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Le Moyen-Orient après les révolutions arabes Le Moyen-Orient après les révolutions arabes PDF

73 Pages·2017·2.33 MB·French
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X 2 2 9 6- 5 9 1 N S S dossier Grâce à vous, l’Unicef met tout en œuvre pour que soient développées 3 – I le plus rapidement possible des formulations pédiatriques adaptées aux 0 0 jeunes enfants des pays pauvres afin que 800 000 enfants soient mis 10, LLee MMooyyeenn--OOrriieenntt sous traitement d’ici 2010. x : Pri – 1 7 4 o : aapprrèèss lleess rréévvoolluuttiioonnss aarraabbeess ér m u N – 7 1 0 2 n ui J Envoyez vos dons à Unicef - ENFANTS ET SIDA - BP600 - 75006 Paris « C’est que nous avons, à la vérité, renversé toutes les tyrannies,  sauf une seule, la plus dure : la tyrannie des préjugés » Charles Benoist – 1893 sommaire Juin 2017 – Numéro 471– 10 € « Abstraction calligraphique » Christophe Badani Typographe, Calligraphe [email protected] Le Moyen-Orient après les révolutions arabes r e 226, boulevard Saint-Germain – 75007 Paris Tél. : 01 45 44 49 50 – Fax : 01 45 44 02 12 i 2 Le Moyen-Orient après les révolutions arabes Karim Emile Bitar s site : http://www.aaeena.fr 5 La violence religieuse comme conséquence de la globalisation Olivier Roy Mél : [email protected] s 8 Le rôle de la France au Moyen-Orient Joseph Maïla Directeur de la publication : Daniel Keller o 10 L’islamisme après le printemps arabe – Premières leçons des contre révolutions François Burgat Directeur de la rédaction : Karim Émile Bitar d 14 Le printemps arabe, prolongement d’une décolonisation ratée Bertrand Badie Directeur adjoint de la rédaction : Jean-Christophe Gracia 16 Strategic Implications of Global and Regional Power Dynamics Carole Alsharabati and Jacek Kugler Conseiller de la rédaction : François Broche 21 L’État islamique est une entité éminemment postmoderne Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou Secrétaire de rédaction : Bénédicte Derome 24 Politique étrangère au Proche-Orient après les printemps arabes : Comité de rédaction : Isabelle Antoine, l’introuvable ligne diplomatique Frédéric Charillon André Autrand, Didier Bellier-Ganière, Jean-Marc Châtaigner, Robert Chelle, 26 Arabie Saoudite : le wahhabisme à l’heure du changement Stéphane Lacroix Jean-François Court, Frédéric Dieu, Bernard Dujardin, 28 Réfl exions sur la contre-révolution en Tunisie Nadia Marzouki Patrick Gautrat, Serge Gouès, Isabelle Gougenheim, Vincent Guitton, Benoît Legrand, Julien Neutres, 30 The Intervention in Libya and its Consequences Tarek Mitri Claude Revel, Arnaud Roffignon, Jean-Charles Savignac, 32 Libye : De l’effondrement de l’État au chaos milicien Didier Serrat, Maxime Tandonnet, Laurence Toussaint. Quelques pistes pour une sortie de la crise Rafaâ Tabib Conseil d’administration de l’association des anciens élèves de l’école nationale 35 Choléra, famine, crimes de guerre : la crise humanitaire au Yémen Laurent Bonnefoy d’administration : 37 Le « printemps arabe » : la résilience du régime koweïtien malgré BUREAU les crises récurrentes Carine Lahoud Tatar Président : Daniel Keller 39 La Turquie à l’épreuve des révolutions arabes Jana Jabbour Vice-présidents : Jean-Marc Châtaigner, Myriem Mazodier, Gilles Miller 43 Réflexions sur la « doctrine Obama » et la politique étrangère des Etats-Unis Karim Emile Bitar Secrétaire général : Gilles Duthil 46 De la volonté de remodelage du Moyen-Orient au détournement Secrétaires généraux adjoints : Didier Bellier-Ganière, des révolutions arabes Georges Corm Véronique Peaucelle-Delelis Trésorier : Laurent Martel enaassociation Trésorier adjoint : François-Gilles Le Theule MEMBRES DU CONSEIL 49 Droit de réponse Juan Manuel Gomez-Robledo Marie-Christine Armaignac, Olivier Bailly, Monique 49 Cherche bénévoles actifs spécialistes de la communication Barbaroux, Anne Bennet, Marie-Caroline Bonnet-Galzy Béatrice Buguet-Degletagne, Dominique Dalmas, 50 PV du CA du 26 avril 2017 Eric Delzant Michel Derrac, Francis Etienne, Hélène 53 Promotion Montesquieu au Sénat François Leblond Furnon-Petrescu, Alexandre Gardette, Serge Gouès, Jean-Christophe Gracia, Anne Mlynarski, Bruno 54 Diner-débat d’Agorena : L’efficacité de l’action publique en question Rémond, Jean-Philippe Saint-Geours, Carine Trimoulle. 56 Ena dans la presse Publicité : MAZARINE 58 Carnet Tél. : 01 58 05 49 17 – Fax : 01 58 05 49 37 Directeur : Paul Emmanuel Reiffers Temps libre Annonces et publicités : Yvan Guglielmetti Mise en page, fabrication : Barbara Sabaté 62 Mélomanie Arnaud Roffignon et Christophe Jouannard Conception maquette et Direction artistique : 69 La boîte à livres Robert Chelle Bruno Ricci – [email protected] Compogravure, impression et brochage : Prochain dossier : Terrorisme et guerre contre le terrorisme Imprimerie Chirat Dépôt légal : 36914 © 2003 L’ENA Hors les murs N° de commission paritaire : 0419 G 84728/ISSN 1956-922X Prix : 10,00 € Si vous désirez vous abonner à L’ENA Hors les murs, voir les bulletins d’abonnement pages 7 et 42 Abonnement normal : 70,00 € Anciens élèves : 35,00 € Étranger : 100,00 € /juin 2017 / n°471 1 r er ie s si os d s o d LLee MMooyyeenn--OOrriieenntt aapprrééss lleess rréévvoolluuttiioonnss aarraabbeess Par Karim Emile Bitar Cyrano de Bergerac 1999 Aucune puissance internationale ou sur la dichotomie entre les discours et les des positions maximalistes de certaines régionale n’avait prévu l’onde de choc actes des différentes puissances au Moyen- puissances du Golfe… Craignant de se des révolutions arabes. Toutes ont été Orient. En effet, à partir du moment où ces faire damer le pion par d’autres