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Le mystère de l'adoration PDF

14 Pages·1997·0.574 MB·French
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Le mystère de l'adoration Fr. M.-D. Philippe, o.p. DANS l’Evangile selon saint Jean, l’entretien de Jésus avec la Samaritaine est significatif. Les Apôtres, s’étant absentés pour préparer tout ce qui est nécessaire pour le repas, ont laissé Jésus fatigué, seul. Arrive cette femme, humainement inconnue de lui, une Samaritaine. Elle vient puiser l’eau au puits de Jacob, vers midi... pendant que les hommes font la sieste. C’est auprès du puits qu’ils se rencontrent. Jésus, le premier, lui adresse la parole en lui demandant : « Donne-moi à boire. 1 » Cette femme est très étonnée de voir cet homme, en qui elle reconnaît un jeune Juif, lui adresser la parole et lui demander un service. Ce n’est pas la coutume, et elle le lui rappelle 2. Soulignons bien tout de suite qu’il y a un abîme entre cette femme et Jésus. C’est Jésus qui veut ignorer cet abîme en le dépassant lui-même, et il le fait de la manière la plus humble, la plus pauvre, en prenant la place de celui qui mendie, et qui mendie de la manière la plus radicale : « Donne-moi à boire. » Devant l’attitude de Jésus, cette femme peut répondre sans aucun complexe : elle a tout ce qu’il faut pour répondre. N’est-elle pas en situation de supériorité par rapport à Jésus ? En effet, celui-ci n’a rien pour puiser l’eau du puits de Jacob. Il est merveilleux de voir comment Jésus, homme-Dieu, infiniment supérieur à la Samaritaine, se met lui-même dans la situation du pauvre, pour que cette femme puisse lui répondre sans être gênée et, bien que Samaritaine, entrer en contact avec lui, un Juif. C’est vraiment la manière la plus divine, la plus miséricordieuse, d’agir. Jésus, volontairement, se met à la place du mendiant face à cette femme, qui est très consciente à la fois de l’état injuste dans lequel les Juifs la mettent, elle, samaritaine, et de sa supériorité relativement à ce jeune Juif qui lui demande un service. N’a-t-elle pas la possibilité de puiser l’eau de ce puits si vénérable, donné par Jacob aux Samaritains, et échappant aux Juifs par le fait même ? 2. Cf. Jn 4, 9. ■----------------------------------------- Aletheia - Ecole Saint-Jean - 1997 - N°12 Dans sa science infuse, Jésus savait qu’une Samaritaine pourrait lui parler plus librement près du puits de Jacob. Etant chez elle, elle retrou­ verait là une dignité et une proximité à l’égard d’un Juif jeune, fatigué. Cette rencontre nous révèle la bonté intelligente du cœur de Jésus qui ne supporte pas les divisions religieuses et fait tout pour les dépasser. Aussi ne veut-il pas l’humilier inutilement, mais réveiller en elle, dans son cœur de pécheresse, ce qu’il reste de meilleur : sa capacité d’aimer libre­ ment. Cela lui permet alors, dans une miséricorde toute divine, très simple et très douce, d’éclairer son cœur au plus profond, en lui mon­ trant l’état lamentable dans lequel il se trouve : Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari et viens ici. » La femme répondit, et elle dit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu as bien dit : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris, et maintenant celui que tu as n’est pas ton mari ; en cela tu as dit vrai. » La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un pro­ phète !... 