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LE DERNIER AMOUR DU PRINCE GENGHI PDF

12 Pages·2006·0.18 MB·French
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LE KABUKI ET LA CONSTRUCTION NARRATIVE DU TEXTE ET DU PERSONNAGE FÉMININ DANS « LE DERNIER AMOUR DU PRINCE GENGHI » par Jung-Hwa HONG (Université de Toronto) Introduction Il était difficile de ne pas prêter notre attention particulière à la constatation de Laura Brignoli qui discute la signification du nombre 18 dans la nouvelle japonaise de Marguerite Yourcenar, « Le Dernier Amour du prince Genghi » : le dix-huit […] revient deux fois dans la nouvelle : c’est pendant dix-huit ans que la-dame-du-village-des-Fleurs-qui-tombent a aimé en silence son prince ; au moment de sa mort, le prince paraît se figer dans sa dix-huitième année… Magie des nombres.1 Une remarque très intéressante en effet. Pourtant, un autre symbolisme de ce numéro 18 a échappé à l’analyse de la critique. Et c’est cette signification du 18 qui a inspiré cette brève communication où nous tenterons de mettre en lumière la relation entre le Kabuki, théâtre populaire du Japon, et la construction narrative du « Dernier Amour du prince Genghi » et de son personnage féminin. Avant d’entrer dans les détails, nous voudrions insister sur le fait que ce travail ne considère pas la théâtralité de la nouvelle ni le théâtre du Kabuki. Ce qui suscite notre intérêt dans la nouvelle c’est en réalité les affinités structurales entre le Kabuki et la construction narrative de la nouvelle et du personnage féminin de Yourcenar. Nous nous contentons en conséquence d’attester la présence des caractéristiques élémentaires du théâtre japonais, étroitement tissée 1 Laura BRIGNOLI, Marguerite Yourcenar et l’esprit d’analogie. L’image dans les romans des années trente, Pisa, éd. Pacini, 1997, p. 339. 165 Jung-Hwa Hong dans la construction narrative, symbolique et philosophique de la nouvelle et du personnage féminin. À plusieurs occasions dans ses ouvrages littéraires, Yourcenar elle-même a témoigné sa prédilection pour les arts et la culture du Japon – nous pensons plus particulièrement aux essais dans Le Tour de la prison, « Kabuki, bunraku, nô », « Les Quarante-sept Ronin » et à sa réflexion critique Mishima ou la Vision du vide, entre autres, où l’auteur manifeste ses intérêts pour le pays du soleil levant. La fascination de Yourcenar pour la culture orientale a sûrement influencé le fondement idéologique de sa nouvelle japonaise alors que la vaste connaissance de l’auteur a mené à produire un effet de réel quasi-authentique dans son discours. Nous croyons que la nouvelle du « Dernier Amour du prince Genghi » démontre par excellence le caractère universel de la culture et du savoir de Marguerite Yourcenar. Nous vous invitons à jouir de l’heureuse alliance d’un esprit libre de l’Occident avec une des traditions culturelles de l’Orient.2 I- Survol historique du Kabuki L’histoire du théâtre Kabuki remonte au XVIe siècle, l’époque historique d’Edo (de 1603 à 1867) au Japon. Succédant à une époque catastrophique de la guerre civile, cette période politique appréciait la paix et la stabilité sous le régime puissant de Tokugawa. Cependant les premières années du régime ont dû faire l’expérience d’une grande confusion politico-sociale à cause de laquelle les paysans demandaient des formes excentriques et peu conventionnelles pour le divertissement populaire. Ceci explique l’étymologie du mot kabuki, dérivé du verbe « kabuku » qui signifie « incliner vers l’anormal » ou « peu conventionnel ». Masakatsu Gunji explique dans The Kabuki guide : Deriving from the verb « kabuku » – « to incline », « to tilt », « to lean to one side » – kabuki signified « unusal » and « unconventionnal », in relation particularly to certain social trends of the time that were disapproved of as excessively unorthodox. These trends also involved certain extravagances in 2 Ce disant, nous soulignons également l’anachronisme évident entre la rédaction de la nouvelle dans les années 30 et la visite de Yourcenar au Japon en 1980. 