grandes prises de court et ont, pour la plupart révolutions se sont faites autour de slogans puissances ou par des puissances moyennes d’entre elles, accueilli ces bouleversements universalistes et autour de valeurs que ne plus dynamiques, anxieuses à l’idée de avec une grande méfiance. Au-delà des pourrait renier un citoyen européen ou perdre certains de leurs « États-clients » alors propos de circonstance qui ont pu être américain, il devenait difficile aux dirigeants que d’autres protègeraient les leurs, n’ayant tenus ici ou là pour saluer l’aspiration des occidentaux de resservir les vieux discours pas véritablement le temps de remiser peuples arabes à la liberté, à la démocratie sur une supposée prédisposition arabe au placard leurs vieilles grilles de lecture et à la dignité, c’est la crainte qui fut le ou appétence envers l’autoritarisme qui et de chercher des voies nouvelles pour sentiment dominant. Ces révolutions expliquerait ou légitimerait le soutien que préserver leurs vieux intérêts, les grandes ont dérangé parce qu’elles constituèrent les gouvernements occidentaux ont si puissances ont semblé tarder à comprendre une véritable rupture épistémologique, longtemps accordé à nombre d’autocrates ce qu’étaient les révolutions arabes, et se en ce sens qu’elles sont venues rendre moyen-orientaux. sont échinés à défendre leurs alliés jusqu’au caduques et obsolètes les grilles de lecture Dès lors, chaque puissance s’est efforcée bout. Les États-Unis n’ont lâché Moubarak jusque-là prédominantes. En s’appuyant, de préserver ses intérêts et de « sauver les que lorsqu’il est vraiment apparu que ce du moins dans leurs phases initiales, sur meubles ». Comme l’écrivit le Financial dernier était carbonisé. Quelques jours à des valeurs humanistes et universelles, en Times sous la plume de Philip Stephens1, peine avant sa chute, Hillary Clinton en démontrant qu’il n’existait pas d’« exception « Le Moyen-Orient est un cimetière pour appelait à un retour à l’ordre et un envoyé arabe » et que l’aspiration démocratique ne les politiques étrangères éthiques.» américain, Frank Wisner, considérait que s’arrêtait pas aux frontières de l’« Orient Tout comme les États-Unis, l’Europe, la Moubarak devait rester au pouvoir. Le mystérieux », les révolutions arabes ont Russie et les puissances régionales ont, soutien de la Russie à Bachar Al-Assad fut jeté le discrédit sur les clichés éculés qui elles aussi, peiné à trouver leurs marques encore plus affirmé et se poursuit encore, servaient d’épine dorsale aux politiques de après ce grand chambardement. On se nonobstant l’ampleur de la tragédie syrienne puissance (machtpolitik) menées depuis souviendra longtemps des atermoiements et ses centaines de milliers de morts. Chaque deux siècles, plus précisément depuis et de la frilosité de l’Europe vis-à-vis de la grande puissance a semblé déployer son l’expédition d’Égypte de Bonaparte en révolution tunisienne, de l’intransigeance énergie à assurer la survie de ses affidés, 1798. En mettant à bas les hypothèses et de l’entêtement de la Russie en Syrie, sans qu’aucune d’entre elles ne prenne culturalistes, elles ont jeté une lumière crue des revirements de la diplomatie turque, véritablement la mesure de ce qui était en 2 / juin 2017 / n°471 r e i s s o d train de se passer. Car ce qui se déroulait des « hommes à poigne » (supposément d’Eisenhower et l’Union soviétique de n’était pas uniquement la contestation de « héros de guerre » ou combattants anti- Nikita Khroutchev frapperont du poing sur pouvoirs autoritaires et vieillissants, mais coloniaux) et de sortir de la recherche des la table, contraindront la Grande-Bretagne, bel et bien une révolution politique, sociale, « hommes providentiels ». Le monde arabe la France et Israël à cesser cette agression, anthropologique et épistémologique. avait ainsi l’occasion de rompre avec ce que qui aura finalement permis de renforcer Raoul Girardet2 avait appelé « le mythe du considérablement l’aura et le prestige de Triomphe (provisoire ?) sauveur » . Mais dans un deuxième temps, Nasser dans l’ensemble du monde arabe et de la contre-révolution l’absence de leadership s’est transformée en du tiers-monde, ainsi que son contrôle sur Le jeu des puissances, cumulé aux nombreux lourd handicap3 et a empêché la jeunesse l’Égypte. Les Saoudiens vouaient au raïs problèmes endogènes dont souffre la région en révolte de transformer l’essai. D’autant égyptien une hostilité encore plus vive que suite à des décennies de mauvaise gestion plus qu’à l’absence de leader s’est ajoutée celle des britanniques, ils mèneront contre ayant entraîné la faillite stucturelle des États chez les progressistes un manque flagrant le nassérisme de violentes campagnes de post-coloniaux, ont fait que les espoirs de d’organisation et de sources de financement, presse, lesquelles se poursuivront après la 2011 ont vite cédé la place à une descente alors même que certains courants islamistes mort de Nasser, sans pour autant entamer aux enfers de plusieurs pays (Libye, Syrie, avaient accès à de considérables mannes la popularité de ce dernier. Les années Irak, Yémen…) et à une puissante vague de financières en provenance des monarchies 1960 furent profondément marquées par fond contre-révolutionnaire. Il ne faut pas du Golfe. La marginalisation des courants cette rivalité. pour autant penser que le triomphe de la libéraux et progressistes est donc plus la Avant la défaite égyptienne de 1967, disait contre-révolution est définitif. conséquence de ces facteurs-là que d’une Malcolm Kerr, la politique dans le monde Rappelons-nous en effet qu’après défaite idéologique ou