3 » L’adoration en esprit et en vérité Comment un cœur si infidèle et blessé, si loin du cœur très pur de Jésus, peut-il revenir dans un état de vérité ? Jésus nous le révèle en lui disant ce qu’elle doit faire : « tels sont les adorateurs que cherche le Père : Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et vérité 4 ». L’adoration « en esprit et en vérité » est ce qui permet au pécheur enfoncé dans son péché de reprendre un contact direct et immé­ diat avec sa Source : c’est Jésus lui-même qui nous le dit. L’adoration du Fils bien-aimé L’acte d’adoration de celui qui adore en esprit et en vérité n’est pas simplement un acte religieux d’adoration ; c’est un acte d’adoration enveloppé d’amour divin, transformé par la charité et par les dons du Saint-Esprit. On peut dire : c’est un acte d’adoration tel que le Christ lui-même le réalise à l’égard de son Père bien-aimé ; cet acte, Jésus le réa­ lise au plus intime de son cœur d’homme transformé par la plénitude de sa grâce sanctifiante de Fils bien-aimé du Père. Jésus est bien le Verbe incarné, il est le Fils bien-aimé fait chair dont la subsistance est celle-là même du Verbe ; la nature humaine de Jésus, formée en Marie sa Mère, subsiste dans le Verbe et reçoit de la Très Sainte Trinité une plénitude de grâce sanctifiante qui transforme sa volonté d’homme en la faisant parti­ ciper d’une manière plénière à la chanté incréée, l’Esprit Saint. La charité l.Jn 4, 16-19. 4./» 4,23-24. 34 créée informe tous les actes des vertus infuses de l’âme de Jésus et, en premier lieu ses actes d’adoration, l’exercice de sa vertu infuse de reli­ gion dans l’adoration. Dans l’âme de Jésus, les actes d’adoration sont parfaits, « en esprit et en vérité ». Ce sont bien de tels actes d’adoration que le Fils bien-aimé est venu nous apprendre. De tels actes purifient radicalement notre volonté humaine en nous mettant dans la vérité : ils nous font reconnaître notre dépendance totale de créature à l’égard de notre Créateur, en l’aimant, en découvrant son amour infini à notre égard : c’est bien lui qui « nous a aimés le premier 5 ». C’est en coopérant avec le fiat de Marie à l’Annonciation que la Très Sainte Trinité a créé immédiatement en son sein l’âme humaine de Jésus. Et c’est en répondant par et dans sa volonté humaine toute divinisée par la charité que l’âme de Jésus a adoré la volonté de son Créateur. C’est bien cette adoration tout aimante de l’âme de Jésus qui est sa première réponse à son Père : « En entrant dans le monde, le Christ dit : [...] Je viens pour faire ta volonté 6 ». C’est en adorant que Jésus accomplit en premier lieu la volonté du Père. Nous comprenons ici l’importance de l’adoration dans l’âme de Jésus : elle nous révèle son amour filial et radical pour son Père, amour qui est communiqué à Marie dans le secret de son cœur de petite créa­ ture de son Père. Et c’est bien cet acte qui continue de relier au Père chaque créature dans le plus profond de son cœur. Par cet acte d’adora­ tion en esprit et en vérité, il y a bien une unité radicale d’amour qui unit le Père à chacun de ses enfants. L’acte d’adoration réalise dans le cœur de Jésus, dans son âme humaine transformée par la plénitude de grâce, une unité radicale d’amour avec son Père et son Dieu. Voilà la Nouvelle Alliance du Créateur avec l’homme, avec le Fils de l’homme ; c’est l’Alpha de la Nouvelle Alliance, et c’est aussi son Oméga 7, son terme, son achèvement réalisé à la Croix. Cette alliance nous montre combien le Père Créateur est présent en son Fils bien-aimé à la Croix qui, en l’adorant, lui offre toute sa vie, tout ce qu’il est. Dans le cœur de Jésus, l’adoration « en esprit et en vérité », coopérant à la volonté de son Père, est déjà source de sa joie de Fils bien-aimé dans le sein de Marie, à sa naissance et durant toute sa vie cachée ; elle est présente durant toute sa vie apostolique, et elle est vraiment la source de son holocauste à la Croix. L’adoration « en esprit et en vérité » est la source cachée de l’offrande sanglante de tout lui-même à la Croix, et par là elle est ce qui permet à l’amour du Père d’être victorieux dans le silence, en brûlant 5. 1 Jn4, 10 et 19. 6. He 10, 5-9 (Ps 39, 8 Vulgate). 7. « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin » (Ap 22, 13 ; cf.Ap 1, 8 ; 21, 6). 