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Le mystère de la conduite de l'Esprit Saint sur l'Eglise PDF

28 Pages·1969·8.381 MB·French
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^BulLetin du CERCLE THOMISTE cSaint-c^/ieolaS de Caen SOMMAIRE N° 48 Nouvelle Série Pages 1. M.-D. PHILIPPE. Le Mystère de la conduite de l’Esprit Saint sur l’Eglise ............................... 1 2. M.-D. PHILIPPE. Etude de la Somme théologique (47e leçon) .......................................................... 28 3. R. de GOURMONT. Y a-t-il une morale naturelle ? . 39 4. Bibliographie ...................................................................... 49 Publication trimestrielle SEPTEMBRE 1969 LE MYSTÈRE DE LA CONDUITE DE L'ESPRIT SAINT SUR L'ÉGLISE Le" Saint-Père nous demande de prendre une conscience plus profonde du mystère de l’Eglise (1), afin de pouvoir mieux répondre aux appels de l’Éspri’t-Saint, d’être plus souples et plus dociles à ses « gémissements » d’amour (1 bis). Dans son enseignement à Nicodème, Jésus affirme avec beau­ coup de force : « Ce qui est né de l’Esprit est esprit » ; et il pré­ cise : « Ne t’étonne- pas si je t’ai dit : Il vous faut naître d’en-haut. Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il, vient ni où-il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » (2). La situation de celui qui est né dé l’Esprit consiste à être attentif à la « voix » du vent en acceptant de ne pas savoir d’où il· vient, ni ' où il và. Pour notre prudence humaine, qui aime connaître d’où l’on vient et où l’on va, c’est une rude épreuve : c’est l'exigence même de la foi. Il faut accepter d’écouter la « voix le « souffle » de l’Esprit, en se laissant conduire par Lui, en- Lui faisant une confiance totale. A certains moments, cette situation est particulièrement héroïque. On voudrait savoir où l’on va, on voudrait connaître les « projets » de l’Esprit Saint sur l’Eglise et sur notre vie de fils de Dieu. Or, il nous est demandé d’écouter la « voix » de l’Esprit Saint et de nous laisser conduire là où II veut. (1) Cf. l’Encyclique Ecclesiam Stiam :. « ...l’heure sonne pour l’Eglise d’appro.fpndiï- la conscience qu’elle a d’elle-même, de méditer sur le mys­ tère qui est le sien » ... « Nous pensons que c’est aujourd’hui un devoir pour l’Eglise d’approfondir la conscience qu’elle doit avoir d’elle-même, du trésor de vérité dont elle est l’héritière et la gardienne, et de la mis­ sion qu’elle doit exercer dans le monde ». Et le Saint-Père insiste encore sur la conscience que l’Eglise doit avoir « de sa vceation propre, de sa propre nature mystérieuse, de sa doctrine propre, de sa mission propre... » (Ibis) Cf. Rm. VII, 26. (2) Jn III, 6-8. 1 Nous oublions peut-être trop cette exigence et c’est pourquoi, si facilement, nous critiquons ou sommes trop impatients, trop friands d’expérience et d’originalité — pour avoir l’impression de faire quelque chose. Mais n’oublions pas la parole de Jésus à Pierre : « Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta cein­ ture, et tu allais où tu voulais ; quand tu seras de­ venu vieux, tu étendras les mains, un autre te nouera ta ceinture et te mènera là où tu ne voudrais pas » (3). Et Jean ajoute : « 11 indiquait par là le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu ». Ce qui est vrai de Pierre l’est aussi de ses successeurs ; et plus nous approchons du terme du pèlerinage de l’Eglise sur la terre, plus cette parole est vraie des successeurs de Pierre. Il ne faut pas l’oublier. Si la conduite de l’Esprit sur l’Eglise et sur chaque chrétien demeure mystérieuse, si la conduite de l’Esprit sur Pierre réclame cette fidélité absolue dans une pauvreté toujours plus grande, qui va jusqu’à une sorte de remise de plus en plus profonde de sa propre personnalité, jusqu’à un véritable abandon divin, cependant Notre-Seigneur lui-même nous dit d’être attentifs aux signes qui annoncent son retour dans la gloire : « Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous vous rendez compte que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez tout cela, ren­ dez-vous compte qu’il est proche, aux portes. En vé­ rité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout ne soit arrivé. