Dr Louis René Villermé (1782-1863) Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie Textes choisis et présentés par Yves TYL Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel : mailto:[email protected] Dans le cadre de la collection : "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web : http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web : http://classiques.uqac.ca/ L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 2 Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec courriel : mailto:[email protected] Dr. Louis-René Villermé. Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Textes choisis et présentés par Yves TYL. Paris : Union générale d'Éditions, 1971, 316 pp. Collection : 10-18, n° 582. Polices de caractères utilisés : Pour le texte : Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 9 mars, 2006 à Chicoutimi, Québec. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 3 Tableau de l’état physique et moral des employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Textes choisis et présentés par Yves TYL Couverture de Pierre Bernard Photo Roger Viollet : mineurs, XIXe siècle. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 4 Présentation du livre (Texte au verso du livre) Retour à la table des matières Le Tableau de Villermé est le plus saisissant ouvrage paru sur les ouvriers français du XIXe siècle. Écrit aux débuts de l'industrialisation, il retrace avec minutie le cadre de travail et de vie de ceux qu'on appelait les « nègres blancs », condamnés à des journées de quinze à dix-sept heures, pour des salaires infimes. On atteint, dans cette enquête, le tréfonds de la misère, à une époque où le mouvement ouvrier ne faisait qu'apparaître. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 5 Orthographe ancien et nouveau dans l’édition numérique de 2006 Retour à la table des matières Les mots finissant par ent et ant au pluriel ont été corrigés comme suit : — alimens pour aliments — fabricans pour fabricants, etc. Les mots finissant par x, ont été corrigés comme suit :— laborieus pour laborieux, — vois par voix — épous par époux. Autres corrections : allemans par allemands — fabricaient par fabriquaient — disgrâciés par disgraciés — dévoûment par dévouement. Les traits d’union de certaines expressions n’ont pas été retirés. Marcelle Bergeron, bénévole, mars 2006. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 6 Table des matières Orthographe INTRODUCTION (Yves TYL) Introduction PREMIÈRE PARTIE Section I. : Des ouvriers de l'industrie cotonnière Chapitre I: Travaux auxquels se livrent les ouvriers de l'industrie cotonnière. Chapitre II: Des ouvriers de l'industrie cotonnière dans le département du Haut- Rhin. I. Mulhouse et la plaine d'Alsace II. Des ouvriers de la fabrique de Sainte-Marie-aux-Mines Chapitre III: Des ouvriers manufacturiers du département du Nord, en général, et, en particulier, de ceux des villes de Lille, Roubaix et Tourcoing. I. Lille II. Roubaix, Tourcoing, etc. Chapitre IV: Des ouvriers de la fabrique de Saint-Quentin. Chapitre V: Des ouvriers des fabriques de Rouen, d'Elbeuf, de Darnétal et de Louviers. I. Rouen II. Darnétal, Elbeuf, Louviers Chapitre VI: Des ouvriers de la fabrique de Tarare. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 7 Section II : Des ouvriers de l'industrie lainière Chapitre I: Travaux des ouvriers de l'industrie lainière Chapitre II: Des ouvriers de la fabrique de Reims Chapitre III: Des ouvriers de la ville de Rethel Chapitre IV: Des ouvriers de la fabrique de Sedan Chapitre V: Des ouvriers de la fabrique d'Amiens Chapitre VI: Des ouvriers en laine du midi de la France I. Lodève II. Carcassonne Section III : Des ouvriers de l'industrie de la soie Chapitre I: Des opérations dont s'occupent les ouvriers de l'industrie de la soie Chapitre II: Des ouvriers en soieries de la fabrique de Lyon Chapitre III: Des ouvriers en soieries des fabriques de Saint-Étienne et du midi de la France I. II. Saint-Étienne III. Nîmes RÉSUMÉ SUCCINCT DES TROIS SECTIONS I. Ouvriers de l'industrie cotonnière. II. Ouvriers de l'industrie lainière. III. Ouvriers de l'industrie de la soie. DEUXIÈME PARTIE Chapitre I: Condition matérielle des ouvriers. Chapitre II: Mœurs et principes moraux des ouvriers. I. Ivrognerie des ouvriers II. Imprévoyance. Défaut d'économie. Libertinage. Mauvais exemples, etc. III. Reproches des fabricants. Responsabilité de ces fabricants IV. Autres faits qui intéressent la moralité des ouvriers Chapitre III: Durée journalière du travail Chapitre IV: Enfants employés dans les manufactures (Suite du chapitre précédent). Chapitre V: Abus des avances d'argent faites sur les salaires des ouvriers. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 8 Chapitre VI: Du livret des ouvriers et des conseils de prud'hommes. Chapitre VII: Institutions sociales en faveur des ouvriers. I. Salles d'asile II. Écoles, instruction et ignorance III. Caisses d'épargnes IV. Sociétés de secours mutuels contre la maladie Chapitre VIII: Santé des ouvriers. I. Dans les manufactures de coton II. Dans les manufactures de laine III. Santé des ouvriers employés aux premières préparations de la soie IV. Santé des tisserands V. Considérations générales Chapitre IX: Mouvement de la population ouvrière. Chapitre X: Influence des machines modernes et de l'organisation actuelle de l'industrie sur le sort des ouvriers. Chapitre XI: Des associations industrielles d'ouvriers. Chapitre XII: Résumé de la condition des ouvriers. CONCLUSIONS L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 9 INTRODUCTION Yves TYL Retour à la table des matières Le 27 décembre 