d’une trop grande arabe était beaucoup plus divertissante, l’effervescence révolutionnaire de mai 68 en minceur de leurs troupes. Ce qui signifie précisément en raison des divergences France, la contre-révolution a semblé avoir que la page n’est pas encore tournée, que idéologiques et des affrontements culturels pris le dessus dès le mois de juin 68, à la la vague contre-révolutionnaire pourrait entre les deux camps. Pour Kerr, après la faveur de la gigantesque manifestation des finir par se résorber et que les batailles guerre des six jours de 1967, « il ne pouvait Champs Elysées et de la victoire électorale idéologiques des années qui viennent seront plus y avoir de compétition arabe pour le en raz de marée des conservateurs. On aurait fondamentales. prestige puisque tout prestige avait disparu. » pu croire que la page avait été tournée. Et Quarante ans après, nous sommes en pourtant, moins de dix années plus tard, les De la « guerre froide arabe » présence d’une nouvelle guerre froide, idées et valeurs de mai 68 étaient en passe (Malcom Kerr) à la « nouvelle non plus uniquement arabe, mais moyen- de devenir quasiment hégémoniques au sein guerre froide moyen-orientale » orientale, puisqu’elle implique désormais de vastes franges de la société française, (F. Gregory Gause III) : l’Iran. Alors que les affrontements des années ce qui a largement contribué à l’élection changements et continuités 1950-1970 opposaient deux camps arabes de François Mitterrand à la présidence de Dans un ouvrage devenu célèbre4, Malcolm sunnites, l’un réactionnaire, religieux, et la République en mai 1981. Même si le Kerr, politologue américain né à Beyrouth aligné géopolitiquement sur les États-Unis, contexte politique et les circonstances du en 1931 et assassiné à Beyrouth en 1984, l’autre révolutionnaire, laïc, anti-impérialiste moment peuvent sembler extrêmement avait retracé le contexte et les déclinaisons et socialisant, la nouvelle guerre froide différents, il n’est pas exclu de voir resurgir, de ce qu’il avait baptisé la « guerre froide moyen-orientale oppose le premier camp, après la phase contre-révolutionnaire par arabe », laquelle avait opposé l’Égypte de qui conserve les mêmes caractéristiques à un laquelle passe aujourd’hui la région Afrique Nasser aux monarchies traditionnalistes du autre camp également « anti-impérialiste », du Nord Moyen-Orient, les idées libérales et Golfe dans les années 1950 et 1960. mais représenté par la principale puissance progressistes qui avaient été portées par les Dans cette guerre froide arabe, 1956 avait été chiite, l’Iran, République islamique. Comme initiateurs des mouvements de contestation, l’année du grand bouleversement. La France le rappelle Fawaz Gerges5, cette nouvelle initialement pacifiques et spontanés, qui ont du socialiste Guy Mollet s’était engagée aux guerre froide entre les deux grands pays marqué l’année 2011 dans de nombreux côtés des Britanniques et des Israéliens dans de la région ne porte pas sur des questions pays de la région, et notamment en Tunisie l’Opération Kadesh, plus connue sous le nom identitaires ou idéologiques, mais plutôt et en Égypte. d’expédition de Suez, afin de mettre au pas sur les intérêts, le pouvoir, la suprématie Les nouvelles générations arabes, celui que la presse française et britannique 1 - Philip Stephens, “Oil, blood and the West’s Double Standards”, Financial déterminées à faire entendre leur voix et présentait comme un « Hitler du Nil ». Cette Times, 31 mai 2012. 2 - Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, collection L’univers à rompre avec la dualité « autoritarismes agression tripartite contre l’Égypte allait historique, Seuil, 1986. laïcs vs islamisme radical » n’ont pas rapidement tourner au désastre puisque 3 - La décision du prix Nobel Mohammed El Baradei de ne pas se présenter à l’élection présidentielle égyptienne fut à cet égard un tournant, car beaucoup soudainement disparu. Certes, elles cette tentative des anciennes puissances d’intellectuels avaient vu en lui un homme susceptible de fédérer les énergies sont aujourd’hui réduites au silence et coloniales européennes de reprendre pied tout en incarnant un nouveau style de leadership non autoritaire. Le fait qu’il ait lui-même pris acte de l’impossibilité de « faire de la politique autrement » a marginalisées. Le caractère acéphale, sans au Moyen-Orient allait vite aboutir à mettre déçu ses supporters et accéléré le désenchantement des réformistes égyptiens. leader, des révolutions arabes de 2011 au contraire un terme définitif à l’ère de 4 - Malcolm Kerr, The Arab Cold War: Gamal Abd al-Nasir and his Rivals, avait dans un premier temps été salué l’influence européenne dans la région. En 1958-1970, Oxford University Press, 1971. 5 - Fawaz A. Gerges, interview par Jane Kirkpatrick, E-International Relations, comme permettant de sortir enfin du règne effet, les deux supergrands, l’Amérique e-ir.info, 3 août 2015. / juin 2017 / n°471 3 r e i s Le Moyen-Orient s o après les révolutions arabes d régionale. Ce qui ne l’empêche pas de siècle des « grandes tempêtes idéologiques » en période de vide politique, moral et prendre, par la force des choses, une qui ont « affecté la vie de l’humanité institutionnel. Pour toutes ces raisons, connotation fortement communautarisée, entière ». Il évoquait « la révolution russe un Arabe d’aujourd’hui ne peut que se d’autant plus que la guerre d’Irak de 2003 et ses suites, les totalitarismes de droite retrouver dans le livre de Stefan Zweig, Le a fait renaître, à la faveur de la montée et de gauche, l’explosion du nationalisme, Monde d’hier, souvenirs d’un Européen, en