166 Le Kabuki et la construction narrative du texte dress and behavior, so that « kabuki » also connoted « fashionable » and « faddish » even « avant-garde ».3 L’origine du Kabuki se cherche dans les spectacles de danse réalisés par les femmes qui s’adonnent peu à peu à la prostitution. S’interrogeant sur la moralité et l’influence du théâtre, le gouvernement finit par bannir le Kabuki qui cependant survit grâce à l’omission de la présence féminine sur la scène. Désormais s’établit la tradition de l’« onnogato », les acteurs masculins jouant les rôles féminins et créant ainsi une des caractéristiques fondamentales du Kabuki4. II- Constituants du Kabuki Trois éléments structuraux forment le fondement de la mise en scène du Kabuki : musique, danse et théâtre. Plusieurs types de musique – les spectacles commencent par la percussion de bois spéciaux – et de danse – y compris les poses dramatiques appelées « mie » – sont les composants du spectacle. Quant à la performance, les acteurs du Kabuki respectent rigoureusement les styles traditionnels tout en explorant leur propre créativité. Le Kabuki est aussi connu pour ses usages extraordinaires du maquillage, du costume ou de la perruque qui assument une fonction spécifique destinée à exprimer visuellement le déroulement de l’intrigue et la relation des personnages dans la pièce. Chiaki Yashida explique qu’un spectacle respectable de Kabuki doit trouver une combinaison équilibrée de tous ces éléments : Each time a representative Kabuki play is performed as a well- blended combination of song, dance and music, the minute details of acting are refined and elaborated further by the actors themselves. And great actors create new styles in playing key roles […] and these styles are re-enacted by new actors in succeeding generations, who by so doing attain theatrical fame. Kabuki has thus been developing as an « art of repetition »5. 3 M. GUNJI, The Kabuki Guide, Tokyo, Kodansha International Ltd., 1987, p. 17. 4 Voir dans ce Guide la référence photographique n° 1. 5 Chiaki YOSHIDA, Kabuki, Tokyo, The Japan Times, Ltd., 1971, p. 102. 167 Jung-Hwa Hong Pour monter un spectacle de Kabuki, il faut aussi respecter le fond idéologique du théâtre. La prémisse philosophique implantée dans les pièces du Kabuki privilégie les vertus et les principes du peuple japonais : respect de la nature et de la famille, amour et dévotion, honneur et mort, ainsi de suite. Ces valeurs traditionnelles constituent la vie et la culture japonaises et le théâtre reflète bien, d’une façon beaucoup plus poignante et exagérée, le drame de l’existence humaine. C’est peut-être pour cette raison que dans une salle de théâtre de Kabuki, Yourcenar remarque un « trait d’union entre l’artifice et le réel » : […] le hanamichi, « le pont des fleurs » jeté du fond de la salle vers la scène, par lequel les vedettes et certains comparses entrent ou sortent, jamais plus réels, ni pourtant plus situés dans un autre monde, que durant ce parcours où nous pourrions baiser les chaussettes blanches de la princesse, ou bousculer le traître, si l’envie nous en prenait. (EM, p. 642) Nous croyons constater dans la construction narrative et rhétorique du personnage féminin cette frontière ambiguë entre le réel et l’artificiel de l’existence humaine. Et le Kabuki semble constituer pour nous une grille de réflexion symbolico-culturelle grâce à laquelle Yourcenar concrétise sa description de la vie et de l’amour d’une femme japonaise. Nous passons à la nouvelle en focalisant notre perspective sur l’aspect discursif de la théâtralité. III- Kabuki dans le texte de Marguerite Yourcenar Tout d’abord, la marque du Kabuki estampée dans la nouvelle est sa thématique récurrente. Lorsque le narrateur met en scène Genghi vieillissant qui constate que le monde se referme sur lui, le personnage se rend compte que dans cette vie dont il n’est plus le protagoniste le même spectacle n’a pas cessé de se dérouler. Sa troisième épouse, la princesse-du-palais-de-l’Ouest, l’avait trompé avec un jeune parent, comme il avait trompé son père aux jours de sa jeunesse avec une impératrice adolescente. La même pièce recommençait sur le théâtre du monde, mais il savait cette fois que ne lui serait plus réservé que le rôle de vieillard, et à ce personnage il préférait celui de fantôme. (OR, p. 1200) 168 Le Kabuki et la construction narrative du texte Alors le temps emporte l’homme dans le néant mais l’existence humaine continue à monter sur la scène du monde le même spectacle du cercle interminable de la Vie. Par ailleurs, la nouvelle yourcenarienne comprend également les composants fondamentaux de la construction du Kabuki : la musique et la danse qui sont les éléments intégraux des pièces du Kabuki, le maquillage caractéristique dont les acteurs se servent pour se métamorphoser en femme ou manifester dès leur première apparition le rôle qu’ils sont appelés à jouer, la saison qui définit le choix des pièces montées, la nature dont la forte présence se trouve dans la mise en scène et les thèmes principaux toujours dérivés des tragédies existentielles comme amour, mort, haine, famille, honneur, jalousie