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Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza. PDF

284 Pages·1971·10.584 MB·French
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16 COLLECTION ANALYSE ET RAISONS COMITÉ DE DIRECTION MarTraz GUEROULT Membre de l’Institut Professeur au Collège de France Yvon BELAVAL Professeur à la Sorbonne Vicron GOLDSCHMIDT Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand GILLES-GASTON GRANGER Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines d’Aix-en-Provence Pauz RICŒUR Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nanterre «La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de Particle 41, d’une part, que les «copies ou reproduction strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, <« toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de Particle 40). « Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait done une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.» © 1971 by Editions Aubier Montaigne, Alexandre MATHERON L OT ra ( 71347 MG TF 7i re CHRIST ( eo ET LE SALUT DES IGNORANTS L CHEZ SPINOZA 7 AUBIER MONTAIGNE 18, Quai de Conti - Paris VIe DU MEME AUTEUR Individu et communauté chez Spinoze, Paris, Editions de Minuit, 1969. ‘ CHAPITRE PREMIER LE CHRIST ET L’'HISTOIRE Le Christ, chez Spinoza, apparaît sous deux aspects bien distincts. H y a, d’une part, le « Christ selon la chair » : : personnage histo- rique, dont la vie, la mort et les enseignements nous sont connus par des témoignages qui, dans leurs grandes lignes tout au moins, doivent être exacts *, Il y a, d'autre part, l'« esprit du Christ » * : la substance même de l’enseignement moral de Jésus, abstraction faite de son auteur. L” e esprit », considéré en luimême, peut fort bien se manifester indépendamment de tout rapport avec le person- nage historique : point n'est besoin, pour en être animé, d’avoir entendu parler des Evangiles; les Patriarches le possédaient déjà *, et n'importe quel musulman honnête en participe”; présent chez quiconque pratique la justice et la charité‘, il n'est le monopole d'aucune confession. Et pourtant, cet esprit est bien caractérisé comme étant celui du Christ. Pourquoi ce lien spécial entre une disposition éthique universelle et une tradition particulièreP Pour- quoi Spinoza accorde-t-il un tel privilège à celui qui, à une certaine date et en un certain lieu, fonde la religion chrétienne? Aucun problème, dira-t-on : Spinoza parle le langage de ses lecteurs; ce faisant, il ne ment pas, puisque le Christ, À ses yeux, fut effectivement un maître de justice et de charité parmi d’autres ; simplement, il cultive l'équivoque en laissant dans Fombre ce « parmi d'autres ». Mais, d’une part, si équivoque il y a, elle va très loin ; . Lettre 73 (G, t. IV, p. 308; P, p. 1339). e T.T-P, ch. XII, in fine (G, t. IE, pi 166 ; P, p. 851). w. Cf. par exemple, lettre 43 (G, t. IV, p- 226 ; P, p. 1277). «+ Eth. IV, prop. 68, scolie, UR. Lettre 43 (cf. supra, note 3). PE. Lettre 76 (G, t. IV, p. 318 ; P, p. 1345), 8 CHAPITRE I Spinoza ne se contente pas de ne pas insister sur le caractère non- exceptionnel du message évangélique, il affirme, positivement, son originalité et sa supériorité : alors que Moïse ne prescrivit rien d'autre qu'une législation politique valable pour le seul Etat juif”, alors que Mahomet fut sans doute un imposteur *, le Christ, lui, pour la première fois, prêcha la vraie religion à l'intention de tous les hommes*. Et d’autre part, Spinoza est loin de se complaire dans l'ambiguïté : lorsqu'on le lui demande, il n'hésite pas à dire que le Christ, selon lui, n’était pas Dieu"; lors même qu’on ne le lui demande pas, il déclare que Jésus ne bénéficia d'aucune révé- lation surnaturelle * et que le contenu de sa prédication n'avait absolument rien de nouveau ‘*, Qu'est-ce donc que cette originalité purement humaine qui consiste en une non-nouveauté ? Si les deux thèses doivent être prises au sérieux, une seule réponse est possible : le Christ a innové, non pas en dispensant un enseignement inédit, mais en faisant passer au premier plan ce qui, auparavant, restait dans l'ombre. Toute religion, d’une façon ou d’une autre, recommande plus ou moins la justice et la charité: mais jusqu'alors, cette exigence se trouvait mêlée à toutes sortes d’autres choses, qui dépendaient étroitement du contexte culturel : récits mythiques, cérémonies, prescriptions juridiques particulières, spéculations, ete... Le rôle du Christ fut de dégager l'essentiel de l'accidentel : de faire émerger de PHis- toire ce qui, dans l'Histoire, dépasse FHistoire. Mais cette émer- gence fut elle-même un événement historique décisif et irréver- sible. Avant le Christ, les hommes ne savaient pas, ou savaient mal, que là était l'unique nécessaire; et c'est pourquoi la religion «catholique» a pu apparaître comme nouvelle : elle l'était, en effet. pour tous ceux qui l’ignoraient ! Après le Christ, ce mes- sage d'amour cessera d’être véeu par ceux-là mêmes qui s'en récla- meront le plus violemment; mais il n’en reste pas moins qu'ils continueront de le diffuser bon gré mal gré : nul ne pourra faire que ce qui a été dit une fois ne l'ait pas été, et l'avenir restera ouvert. Pourquoi cet événement a-t-il eu lieu à tel moment plutôt qu'à tel autre, et en Palestine plutôt qu'ailleurs? Problème étranger 1. T.T-P, Préface (G, t. IX, pp. 9-10; P, p. 669) ; ch, 1 (G, t. IUT, p. 48 ; P, pe 7112) ; ch 1v (G, t. LI, pp. 63-4 : P, p. 729) ; ch. v (G;t. TEL, p. 70; P,p. 737), etc. 8. Lettre 43 (G, t. IV, p. 225; P, p. 1277). 9. T.T-P, ch. x (G, t. II, p. 163 ; P, pp: 847-8). 10. Lettre 73 (G, t. IV, p. 309 ; P, p. 1839). 11. T.T-P, ch. 1 (G, t. LÉ, p. 21 ; P, p. 681). 12. T.T-P, ch. xu (cf. supra, note 9). 15. Ibid. LE CHRIST ET L'HISTOIRE 9 au spinozisme, dira-t-on maintenant : autant vaudrait demander pourquoi l'Ethique fut écrite au xvn siècle et en Hollande! Mais cette dernière quéstion n’est peut-être pas absurde. Quant à la première, il se trouve que Spinoza lui-même y répond, au moins partiellement. Le christianisme, selon le Théologico-Politique, est né d’une mutation du judaïsme; mutation due elle-même à la conjonction de deux facteurs : d'une part, la décomposition interne de la religion mosaïque, d'autre part la domination romaine. La rencontre de ces deux séries causales n’explique pas tout; mais du moins permet-elle de comprendre ce qui, dans la genèse de la doctrine évangélique, relève de causes extérieures humaines. Tel sera l’objet de ce chapitre. Sur l'origine et Févolution du judaïsme, nous disposons. d'une abondante documentation : celle que nous fournit l'Ecriture, Est- elle digne de créance ? Oui, pour l'essentiel : le peuple juif, jadis, avait l'habitude de célébrer son passé national par des psaumes; à moins d'admettre une complicité universelle dans le mensonge, nous ne pouvons donc croire que la postérité ait transmis ces histoires, dans leurs grandes lignes tout au moins, autrement qu’elle ne les avait reçues'*, Seuls d'infimes détails ont pu être ajoutés ou altérés : telle ou telle circonstance d’un récit ou d’une pro- phétie, pour exciter le peuple à la dévotion: tel ou tel miracle, pour tourmenter les philosophes; telle ou telle considération spécu- lative introduite sur le tard par les schismatiques, ete... *, Mais rien de tout cela n’est bien important : en gros, les récits bibliques doivent être exacts. Sans doute ne nous donnent-ils qu’une simple certitude morale; mais il en est ainsi de n'importe quel rensei- gnement d'ordre historique : aucun événement singulier ne. se laissera jamais déduire a priori par notre entendement fini, et il serait stupide de tout récuser pour cette raison. Puisque il faut, de toute façon, partir de témoignages ex auditu, ceux-là en valent bien d’autres. Remontons done, sinon au Déluge, du moins à la sortie d'Egypte, C'est là, en effet, que tout commence, Avant cette date, les Hébreux ne formaient pas une nation indépendante et n'avaient pas de reli- gion qui les distinguñt des autres peuples : soumis aux Gentils, 1145. iT.aT- P, ch. XHI, ; in fine (G, t. IL, P p. 166; 5 P, PP p. 851). 10 CHAPITRE I ils en suivaient simplement la loi" — à quelques variantes près, reliquats de leurs obédiences successives. Mais, une fois libérés de la domination étrangère, ils se retrouvèrent, par la force des choses, dans la situation juridique de l'état de nature. Allaient-ils y rester P Allaient-ils, au contraire, se donner une règle commune 17? Alter- native purement théorique, bien entendu : en fait, comme tous les hommes, les Hébreux voulaient vivre en société *. Le seul problème qui se posât à eux, et qu'ils. demandèrent à Moïse de résoudre, était donc celui des institutions à adopter. Maïs sur ce point, en principe, leur disponibilité était entière. La dissolution de leurs anciens liens, en cette conjoncture exceptionnelle où n'importe quoi devenait possible, les laissait formellement libres de tout rebâtir à leur convenance *, Or, à cet égard, les difficultés les plus sérieuses