puissance de la communauté chiite du racisme et de l’intolérance religieuse », dans lequel l’écrivain autrichien exilé au irakienne, le spectre d’une grande fitna et Berlin rappelait qu’aucun des grands Brésil écrit : « J’ai été le témoin de la plus entre sunnites et chiites. penseurs du XIXe siècle n’avait prévu effroyable défaite de la raison (…) Tous Mais au-delà des apparences d’une rivalité cela. En occident, l’effondrement du mur les chevaux livides de l’apocalypse se sont ancestrale qui resurgit, les événements des de Berlin en 1989 a mis un terme à ces rués à travers mon existence, la révolution dernières années ne peuvent être compris grandes tempêtes idéologiques et quelles et la famine, l’avilissement de la monnaie par la simple grille de lecture de l’hostilité que soient les critiques qui puissent être et la terreur, les épidémies et l’émigration. entre sunnites et chiites. Dans un rapport6 adressées à Francis Fukuyama, la thèse J’ai vu croître sous nos yeux et se répandre du Brookings Doha Center, dont le titre fait selon laquelle la démocratie libérale n’est parmi les masses les grandes idéologies, le écho à l’ouvrage de Malcolm Kerr, F. Gregory plus véritablement contestée en occident fascisme en Italie, le national-socialisme Gause III souligne à juste titre que nous est une thèse globalement juste. Au Moyen- en Allemagne, le bolchévisme en Russie et sommes au cœur d’une nouvelle guerre froide Orient, en revanche, nulle « fin de l’histoire » avant tout cette pestilence des pestilences, moyen-orientale, d’une rivalité géopolitique à l’horizon, il n’y a toujours pas de consensus le nationalisme, qui a empoisonné la fleur classique entre deux puissances ayant des sur la façon de gérer le pacte social, sur de notre culture européenne. Il m’a fallu être ambitions contradictoires sur plusieurs le degré de libéralisme à accepter, sur la le témoin impuissant et sans défense de cet terrains régionaux, et que se déroule question des mœurs, sur la question des inimaginable retour de l’humanité à un état parallèlement une virulente guerre froide droits des femmes, des minorités religieuses de barbarie que l’on croyait depuis longtemps intra-sunnite, (opposant l’Arabie Saoudite à la et sur bien d’autres sujets. La bataille des oublié, avec ses dogmes et son programme mouvance des Frères musulmans), élément idées n’est pas encore tranchée, les combats anti-humains consciemment élaborés.» ■ important venant nuancer considérablement idéologiques se poursuivront, avec un les lectures faisant de la rivalité sunnite problème supplémentaire : la plupart des chiite une clé explicative universelle des idéologies qui avaient prospéré dans cette bouleversements régionaux. partie du monde depuis un demi-siècle sont aujourd’hui largement discréditées. Après les grandes tempêtes Le djihadisme semble être devenu, selon 6 - F. Gregory Gause III, Beyond Sectarianism: The New Middle East Cold War, idéologiques l’expression d’Olivier Roy, « la dernière cause Brookings Doha Center Analysis Paper, Number 11, juillet 2014. 7 - Isaiah Berlin, « On the pursuit of the Ideal », discours prononcé lors de la Le philosophe Isaiah Berlin a soutenu7 que le sur le marché ». Les grandes tempêtes remise du prix international du sénateur Giovanni Agnelli, reproduit dans la vingtième siècle avait été d’abord et surtout le idéologiques sont d’autant plus dangereuses New York Review of Books du 17 mars 1988. Notre comité de rédaction ayant décidé, pour des raisons liées à l’actualité politique, de repousser de quelques mois la publication du numéro initialement prévu ce mois-ci sur « La France en mouvement », nous lui avons substitué ce dossier sur « Le Moyen-Orient après les révolutions arabes. » Ce dossier qui rassemble certains des plus éminents spécialistes de la région, reprend quelques thématiques ayant été développées lors de deux colloques récents. La majeure partie des contributeurs avait participé au colloque organisé en avril dernier par l’Institut des Sciences Politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, intitulé « Les relations internationales après les révolutions arabes ». Les contributions de Stéphane Lacroix et Rafaa Tabib sont quant à elles tirées d’un colloque organisé par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) dont le directeur général délégué est notre camarade Jean-Marc Châtaigner. Nous remercions ces deux institutions et nous remercions également les contributeurs et éditeurs qui nous ont autorisés à reprendre certaines « bonnes feuilles » d’ouvrages récents, ainsi que le quotidien libanais d’expression française, L’Orient-Le Jour, partenaire du colloque de l’USJ, qui nous a autorisé à reproduire quelques entretiens conduits en marge du colloque. Ces entretiens ont été relus, mis à jour et validés par les personnes concernées. En marge du colloque de l’USJ, de gauche à droite : Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, Nadia Marzouki, François Burgat, Olivier Roy, Karim Bitar, Laurent Bonnefoy 4 / juin 2017 / n°471 r e i s s o d religieuse violence La comme globalisation conséquence de la Quand on associe violence et religion, on Violence et croyance mélange deux types de conflits : ceux La deuxième catégorie, celle qui nous qui portent sur l’identité et ceux qui portent intéresse ici, est celle où la violence est liée sur la croyance. Les conflits irlandais, directement à l’expression de la croyance. balkaniques, chypriotes, israélo-palestiniens Bien sûr la violence ici peut ne pas prendre etc., sont des conflits identitaires, où la de formes sanglantes, sans cesser d’être religion sert seulement de marqueur