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père, seul » (4). Nous devons accepter de ne pas savoir le jour, ni l’heure ; mais nous ne devons pas pour autant être négligents et nous dis­ penser d’être attentifs aux signes : Notre-Seigneur nous le demande avec insistance : « Soyez sur vos gardes, veillez... Veillez... de peur que, venant à l’improviste, il ne vous trouve endormis. Et ce que je vous dis à vous, je le dis à tous : veillez ! » (5). (3) Jn XXI, 18. (4) Mt XXIV, 32-36. Cf. Mc XIII, 28-32 ; Le XXI, 29-33. (5) Mc XIII, 33-37. 2 Comme parabole nous annonçant immédiatement Son retour, Jésus nous donne celle du figuier qui bourgeonne (6), dont la ramure devient flexible et dont les feuilles poussent — et ceci au milieu des angoisses, des luttes, de tous les signes précurseurs de Sa venue. Ceci ijous indique bien qu’au milieu des angoisses, au milieu de la plus grande dégradation — « comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme » (7) — l’Esprit Saint suscitera comme un nouveau printemps, un nouvel appel à l’Amour en vue de recevoir le Fils de l’homme. Pour· rester fidèles et attentifs à la venue de Jésus, nous devons souvent demander à l’Esprit Saint de nous éclairer et de nous faire comprendre où l’Eglise en est dans son pèlerinage terrestre, dans la mesure où nous pouvons le savoir. Et puisque le terme de ce pèlerinage ne nous est pas immédiatement annoncé, nous devons, pour être attentifs à le découvrir, nous aider de tous les éléments que l’Esprit Saint met, de fait, à notre disposition. 1) En premier lieu, regardons le commencement de l’Eglise tel que les Actes des Apôtres nous le révèlent — puisque dans les œuvres de Dieu le point de départ et le terme, l’alpha et l’oméga, ont toujours entre eux une mystérieuse unité. Or, comme le point de départ nous est ici très explicitement révélé, nous ne pouvons pas l’ignorer, si du moins nous voulons être vraiment aux écoutes de l’Esprit Saint et si nous voulons essayer de comprendre com­ ment Il conduit l’Eglise. Les Actes des Apôtres nous révèlent en effet la naissance de l’Eglise et ses premiers pas sur la route du salut.' Ces textes ont d’ailleurs une fraîcheur merveilleuse qui nous aide à comprendre la sollicitude si grande de l’Esprit Saint à l’égard de Son Eglise naissante. Nous y redécouvrons, mais intensifiée, la fraîcheur de la conduite de l’Esprit sui’ Son peuple au désert, et la même lim­ pidité que dans Luc à propos des mystères de la naissance du Christ et du début de Sa vie apostolique. Il y a là des analogies divines qu’il ne faut pas oublier ; et plus nous vivons dans des luttes qui intensifient l’obscurité, plus il nous faut revenir à ce point de départ. Mais comprenons bien qu’il ne s’agit pas d’y revenir pour s’y enfermer et juger dialectiquement tout le développement postérieur de l’Eglise en fonction de ce point de départ. Ce serait oublier l’in­ tention profonde de l’Auteur principal des Actes, l’Esprit Saint. Ne serait-ce pas comme si Marie, à la Croix, avait refusé de vivre le mystère parce qu’il lui paraissait contraire à la joie de la Nati­ vité ? Les Actes des Apôtres ne nous sont pas donnés comme la norme du développement de l’Eglise, mais pous nous montrer l’œuvre de l’Esprit Saint dans l’Eglise à ses débuts. L’Eglise, mue (6) Cf. Le XXII, 29. (7) Mt XXIV, 37. 