LE PARIS DE DURAS

96 Pages·2015·20.525 MB·French

by  ALAIN VIRCONDELET

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w En couverture: Marguerite Duras en 1955.
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© Éditions Alexandrines, 2015
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31, rue Ducoüédic, 75014 Paris. Tél. : [phone].
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SOMMAIRE
AVANT PARIS 7
VERS PARIS 15
'
AP ARIS 25
,
DANS PARIS OCCUPE 33
A
5, RUE SAINT-BENOIT 41
'
PARIS D'APRES-GUERRE 49
,
L'INTERIORISATION DE PARIS 57
'"
QUAND PARIS EST DE NOUVEAU LE THEATRE DE l:HISTOIRE 63
la guerre d'Algérie, mai mai
68. 01
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cQJ A' P ARIS, DANS « LA SPLENDEUR DE L'AA GE » 75
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PARIS, LA MORT 81
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Uc l « QUI DIRA ASSEZ LA BEAUTE DE PARIS ? » 87
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0 92
N BIOGRAPHIE SUCCINCTE
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...µc BIBLIOGRAPHIE 94
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o. INDEX DES LIEUX CITÉS
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7
LE PARIS DE DURAS
Il n'y a qu'un lieu dans l'imaginaire de Marguerite
Duras, cette« patrie d'eaux» 1 le seul qui puisse à
,
ses yeux nourrir et féconder son œuvre. L'Indochine
coloniale, terre qui rejoint la mer, terre fractionnée,
aux innombrables îles enchâssées, terre fragmentée
et aléatoire qui lui a donné l'exacte représentation
du monde : fragile, inachevé, sans repères exacts,
monde informel, monde des débuts et de toutes les
genèses. C'est là que s'est constituée l'œuvre à venir,
là qu'elle a puisé tous les motifs qui la composent.
Elle y revient toujours, obsessionnellement, parce
qu'elle sait que cette terre natale est le signe le plus
sûr de ce qu'elle veut énoncer : l'incertitude des
choses, la fugacité du temps qui passe, la vanité de
toutes choses, la perte et l'abandon, la vie qui va à
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c l'eau,« avec les algues » 2 et malgré le désastre
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ro figuré, incarné, vécu tout au long de son adolescence
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<( indochinoise, à travers la folie du bungalow3 et la
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0 précarité de son existence, elle aime la splendeur
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de ce monde, la beauté des aubes laiteuses sur le
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N Mékong, la magie d'une nature originelle. Saïgon,
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...µc Sadec, Vinh Long et les terres inondables du bungalow
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>- sont les lieux du commencement, engrangé dans
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l'imaginaire de la jeune Marguerite Donnadieu, et dont
1. ln Marguerite Duras, la Vie matérielle, POL 1989, p. 69.
2. ln Marguerite Duras, C'est tout, POL, 1995,
3. Il s'agit du bungalow des terres du Barrage que Mme Donnadieu avait ache
tées et qui étaient inondables. Marguerite Duras en écrira un texte fondateur:
8 Un Barrage contre le Pacifique, 1950.
AVANT PARIS
le bovarysme actif va libérer plus tard, lorsqu'elle
retournera en France, la force d'une écriture, des
espaces inconnus et des secrets illimités. LJndochine
donc comme tremplin d'une écriture qui se constitue,
medium de toutes les révélations. Duras a fait de
cette terre coloniale le support métaphorique de
son écriture, ce que celle-ci veut trahir et traduire,
faire apparaître.
Où qu'elle sera, l'Indochine la poursuivra et la
rappellera à l'injonction première de l'écriture,
qui lui ordonne de transcrire les secrets originels
les plus puissants. Indochine, terre magique, terre
chamanique à sa manière parce qu'elle permet la
révélation.
Elle retrace dans L'Amant ce que le délaissement
de l'Indochine provoque en elle: la scène du départ
en bateau est à ce sujet déchirante d'émotion. Ce
qu'elle quitte met en scène à la fois le malheur et le
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·c bonheur, à vrai dire le lot de toute existence humaine,
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ses beautés et ses attentes. D'elles, elle prétend
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avoir connu un amant chinois, des heures douces
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:;::; dans la chambre à peine close, que les bruits de la
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Ln foule annamite envahissent, les senteurs épicées et
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N acidulées des cuisiniers ambulants et les caresses
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...µc de son amant, l'eau des jarres qu'il faisait couler
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sur son corps de jeune fille, et c'était disait-elle,
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comme un baptême4
.
Des baptêmes, elle en connut d'autres, quand
4. Il ne faut pas prendre à la lettre, semble-t-il, le texte de L'Amant qui n'est pas
une autobiographie. Marguerite Duras avait l'habitude de réinventer sa vie, de la
« mythologiser »sinon de la mythifier, voire de la mystifier. 9
LE PARIS DE DURAS
avec son petit frère, elle franchissait les voies bali
sées pour s'approcher des forêts, et épier les bêtes
sauvages. Quand aux heures crépusculaires, elle
arpentait la grande rue de Vinh Long en tilbury
avec sa mère et ses deux frères: harmonie soudain
retrouvée dans le chaos de sa« famille en pierre » 5
,
sa violence, son indifférence. Immersion dans le bleu
profond, déjà noir, du jour finissant.
Mais c'était toujours le paysage qui lui donnait
d'espérer, de retrouver des forces et des moyens
de continuer. Sans lui, sans la force et la faiblesse
à la fois qu'il savait apporter, elle se serait peut-être
livrée à la mort, abîmée dans sa solitude et dans
sa mélancolie. Quand vint le jour du grand départ,
quand il fallut quitter l'Indochine, elle immortalise ce
moment en le réinventant. Sur le quai, sans se faire
reconnaître, son amant chinois assisterait au grand
remorquage du paquebot jusqu'à ce qu'il se lançât à
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·c la mer. Les vitres fumées de sa Léon Bollée seraient
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remontées de sorte que personne ne pouvait voir son
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visage, elle, la jeune fille, serait montée comme une
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:;::; somnambule dans le bateau, se serait accoudée au
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Ln bastingage du pont supérieur, pour mieux voir ce
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N qu'elle quittait définitivement, la ville, les gens, la
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...µc voiture noire au bout du môle, elle entendrait les
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mugissements des sirènes, et le craquement des
0.
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cordages qui libérent le bateau du quai.
Et c'est alors qu'aurait commencé l'exil.
Sur cette mer illimitée, inconnue et sauvage, sans
repères et sans côtes apparentes, la mer seulement, ses
10 5. Expression employée dans l'Amant, éditions de Minuit, 1984, p. 69.