35 tout ce qui n’est pas l’amour : par l’adoration, l’amour du Père est victo­ rieux de tout. Voilà pourquoi la Révélation se termine par la Croix, et à la Croix par le cri de soif qui incarne d’une manière ultime l’adoration ; par là est révélé le primat de l’amour, du désir d’aimer. C’est vraiment par l’adoration que Dieu peut se révéler ultimement dans tout son absolu : « J’ai soif ! 8 » Dans le ciel, l’adoration demeure toujours présente dans le cœur de Jésus glorifié, dans le cœur de Marie et dans le cœur des saints. L’Apocalypse nous le révèle 9. Cela se comprend, puisque l’acte créateur qui se termine à l’âme de Jésus subsiste éternellement dans le Verbe, au cœur de la Très Sainte Trinité. La grâce du Christ et de la Très Sainte Trinité ne détruit pas la nature humaine de Jésus (elle ne détruit pas l’âme et le corps de Jésus), ni celle de tous ses membres. La liturgie du ciel, de la gloire, implique l’adoration toujours en acte. Le symbolisme du buisson ardent 1(^ est net : ce feu du ciel, la charité venant de la Très Sainte Trinité, brûle tout ce qui est créé dans la créature spirituelle et celle-ci, sans être détruite, coopère avec ce feu divin en s’ouvrant elle- même à lui par l’acte d’adoration. L’adoration et la créature spirituelle Si l’adoration demeure éternellement dans le cœur humain du Fils du Père, du Verbe incarné, et de tous les membres de son Eglise, elle est aussi présente, actuelle, en l’homme qui cherche la vérité ; elle unit ce qui, sur la terre, est le plus radicalement « amour divin » dans le cœur de toute créature spirituelle, et ce qui, dans le ciel, est le plus radicalement glorifié dans le cœur des bienheureux. L’adoration fait cette unité radi­ cale entre toutes les créatures spirituelles de « bonne volonté 11 » ; en elles, elle est même l’acte le plus radical de bonne volonté, et en tous les chrétiens elle est ce qui fait l’unité la plus radicale avec le cœur humain du Christ Sauveur : elle est l’œuvre radicale du salut en tout homme. Elle est donc bien ce qui caractérise la recherche la plus personnelle d’une créature spirituelle, ce qui en est l’aspect le plus profond. Elle est bien ce qui, en elle, est le plus elle-même, ce qui la dispose de la manière la plus radicale et la plus personnelle à la vision béatifique. Cela nous permet de saisir que l’adoration est l’opération spirituelle la plus profonde, la plus radicale d’une créature spirituelle, celle qui l’oriente de la manière la plus 8,/ra 19,28. 9. « Je n’y vis pas de Sanctuaire ; car le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, est son Sanctuaire, ainsi que l’Agneau » (Ap 21, 22). 10. Cf. Ex 3. 11. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre paix aux hommes de bonne volonté » (Le 2, 14, Vulgate). 36 vraie à la contemplation, et aussi celle qui lui permet de s’effacer totalement dans l’amour divin, de se cacher en présence de Celui qui est tout pour elle. L’adoration lui permet de n’être plus qu’un appel vers celui qui est son Père, lui remettant tout pour l’éternité. L’adoration est bien l’acte propre de toute créature spirituelle, c’est son amour premier, qui la caractérise comme créature spirituelle. Elle découvre son Créateur par cet acte d’amour, et lui remet sa capacité d’aimer librement. Cet acte d’adoration est aussi un élan de vie pour la créature spirituelle, qui se découvre comme enfant du Père, qui sait que seul le Père peut tout pour elle. L’adoration est source d’une confiance absolue. Le serviteur meurt pour que l’enfant du Père vive éternellement : en ce sens, on peut dire que l’adoration finalise l’homme comme créature spirituelle en face de son Créateur ; elle proclame par là que l’homme, en adorant, trouve sa source et sa fin, qui ne peut être que Dieu son Père. Elle lui est tout ordonnée, tout ordonnée à l’Autre en qui elle s’abandonne — in manus tuas Domine, commendo spiritum meum 12 - car il est pour elle Créateur et Père. Elle s’abandonne à lui, sans savoir par elle-même ce qu’il veut, mais en sachant que ce qu’il veut est