et tant d’autres. Tous ces éléments constructifs du Kabuki coïncident avec ceux de la nouvelle : la musique qu’un des rôles de la dame joue pour Genghi pour évoquer son passé, la danse représentée par ses mouvements, les poses de Genghi décrites en détail, la métamorphose de la dame en deux autres séductrices, l’écoulement des saisons ressenti par le prince aveugle, la nature dans le décor de la nouvelle aussi bien que dans le nom du personnage principal et enfin les thématiques de la mort, de l’amour, de la haine, de la dévotion et de l’existence humaine. Ainsi, l’aspiration du Kabuki se manifeste-t-elle sur le plan idéologique de la nouvelle. Cependant, nous trouvons aussi l’empreinte du Kabuki dans la construction narrative du texte yourcenarien. En plus de la prémisse philosophique de la représentation du monde et de la vie humaine, le style de la narration dans le texte évoque le théâtre. Prenons l’exemple de la scène de rencontre de deux personnages principaux. Nous y trouvons le narrateur en train de jouer le metteur en scène dirigeant minutieusement les acteurs et les sentiments à exprimer. D’un côté, la description de chaque mouvement effectué est clairement notée comme si le narrateur exigeait de visualiser les actions. D’un autre côté, le narrateur souligne non seulement le contenu de la parole des personnages mais aussi l’émotion portée par l’acte de l’énonciation. Voici quelques exemples où la description de l’action indique le sentiment exprimé : 1. «Genghi […] s’orienta lentement du côté d’où venaient ces larmes.», 2. « […] dit-il avec inquiétude» 169 Jung-Hwa Hong 3. « […] dit la dame en n’oubliant pas d’adopter l’accent du village » 4. « […] dit le prince en posant la main sur son épaule » 5. « […] reprit le prince d’une voix engageante » 6. «la dame le suivit, en prenant soin d’imiter la démarche niaise d’une paysanne » 7. «Genghi se leva en chancelant, comme un pin qui vacille sous le choc de l’hiver et du vent. Il s’écria d’une voix sifflante… […]. » 8. « elle s’approcha de lui en dissimulant à demi son visage derrière un éventail et murmura avec confusion»6 et ainsi de suite. Surtout, la voix « engageante » et le cri « d’une voix sifflante » rappellent la virulence de l’interprétation dans les scènes de Kabuki telle que la pose « mie » dans les styles théâtraux comme l’« aragoto » du Kabuki. Enfin, la nouvelle glisse une référence subtile que Laura Brignoli souligne dans son ouvrage : le symbolisme du numéro 18. « Magie du nombre » en effet ! Toutefois, ce n’est pas sorcier non plus. L’analyse de la critique affirme dans le nombre 18 le sens de la double force de la perfection du soi chez Genghi. Pourtant elle néglige la connotation spéciale du nombre dans la psychologie et la culture du pays. Dans la psyché des connaisseurs, la mention du nombre 18 associe immédiatement au Kabuki. À cause de l’expression « les dix-huit pièces favorites du Kabuki » qui désigne les 18 pièces fameuses du Kabuki traditionnel. Yoshinobu Inoura et Toshio Kawatake clarifient le mythe de ces pièces dans The Traditional Theater of Japan. Ils affirment que contrairement à la croyance populaire, les dix-huit pièces favorites du Kabuki ne correspondent pas à dix-huit chefs- d’œuvre du Kabuki. Elles sont sélectionnées en 1840 par Ichikawa Danjûro VII, un acteur célèbre, parmi les pièces extraordinaires de ses prédécesseurs en collectionnant les spécialités de l’école des acteurs Danjûro. L’usage du nombre 18 se base sur la tradition boudhiste dans la psychologie japonaise : Strictly speaking, they (Kabuki 18 Favorites) are the eighteen specialities of the Danjûro line of actors, and in terms of content they are purely « aragoto » pieces of Edo style.7 6 C’est nous qui soulignons. 7 Y. INOURA. et T. KAWATAKE, The Traditional Theater of Japan, New York, Weatherhill, Inc., 1981, p. 208. 170 Le Kabuki et la construction narrative du texte Ichikawa Danjûro VII a ainsi réussi à instaurer un répertoire unique du style performatif de sa troupe. C’est une expression enracinée dans la tradition et par conséquent la mention du nombre 18 dans la nouvelle procure chez lecteur une association immédiate de l’histoire de Yourcenar au Kabuki. Les comparaisons approfondies révèleront l’influence symbolique et discursive du théâtre dans la nouvelle. Toutefois, les aspects les plus intéressants seront trouvés dans le rapprochement de la tradition du Kabuki avec la construction du personnage de la dame. IV- Élément théâtral dans la construction narrative du personnage féminin : la dame-du-village-des-Fleurs-qui- tombent Yourcenar