UNIVERSITÉ DE STRASBOURG UNIVERSITÄT KONSTANZ ÉCOLE DOCTORALE 101 Institut de recherches Carré de Malberg THÈSE en cotutelle présentée par : Maria KORDEVA Soutenance prévue : 6 décembre 2014 pour obtenir le grade de : Docteur de l’université de Strasbourg Discipline/ Spécialité : Droit public/Droit constitutionnel Le principe de la séparation des pouvoirs en droit allemand : étude doctrinale et jurisprudentielle THÈSE dirigée par : Monsieur Olivier Jouanjan Professeur, Université Panthéon-Assas Monsieur Christoph Schönberger Professeur, Universität Konstanz (RFA) RAPPORTEURS : Monsieur Jacky Hummel Professeur, Université Rennes 1 Monsieur Karl-Peter Sommermann Professeur, Deutsche Universität für Verwaltungswissenschaften, Speyer (RFA) AUTRES MEMBRES DU JURY : Monsieur Matthias Jestaedt Professeur, Albert-Ludwigs-Universität, Freiburg im Brg. (RFA) Monsieur Éric Maulin Professeur, Université de Strasbourg 2 Le principe de la séparation des pouvoirs en droit allemand : étude doctrinale et jurisprudentielle 3 Remerciements : Contrairement à l’habitude de formuler de longues phrases de remerciements, on ne trouvera ici que ceux dont les conseils et infaillible soutien ont été décisifs pour l’auteur de ces lignes. Notre plus profonde gratitude va à Monsieur le Professeur Olivier Jouanjan pour avoir accepté de diriger cette thèse « allemande ». Son appui scientifique, l’élégance de ses remarques et sa disponibilité ont permis la réalisation de ce travail. Qu’il reçoive ici le témoignage de notre infinie reconnaissance. Ein besonderer Dank gilt meinem deutschen Doktorvater, Herrn Prof. Dr. Christoph Schönberger. Mit helfendem Rat hat er die Bearbeitung des Themas begleitet und dieser Arbeit die unentbehrliche deutsche Dimension gegeben. 4 SOMMAIRE : (Une table des matières détaillée se trouve à la fin de l’ouvrage) INTRODUCTION GENERALE PREMIERE PARTIE: La signification et la construction du principe de la séparation des pouvoirs dans l’histoire constitutionnelle allemande TITRE PREMIER : Les origines historiques et doctrinales du principe de la séparation des pouvoirs Chapitre 1 : Prolégomènes révolutionnaires du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs Chapitre 2 : Le principe monarchique et la séparation des pouvoirs au XIXe siècle allemand : du rejet catégorique à l’acceptation modérée Chapitre 3 : Le principe de la séparation des pouvoirs dans les doctrines de l’Empire et de la République de Weimar. TITRE SECOND : L’interprétation du principe de la séparation des pouvoirs dans la jurisprudence constitutionnelle allemande depuis 1949 Chapitre 1 : La définition générale du principe de la séparation des pouvoirs par le juge constitutionnel allemand Chapitre 2 : La théorie de la décision substantielle (Wesentlichkeitstheorie) comme moyen de répartition des compétences entre le législatif et l’exécutif Chapitre 3 : La place du principe de la séparation des pouvoirs dans l’architecture constitutionnelle allemande DEUXIEME PARTIE : La concrétisation du principe de la séparation des pouvoirs dans la pratique constitutionnelle allemande TITRE PREMIER : Le principe de la séparation des pouvoirs comme système de freins et de contrepoids Chapitre 1 : Partage des compétences et moyens de contrôle dans les rapports entre les pouvoirs législatif et exécutif. Chapitre 2 : Le cas particulier de la politique extérieure et militaire Chapitre 3 : La place du pouvoir judiciaire dans le « schéma de la séparation des pouvoirs » TITRE SECOND : Les limites apportées à l’application du principe de la séparation des pouvoirs Chapitre 1: L’ « état d’exception » : suspension temporaire ou modification du principe de la séparation des pouvoirs Chapitre 2 : L’impact de l’intégration européenne sur le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs CONCLUSION GENERALE 5 LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS : AöR : Archiv des öffentlichen Rechts BVerfG : Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) BVerfGE : Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts (Recueil des décisions de la Cour) BVerfGG : Gesetz über das Bundesverfassungsgericht (loi sur la Cour constitutionnelle fédérale) CC : Conseil constitutionnel CJUE : Cour de justice de l’Union européenne DÖV : Die öffentliche Verwaltung JuS : Juristische Schulung JZ : Juristenzeitung JöR : Jahrbuch des öffentlichen Rechts LF : Loi fondamentale du 23 mai 1949 NJW : Neue Juristische Wochenschrift RDP : Revue du droit public et de la science politique VerwArchiv : Verwaltungsarchiv VVDStRL : Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer ZaöRV : Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht Seules sont importantes les divisions qui pénètrent au cœur de l’État et ne s’en tiennent pas à l’extérieur. Mais aucune division ne saurait présenter le caractère d’une logique rigoureuse, parce qu’il s’agit d’embrasser la vie et non pas une matière