3 par l’Esprit, doit croître et devenir « un grand arbre » (7a). Au point de départ, elle est une semence divine très cachée, pleine de virtualités divines mais non encore explicitées. Ces virtualités, nous ne les comprenons que lorsqu’elles sont, de fait, explicitées dans la vie de l’Eglise à travers son pèlerinage terrestre. Cependant, le point de départ doit nous aider à comprendre le terme, qui ne nous est pas explicitement révélé dans les Actes des Apôtres, mais simplement annoncé, d’une manière prophétique et symbolique, à l’Ascension : « Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la manière dont vous l’avez vu partir » (7b). Ce qui est le plus frappant, dans cette naissance de l’Eglise, c’est le rôle de l’Esprit : l’Eglise naît dans la manifestation et le don pléniers de l’Esprit. Jésus lui-même l’avait promis : « Vous serez baptisés dans l’Esprit Saint » (7c), dans Celui qui donne la « force » de l’Amour, la force qui permettra aux Apôtres d’être témoins de Jésus « jusqu’aux confins de la terre » (7d). L’Esprit Saint est en effet donné aux Apôtres et à Marie présente au milieu d’eux, sous la forme de langues de feu, et ils commencent à parler « en d’autres langues, selon que l’Esprit Saint leur donne de s’ex­ primer », et chacun, autour d’eux, les entend parler dans sa langue maternelle (7e). Au-delà de la diversité et sans la supprimer, l’Esprit Saint réalise une unité plus profonde, plus radicale. La conséquence de l’orgueil collectif de l’humanité prétendant se sau­ ver par elle-même en se passant de Dieu, c’est la division dans la diversité des langues. L'homme alors, dans son orgueil, ne rejoint plus son prochain. Le Don de l’Esprit, le Don de l’Amour, est vic­ torieux de cette conséquence ultime du péché et réalise, au delà de la diversité, cette unité divine. L’Eglise, à sa naissance, est créée sous ce signe. Dans la dernière étape de son itinéraire, ne devrait- elle pas être particulièrement attentive à cette exigence d’unité au delà de la diversité ? Or la diversité la plus profonde, la diver­ sité la plus fondamentale, c’est la diversité religieuse. Le discours de Pierre, première initiative de l’Eglise, est aussi très important et très significatif. Il nous révèle cet état d’ « ivresse » des Apôtres, sous le souffle de l’Esprit, qui réalise la prophétie de Joël : « Il se fera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair... » (7f). (7a) Cf. XIII, 31-32 ; Mc IV, 30-32 ; Le XIII, 18-19. (7b) Actes I, 11. (7c) Ac. I, 5. (7d) Ac. I, 8. (7e) Ac. II, 4 et 8. (7f) Ac. II, 17 ; Joël III, 1 sq. 4 Notons-le bien : l’Eglise commence son pèlerinage en étant dans les derniers temps : et elle demeure toujours dans les der­ niers temps. L’Esprit lui est donné, et il est dit que le Seigneur fera paraître « des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici- bas sur la terre. Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang... » (7g). Ces signes indiquent bien la présence de Dieu, de Sa Toute- Puissance, en Son Eglise. Les Actes nous révèlent aussi la vie intime de la communauté chrétienne : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la frac­ tion du pain et aux prières... Tous les croyants en­ semble mettaient tout en commun... Jour après jour, d’un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de cœur (7h). La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme (7i). » Cette communauté est bien une communauté de frères, vivant dans l’unité des cœurs, dans l’esprit de pauvreté et réalisant une véritable communauté de prière. Cette communauté, de fait, se développe dans la lutte dès le point de départ. Pierre et Jean sont mis en prison par le comman­ dant du Temple et les prêtres, et jugés par le Sanhédrin ; puis, à cause du peuple, ils sont libérés (7j). Ensuite, après l’institution des Sept auxquels les Apôtres imposent les mains, on nous rap­ pelle la lapidation d’Etienne, le premier choisi, qui devient le pre­ mier martyr, le premier témoin ajoutant son sang à celui du Christ (7k). Ce début des Actes des Apôtres nous montre donc : le Don plé­ nier de l’Esprit qui unifie au delà de la diversité ; le rôle capital de Pierre et les signes divins donnés gratuitement en réponse à la fidé­ lité à la fraction du pain et à la prière ; la vie nouvelle qui anime la communauté des chrétiens ; et la lutte qui demande d’aller jus­ qu’au martyre. Ces premiers traits de la vie de l’Eglise ne