cadre méthodologique: une boîte à outils sur mesure 183 1 Notre ancrage méthodologique 183 2 Le choix des types de récits et les méthodes de recueil 196 3 Le recueil des entretiens en auto-confrontation 205 4 L‘anticipation de biais méthodologiques 216 5 Les méthodes d’analyse 219 PARTIE 5. Analyse des corpus: l’interprétation des acteurs 233 1 Représentations du français et expériences d‘apprentissage scolaire 233 2 Représentations du français et expériences de formation professionnelle 273 3 Représentations du français et futur enseignement du français 333 5 PARTIE 6. Synthèse et propositions d’interprétation 347 1 La perspective micro-sociale ou la contrainte 347 2 La perspective meso-sociale ou les accommodements 352 3 La perspective macro-sociale ou les « évidences invisibles » 361 PARTIE 7. Propositions didactiques : repenser les articulations institutionnelles 365 1 Pour de nouvelles conceptions de la mobilité 368 2 Pour une formation en français s’articulant autour de trois piliers 372 3 Articuler les enjeux de la double formation au double métier d’enseignant 374 PARTIE 8. Conclusion : entre résignation et arrangements 377 1 Rappel de la problématique et de nos choix scientifiques 377 2 Principales hypothèses d’interprétation 379 3 Apports et limites de nos travaux 381 Bibliographie 384 Annexes 401 Table des matières détaillée 417 6 Table des illustrations Figure 1 Le système de scolarité obligatoire à Berne ...........................................................44 Figure 2 Répartition horaire de l'enseignement des langues selon Passepartout .................45 Figure 3 Adaptation du schéma de J.-M. Seca .....................................................................78 Figure 4 Trilectique du récit ................................................................................................ 106 Figure 5 Détail de Triple Autoportrait - N. Rockwell ............................................................ 107 Figure 6 L'utilisation de schémas actantiels ........................................................................ 111 Figure 7 Étapes du recueil des composantes du corpus ..................................................... 190 Figure 8 Extrait des notes prises lors de l'observation de Tim ............................................ 199 Figure 9 Détail de la carte de Johanna ............................................................................... 212 Figure 10 Extraits des notes prises lors de l'entretien de Walter ......................................... 213 Figure 11 Détail de la carte de Lisa .................................................................................... 214 Figure 12 Les informateurs au sein de leur famille dans les cartes ..................................... 225 Figure 13 Petite carte - obstacle - Walter............................................................................ 226 Figure 14 La carte de Hua, une lecture chronologique ....................................................... 230 Figure 15 La carte de Johanna, une lecture symbolique ..................................................... 230 Figure 16 Le français comme langue de communication .................................................... 234 Figure 17 Le français comme matière scolaire dans les cartes ........................................... 235 Figure 18 Le français comme parcours scolaire ................................................................. 236 Figure 19 Le parcours scolaire du français de Mirjam......................................................... 237 Figure 20 L'apprentissage du français au gymnase – Tim .................................................. 239 Figure 21 Les mobilités institutionnelles du secondaire – deux exemples........................... 241 Figure 22 Portrait de famille – Lisa ..................................................................................... 253 Figure 23 Carte de langue(s) et de mobilité(s) de Walter .................................................... 270 Figure 24 Les étapes du parcours de Walter ...................................................................... 271 Figure 25 Le test Bulats dans les cartes de langue(s) et de mobilité(s) .............................. 284 Figure 26 Le séjour de mobilité sur les cartes .................................................................... 304 Figure 27 Carte de langue(s) et de mobilité(s) de Mirjam ................................................... 307 Figure 28 Carte de langue(s) et de mobilité(s) de Rahel ..................................................... 311 Figure 29 Le français comme la langue des vacances ....................................................... 321 Figure 30 Mobilité et rencontre amoureuse ........................................................................ 332 Figure 31 La future pratique dans les cartes de langue(s) et de mobilité(s) ........................ 335 Figure 32 Le français comme contrainte institutionnelle ..................................................... 348 Figure 33 La catégorie conceptualisante de l'obstacle ........................................................ 349 Figure 34 Catégorie conceptualisante de la réconciliation .................................................. 353 Figure 35 Catégorie conceptualisante de l' « interstice institutionnel » ............................... 358 7 Liste des sigles utilisés Par ordre alphabétique : BULATS Business Language Testing Service CDIP Conférence suisse des Directeurs cantonaux de l’Instruction Publique CE Conseil de l’Europe CECR Cadre Européen Commun de Référence pour les langues COHEP Conférence des Rectrices et Recteurs des Hautes Écoles Pédagogiques CRUS Conférence des Recteurs des Universités Suisses DEA Diplôme d’Études Approfondies DIPB Direction de l’Instruction Publique du canton de Berne ECTS European Credits Transfer System ELBE Éveil aux langues, Language Awareness, Begegnung mit Sprachen FLE Français Langue Étrangère FOS Français sur Objectifs Spécifiques HEP Haute École Pédagogique IUFM Institut Universitaire de Formation des Maîtres LMD Licence - Maîtrise - Doctorat MF Mille feuilles PEL Portfolio Européen des Langues PH Pädagogische Hochschule PH IVP Pädagogische Hochschule Bern - Institut Vorschulstufe und Primarstufe RS Représentation Sociale ou Représentations Sociales . 