nomme le personnage de la dame-du-village-des-Fleurs- qui-tombent un « personnage exemplaire » (YO, p. 76) à cause du don de soi et de la dévotion à autrui que cette femme manifeste dans la nouvelle. Nous considérons en particulier dans la construction de ce « personnage exemplaire » les éléments discursifs de l’onomastique et de la modalité véridictoire qui nous permettent de mieux appréhender l’aspect théâtral de la dame. Pascale Doré introduit le personnage féminin de la nouvelle en mettant l’accent sur l’aspect onomastique qui prédestine le parcours narratif de la Japonaise : « la dame-du-village-des-Fleurs-qui- tombent, au nom prémonitoire […] se fait passer pour une autre pour reconquérir l’amour de l’être aimé […] »8. L’importance de la sémantique onomastique pour la construction du personnage est aussi soulignée par Eugène Nicole dans son article où le critique atteste la signification et le fonctionnement du nom du personnage romanesque. La présence du nom propre […] paraît absolument indispensable à l’articulation sémantique d’un procès que l’on pourrait qualifier de « seconde naissance du personnage » à travers le texte du roman. Liée à une certaine idéologie du contenu romanesque, celle-ci s’exprime en effet dans une rhétorique du Nom qui […] dynamise 8 Pascale DORÉ, Yourcenar ou le féminin insoutenable, Paris, Droz, 1999, p. 117. 171 Jung-Hwa Hong le procès strictement dénotatif et même dans certains cas le transfère entièrement à l’ordre de la connotation.9 D’après cette perspective, la périphrase nominale concrétise l’isotopie de notre protagoniste féminin car le nom significatif de la dame rend possible chez le lecteur une association immédiate entre l’image vivante de la Nature et le dénouement tragique que connaîtra le personnage féminin. Ce qui nous importe le plus dans cette présentation c’est l’élément théâtral que ce nom expressif représente pour le texte. Après la retraite de Genghi, la dame essaie de prendre une place auprès de son prince bien-aimé qui l’a longuement négligée. Cruellement rejetée par Genghi elle tente de gagner à tout prix l’affection du prince, se déguise en deux autres femmes et s’approche de Genghi sous ses nouvelles identités assumées. La dame baptise ces personnages fictifs de son imagination avec des noms inventés : Ukifune et Chujo. Notons que ces deux prénoms sont phonétiquement transcrits au lieu d’être sémantiquement traduits comme dans le cas du nom original de la dame. Selon la tradition japonaise, les nom et prénom japonais sont composés des lettres chinoises nommées « kanji », pour que leur sens soit représenté plus nettement. Étant une langue idéogrammatique, chaque caractère du chinois représente un ou plusieurs sens et l’utilisateur de la langue peut composer librement des caractères afin de créer les mots de la signification complexe. Autrement dit, ces prénoms, Ukifune et Chujo, de la nouvelle, sans caractères chinois, par conséquent sans signification originale, ne possèdent aucune fonction onomastique dans le texte puisque le lecteur ignore le sens de la composition des lettres originales. Même pour les lecteurs japonais, sans lettres chinoises, les noms Ukifune et Chujo peuvent s’écrire avec différents caractères et en conséquence, ils peuvent porter différents sens. Il est évident que ce choix onomastique crée une inégalité symbolique entre le personnage de la dame et les personnages inventés par ce dernier. Le fonctionnement narratif du nom de la dame est de souligner le fonds idéologique représenté par le personnage de la dame : les connotations évoquées par son nom indiquent d’une part qu’elle est originaire d’un village et non pas d’une ville comme une concubine du 9 Eugène NICOLE, « Personnage et rhétorique du Nom », Poétique, n° 46, avril, 1981, p. 200. 172 Le Kabuki et la construction narrative du texte prince devrait l’être et marquent dès lors le dépaysement de la dame à la cour. D’autre part, l’emploi du verbe « tomber » associe la femme à l’image de la chute, répétitive dans la nouvelle comme nous le constatons avec la saison de l’automne, le vieillissement de Genghi, l’échec de l’objectif et la perte de l’identité chez la dame. Ainsi la dame porte-t-elle un nom chargé de symbolismes prémonitoires déterminant son sort dès son introduction. L’interprétation des caractères chinois10 dans le nom de personne nous aurait permis d’appréhender plus correctement le sens des pseudonymes de la dame et la nature des personnages. Genghi pourra donc appeler cent fois les noms d’Ukifune et de Chujo sans que ces appels atteignent personne car ils sont vides de