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Le hasard et l'histoire : entretiens avec Belaïd Abdesselam (Tome 2) PDF

412 Pages·1990·13.662 MB·French
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ahfoud Bennoune Ali El-Kenz CX)LLECnON SAD AJHFOUD BENNOUNE ALI EL-KENZ '/ LE HASARD ET L ’HISTOIRE y ENTRETIENS AVEC Bel ai d A B D E S S E L A M Tome 2 INwlANA UNIVERS! LIBRARIES 8L00MINGT0N Collection “ SAD” dirigée par Ali El-Kenz © ENAG / Editions - 1990 Suite de la troisième partie LES PROBLEMES DU DÉVELOPPEMENT ni Les plans de développement : Une stratégie qui se construit dans l’adversité Bennoune : Peux-tu nous parler, maintenant, de l'expérience de développement et des différents plans qui l'ont marquée. Abdesselam : Les discussions qui ont précédé ces plans remon­ tent à plus de douze ans ; aussi, je vais m’efforcer de rassembler mes souvenirs personnels. Après avoir été chargé du problème du gaz, de la révision des accords d’Evian, etc., j’ai été amené logiquement à me préoccuper des problèmes de développement. En outre, pour un nationaliste, son aspiration est de voir son pays atteindre le rang de développement des autres pays... Il s’agissait d’abord de se débarrasser du carcan d’Evian et, ensuite de penser comment rattraper les autres... Bien sûr, cela supposait qu’on ait répondu aux questions : « Qu'est-ce que le progrès ? Le développement ? ». Il y a, évidemment, différentes manières de concevoir le développement. Il y a deux démarches possibles : l’une qui met en avant l’objectif financier ou bien, en disant les choses autrement, celle qui a pour moteur exclusif ou quasi exclusif la recherche du profit, et l’autre qui met en orbite une action qui tend à sortir le pays d’un état pour le mener à un autre, celui atteint par les pays pris comme référence, généralement les pays développés, de l’OCDE... Et, on observe un certain nombre de critères, d’indices - consommation d’acier par habitant, formule alimentaire, ration calorifique, instruction, scolarisation, etc. - et, de proche en proche, on s’aperçoit que le développement, c’est une multitude d’objectifs à réaliser. On engage le pays, par une action déterminée, à atteindre un objectif déterminé. Le développement ne consiste pas seulement en une masse d’investissements, mais aussi en un mouvement d’actions engagées, une marche forcée... 7 Le hasard et l’histoire Il faut essayer d’aller rapidement, de court-circuiter certaines étapes, etc. On débouche alors, sur une forme d’action qui n’entre pas dans la démarche capitaliste qui, elle, consiste à lancer un certain nombre d’incitations et à attendre que les choses se réveillent d’elles- mêmes. C’est pourquoi, on retrouve, dans le langage des théoriciens capitalistes, qui ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître la démarche socialiste, la notion de démarche volontariste qui nfreint les mécanismes des lois naturelles ou, pour employer un vocable aujourd’hui à la mode, des lois universelles de l’économie et du marché... Je prends, par exemple, les cimenteries. En 1968, quand nous avions nationalisé ce secteur, il y avait deux grandes cimenteries de 500 000 tonnes chacune et une petite - celle de Meftah - de 40 000 tonnes. Pour le propriétaire - Lafarge -, il était impensable de multiplier, au-delà d’une certaine limite, cette capacité. Quelques années après, nous nous retrouvons avec un programme de création de cimenteries, qui devait nous conduire à mettre en place une capacité de plus de dix millions de tonnes... Alors, selon que l’on adopte l’une ou l’autre démarche, il y a des conséquences qu’il faut accepter consciemment, et avant de s’y engager... Je vous dis cela à titre de rappel ; car, la vision du développement, j’ai eu l’occasion de vous en parler longuement, auparavant... Bon, le plan triennal a été lancé en 1967-1969, il a été préparé en 1966, donc, dès le lendemain de la prise de pouvoir de Boumediène. A l’époque, nous n’avions pas voulu lancer un plan complet de développement, car nous estimions que nous n’étions pas suffisamment bien informés sur les réalités de l’économie algérienne et que nous ne disposions pas encore d’un certain nombre d’objectifs à accomplir, pendant ces trois années considérées comme une période préparatoire pour le lancement d’un plan qui, alors, s'inscrirait dans une perspective à plus long terme. Du point de vue de l’industrie, les actions engagées étaient des actions d’urgence, soit dans le domaine de ce que nous avions entre les mains - il s’agissait de remettre sur pied, un certain nombre d’entreprises qui fonctionnaient difficilement, d’engager des actions de formation, des investissements complémentaires ou de remplacement -, soit les actions dans d’autres domaines où les besoins se faisaient sentir, comme dans le secteur alimentaire, soit continuer un certain nombre d’actions déjà engagées dans le cadre 8 Entretiens avec Belaid Abdesselam du Plan de Constantine, comme la sidérurgie de Annaba, et amorcer quelques projets qui avaient déjà mûri, comme les engrais phosphatés à Annaba, le complexe d’engrais azotés à Arzew et lancer, sur le terrain, notre