doivent- ils pas, comme nous l’avons déjà suggéré, être aussi ceux qui appa­ raîtront d’une manière spéciale au terme ? (7g) Ac. Il, 19-20 ; Joël III, 3-4. (7h) Ac. II, 42 sq. (7i) Ac. IV, 32 sq. (7j) Ac. IV, 1-22. (7k) Ac. VII, 55 sq. 5 2) L’Apocalypse nous est donnée poui’ nous éclairer sur l’inten­ sité et la profondeur des luttes que l’Eglise doit subir, et pour nous aider à comprendre que toutes ces luttes s’achèvent dans le mer­ veilleux don de l’Agneau : les Noces de l’Agneau avec la Jérusalem céleste. Mais nous savons combien il est difficile d’interpréter le langage de V Apocalypse, langage qui demeure toujours énigma­ tique pour nous. L’Apocalypse n’est pas un livre d’histoire : c’est un livre prophétique qui nous fait entrer dans la lumière de la Sagesse de Dieu, dans la conduite aimante de l’Agneau sur l’Eglise. Cette lumière fortifie notre cœur et notre espérance —· c’est pourquoi il est utile de revenir souvent à la lecture de ce livre —, mais elle ne nous donne pas une vision claire et évidente des événements. Rien n’est plus dangereux que de matérialiser ce qui nous est révélé dans V Apocalypse ; tel n’est pas le but de ce livre, qui nous est donné pour que, dans la foi, nous pénétrions de plus en plus dans les décrets de Dieu — les « sept Sceaux » que seul l’Agneau peut ouvrir —, dans le gouvernement de Dieu sur l’Eglise, dans la signification des luttes toujours plus profondes en lesquelles l’Eglise se trouve engagée, pour que notre espérance soit toujours plus pure, ne comptant que sur la victoire de l’Agneau qui seul peut nous sauver. Car nous sommes engagés dans un combat qui nous dépasse, nous devons lutter face au « Dragon », à la « Bête de la mer » et à la « Bête de la terre ». Même si appa­ remment, selon les réalités visibles, la Bête de la terre semble l’emporter, V Apocalypse nous révèle que ce n’est là qu’une victoire apparente, momentanée, et que tout s’achève dans la victoire de l’Amour. Si donc V Apocalypse nourrit merveilleusement notre espérance, elle ne nous permet pas de discerner où nous en sommes dans le pèlerinage terrestre de l’Eglise ; mais elle nous donne cette convic­ tion intérieure que, plus l’Eglise sera proche du retour du Christ, plus les combats seront farouches et tenaces, et moins il y aura de répit — bien qu’il y ait toujours au désert « un lieu réservé » par Dieu pour la « Femme », un lieu où le Dragon ne peut l’atteindre, un lieu où elle lui échappe ; et ce lieu, elle l’atteint en se servant des « deux ailes du grand aigle » (8). Nous comprenons ce que signifie ce symbolisme : le mystère profond de notre foi et de notre espérance, le mystère de foi et d’espérance de l’Eglise, échappent à la connaissance du démon. Celui-ci ignore le mystère de la vie propre de l’Eglise, et c’est ce qui le met le plus en rage ; car, en pur intellectuel, il ne peut accepter cette ignorance à l’égard de créatures qui, naturellement, lui sont inférieures. Sans nous permettre de préciser avec netteté où nous en sommes dans les luttes de l’Eglise, nous pouvons cependant com­ prendre que ces luttes sont permises par le Père et par l’Agneau pour que l’Eglise puisse témoigner de sa fidélité et de son amour. (8) Cf. Ap. XII, 6 et 14. 6 L’Apocalypse n’affirme-t-elle pas que la Vierge suit l’Agneau par­ tout où il va ? (9). L’Eglise fidèle n’est-elle pas la vierge qui suit l’Agneau partout où il va et· donc jusqu’au Calvaire et au Sépulcre ? Si, de ce fait, l’Eglise doit suivre l’Agneau partout où il va, la dernière période de l’Eglise sur terre sera donc très semblable à la dernière étape de la vie terrestre de Jésus. L’Eglise vivra donc d’une manière très spéciale, à ce moment, le mystère de l’Agonie, de la Croix et du Sépulcre. Et pour qu’elle vive de ce mystère, il sera normal que Dieu permette un assaut particulièrement violent des hommes, sous l’emprise du démon, contre elle — comme II a permis, à Jérusalem, l’opposition si violente de la foule contre Jésus, réclamant Sa mort, et la mort de