Centre international de formation européenne Institut européen – European Institute Master in Advanced European and International Studies Trilingual Branch Le lobby agroalimentaire au sein de l’Union Européenne Adeline Haaby Mémoire dirigé par Monsieur Jean-Claude Vérez Nice, France Année scolaire : 2014/2015 Sommaire Acronymes .................................................................................................................................. III Introduction ................................................................................................................................... 1 I Le lobby européen ................................................................................................................... 5 1 Délimitation du terme « lobby » ........................................................................................... 5 1.1 Définition ....................................................................................................................... 5 1.2 Acteurs ........................................................................................................................... 7 1.3 La mise en place d’un réseau ....................................................................................... 10 2 Le labyrinthe institutionnel de l’UE comme levier d’influence ......................................... 12 2.1 La Commission Européenne ........................................................................................ 12 2.2 Le Parlement Européen ................................................................................................ 14 2.3 Le Conseil des Ministres .............................................................................................. 16 3 Organisation et stratégie du lobby européen ....................................................................... 18 3.1 Le basculement d’une stratégie nationale à une stratégie européenne ......................... 18 3.2 Le rôle clé des agences régulatrices de l’UE ................................................................ 22 3.3 La surreprésentation des entreprises ............................................................................ 25 3. 4 Le pluralisme des élites ............................................................................................... 29 II Particularité et stratégies d’influence du lobbying agroalimentaire .............................. 32 1 L’agence régulatrice de l’UE, l’ « European Food Safety Authority » ......................... 33 1.1 Rôle et ambitions .......................................................................................................... 33 1.2 Principes fondateurs et partenaires ............................................................................... 37 2 Les problèmes de conflits d’intérêts au sein de l’EFSA ..................................................... 39 2.1 Rapport de la Cour des comptes européenne .............................................................. 39 2.2 Des relations contestées ............................................................................................... 41 I 3 Etudes de cas ....................................................................................................................... 45 3.1 L’étiquetage nutritionnel .............................................................................................. 45 3.2 Le Bisphénol A ............................................................................................................ 50 III Peut-on réguler le lobbying agroalimentaire ? .................................................................. 52 1 Propositions de réglementation des activités de lobbying au sein de l’UE ......................... 53 1.1 Principes fondateurs ..................................................................................................... 53 1.2 Le registre de transparence ........................................................................................... 56 1.3 Les activités des fonctionnaires européens .................................................................. 58 2 Peut-on réformer l’EFSA et réguler le lobby agroalimentaire ? ......................................... 61 2.1 Règles spécifiques ........................................................................................................ 61 2.2 Critères d’évaluations du lobby agroalimentaire ......................................................... 63 2. 3 Limites des mécanismes de régulation et alternatives ................................................ 66 2.4 Lobbying et conflits d’intérêts : nécessairement interdépendants ? ............................. 69 Conclusion .................................................................................................................................... 72 Annexes ........................................................................................................................................ 77 Bibliographie ............................................................................................................................. 