ce qu’il y a de meilleur pour elle. Le fruit de l’adoration est bien cet abandon total, cette attente. Adoration et foi C’est cet abandon qui rend la foi sur la terre non seulement tolérable, mais source d’espérance et capable de s’épanouir en amour. Si l’adora­ tion disparaît dans le cœur de l’homme, la foi devient très vite intolérable, inadmissible, contradictoire. Comment un Dieu qui est l’intelligence subsistante peut-il exiger une telle attitude de ses fils ? Comment peut-il leur demander de demeurer dans l’attitude de tout- petits qui acceptent d’être conduits par la main sans rien comprendre, sans rien voir ? Psychologiquement, c’est intolérable : notre intelligence humaine devient adulte, elle se développe dans le domaine scientifique, mais elle doit demeurer dans l’ignorance pour ce qui est son bien propre, personnel, ce qui est son bonheur. Elle doit accepter de demeurer pauvre face à un monde qui se croit adulte et qui est si fier de lui-même... Si la foi ne voit plus ce pour quoi elle existe, sa finalité propre, c’est-à-dire si elle n’est plus informée par la charité ni ordonnée, grâce à l’adoration, à la vision béatifique, elle devient intolérable. Elle nous apparaît alors comme n’étant plus de notre temps ! On comprend dès lors comment l’adoration est en quelque sorte la gardienne indispensable de la foi chrétienne. N’est-ce pas à cause de cela que l’exigence de l’adoration est 12. Ps 30, 6 (Vulg.). 37 proclamée au début de la révélation de la Loi à Moïse : « Un seul Dieu tu adoreras » ? Et c’est bien ce que Jésus lui-même rappelle en premier lieu à la Samaritaine de son temps : Dieu est Esprit, et il veut des adorateurs en esprit et en vérité. Et c’est cela que l’Adversaire attaque en premier lieu, pour saper les fondements de l’Eglise. Un homme qui n’adore plus peut encore être fidèle à la corvée d’eau, comme la Samaritaine, mais il glisse très vite et perd même le sens moral : il peut avoir cinq femmes ! Ne développant plus son cœur spirituel par l’adoration, c’est son cœur sensible, passionnel, qui prend toute la place, c’est son affectivité pas­ sionnelle, sexuelle, qui se développe dans la multiplicité et la diversité. Adoration et recherche de la vérité Dans la recherche de la vérité, l’homme peut par lui-même découvrir l’existence d’un Etre premier que les traditions religieuses appellent Dieu. Et dans le monde d’aujourd’hui où régnent les idéologies athées, l’homme qui cherche la vérité doit comprendre leur erreur fondamentale : toutes les idéologies athées confondent vie et être, en ramenant l’être à la vie. L’homme doit donc progressivement découvrir comment et pourquoi il cherche son autonomie vitale, sa liberté, sa res­ ponsabilité. L’homme du XXe siècle doit comprendre comment il est capable d’orienter sa vie d’homme, il doit savoir ce pour quoi il vit, sa finalité, découvrir la nécessité d’aimer ceux qui vivent près de lui, qui travaillent avec lui, découvrir le sens de l’amour d’amitié, le sens de la famille. Il doit par le fait même comprendre le sens de la lutte menée contre la famille par ceux qui prétendent ainsi « libérer » l’homme des traditions religieuses. Le livre de la Genèse est-il un beau mythe, ou est- il une révélation divine sur le sens de la vie de l’homme et de la femme ? L’homosexualité est-elle le vrai bonheur caché, la véritable libération de l’homme, ou est-elle une des grandes tentations contemporaines ? Dieu, le Créateur de notre âme humaine, est-il un mythe ? Tous ces problèmes philosophiques se posent aujourd’hui avec une nouvelle acuité ; on ne peut les éviter, on doit les regarder bien en face. Quelle vérité faut-il découvrir à travers ces problèmes ? Cachent-ils des vérités capitales ? Il est évident que le problème de l’existence d’un Dieu-Créateur est capital pour aborder celui de l’adoration. Tant qu’on n’a pas résolu ce problème et qu’on demeure dans le doute, on ne peut