la Croix. Or, si nous sommes attentifs à l’Apocalypse, il semble bien que cet assaut doive être à la fois spirituel et temporel. Les symbo­ lismes des « Bêtes » de la mer et de la terre semblent bien l’indi­ quer. La Bête de la mer n’a-t-elle pas sept têtes sur lesquelles sont inscrits des « titres blasphématoires », et dix cornes (10), tandis que la Bête de la terre possède deux cornes « comme un agneau », mais parle « comme un dragon » (11) ? « Elle accomplit des pro­ diges étonnants : jusqu’à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre » (12). Ne voyons-nous pas, depuis cent ans, éclore diverses formes d’athéisme qui, ouvertement, rejettent Dieu et prétendent exalter l’homme, sauver l’homme par l’homme ? Or, le blasphème par excel­ lence — celui qui semble être le propre de la Bête de la mer, ins­ pirée par le Dragon — n’est-il pas précisément de nier l’existence de Dieu, de prétendre que Dieu ne peut exister, que c’est une contradiction d’affirmer qu’il est ? Car, si le démon ne peut nier l’existence de Dieu, l’homme peut la nier lorsque, imaginativement, il se fait une fausse conception de Dieu. L’éclosion de ces diverses formes d’athéisme, nées de notre Europe chrétienne, est un phénomène tout à fait nouveau. Ces athéismes arrivent à pervertir l’intelligence de l’homme et, par leur diversité même, parviennent à saisir l’homme dans tous ses développements possibles. Le marxisme pervertit l’homme à l’égard du travail ; le positivisme, à l’égard du développement des sciences; le freudisme, dans la réflexion sur son psychisme et sur la forma­ tion de son moi... Ce phénomène pose au croyant un problème : sommes-nous devant ce grand assaut du démon que Y Apocalypse exprime de (9) Ap. XIV, 4. (10) Ap. XIII, 1. (11) Ap. XIII, 11. (12) Ap. XIII, 13. 7 façon symbolique ? Cette question se pose avec d’autant plus d’in­ sistance que, parallèlement à l’éclosion de ces divers athéismes, la puissance des hommes s’est développée de manière inouïe depuis ces cent dernières années, selon un rythme qui va en s’accélérant de plus en plus. L’homme intensifie ses connaissances scientifiques selon un rythme de plus en plus accéléré. Ne les a-t-il pas doublées depuis ces cinq dernières années ? Et l’intensification des connaissances scientifiques conduit né­ cessairement à un pouvoir de plus en plus grand. Jusqu’où peuvent aller cette intensification et l’augmentation de ce pouvoir ? L’homme ne risque-t-il pas d’aller trop loin sans s’en apercevoir ? Et lors­ qu’il s’en apercevra, ne sera-t-il pas trop tard ? De plus, en déve­ loppant tout son capital de vie dans le sens des sciences et des techniques, ne risque-t-il pas de s’appauvrir sous le rapport de la volonté et du cœur ? Le développement intensif des sciences ne va- t-il pas affaiblir l’homme dans sa volonté et sa capacité d’aimer ? Par le fait même, ne va-t-il pas déséquilibrer radicalement l’homme ? Les intelligences humaines, mobilisées par le progrès des sciences et des techniques, n’ont plus le temps de considérer autre chose. Devant cette mobilisation générale, combien d’intelligences aujourd’hui ont-elles la possibilité de se tourner vers Dieu et de Le contempler en L’adorant ? Pour celui qui veut regarder les événements dans un regard de foi, à la lumière de V Apocalypse, il est facile de voir· que les hommes subissent actuellement une terrible tentation qui, du reste, n’est pas nouvelle, mais qui prend actuellement une extrême acuité : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal ». Et en se laissant séduire, les hommes ne sont-ils pas entraî­ nés dans la réalisation de ce qui est annoncé par le symbolisme de la Tour de Babel ? 