ethnico- violence. Elle peut être djihad, pogrom, national. On peut être catholique irlandais attentat, assassinat, mais elle peut aussi et athée, Israélien et laïque, Palestinien, prendre la forme de manifestations, de chrétien et communiste en même temps. pressions, de censure, d’expressions Le marqueur religieux est un héritage de diverses de la haine et du rejet. Il s’agit l’histoire, il peut bien sûr prendre une ici d’une demande de suppression d’un dimension purement culturelle (cuisine, autre ou de son opinion, que ce soit sur Par Olivier Roy musique, langue), il peut être mobilisé le mode physique ou symbolique. En ce Professeur à l’Institut universitaire européen par la propagande (appel à la solidarité sens, l’interdiction d’ériger des minarets en de Florence des coreligionnaires dans le monde), il Suisse est aussi une violence. Les formes les peut même être réactivé par des pratiques plus extrêmes sont bien connues : la loi sur religieuses ostentatoires (funérailles, le blasphème au Pakistan et sur l’apostasie pèlerinages, bénédictions, prières publiques au Soudan légitiment de fait des meurtres Il faut penser les sociétés, etc.), mais, en son essence, il ne marque de chrétiens. L’assassinat de médecins et pas seulement au aucune transcendance, aucune foi, aucune pratiquant l’avortement aux États-Unis, le Moyen-Orient, non croyance. meurtre de missionnaires chrétiens par des comme des agrégats de Le marqueur religieux ici est seulement fanatiques hindouistes en Inde, les attentats communautés religieuses un marqueur identitaire, même si bien contre les chi’ites au Pakistan entrent dans ou ethniques, mais sûr on ne peut pas exclure qu’un certain cette catégorie. comme des sociétés de nombre de membres de cette communauté La violence liée à la foi est aussi ancienne que citoyens. Il faut sortir du soient aussi des croyants. C’est pourquoi les religions : la volonté d’éradiquer les traces discours de la défense dans ces conflits les autorités religieuses de paganisme, voire le païen lui-même, ou sont mal à l’aise : elles sont otages d’une bien l’hérétique et le blasphémateur, s’est des minorités menacées dynamique ethnique ou nationaliste (qu’elles toujours trouvée dans les grandes religions, pour mettre en avant un peuvent approuver par ailleurs), et elles en particulier monothéistes. projet commun de société. ont peu de prise sur les vraies raisons du Mais cette violence liée à la croyance me conflit. Tout ou plus peuvent-elles tenter semble relever, dans ses manifestations de préserver l’autonomie du religieux en actuelles, d’une catégorie différente : c’est refusant d’endosser la violence des militants une violence de peur et non pas de conquête. qui se réclament de cette identité (par Elle ne vise pas à forcer la conversion, mais exemple l’Église irlandaise face à l’Ira) et justement à empêcher la conversion ; elle proposer éventuellement des missions de ne vise pas à faire entrer l’autre dans la foi, bons-offices. Mais il n’y a pas de réponse mais à empêcher que l’on touche à sa propre proprement religieuse à ce type de conflits foi personnelle. Si nous observons de plus identitaires, tout ou plus un positionnement près les occasions et les événements qui pour la paix et le dialogue. déclenchent cette violence, ils relèvent le / juin 2017 / n°471 5 r e i s Le Moyen-Orient s o après les révolutions arabes d plus souvent de trois catégories. La première profanation de tombes est reconnue par le sociologique ou nominal », etc.), mais celle est la catégorie des « blasphèmes », de Code civil français) ; la condamnation du d’une coupure entre ceux qui sont dans la l’affaire Rushdie aux manifestations contre blasphémateur n’est pas une exigence de communauté et les autres, car le « pont » l’œuvre intitulée « PissChrist » ; ensuite il foi : on ne lui demande pas de se déclarer n’est plus assuré par le partage de valeurs y a les violences autour des conversions et croyant, on lui demande « seulement » de communes. Il n’y a plus de gradation, il n’y de l’apostasie ; et enfin il y a les violences ne pas mettre en cause le sacré du croyant. a que deux catégories : ceux qui sont dans autour des « valeurs » dites non négociables Le blasphème apparaît comme contestant la communauté de foi et les autres. Cette (avortement, mariage de même sexe). Tantôt aux communautés religieuses le droit d’avoir coupure fait apparaître deux camps opposés, l’ennemi est l’autre religion, tantôt le monde leur espace propre. Les lois anti-blasphème au lieu d’un continuum social. Elle est donc séculier et sa culture profane. Si bien que sont aujourd’hui présentées comme des aussi source de violences possibles. la violence peut opposer les religions entre lois de protection du croyant. Même sous Ma thèse est donc que cette coupure elles, ou au contraire susciter une coalition des formes euphémisées (par exemple, croissante entre religion et culture est de religieux contre la culture profane. Ces la « diffamation » des religions, ou bien « anxiogène » et porteuse de violence. La trois catégories ont un point en commun : l’atteinte à la sensibilité du croyant), les déculturation fait perdre à la religion son la communauté des croyants se perçoit demandes contemporaines de légiférer sur évidence sociale ; elle fait disparaître le comme une minorité assiégée qui lutte pour ce qui apparaît comme blasphème sont plus continuum qui rattache le croyant au non sa défense voire sa survie. que jamais des demandes de protection, croyant, et donc tout l’espace de compromis Les conversions posent le problème de la et pas du tout un outil d’expansion de la ou de valeurs communes. Le signe