morte.1 Introduction générale Le principe de la séparation des pouvoirs est sans aucun doute l’une des pièces maîtresses du récit mythologique du droit constitutionnel. Tenter de cerner les contours d’un mythe et d’en tirer les conséquences pratiques n’est pas tâche aisée pour celui qui décide de s’y atteler. Le travail devient plus épineux encore lorsqu’il faut déclasser le mythe au rang d’une norme qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel concret. Car il est alors nécessaire d’évacuer tous les présupposés et de se libérer de l’idée selon laquelle il y aurait un principe de la séparation des pouvoirs, dont la vérité universelle jetterait sa lueur du haut de son piédestal sur les régimes constitutionnels contemporains, qui prônent son application et l’idolâtrent, lui, le concept absolu qui n’a peut-être jamais existé sous la forme que l’on a souhaité lui donner. Faire l’archéologie philosophique et politique du principe de la séparation des pouvoirs n’est pas l’objet de cette recherche. Seront mentionnés seulement quelques-uns des auteurs ayant laissé une trace indélébile sur la physionomie du principe de la séparation des pouvoirs. Aristote, dans ses Politiques, exposait l’idée de l’existence de plusieurs « constitutions » agissant de concert dans la cité. Il ne s’agit pas encore de la séparation des pouvoirs. C’est le concept de constitution mixte qui apparaît dans ces grands essais de philosophie politique. Certes, la constitution mixte est liée au principe de la séparation des pouvoirs dans la mesure où elle porte l’idée de l’existence de trois entités distinctes accomplissement chacune une mission qui lui est propre. Cependant, il n’est pas facile de mettre un signe d’égalité entre les deux notions2. 1 Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, tr.fr. Georges Fardis, vol. 2, LDGJ Diffuseur, 2005, p. 313. 2 Aristote, Les politiques, tr.fr. Pierre Pellegrin, 2e édition, GF Flammarion, 1993, p. 413 (VI, 1, 1316-b) et suiv.: « Combien il y a de variétés, et lesquelles, de la partie délibérative et souveraine de la constituion, ainsi que de la partie concernant l’organisation des magistratures et de la partie judiciaire ; laquelle de ces variétés est adaptée à quelle constitution (…). De plus il faut examiner les assemblages de toutes les variétés de parties dont nous avons parlé, car leurs combinaisons se recoupet, de sorte qu’il exite des aristocraties oligarchiques et des gouvernements Après les Deux traités sur le gouvernement civil de John Locke1, l’œuvre, qui est indissolublement associée à la séparation des pouvoirs dans sa configuration moderne aux colorations libérales, est celle de Montesquieu2. L’ouvrage fut connu très tôt en Allemagne : la première traduction date de 1753, cinq années seulement après la parution en langue française3. Mais L’Esprit des lois était surtout exploré pour les informations précieuses qu’il contenait concernant les conditions culturelles et historiques qui caractérisent l’attitude des peuples ainsi que leur législation ou bien les développements sur l’ancienne liberté germanique. À cette époque, le fameux livre XI et son sixième chapitre n’occupent qu’une place secondaire dans les discussions allemandes. Si les développements de Montesquieu faisaient l’objet de quelques débats, ses analyses sur la constitution de l’Angleterre, qui comportaient les réflexions sur la séparation des pouvoirs, provoquaient surtout la réaction d’une certaine hostilité allemande ou bien une saine indifférence quant à la qualité des idées exposées. Il y avait tout de même quelques exceptions : Johann Heinrich von Justi explique que c’est sur « l’organisation rationnelle et l’équilibre des branches du pouvoir suprême dans la loi fondamentale de l’État » que reposent « la prospérité de l’État et la liberté de ses citoyens »4. En choisissant le terme de constitutionnels passablement démocratiques. Alois Riklin, Machtteilung. Geschichte der Mischverfassung, Wissenschaftliche Buchgesellschft, Darmstadt, 2006, p. 364 et suiv. 1 John Locke, Two Treatises of Government (1690), nouvelle édition, 1824, livre 2, chapter XII Of the legislative, executive, and federative power of the commonwealth, p. 216-217: « The legislative power is that, which has a right to direct how the force of the commonwealth shall be employed for preserving the community and the membres of it (…) legislative and executive power come often to be separated (…) There is another power in every commonwealth (…) and may be called federative ». 2 De l’Esprit des lois paraît en 1748. Charles Eisenmann, « L’“Esprit des lois” et la séparation des pouvoirs », Mélanges en l’honneur de Raymond Carré de Malberg, Sirey, Paris, 1933, p. 165, p. 179, p. 188, essaya de démontrer que la lecture attentive permet de comprendre qu’il n’y a, chez Montesquieu, « ni séparation fonctionnelle ni séparation matérielle des autorités étatiques (…) l’idée de séparer les autorités étatiques est complètemet absente de l’Esprit des lois (…) », mais une coordination des différents « pouvoirs » qui permet la modération de la puissance en vue de protéger la liberté (« […] par là-même serait assuré le gouvernement modéré, l’exercice tempéré du pouvoir politique »). 