politique pétrolière, à partir de 1966, après les accords de 1965 avec les Français. A ce moment-là, il n’y avait pas de problèmes particuliers à l’industrie, car elle était considérée par tout le monde comme la solution pour régler bon nombre de problèmes, notamment celui du chômage. Le problème majeur, qui se posait alors, était de créer des emplois pour résorber le chômage. En manière d’infrastructures - c’était l’idée qui prévalait à l’époque -, on considérait que la France nous avait laissé une très belle infrastructure, à laquelle il n’y avait pas grand-chose à ajouter. Il fallait, donc, se contenter seulement d’actions d’entretien... et l’on considérait même, parfois, que ce legs ne méritait même pas d’être entretenu. C’est ainsi que des aéroports ont été fermés ! On considérait qu’il y avait trop d’aéroports pour l’Algérie ! Des routes étaient abandonnées, des ports délaissés, comme inutiles... On raisonnait par rapport aux pays sous-développés... On partait de l’idée simpliste qu’on avait un chemin de fer... que la SNCFA étant déficitaire, il fallait trouver le moyen de la subventionner ; il n’était pas question de nouvelles voies ! « Déjà, les lignes que nous avons, nous n'arrivons pas à les rentabiliser !... » Voilà quel était alors le raisonnement. Même raisonnement pour l’agriculture : « Comment arriver à écouler la production ?... Comment vendre à l'extérieur du vin, des oranges et des mandarines ? » On avait, à ce moment-là, un excédent de production pratiquement dans toutes les catégories de cultures, sauf les céréalières, par rapport à la consommation nationale. On réfléchissait aux moyens de rentabiliser les domaines autogérés... On reprochait, alors, à l’agriculture de ne pas payer d’impôts, de ne pas dégager de bénéfices pour alimenter le Trésor... Voila enfin toute la philosophie qui prévalait à l’époque. Et l’industrie était considérée comme la locomotive qui pouvait faire démarrer l’économie... Ensuite, les actions engagées sur le plan pétrolier étaient envisagées principalement dans le cadre d’une coopération avec la France. Au plan industriel, à Annaba, l’usine sidérurgique se faisait, en partie, en coopération avec les Français et les autres projets étaient des projets où, plus ou moins, les Français étaient intéressés. J’ai eu l’occasion de vous expliquer le cas d’Arzew {ammoniac)... Bon, on n’a pas réussi à engager ce 9 Le hasard et l’histoire projet dans le cadre d’une société mixte ; mais, les Français étaient contents d'obtenir la réalisation du projet. Sur le plan de la liquéfaction du gaz, le projet de Skikda n’est pas tout à fait arrivé à maturité, à cause du problème du prix ; mais, il était envisagé avec les Français. Bref, dans l'ensemble, il n’y avait pas d’hostilité envers l’industrie. Celle-ci bénéficiait d’un préjugé favorable, tant sur le plan interne que du côté français. Les quelques escarmouches qui ont éclaté, à l’époque, l’ont été avec la gauche - les commu­ nistes..., ils essayaient d’attaquer le régime dans son ensemble et ils disaient que j’étais l’agent des Français et un peu celui des Américains ; car, j ’essayais de trouver une percée, du côté américain, dans le domaine pétrolier. Voilà en gros la réaction. Je vous signale, aussi, qu’à l’époque, les forces qui attaquent aujourd’hui l’industrie étaient focalisées sur l’agriculture. Pourquoi ? Parce que c’était dans l’agriculture qu’était concentré le système socialiste. C’était le domaine où la part du secteur socialiste était la plus grande, à la suite des nationalisations des terres des colons... tandis que, dans l’industrie, la part du secteur socialiste était relativement faible ; la plupart des entreprises industrielles existant dans le pays se trouvaient encore entre les mains de propriétaires étrangers, français dans leur quasi-totalité. L’agriculture était, à cette époque, l’objet d’attaques virulentes... Vous trouverez, dans notre histoire économique du lendemain de l’indépendance et du 19 juin 1965, du côté du ministère des Finances, des tentatives d’étouffement du secteur agricole : des contrôles paralysants et empreints de la volonté de nuire, des crédits coupés - les crédits du Trésor -, sans compter, qu’à ce moment-là, les banques étaient privées. La seule banque algérienne était la Banque centrale ; mais elle n’avait pas de contacts avec les secteurs économiques, à l’exception de Sonatrach à laquelle elle servait de banque primaire, afin d’éviter que notre industrie pétrolière naissante passe par les mains des banques privées étrangères. Les autres secteurs avaient affaire soit aux banques privées françaises, soit au Trésor ou à la CAD et faisaient l’objet de toutes sortes de mesures draconiennes... «Vous mangez de l’argent ; vous ne produisez pas, etc. » leur disait-on. Enfin, les responsables de notre agricu ture et nos domaines autogérés agricoles étaient en butte aux mêmes critiques qui sont dirigées, maintenant, vers le secteur industriel. Il y a eu, même, à l’époque, une campagne organisée à rencontre des gestionnaires de lVgriculture : on les mettait en

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