religieux frontière de la communauté mais aussi religion. Et comme bien souvent, devant devient hyper-visible, non parce qu’il est de sa pérennité : en Inde par exemple les la difficulté juridique de reconnaître ou de nouveau, mais parce qu’il n’est plus inscrit conversions de basses castes à l’islam, au définir le blasphème, même sous les formes dans le paysage, comme c’est le cas de la christianisme ou au bouddhisme menacent atténuées, certains croyants décident de se soutane du prêtre ou du voile des femmes le fondement même de l’hindouisme, à « faire justice » eux-mêmes, en attaquant musulmanes, voire aujourd’hui de la savoir le système de castes, car s’il n’y a l’instrument du blasphème (on brûle des sonnerie des cloches dans la France laïque. plus de basses castes, il n’y a plus de castes livres), soit le supposé blasphémateur. La déculturation oblige le croyant à du tout. Les conversions de musulmans Quant à la question des « valeurs non « objectiver » sa foi, c’est-à-dire à la définir, à au christianisme, ou bien leur choix de négociables » (la « vie », c’est-à-dire le la proclamer et à la défendre. Surtout elle lui l’athéisme, fragilisent le concept même de refus de l’avortement et de l’euthanasie ; montre que la pérennité de la communauté la oummah (communauté) des musulmans, l’irréductibilité de la différenciation sexuelle ; n’est pas assurée, car elle ne repose plus que qui n’est plus un acquis collectif, mais la famille), elle porte en fait sur l’existence ou sur lui-même, sur la collection d’individus relèverait alors de choix individuels. On non d’un socle anthropologique commun à croyants, et non pas sur la société, les voit comment les conversions massives la société que partageraient croyants et non institutions et la culture. La violence est ici au protestantisme en Amérique latine croyants. Ici encore le religieux ne demande double : celle du croyant, mais aussi celle de fragilisent le lien traditionnel entre hispanité pas au non-croyant de rejoindre la vraie foi, il la société sur le croyant, et bien sûr chacun et catholicisme. lui demande juste de reconnaître les valeurs ne voit que l’autre. Mais cette violence est Les conversions remettent en cause le religieuses sécularisées, ou bien un « droit aussi souvent mal comprise : elle est la lien entre une religion et une culture : on naturel » commun. Le changement des plupart attribuée à la « civilisation » qui peut adopter une religion sans adopter la valeurs traditionnelles et la légalisation de porte la religion ; c’est tout le débat sur le culture qui va avec, et cela contribue donc nouvelles valeurs, fondées essentiellement conflit « Islam contre Occident » qui aurait à déconnecter les religions des cultures qui sur le concept de « droits de l’homme » (où lieu dans le cadre du clash des civilisations, en sont pourtant bien souvent l’expression la liberté est la mesure de toutes choses), alors que c’est justement la déculturation sécularisée. Donc paradoxalement une rejettent le croyant dans la minorité. Il se du religieux entraînée par la sécularisation communauté de foi où les convertis sont sent exclu du main-stream, de la société et qui crée un climat propice à la violence. nombreux isolent cette communauté et de la culture dominante. Donc encore une Je dirais, même si cela paraît paradoxal, de la société d’origine des convertis, et fois c’est la communauté de foi qui se trouve que la violence religieuse qui touche de la société associée traditionnellement fragilisée, justement parce qu’elle n’est plus aujourd’hui bien des sociétés musulmanes à leur nouvelle religion. On voit comment enracinée dans une culture majoritaire. est le symptôme d’un début de processus les jeunes Français qui se convertissent au de sécularisation. Comme le font remarquer salafisme musulman dans les banlieues Une coupure « anxiogène » Youcef Courbage et Emmanuel Todd, les vivent dans une sorte de double ghetto : La question n’est plus celle qui a occupé sociétés musulmanes entrent aujourd’hui de celui de la banlieue et celui de la secte. traditionnellement la sociologie des religions plain-pied dans le processus de transition Le blasphème, quant à lui, pose le problème (l’échelle des convictions sur un arc qui démographique, qui, en Occident, est allé de la pérennité du sacré, ou plus exactement va du « croyant pratiquant régulier » à de pair avec la déchristianisation1. remet en cause l’idée qu’il y a un domaine du l’athée, en passant par toutes les nuances Face à ce divorce croissant entre religion et sacré séparé du mondain et que tous peuvent de la pratique : « pratiquant irrégulier », culture, il y a deux attitudes possibles : l’une reconnaître (car il y a un sacré laïque : la « croyant non pratiquant », « chrétien est de tenter une reconnexion, ce que l’Église 6 / juin 2017 / n°471 r e i s s o d catholique décline selon la gamme des avant d’être un concept) suite à la grande mais comme des sociétés de citoyens. Il « pastorales » (pastorales des jeunes, vague missionnaire ouverte au XVIe siècle, faut sortir du discours de la défense des pastorale des migrants) ; on encourage un il faut aujourd’hui repenser l’enracinement minorités menacées pour mettre en avant retour à la foi de ceux qui appartiennent de du religieux dans le culturel, alors même un projet commun de société. Et cela, bien manière purement nominale à une religion. que la globalisation a fragilisé la notion de sûr, ne peut pas se faire sans un progrès de De même les loubavitches et les tablighis cultures nationales ou locales, sans proposer la démocratie et de la défense des droits de s’efforcent de ramener respectivement les