8 PARTIE 1. Introduction: d‘apparentes résistances 1 Raisons du choix du sujet J’ai choisi de m’intéresser au rapport au français qu’entretiennent les futurs enseignants1 du primaire à Berne. Comme cela arrive parfois dans la recherche, le sujet s’est offert à moi. Je suis française, j’ai étudié l’anglais à l’Université de Bordeaux et mon intérêt pour les langues m’a permis de m’expatrier à de nombreuses reprises dans le cadre de mes études. Les quelques années que j’ai passées en pays anglophones, successivement en Angleterre, en Irlande et aux États-Unis, m’ont fait comprendre qu’en vivant hors de France, ce n’était pas avec mon anglais mais plutôt avec mon français que je pourrais au mieux affronter le marché du travail. Au cours de mes séjours d’études, j’avais d’ailleurs enseigné le français avec bonheur en tant qu’assistante, d’abord au « Centre for Language and Communication Studies » de Trinity College à Dublin, puis aux « Claremont Colleges » de Los Angeles en Californie. Ces deux expériences d’enseignement m’avaient plu et le contact avec les étudiants s’était très bien passé. C’est ainsi que j’ai complété mon DEA2 d’anglais par des études en Français Langue Étrangère avec l’Université de Bourgogne. Mon mari, rencontré en 2001 lors d’un premier échange universitaire Erasmus3 en Angleterre, vient de Berne en Suisse alémanique. C’est pour le suivre que je me suis installée à Berne en 2006, où j’ai suivi dans un premier temps la formation d’enseignante d’anglais et de français pour le niveau du secondaire 2 (équivalent suisse du lycée) à la Pädagogische Hochschule Bern, la Haute École Pédagogique qui forme les enseignants. Je suis passée en un an du statut d’étudiante au statut d’enseignante au sein de la Pädagogische Hochschule Bern4. En effet, sur recommandation d’un professeur, j’ai été engagée en tant qu’enseignante de français en 2007 à l’Institut Vorschulstufe und Primarstufe de la Pädagogische Hochschule (dorénavant PH IVP), c’est-à-dire à l’Institut de formation des enseignants des niveaux maternel et primaire. Mon expérience d’enseignante de français auprès d’étudiants germanophones de la PH IVP me laissait penser que le français n’était pas toujours une matière appréciée ; les étudiants ne me semblaient en effet pas tous disposés à enseigner cette matière, pour 1 Afin de faciliter la lecture, le genre masculin désigne à titre épicène aussi bien les femmes que les hommes. 2 Diplôme d’Études Approfondies, équivalent au Grade de Master dans le nouveau système universitaire européen. 3 Nous reviendrons en détail sur les programmes d’échanges académiques et en particulier sur le programme Erasmus dans notre chapitre « La mobilité académique », partie 3. 4 Dans deux instituts différents cependant, d’abord étudiante à l’institut du niveau secondaire 2 puis enseignante à l’institut du niveau primaire. Voir notre présentation du contexte, partie 2. 9 laquelle ils étaient pourtant formés. Au cours de mes expériences d’enseignement passées, je n’avais encore jamais rencontré de phénomènes de résistance envers le français de la part de mes étudiants. C’était troublant. S’agissait-il de mauvaise volonté de la part des étudiants de la PH IVP ? S’agissait-il de l’inadéquation d’un plan d’études ? Mon enseignement était-il lacunaire ? Tentant de comprendre, je thématisais le sujet dans mes cours par le biais de travaux écrits ou de discussions. En invitant mes étudiants à réfléchir sur leur relation avec le français, je découvrais des parcours d’apprentissage scolaires plus ou moins heureux, des stéréotypes sur les Suisses francophones ainsi que sur les francophones en général et une insécurité concernant leurs compétences en français. Évidemment, je trouvais dans le lot aussi des étudiants enthousiastes du français et des langues en général, quelques étudiants bilingues (français - allemand) ou encore d’autres que le français semblait laisser indifférents. La majorité d’entre eux semblait cependant entretenir un rapport crispé avec cette matière. Les résistances, les insécurités, voire le rejet envers le français m’étaient énoncés verbalement et venaient s’ajouter à des compétences en langue que je jugeais, en tant qu’enseignante de la matière, effectivement très faibles au regard des huit années, au minimum, d’apprentissage scolaire du français qui avaient précédé la formation à la PH IVP. La Suisse comptant le français parmi ses langues nationales et la proximité géographique de la ville de Berne avec les régions francophones des cantons de Berne et de Fribourg ne m’avaient pas laissée envisager une situation si surprenante. Pourtant il n’est pas rare de lire dans les journaux que les écoliers bernois n’apprécient guère cette matière : « Französisch ist mein Hassprache!! » (man beachte die Ausrufezeichen). Ähnlich formuliert Jack seine Einstellung: « Nein!!! Ich habe keine Lust auf Franz! ». Immerhin schafft es Jonas, sich diplomatischer zu äussern: « Mir stinkt das Franz (…) ». Jael formuliert nur vorsichtig: « Französisch ist nicht meine Lieblingssprache ». Und Jasper hat einfach Angst: « Man mus viiiel zuviiiel auswendig lernen »5. (Ganguillet, 2011, p.5) De par son plurilinguisme officiel, je m’étais naïvement représentée la Suisse comme un « laboratoire de recherche naturel idéal » (Ogay, 2000, p.162). Je savais que les Suisses alémaniques vivaient en situation de diglossie (allemand standard – dialectes alémaniques) et que cela faisait d’eux des sujets plurilingues dont on entend justement souvent dire qu’ils ont des facilités pour apprendre les langues. Pourtant, en Suisse comme ailleurs, l’enseignement scolaire des langues est décrit comme inefficace : 5 Nous proposons la traduction personnelle suivante : « Le français c’est la matière que je déteste le plus !! » (on entend les points d’exclamation dans sa voix). Jack formule ses pensées de manière similaire : « Non !!! Vraiment j’ai pas envie d’apprendre le français ! ». C’est certainement Jonas qui est le plus diplomate : « Le français, ça me gave. » Jael est plus prudente : « Le français n’est pas ma matière préférée » Et Jasper a peur : « On doit vraiment apprendre trooop de trucs par cœur ». 10
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