108 II Acronymes AEM Agence Européenne des Médicaments AESA Autorité Européenne de Sécurité des Aliments AFSSA Agence Française de Sécurité Sanitaire des Alimentaire AGFCAPH Advisory Group on the Food Chain and Animal and Plant Health ANSES Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail BEUC Bureau Européen des Unions de Consommateurs CAN Climate Action Network CCE Cour des Comptes Européennes CDM Conseil des Ministres CE Commission Européenne CECA Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier CIAA Confédération des industries agroalimentaires dans l'Union européenne COREPER Comité des représentants permanents DG Direction Générale DG SANCO Direction Générale de la Santé et des Consommateurs EC European Commission EFSA European Food Safety Authority EM Etats Membres ENVI Comité permanent de l'environnement et du développement durable EPHA European Public Health Alliance ERT European Round Table ESB Encéphalopathie spongiforme bovine EUFIC European Food Information Council GFL General Food Law ILSI International Life Sciences Institute OCDE Organisation de Coopération et de Développement Economique OLAF Office européen de la Lutte Antifraude ONG Les organisations non-gouvernementales OXFAM Oxford Committee for Famine Relief PE Parlement Européen QJC Quantités Journalières Conseillées RASFF Rapid Alert System for Food and Feed III TFEU Traité sur le fonctionnement de l’UE TUE Traité sur l’Union Européenne UE Union Européenne WWF World Wide Fund IV Introduction Médias et discours publics ont de plus en plus recours au terme « lobby ». Beaucoup l’emploient, sans savoir précisément ce qu’il recouvre et ce qu’il défi- nit. Depuis l’instauration du grand marché commun européen, le rôle joué par les lob- bies s’est considérablement renforcé et confirmé. Libérés de toutes contraintes et barrières internes, les groupes d’influences seraient capables de répondre aux nouveaux défis liés à l’internationalisation des échanges, là où d’autres ont pu par le passé échouer. Ils sont désormais, non seulement considérés comme des par- tenaires incontournables, mais aussi comme des alternatives fiables et légitimes. La mondialisation a favorisé leur émergence et leur a donné les moyens de se dé- velopper et de s’exporter. Dès lors, l’Union Européenne (UE) ne fait pas excep- tion à l’expansion de ces groupes d’intérêt sur son territoire. Agents et acteurs de ces nouveaux ensembles interconnectés et interdépendants, les lobbyistes entretiennent de bonnes relations avec les Etats ; ces derniers, com- prenant très vite les avantages et potentialités que les groupes d’influence peuvent incarner. Ici, réside le cœur des stratégies de lobbying. Parvenir à créer des situations « gagnantes-gagnantes », où, non seulement, les intérêts de chaque groupe se- raient pris en considération, mais où l’intérêt d’un acteur deviendrait bénéfique à l’ensemble des protagonistes. L’industrie agroalimentaire a recours à ces pratiques et manœuvres pour convaincre du fondé de leur action. Par ailleurs, si l’Union doit répondre aux attentes de ses citoyens, sa mission reste double. Elle est dans l’obligation d’accorder une attention égale à toutes les autres formes d’organisation, déterminées à faire prévaloir ses intérêts. En effet, les lob- byistes, quand ils ne représentent pas les sollicitations de la société civile, servent de relais aux multinationales de l’agroalimentaire pour exprimer directement leurs 1 voix aux responsables politiques1. Désormais les actions de lobbying ou d’influence peuvent être considérées comme les nouvelles formes d’expression des entreprises et des consommateurs. Dès lors, les responsables politiques européens apparaissent comme les acteurs incontournables à atteindre pour espérer être entendus. Ces decisions maker sont devenus les nouveaux arbitres des échanges, institutionnalisant les règles néces- saires au bon fonctionnement de l’UE et s’organisant entre les piliers législatifs des Etats Membres (EM), des organes de l’UE et des agences régulatrices. Il reste à identifier si l’UE octroie aux consommateurs les mêmes capacités d’action face aux entreprises. Ont-t-il vraiment un poids au sein du marché commun ? « [Sind sie] Gestalter des Lebensmittelmarktes oder dessen Opfer2 ? » Enfin, la libre circulation des marchandises au sein de l’UE représente un marché si vaste et étendu, qu’il est, malgré l’élaboration de normes, règles, et de proces- sus d’harmonisation, complexe d’assurer une transparence absolue où les intérêts de chacun seraient connus de tous. Tandis que le lobby du tabac est souvent cité en exemple d’actions emblématiques de lobbying, le lobby agroalimentaire prend des formes d’organisations plus discrètes, et reste peu connu du grand public. Des techniques d’influences subtiles et ciblées sont instaurées. Les consommateurs, directement concernés par l’issu des négociations entre responsables politiques et certains groupes d’influence, peuvent sembler parfois être absents des préoccupations, voire mis à part. L’importance donnée à certains industriels devancerait des enjeux de santé publi- que. Dès lors, quels sont les fondements du lobbying agroalimentaire et sur quels intérêts spécifiques reposent-ils ? Pourquoi diffère-t-il des autres types de lob- bying européens ? Quels acteurs inclut-il ? Quelles sont ses cibles et comment s’organise-t-il pour atteindre ses objectifs ? Existe-t-il des instances capables de réguler durablement les actions d’influence des agents de l’agroalimentaire ? 