3 Hans Fenske, « Gewaltenteilung », in Otto Brunner/Werner Conze/Reinhart Koselleck (dir.), Historische Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, vol. 2, E. Klett Verlag, Stuttgart, 1975, p. 935 : « Montesquieus “Geist der Gesetze” wurde in Deutschland schnell bekannt und übersetzt, erstmals 1753, zwei weitere Übersetzungen folgten bis zum Ausbruch der Revolution (…) ». Il faut signaler que Montesquieu s’est inspiré d’un auteur anglais, Lord Bolingbroke et de certains de ses essais qui traitaient de la division des pouvoirs : voir « Dissertation upon Parties » et « The Idea of a Patriot King », in David Armitage (éd.), Bolingbroke, Political Writings, Cambrige University Press, 1997. Voir encore Max Imboden, Montesquieu und die Lehre der Gewaltenteilung. Vortrag gehalten vor der Berliner Juristischen Gesellschaft am 27. Mai 1959, Walter de Gruyter, Berlin, 1959. 4 Johann Heinrich Gottlob von Justi, « Anhandlung von der Anordnung und dem Gleichgewichte der Hautpzweige der obersten Gewalt, worauf die Glückseligkeit und Freiheit des Staats hauptsächlich ankommt », in 8 « branches » (Zweige), il évite ainsi l’écueil consistant en la confrontation du principe de la séparation avec la nature indivisible de la souveraineté. C’est Immanuel Kant, qui franchit le pas, en déclarant toutes les vertus d’une constitution basée sur la séparation des forces qui la meuvent. Dans l’esquisse Vers la paix perpétuelle, le philosophe de Königsberg plaide en faveur de la constitution républicaine qui est la seule garantie de la liberté. Le « républicanisme » est le principe politique de la séparation du pouvoir exécutif (le gouvernement) et du pouvoir législatif. Le modèle républicain se trouve par conséquent aux antipodes du régime despotique dont la caractéristique principale est l’identité entre législatif et exécutif : « l’État met à exécution de son propre chef les lois qu’il a lui-même faites, par suite c’est la volonté publique maniée par le chef de l’État comme si c’était sa volonté privée »1. Le principe se trouve réaffirmé et précisé dans la Doctrine du droit. « Tout État contient en soi trois pouvoirs, c’est-à-dire la volonté générale unie en une triple personne (trias politica) : Le pouvoir souverain (souveraineté) qui réside dans le législateur, le pouvoir exécutif– dans le gouvernement (conformément à la loi) et le pouvoir judiciaire (qui attribue à chacun le sien suivant la loi) – dans le juge ». Les trois formes de l’action de la triple personne représentent par conséquent « les trois propositions d’un raisonnement juridique pratique »2. Les fondements de la conception kantienne du principe de la séparation des pouvoirs furent ainsi posés pour être du même, Neue Wahrheiten zum Vortheile der Naturkunde und des gesellschaftlichen Lebens der Menschen, Leipzig, 1758, p. 706 : « Die Glückseligkeit des Staats, und die Freiheit der Bürger, berhuet hauptsächlich auf der vernünftigen Anordnung und dem Gleichgewichte der Hauptzweige der obersten Gewalt in der Grundverfassung des Staats ». 1 Immanuel Kant, Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières, tr.fr. Jean-François Poirier et Françoise Proust, 1991, GF Flammarion, p. 86-87 (la première parution de l’essai en langue allemande date de 1795). En suivant ce raisonnement, Kant qualifie le véritable régime démocratique de despotique. 2 Metaphysische Anfangsgründe der Rechtslehre, Königsberg, 1797, p. 165 : « Ein jeder Staat enthält drei Gewalten in sich, d.i. den allgemein vereingten Willen in dreifacher Person (trias politica) : die Herrschergewalt (Souveränität), in der gesetzegebers, die vollziehende Gewalt, in der des Regierers (zu Folge dem Gesetz) und die rechtsprechende Gewalt, (als Zuerkennenung des Seinen eines jeden nach dem Gesetz) in der Person des Richters (potestas legislatoria, rectoria et judiciaria) gleich den drei Sätzen in einem practischen Vernunftschluß (…) ». Dans la traduction française (partiellement utilisée et modifiée ici) de la Doctrine du droit (Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Librarie philosophique Vrin, 1971 p. 195), Alexandre Philonenko préfère rendre l’expression « dreifacher Person » par « trois personnes ». Cependant « dreifacher Person » ne signifie pas « drei Personen ». Or, cette dernière variante signifierait qu’il y a trois personnes distinctes l’une de l’autre au sein du même État. La « triple personne », elle, garde son caractère unitaire en même temps qu’elle se divise en trois éléments distincts chargés chacun d’une fonction précise. 9
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