1837, l'Académie des sciences morales et politiques mettait au concours un mémoire pour exposer quelle pouvait être « sur l'économie matérielle, sur la vie civile, sur l'état social, et la puissance des nations, l'influence des forces motrices et des moyens de transport qui se propagent actuellement dans les deux mondes ». Et le rapporteur, Charles Dupin expliquait que la machine avait libéré l'homme, qu'elle avait supprimé « l'inégalité des forces sociales », et que la liberté civile était sortie, pour les masses, de cette révolution. Mais en même temps, l'Académie proposait de « déterminer en quoi consiste et par quels signes se manifeste la misère en divers pays ». Et, à Mulhouse, en 1838, la Société Industrielle décidait de donner une médaille d'or de mille francs à l'auteur du meilleur mémoire parlant « de l'industrialisme dans ses rapports avec la Société, sous le point de vue moral ». Les deux problèmes de l'industrialisation et de la misère du peuple se trouvent liés à cette époque et les analyses basées sur la seule morale ne suffisent plus. On s'inquiète de la situation des classes dangereuses et des remèdes qui pourraient « améliorer cette classe dépravée et malheureuse ». Villermé, dans son Tableau, tentera lui aussi de répondre à ces questions, en étudiant, de façon approfondie, la condition des ouvriers. Son travail intervient à un moment de transformation de l'économie française, à l'époque du démarrage de l'industrie, quand la mécanisation s'impose, lentement mais de façon sûre. C'est l'époque de mise en œuvre des découvertes techniques qui profitent d'abord aux industries textiles. Les inventions de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, dues souvent à de modestes ouvriers, ont transformé les conditions du travail. Alors qu'en 1830 le problème politique essentiel était encore celui des relations entre la bourgeoisie et l'aristocratie foncière, en 1835 déjà l'opposition du capital et du travail apparaît primordiale. Mais, on le sait, si les problèmes sociaux sont posés avec acuité, l'évolution reste lente en France. Aux débuts de la monarchie de juillet, les capitaines d'industrie développent d'abord seuls les nouveaux procédés de fabrication, L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840) 10 profitant des progrès de la circulation, des débuts du chemin de fer, mais surtout de la machine à vapeur. Celle-ci ne concurrence pas encore les autres sources d'énergie : l'eau et les manèges de chevaux ou l'énergie humaine, mais déjà elle prive certains métiers de leur main-d'œuvre. C’est le cas notamment pour les tisserands à bras qui ne peuvent rivaliser avec les manufactures naissantes. La mécanisation de certains secteurs plus rapidement développés — ainsi la filature de coton —entraîne la concentration des entreprises ; les grandes manufactures ou, comme les appelle Villermé, les fabriques, prennent place dans le paysage urbain : hautes cheminées, bâtiments serrés sur plusieurs étages, auprès d'un cours d'eau pour bénéficier de l'énergie et d'une eau de lavage, immenses champs couverts de draps dans les régions d'impression de tissus... la technique impose sa marque. Et ces grandes entreprises, exigeant une abondante main- d’œuvre, s'accompagnent du développement rapide des villes : Mulhouse qui compte, en 1812, 10 000 habitants, atteint 20 000 en 1827 et 30 000 en 1836 ; Roubaix passe de 8 000 à 34 000 habitants. Les villes éclatent dans leurs murailles, débordent sur les campagnes avoisinantes, attirant à elles une masse croissante de pauvres sans travail, de femmes et d'enfants. « Que la ville est brillante ! » s'écrie Michelet dans « Le Peuple ». « Que la campagne est triste et pauvre ! Voilà ce que vous entendez dire aux paysans qui viennent voir la ville aux jours de fêtes. Ils ne savent pas que si la campagne est pauvre, la ville, avec tout son éclat, est peut-être plus misérable ». Les conditions de vie des ouvriers, Villermé les décrit avec émotion et horreur, lui, ce « froid observateur » qui impressionnait Michelet. Qu'il s'agisse des caves de Lille — ou des greniers pires encore — où s'entassent, au fond des, « courettes » sans soleil, dans des pièces minuscules, une ou plusieurs familles, exposées, à la saleté, aux rigueurs du climat et à la dépravation ; qu’il s'agisse des campagnes mulhousiennes qui voient chaque matin se presser vers la fabrique « une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue... et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l'huile des métiers, tombée sur eux pendant qu'ils travaillent », contraints d'habiter à une lieue, une lieue et demie de la manufacture en raison des loyers excessifs. Car la mécanisation exige une main-d’œuvre nombreuse et bon marché, pour effectuer un travail, simple, de surveillance. Le nombre de femmes, dans l'industrie textile, passe ainsi de 196 400 en 1835 à 242 300 en 1839. À cette date, elles représentent 56,5 % des effectifs dans les filatures de coton, 69,5 % dans les filatures de laine et 70 % dans les filatures de soie, tandis que le nombre d'enfants de 7 à 14 ans était évalué par M. Billaudel, en 1839, à la tribune de la Chambre des députés, entre 100 et 150 000. Mais le salaire féminin est de moitié, environ, inférieur à celui des hommes et celui des enfants est plus modeste encore. Aussi le revenu familial tombe-t-il très bas : « en général, dit Villermé, un homme seul gagne assez pour faire des épargnes ; mais c'est à peine si la femme est suffisamment rétribuée pour subsister, et si l'enfant au-dessous de 12 ans gagne sa nourriture ». Durée excessive du travail, insuffisance des salaires, fatigue, sous-