sens comme leurs porteuses sont vides d’une identité authentique. Cette brève observation éclaire et confirme la thématique du théâtre comme un des thèmes fondamentaux de la nouvelle et du personnage féminin. D’ailleurs, cette problématique onomastique est étroitement liée à la modalité véridictoire du personnage, c’est-à-dire la relation de l’être et du paraître dans la construction narrative du personnage. La transformation méticuleuse et bien calculée du travestissement de la dame privilégie la modalité véridictoire dont le personnage féminin est chargé. Sa quasi-obsession du détail rappelle sans difficulté le procédé préparatif des acteurs de Kabuki. La transformation physique et la métamorphose identitaire d’un acteur du théâtre est une tradition bien connue dans le monde de théâtre. Dans le Kabuki, le maquillage, le costume, la perruque et les accessoires visuels jouent un rôle extrêmement important. Ceci est encore plus vrai pour les acteurs « onnogata » du Kabuki qui prennent les rôles féminins : ils savent si bien camoufler les traits masculins que paradoxalement leur réputation se produit par leur féminité. Ils sont souvent renommés d’être plus féminins que des femmes réelles. La tradition de la transgression de genre exige ainsi des acteurs qu’ils étouffent leur identité pour convaincre l’auditoire de la réalité de l’artificiel. La coutume « onnagata » du Kabuki se 10 Les noms japonais sont écrits en « kanji », caractères chinois, pour que le sens des mots soit clairement représenté pendant que la prononciation des mots est donnée en japonais. Vu que nous connaissons le sens du nom du personnage de la dame dans la nouvelle de Yourcenar, l’analyse onomastique de la-dame-du-village-des-Fleurs-qui- tombent est facile pour nous. 173 Jung-Hwa Hong retrouve dans la tentative de la dame qui essaie désespérément de feindre son identité d’emprunt. Cette constatation de l’analogie du Kabuki avec la dame touche aussi à la modalité du personnage. En particulier, la scène de la transformation dans la nouvelle met l’accent sur toutes les modalités performatives du personnage de la dame : vouloir-faire, savoir-faire et pouvoir-faire de la Japonaise à la poursuite de son objet désiré élève le statut narratif du personnage au niveau de l’actant-sujet de son propre programme narratif. Lorsqu’elle le sut presque complètement aveugle, elle dépouilla ses vêtements de ville et endossa une robe courte et grossière comme en portent les jeunes paysannes ; elle natta ses cheveux à la façon des filles des champs ; et elle se chargea d’un ballot d’étoffes et de poteries comme on en vend aux foires de village. Ainsi affublée, elle se fit conduire à l’endroit où l’exilé volontaire habitait […] ; elle fit à pied la dernière partie du trajet, afin que la boue et la fatigue l’aidassent à jouer son rôle. (OR, p. 1202-1203) Deux mois plus tard la dame-du-village-des-Fleurs-qui-tombent fit une seconde tentative. Cette fois, elle s’habilla et se parfuma avec soin, mais elle prit garde que la coupe des étoffes eût quelque chose d’étriqué et de timide dans son élégance même, et que le parfum discret, mais banal, suggérât le manque d’imagination d’une jeune femme sortie d’un clan honorable de la province et qui n’a jamais vu la cour. (OR, p. 1205) Sa détermination et son obsession de la conquête construisent la dame comme un personnage de performance. Comme nous l’avons mentionné plus haut, elle est cependant particulièrement intéressante dans la perspective de la modalité véridictoire, c’est-à- dire le jeu entre l’être et le paraître. Cet aspect la rapproche une fois de plus du théâtre du Kabuki et de la théâtralité du récit. Mais ce qui nous importe plus, c’est la fonction symbolique que cette modalité joue chez elle. Le clivage entre l’identité authentique de la femme qu’elle est et les masques qu’elle invente pour gagner le « dernier amour » de son prince exemplifie le jeu de la vérité que joue le personnage de la dame. L’être authentique du soi est sacrifié chez elle pour établir et renforcer l’effet de réel du paraître. Cette transgression finit par complètement supprimer la dame dans la psyché du prince aussi bien que dans celle du lecteur. Ce procédé 174

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symbolisme de ce numéro 18 a échappé à l'analyse de la critique. Et . souligne dans son ouvrage : le symbolisme du numéro 18. « Magie du nombre » en effet ! Toutefois, ce n'est pas sorcier non plus. L'analyse . 10 Les noms japonais sont écrits en « kanji », caractères chinois, pour que l
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