vraiment résoudre le problème humain de l’adoration. C’est une manière très habile d’écar­ ter l’exigence fondamentale de l’adoration que de mettre en doute son fondement propre, l’existence de Dieu, du Créateur. Si Dieu-Créateur n’existe pas, l’adoration n’a évidemment plus aucun sens. Si l’existence de Dieu, du Créateur, est mise en doute, le problème vital de l’adoration 38 est lui-même mis en doute pour nous. Il vaut même mieux l’écarter comme un problème qui n’a plus de sens aujourd’hui, qui risque de nous faire perdre du temps et d’encombrer notre conscience. Pratiquement, on peut évidemment revenir à la solution de Pascal. Mais profondément le problème demeure, car considérer l’existence de Dieu-Créateur comme une hypothèse de vie pratique ne peut suffire. L’existence du Dieu-Créateur réclame une adoration qui touche ce qu’il y a de plus profond dans notre âme spirituelle, notre intelligence dans ce qu’elle a de plus vital. Cela finalise toute notre vie humaine en ce qu’elle a de meilleur. Si on ramène l’existence de Dieu à une hypothèse, n’est-ce pas en fin de compte le problème même de l’adoration qui est alors mis en cause ? Notre conscience humaine ne peut biaiser avec Dieu. Regarder l’existence de Dieu comme une hypothèse est dangereux, car cela nous laisse dans une incertitude intellectuelle radicale et nous main­ tient dans une fausse espérance, celle de croire que notre volonté pourra nous rectifier totalement. Or en réalité, notre volonté ne peut être totale­ ment rectifiée que par notre intelligence découvrant la vérité ; si notre intelligence n’est pas radicalement purifiée, notre volonté ne peut pas vraiment atteindre son bien, et nous ne pouvons pas la reconnaître comme une bonne volonté. La découverte de Dieu-Créateur et l’adoration Il faut donc aller plus loin que le pari de Pascal. Et on ne peut, du point de vue philosophique, accepter que la foi chrétienne résolve seule le problème. Il faut tout faire, si on le peut, pour aller plus loin. Autrement, il faut reconnaître humblement qu’on est incapable d’aller plus loin, et s’appuyer sur le témoignage d’amis plus capables que nous ; du point de vue pratique, ce témoignage d’amis suffit. Mais grâce à une métaphysique réaliste, notre intelligence peut découvrir ce qui est et ce qui n’est pas, elle peut découvrir le primat de ce qui est sur ce qui n’est pas, et répondre à ceux qui prétendent que ce qui n’est pas est premier. Par là, progressivement, à partir du primat absolu de ce qui est en acte sur ce qui est en puissance, elle peut affirmer la nécessité de poser l’exis­ ter d’un Etre premier, que les traditions religieuses appellent Dieu et qui est le Créateur de notre âme humaine. Dès que l’on reconnaît cela, on comprend la nécessité pour l’homme philosophe de répondre à ce don de son âme humaine par un acte d’adoration envers Dieu, le Créateur. Ce Dieu-Créateur existe de toute éternité, et il a créé mon âme quand il l’a voulu, à tel moment dans le temps. Je suis donc dépendant de lui et je dois, dans la mesure où je le peux, préciser le caractère propre de cette dépendance, la qualité unique du don qu’il m’a fait, pour répondre de la 39 manière la plus vraie à ce don qui m’a été fait. La nature de ma réponse est relative au caractère propre de ce don. Je ne réponds pas de la même manière si Dieu, le Créateur de mon âme, m’a créé par nécessité pour son bien, ou s’il m’a créé par un choix libre d’amour pour mon bien. Je répondrai différemment à un Créateur s’il a créé mon âme par pure nécessité ou par un pur amour de bienveillance. Il est donc nécessaire que le philosophe précise, autant que possible, la nature de cet acte de Dieu-Créateur, pour répondre à cet acte le mieux possible, avec la plus grande lucidité. Or Dieu-Créateur ne peut, comme Dieu-Créateur, agir par nécessité pour lui-même, pour s’accomplir, contrairement à ce que beaucoup de philosophes ont affirmé, de