pour autant une véritable culture/monde. l’homme (dont la liberté religieuse, mais pas juifs nominaux et les musulmans nominaux La crise du religieux est aussi une crise seulement de la liberté religieuse). Bref on à la vraie foi et à la pratique. L’autre est du culturel. C’est pourquoi les religions ne peut échapper à une approche politique. d’assumer la rupture avec la culture doivent s’ouvrir à une nouvelle approche Enfin, aucune société ne se conçoit sans dominante : c’est le propre des mouvements de la culture afin de retrouver un pont en culture. On peut penser que la fragilisation dits fondamentalistes, comme les salafistes, direction d’une société qui se sécularise des cultures nationales par la globalisation les ultra-orthodoxes juifs ou certains partout, y compris là où on ne l’attend débouchera sur des recompositions plutôt protestants évangéliques, qui rejettent non pas (le monde musulman). Je vois deux que sur le vide. En tout cas, on doit l’espérer seulement la culture dominante, mais l’idée pistes : travailler à un langage commun et essayer d’anticiper sur ces recompositions, même qu’il pourrait y avoir une culture et à définir des valeurs communes avec en cherchant chez les nouvelles générations séculière compatible avec la foi. Le premier le monde sécularisé, au lieu de tenir un tout ce qui peut anticiper ces nouvelles choix vise à apaiser les tensions, le deuxième discours de la norme et de la garde aux recompositions, au-delà d’une approche à assumer les tensions. frontières de la foi. La nouvelle approche du purement technique et parfois magique pape François va dans ce sens. Ensuite, au des nouveaux moyens de communication. Crise du culturel niveau des sociétés et des nations, il faut La culture internet n’est pas un produit Mais cela ne résout pas la question de fond. travailler sur la restauration du lien social d’Internet, c’est un produit des hommes et Ce qu’il faut repenser c’est le rapport de la et politique, c’est-à-dire de la citoyenneté. Il des femmes qui utilisent Internet. C’est à religion à la culture. Tout comme l’Eglise faut penser les sociétés, et pas seulement au eux qu’il faut parler. ■ catholique avait développé en son temps le Moyen-Orient, non pas comme des agrégats 1 - Youssef Courbage, Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, La concept d’inculturation (qui fut une pratique de communautés religieuses ou ethniques, République des Idées 2007 B U L L E T I N D ’ A B O N N E M E N T Je souscris à abonnement(s) d’un an à l’ENA Hors les murs au prix annuel unitaire de 70,00 3 (France) ou 100,00 3 (Étranger). 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La première est le de cette diplomatie, effectivement, si vous fait d’avoir signé le traité du 14 juillet pensez à une politique d’intervention, et 2015 sur la dénucléarisation militaire de tous les Libanais ont en tête l’intervention l’Iran, ce qui offre des perspectives d’un française en Syrie de 1860, je pense que renouveau de la diplomatie et des prises de les temps ont changé. Aujourd’hui, la contact. Deuxièmement, protection des minorités Par Joseph Maïla la France est engagée Une politique qui passe par le renforcement Professeur de géopolitique, de médiation et activement aux côtés des institutions de de relations internationales à l’Essec veut préserver la de l’Arabie saoudite participation citoyenne. Ancien directeur de la prospective au mosaïque, et le tissu ministère des Affaires étrangères dans une problématique Une politique qui veut de combat contre le régional doit donc préserver la mosaïque, terrorisme, notamment à passer effectivement et le tissu régional doit « La protection des partir de l’Irak et dans le donc passer effectivement par un renforcement minorités passe par cadre du conflit en Syrie, par un renforcement des des capacités des le renforcement de la et du renforcement des capacités des États. Dans participation citoyenne. » positions de la coalition États. le cadre des conflits au « La France pourra contre le groupe État Proche-Orient, on a vu avoir un rôle de relais islamique (EI) en Irak. Je pense que que la question des minorités (en Irak, c’est la bonne approche. Effectivement, d’une certaine façon, et indirectement des aspirations des cette diplomatie qui cherche d’abord à se chrétienne, en Syrie également) se pose de acteurs régionaux et positionner sur des intérêts stratégiques manière assez directe et crue. Les chrétiens les acheminer vers français va croiser des interrogations, en Irak étaient de l’ordre d’un million les instances des susceptibilités, des perceptions d’un 500 000, et, selon les autorités, il y en internationales et alignement sur un État régional plus a moins de 500 000 aujourd’hui. Les européennes. » qu’un autre. Mais je ne pense pas que chrétiens de Syrie ont été contraints de la politique française se laisse d’abord partir dans le contexte de la guerre. Ceux déterminer par des prises de position de qui ont souffert de ces conflits sont aussi nature communautaire dans un conflit dans des chrétiens. Là, il faut qu’il y ait une cette région du monde, où, effectivement, diplomatie orientée à la préservation le communautaire est étroitement imbriqué du pluralisme sociétal et religieux, dans au stratégique et au politique. laquelle se retrouvent les chrétiens. À long terme, je pense que ces politiques La France ne tient plus son rôle de devraient être beaucoup plus orientées protectrice des chrétiens d’Orient. Ce sont et centrées, vu l’urgence, sur le sort des 8 / juin 2017 / n°471 r e i s s o d minorités dans le cadre de l’État de droit. ont été retardés pour un moment, mais en place des