3) Il serait intéressant de bien saisir la signification symbo­ lique des quatre grands événements que rapporte le Prologue de la Genèse. Les 11 premiers chapitres de la Genèse ont, en effet, une signification toute spéciale et toute différente du reste du livre, car ils sont comme « préhistoriques » ou « transhistoriques ». S’ils nous mettent en présence de faits qui ont existé, les faits en question ont cependant une valeur fondamentale et archétypale, qui semble bien exprimer les attitudes constantes de l’homme face aux tentations. On pourrait même dire que la succession de ces faits exprime d’une manière très radicale les grands événements de l’humanité dans le regard de Dieu. Elle constitue une sorte de maquette de l’Economie divine vue du côté des hommes pécheurs. Les hommes ne comprennent pas les corrections de Dieu et Ses miséricordes et, de fait, s’enferment de plus en plus dans leur orgueil : orgueil de l’intelligence qui n’accepte pas le primat de l’amour s’exprimant dans une obéissance à Dieu ; orgueil collectif 8 des hommes qui prétendent se sauver par leur seule puissance et leur seul travail, Dieu étant rejeté du cœur de l’homme — il n’y a plus de place pour Lui. La première faute, personnelle, et la der­ nière, collective, ont entre elles un lien dialectique très profond. 4) Si l’Esprit-Saint nous fait comprendre que l’Apocalypse nous est donnée pour fortifier et purifier notre espérance eschato- logique, Il nous fait comprendre également comment toute l’his­ toire du peuple d’Israël est comme préfigurative du pèlerinage ter­ restre de l’Eglise. Evidemment, il ne s’agit pas de vouloir décou­ vrir une similitude parfaite qui nous permettrait de ponctuer, grâce aux diverses étapes de l’histoire du peuple d’Israël, les diverses étapes du développement de l’Eglise sur la terre, puisque le peuple d’Israël a une véritable histoire tandis que, le Christ arrivant à la fin des temps, l’Eglise participe de Sa plénitude qui la met comme au delà de l’histoire (13). Cependant, en comprenant bien que l’histoire du peuple d’Israël demeure dans l’attente, on ne peut nier que ses diverses étapes doivent nous aider à ponctuer la durée de l’Eglise dans son pèlerinage terrestre. Par exemple, les trois grandes modalités de l’Alliance — alliance avec les Patriarches (Abraham, Isaac et Jacob), alliance avec Moïse et les Juges, alliance avec les Rois avant la division des royaumes du Nord et du Sud (Saül, David, Salomon) — nous montrent bien trois aspects caractéristiques qui se sont développés en trois moments successifs dans l’histoire du peuple d’Israël : la grande famille patriarcale, le peuple soumis à une loi religieuse, et un royaume capable de construire le Temple de Dieu. Dans la famille s’épanouit avant tout l’exigence d’amour de l’Alliance ; avec le peuple, celle de la justice religieuse ; et, avec les rois, la participation à la puissance et à la gloire de Dieu. N’y a-t-il pas eu, dans l’Eglise, quelque chose de semblable ? (14). Il y a eu d’abord la période des Pères de l’Eglise, où l’aspect familial s’est épanoui en premier lieu ; puis la période des théolo­ giens où la chrétienté-peuple de Dieu a pu se développer ; enfin la période de la Renaissance, où se sont développées la puissance (13) Il vaudrait mieux parler de la durée de l’Eglise que de son histoire au sens fort du mot ; car si les hommes, membres de l’Eglise, ont encore une histoire, l’Eglise, elle, est bien comme au delà de cette histoire. (14) Saint Grégoire de Nysse fait ce parallélisme entre Moïse et les théologiens : « Que si l’ensemble ne peut pas entendre la voix qui vient d’en-haut, mais charge Moïse de prendre par lui-même connaissance des mystères cachés pour communiquer ensuite au peuple les doctrines qu’il aura reçues de l’enseignement d’en-haut, cela aussi se retrouve dans l’économie de l’Eglise : tous ne cherchent pas à pénétrer dans l’intelli­ gence des mystères, mais ils choisissent quelqu’un parmi eux qui soit apte à percevoir les choses divines et ils lui prêtent volontiers l’oreille ensuite, jugeant digne de foi tout ce qu’ils entendent de celui qui a été initié aux secrets divins ». La vie de Moïse, trad. J. Daniélou, collection « Sources chrétiennes » η" 1, éd. du Cerf (3« éd.) 1968, p. 209. 9

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