Platon à Hegel. Une telle manière de créer ne serait pas compatible avec Dieu, l’Etre premier ; elle supposerait que Dieu n’est pas absolument parfait en lui-même, dans son être, qu’il aurait besoin de s’achever, n’étant pas Acte pur. Or précisé­ ment, le vrai Dieu est découvert comme Acte pur ; autrement, il n’est plus nécessaire que l’Etre premier soit. S’il avait besoin de s’achever, il ne serait plus premier, un autre qui serait plus parfait que lui pourrait l’achever. Si Dieu est l’Etre premier, il est Acte pur et Intelligence subsistante, éternellement en acte de contemplation. Il est lui-même par lui-même. Et s’il décide pourtant de créer, sa décision ne peut être qu’une décision libre, de pur amour pour celui qu’il crée. Cet acte relève de sa sagesse, de sa contemplation de lui-même et de son amour de lui-même. Son acte créateur volontaire et libre ne peut provenir que de lui-même, en vertu de son amour substantiel qui veut se donner dans un don gratuit. Et un tel don ne provenant que de lui-même, le Créateur ne peut pas se servir d’un autre, il ne peut coopérer avec aucune autre personne. Dieu- Créateur agit toujours par lui-même, immédiatement, directement, selon sa sagesse et son amour, sans aucun intermédiaire. C’est ce qu’on exprime en affirmant que la création est une opération propre de Dieu ex nihilo, à partir de rien. Cela veut dire qu’elle relève de sa toute-puis­ sance, selon sa sagesse et son amour. En Dieu cet acte est éternel, car il s’identifie à son essence - il n’est pas quelque chose qui vient s’y ajouter —, mais l’effet de cet acte est dans le temps. Lorsqu’il s’agit de la création de l’âme humaine de chacun des hommes, l’âme est créée dans un embryon humain, avant la naissance. En reconnaissant que notre âme humaine est un pur don d’amour de notre Dieu-Créateur, nous devons le remercier de ce don substantiel. Nous devons le remercier d’une telle générosité, toute gratuite, et l’aimer comme Celui qui nous a donné notre être, notre vie substantielle, notre vie spirituelle d’intelligence et de volonté. Nous devons l’aimer et le remercier en l’adorant, en reconnaissant que tout ce qui en nous est naturellement bon et grand vient de lui et doit retourner vers lui comme 40 à Celui qui seul peut nous apporter notre bonheur. Il est notre bien propre, notre Alpha : tout vient de lui, et notre Oméga : tout demande à s’achever en lui. Cet acte d’adoration fait de nous une personne reli­ gieuse, une personne vraie et parfaite, une personne qui reconnaît qu’elle a tout reçu gratuitement de son Dieu. En l’adorant elle reconnaît que c’est grâce à Dieu qu’elle existe, qu’elle vit, qu’elle peut penser et aimer librement. L’adoration et les conséquences du péché La personne humaine pourra ensuite, si elle reçoit la grâce chrétienne en l’Eglise catholique, saisir que cette grâce la purifie de la faute origi­ nelle, cette faute contractée par l’âme spirituelle informant un corps qui est relié à sa source première en tant que descendant d’Adam et Eve. Cependant les conséquences de cette faute originelle demeurent, sous la forme d’un désordre dans l’affectivité sensible, passionnelle, dans l’affec­ tivité imaginative et dans l’affectivité spirituelle, qui est source d’une tendance à s’exalter, à se considérer toujours comme plus important que les autres. Dans une communauté humaine non chrétienne, ces trois « concupiscences », selon le langage de saint Jean contaminent le milieu culturel soumis au démon, prince du mensonge 1 143. De fait, si l’homme ne cherche pas à adorer et se laisse emporter par ses concupis­ cences, le milieu humain laissé à lui-même devient ce milieu dégradant, égoïste, livré au pouvoir du « prince de ce monde 15 ». L’adoration implique alors une nouvelle dimension, que seul le chrétien peut déceler en sa foi dans le Christ. Elle est ce qui permet à l’homme d’échapper au mensonge ; elle est ce qui permet, grâce