accords Sykes-Picot, cette Je suis de ceux qui appellent un chat un que la France a rattrapé le coup. architecture franco-anglaise. De l’autre, chat, et quand les chrétiens, ou d’autres, en tant que puissance européenne, elle a sont visés parce qu’ils sont chrétiens, je L’ancien ministre des Affaires étrangères, un effet d’initiative et d’entraînement au crois qu’on peut légitimement se mobiliser Laurent Fabius, s’était personnellement sein de l’Europe, dont elle peut orienter pour eux, en sachant que, dans un contexte investi dans la perspective d’une relance la politique. La question du Moyen-Orient de confusion générale, certains sont plus des négociations israélo-palestiniennes. concerne en priorité l’Europe, comme le fragilisés, plus persécutés que d’autres. Le Mais après avoir fait un pas en avant, montre la question tragique des réfugiés. maintien des chrétiens dans le contexte quand l’Assemblée nationale a reconnu La France pourra avoir un rôle de relais des régional proche-oriental, ce n’est pas l’État palestinien, Paris a fait un pas en aspirations des acteurs régionaux et les seulement une politique vis-à-vis d’une arrière. Comment expliquer l’ambiguïté acheminer vers les instances internationales minorité menacée, mais c’est aussi, à long de Paris sur ce sujet ? et européennes. Il faudra alors parler terme, la préservation au Proche-Orient de Je ne pense pas qu’il y ait une ambiguïté. Je clairement à ceux qui ne cessent de retarder pluralisme religieux. La communauté qui pense que les positions sont extrêmement les échéances et laissent grandes ouvertes rend possible et plausible le pluralisme, claires. La volonté du ministre Fabius, les portes de l’injustice. ■ c’est la communauté orientale chrétienne. mise en avant à un moment donné, était de reconnaître l’État palestinien et de dire Propos recueillis par Caroline Hayek1 En Syrie, on a l’impression que la France, que, si dans un laps de temps déterminé, L’Orient le Jour ancienne puissance mandataire, est mise les négociations n’abou-tissaient pas, alors à l’écart des négociations. A-t-elle mal la France reconnaîtrait un État palestinien, manœuvré ? Est-ce une erreur politique, afin de montrer qu’elle favorisait la solution ou simplement la réalité de la puissance des deux États. Je pense que cette position française actuelle dans la région ? n’a pas changé et qu’elle restera telle Je crois que, sur la Syrie, il y a quelle. Mais elle a dû se télescoper en effectivement eu quelques retards. quelque sorte avec les événements en L’idée d’une focalisation Syrie au moment où il sur le départ du La France pourra y avait une priorité de président syrien Bachar l’action diplomatique en avoir un rôle de relais el-Assad longtemps Syrie. L’approche de la des aspirations des maintenu, mais maintenu question palestinienne comme préalable, n’était acteurs régionaux pouvait brouiller les pas tenable à un certain et les acheminer cartes dans l’immédiat. moment. Il fallait donc, Mais l’idée est juste de vers les instances pour s’orienter vers une traiter enfin le dossier internationales et sortie de crise, faire de la Palestine. Je pense de ce départ non pas européennes. qu’il faut le faire dans le une condition, mais un cadre d’une coopération point d’arrivée. Je pense que la France beaucoup plus large, qui serait in fine ce s’est insérée dans ce contexte général. que la France vise, à savoir revenir à l’idée Deuxièmement, le fait de ne pas avoir qui courait avant même Camp David, d’une participé immédiatement à la coalition qui conférence internationale sur la Palestine. est allée bombarder l’EI en Syrie, et de dire : Ce projet, qui peut être à l’initiative de la « Nous le faisons en Irak, mais pas en France, ne peut véritablement aboutir que Syrie, parce que bombarder l’EI en Syrie dans un cadre international de concertation c’est favoriser le président Assad, puisque multilatérale sur la question palestinienne. l’EI est l’un de ses ennemis », a été, de ce point de vue, une erreur. La France s’est Alors que les États-Unis se retirent, rattrapée assez vite quand elle a compris de façon relative, de la région, que les que cette position, qui était plutôt dure, Russes font leur retour, que les puissances ne permettait pas de participer aux efforts régionales s’affrontent dans des guerres de paix qui ont été mis en place. La par procuration, quel rôle peut jouer la décision du président François Hollande France au Moyen-Orient ? 1- Le colloque « Les relations internationales après les révolutions arabes » de faire participer son aviation, y compris La France peut jouer un double rôle. D’une de l’Université Saint-Joseph ayant eu pour partenaire le quotidien francophone dans les bombardements en Syrie, a ainsi part, un rôle de puissance européenne qui libanais L’Orient-Le Jour, certains entretiens publiés dans ce dossier sont des favorisé ce retour de la France dans les connaît le mieux cette région du Levant, versions remaniées, relues et mises à jour par leurs auteurs d’entretiens initialement parus dans L’Orient-Le Jour. Nous remercions la direction et les négociations. Je pense que ces deux points du Liban, de la Syrie, depuis la mise journalistes de L’Orient-Le Jour pour leur aimable autorisation. / juin 2017 / n°471 9

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10 L'islamisme après le printemps arabe – Premières leçons des contre révolutions. François Burgat 24 Politique étrangère au Proche-Orient après les printemps arabes : l'introuvable française. À moins que vous ne préfériez l'œuvre pure et intemporelle d'un quartet de rêve composé
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