viennent toujours de la religion. Car, si celle-ci joue un rôle politique décisif, son origine n’est pas politique. Née de motivations très diverses, elle se compose de plusieurs éléments hétérogènes qui ne s'accordent pas nécessairement les uns aux autres, et dont l'élément social est loin d’être toujours le plus important psychologiquement. Rappelons en quelques mots cette « archéologie », que nous avons étudiée ailleurs : 1. Tout homme, du seul fait qu'il est doué de raison, désire connaître la vérité ? et faire partager à autrui ses connaissances *?, Mais connaître, c’est connaître par les causes. Et la cause unique de toutes choses, c’est Dieu, dont le cours entier de la Nature se déduit 2, Dans la mesure où nous avons des idées claires et dis- tinctes, nous aspirons donc à comprendre et à faire comprendre Dieu le plus possible : tel est notre Souverain Bien *. Par L-même, | nous désirons nous aménager un milieu extérieur favorable au déve- | loppement et à la diffusion de notre savoir : champ perceptif indi- 18. <… dum enim inter alias Nationes, ante exitum ex Ægypto vixe- runt, nuilas leges peculiares habuerunt, nec ullo, nisi naturali jure, et sine dubio, étiam jure Reipublicae, in qua vivebant, quatenus legi divinae naturali non repugnabat, tenebantur ». (T.T-P, ch. V3 G, t. UI, p. 72; P, p. 739.) Cette dernière réserve est de pure forme, puisque la «loi divine naturelle », celle-là même que nous dicte la Raison, nous recommande de toujours obéir aux lois de l'Etat où nous vivons (cf. T.P., ch. IT, 6) 17. T.T-P, ch. XVII (G, t. IL p. 205 ; P, p. 904). 18. Cf. T.P., ch. VI, 8 1. 2109.. TEtTh-.P , ÏV,c h. proVp . (G,2 6. t. T.IITI-, P, pp.c h. 74-I5V6 ; (G,P , t. p. LI7L4 2)p.. 69; P, pp. 724-5). 21. Eth. IV, prop. 37. 92. TT-P, ch. IV (G, t. EI, pp. 59-60; P, p. 725. 93. Eth. IV, prop. 28 et 37. T.T-P, ch. IV (G, t. IL, p. 60 ; P, p. 725). LE CHRIST ET L'HISTOIRE Il viduel riche et équilibré *, climat de concorde et de paix sociale %. D'où un style de vie déterminé, qu’adopterait nécessairement celui qui vivrait sous la conduite de la Raison *, Le Religion, au sens vrai du mot, n’est rien d'autre : s'y rapporte, dit Spinoza, tout ce que nous faisons en tant que. nous avons l'idée de Dieu *’. Nous y reviendrons. 2. Mais cette idée de Dieu, la plupart d’entre nous ne la possé- dons qu'implicitement : dominés par des passions envahissantes à côté desquelles elle ne constitue qu'une infime partie de notre esprit, incapables de la dégager du flot d'images qui la submergent *, nous n’en tirons rien parce que nous ne la reconnaissons pas pour ce qu’elle est, Aussi notre effort pour comprendre nous oriente-t-il dans une tout autre direction. Faute de pouvoir connaître les véri- tables causes des choses, nous les imaginons d’après la seule expé- rience qui nous soit immédiatement accessible : celle de notre propre activité, Puisque nous avons conscience d’être déterminés à agir par des désirs dont nous ne songeons même pas à rechercher les conditions, l «explication» finaliste nous apparaît comme allant de soi, et nous la projetons sur la Nature *, Puisque celle-ci, bien souvent, nous est utile, nous croyons qu'elle est faite exprès pour cela *. Ainsi naît la croyance en e un ou plusieurs » resfores naturae, divinités anthropomorphes qui ont fabriqué l'Univers à notre usage *:. Puis, lorsque nous nous interrogeons sur les raisons de cette bien- veillance, la réponse nous semble immédiate : les dieux prennent soin de nous, comme nous prenons soin nous-mêmes de nos sem- blables, par désir passionnel de gloire; ce qu’ils attendent de nous en retour, c’est que nous leur manifestions notre gratitude et notre amour par d'éclatantes marques d'honneur *’; autrement dit, que nous leur rendions un culte *, 8. Au départ, tout cela reste assez indéterminé : il y a quelque divinité qui nous veut du bien, peu importent ses subdivisions et sa nature; nous devons lui montrer que nous l’aimons, peu importe de quelle façon. Mais l'expérience de l'échec va bientôt nous obliger à donner un contenu précis à nos phantasmes. Nous nous apercevons, 24. Eth. IV, prop. 38 et 39. 25. Efh. IV, prop. 40. 26. Efth. IV, prop. 66-73. T.T-P, ch. IV (G, t. IL, p. 60 ; P, pp. 725-6). 27. Eth. IV, prop. 37, scolie 1 2298.. EEtt h. I= , 5 ApTpoepn:d ic47e, s(cG,o liet.. II, P; À , p. 403). 30. Ibid. (G, t. I, p. 754 g: » Re 40 81. Ibid. (6, t. IL, pp. 8 08. 32. Ibid. (G, t. AL p. 79 + p. 33; Ibid. (G, t. IE, p. 78; P, p. 408.

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