aux vertus théologales, d’échap­ per à une intersubjectivité mensongère, nihiliste et désespérante. Dans le réalisme de la foi qui montre l’influence des conséquences du péché ori­ ginel, la réalité de l’adoration apparaît comme l’unique moyen qui nous sauve par le Christ. Par là, nous voyons encore mieux comment seul le réalisme de l’ado­ ration peut nous maintenir dans un réalisme humain, capable de recevoir la grâce chrétienne. Ici encore, c’est l’adoration qui permet de manifester 13. « N’aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui, parce que, de tout ce qui est dans le monde - la convoi­ tise de la chair, et la convoitise des yeux, et la forfanterie des biens -, rien n’est du Père, mais cela est du monde. Et le monde passe, ainsi que sa convoitise ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure à jamais » (1 Jn 2, 15-17). 14. « Vous avez, vous, le diable pour père, et ce sont les convoitises de votre père que vous voulez accomplir. Celui-là était homicide dès le commencement, et il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds, car il est menteur et père du mensonge » Jn 8, 44). 15. « C’est maintenant le jugement de ce monde ; c’est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors » Jn 12, 31). Ci.Jn 14, 30 ; 16, 11. 41 en acte ce qu’il y a de propre à la créature humaine au plus intime de sa personne. Celle-ci, si elle demeure essentiellement la même, est terrible­ ment abîmée par les conséquences du péché originel. Certes, elle demeure capax Dei : son intelligence n’est pas modifiée dans sa nature ; mais à cause de l’exaltation du moi, elle est beaucoup plus facilement repliée sur elle-même dans son exercice. La nécessité des actes d’adora­ tion est devenue encore plus grande, pour que l’intelligence garde son appétit propre de la vérité et s’éveille à son désir naturel de découvrir l’existence de l’Etre premier. Cela se fait dans la lutte, et une lutte plus intérieure. Le démon n’oublie jamais de se servir des conséquences du péché ori­ ginel pour nous divertir et diminuer notre désir de la recherche de la vérité. Quand on est seul, souvent le milieu externe dans lequel nous vivons ne pourra pas maintenir en acte notre soif de vérité et notre capa­ cité actuelle de découvrir l’existence de l’Etre premier ; du point de vue apostolique, il faut être attentif à cela. La vie chrétienne, la plupart du temps, ne peut être vécue qu’en communauté de chrétiens qui cherchent ensemble à adorer ; et là, la prière liturgique est nécessaire. L’adoration et le mystère de l’Eucharistie Puisque l’adoration a été vécue d’une manière éminente à la Croix, dans le cœur de l’Agneau immolé 16 par son amour divin de Fils pour son Père (son cœur de Fils bien-aimé a été immolé et offert pour glori­ fier le Père), on comprend pourquoi Dieu, dans sa sagesse, a voulu que le mystère de la Croix demeure réellement présent pour nous par et dans l’Eucharistie, caché à travers et dans le symbole du pain et du vin, et que ce soit le testament de Jésus pour nous. Le mystère de l’Eucharistie est annoncé prophétiquement par Jésus dès le point de départ de sa vie apostolique, à Cana 17, dans un repas de noces, lors du miracle de la transformation de l’eau en vin, en un vin meilleur que le premier et surabondant. Il l’est aussi lors de la multiplica­ tion des pains 18. Jésus lui-même explique le sens de ce signe en se dévoilant comme le pain véritable : « Moi, je suis le pain de vie, je suis le pain descendu du Ciel 19. » Et au terme de sa vie apostolique, dans sa dernière semaine apostolique, Jésus institue lui-même le mystère de l’Eucharistie comme la nouvelle Pâque pour ses Apôtres et pour son 16. « Et je vis, au milieu du trône et des quatre Vivants, et au milieu des Vieillards, un Agneau debout, comme égorgé » (Ap 5, 6). \7.Jn 2, 1-12. Vi.Jn 6. 19. Cf. Jn 6, 35-41. 42

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