1 ALTER-EU, (2010), p. 24. 22 FFooooddwwaattcchh..oorrgg,, RReecchhttllooss iimm SSuuppeerrmmaarrkktt:: AAnnsspprruucchh uunndd PPrraaxxiiss ddeess LLeebbeennssmmiitttteellrreecchhttss,, pp.. 55.. 2 L’analyse du lobby agroalimentaire au sein de l’UE proposera et illustrera des possibilités de réponses. Le secteur agroalimentaire réunit l’ensemble des entreprises du secteur industriel transformant et exploitant des matières premières en produits alimentaires finis, prêts à la consommation. Si les relations commerciales entre consommateurs, pro- ducteurs et industriels échangeant au quotidien des millions de marchandises semblent évidentes, il reste plus difficile de déterminer dans quelles mesures certains acteurs parviennent, plus que d’autres, à influencer les décisions des responsables européens. La structure de ces actions reste difficile à identifier et il s’avère souvent délicat de discerner la nature et desseins des protagonistes. Par exemple, si les consommateurs se montrent très attachés à des grandes marques alimentaires, ils exigent conjointement de la part des autorités un grand niveau de protection et des mesures bénéfiques à l’intérêt général, devant sanctionner les intérêts privés. D’où la confusion. De même, des actes de conflits d’intérêts sont souvent associés au lobbying ag- roalimentaire, dans un contexte où les enjeux financiers et économiques peuvent freiner un encadrement législatif suffisant. Avant d’appréhender le lobby agroalimentaire, il semble nécessaire de comprend- re comment s’exercent les activités de lobbying au sein de la sphère européenne et par quels biais ces groupes d’influence sont parvenus à gagner en reconnaissance. La première partie de cette recherche sera consacrée à la présentation des spécifi- cités du lobby européen. En effet, souligner la singularité du lobby agroalimen- taire n’est envisageable qu’à travers une présentation des actions de pression eu- ropéennes, souvent essentielles au bon fonctionnement de l’UE. Pour ce faire, il s’agira d’exposer l’identité de ces principaux agents et son organisation. Cela nous conduira à observer que les dispositifs du lobby européen diffèrent selon les ambitions institutionnelles à atteindre. Une analyse des formes actuelles de lob- bying sera l’occasion d’examiner les phases de développement et de transforma- tion du lobbying, se concentrant désormais davantage sur des schémas européens que nationaux. Ces nouvelles dimensions donneront lieu à la collaboration et à la 3 confrontation de nouvelles structures ; les agences régulatrices et les entreprises des secteurs concernés. Comprendre les instruments du lobby agroalimentaire européen ne peut s’envisager qu’au point de réunion de l’ensemble des groupes d’intérêt inter- venant à Bruxelles. Une deuxième partie centralisée sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sera l’occasion d’étudier dans quelles mesures celle- ci est devenue un interlocuteur incontournable dans les pratiques de lobbying ag- roalimentaire. Malgré la volonté de l’Union de rester ouvert à tous types de solli- citations extérieures, il s’avère difficile de concilier les intérêts de la sphère privée avec ceux de l’ensemble des consommateurs. Dès lors, il s’agira d’exposer les origines des éventuels conflits d’intérêts émanant de l’EFSA. Ceux-ci seront il- lustrés de deux exemples récents, interrogeant directement le niveau de sécurité alimentaire au sein de l’Union. Une dernière partie envisagera les mesures de régulation du lobby agroalimentaire au sein de l’UE. Cela nous conduira à nous demander si une gouvernance globale européenne serait capable de réguler, voire de mettre un terme aux conflits d’intérêts au sein de la sphère agroalimentaire. Des alternatives seront proposées. 4 I Le lobby européen Cette première partie consacrée à la présentation du lobby européen nous permettra dans un premier temps de déterminer les acteurs et principales cara- ctéristiques des activités de lobbying au sein de l’UE, ainsi que de comprendre sur quelles instances institutionnelles ces derniers agissent-ils. Lors d’une troisième partie, il s’agira de comprendre les nouveaux enjeux et défis du lobby européen. 1 Délimitation du terme « lobby » 1.1 Définition Communément, académiques et politiques se posent la question de savoir qu’est- ce-que le lobbying, qui lobby qui, et selon quels mécanismes fonctionne-t-il. Avant d’y répondre, il est nécessaire de revenir sur quelques éléments de définion. En 1991 le dictionnaire Larousse définit pour la première fois le terme « lobbying » comme l’ensemble des actions menées par les lobbies3. Les lobbyis- tes peuvent être désignés d’« in house lobbyistes », de « corporations », d’ « associations », de « charités » ou encore d’ « ONG ». Il est nécessaire de rappeler que les actions des groupes de pression sur la sphère politique sont autorisées par la loi, même si elles peuvent sembler controversées4 : « Es gibt nichts, was gefährlicher ist, als der Einfluss privater Interessent auf die öffentliche Angelegenheiten5. » La condition pour légaliser cette pratique est une représentation égale de chaque intérêt, agissant pour le bien de tous. 3 Hermel, (2000), p. 14. 4 Arnim, (2006), p. 141. 5 Arnim, (2006), cite Rousseau, (1762), p. 141. 5
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