ESSAI DE PHILOSOPHIE M.-D. PHILIPPE Professeur de Philosophie à P Université de Fribourg (Suisse) L’ACTIVITÉ ARTISTIQUE Philosophie du faire L’ACTIVITÉ ARTISTIQUE ESSAI DE PHILOSOPHIE VkCYimè artistique, 2 tomes. l’être, 2 tomes. l’agir. LE VIVANT. la pensée réflexive, tome I : Logique; tome 2 : Critique. DU MÊME AUTEUR initiation A la philosophie d’aristote. La Colombe, Paris 1956 (épuisé). Ouvrages de théologie spirituelle: le mystère de l’amitié divine. Luf-Egloff, Paris 1949 (épuisé). saint Thomas docteur, témoin de jésus. Saint-Paul, Fribourg 1956. un seul dieu tu adoreras. Arthème Fayard (« Je sais-Je crois », 16), Paris 1958. mystère de marie, croissance de la vie chrétienne. 2 vol. La Colombe, Paris 1958 (épuisé). mystères de miséricorde. 1. L’Immaculée Conception. 2. La Présentation de Marie. 3. L’Annonciation. Saint-Paul, Fribourg 1958-1960. mystère du corps mystique du christ. La Colombe, Paris 1960. analyse théologique de la règle de saint benoît. La Colombe, Paris 1961 (épuisé). la symbolique de la messe. La Colombe, Paris 1961. le mystère de l’église. Dialogue entre M.-D. Philippe, o.p., et Albert Finet. Beauchesne (Verse et controverse, 3), Paris 1967. le mystère du christ crucifié et glorifié. Alsatia (« Sources de spiritualité », 17), Colmar-Paris 1968. ESSAI DE PHILOSOPHIE M.-D. PHILIPPE Professeur de Philosophie à l'Université de Fribourg (Suisse) L’ACTIVITÉ ARTISTIQUE Philosophie du faire BEAUCHESNE PARIS NIH IL OBSTat IMPRIMI POTEST M. St. Morard, Op Thomas Mehrle, o.p. L. B. Gbiger, 0 p ’ NIHIL OBSTaj. IMPRIMATUR Paris, le 28 Novembre i<jao Paris, le 1er Décembre 1969 H. Leclere, p.s.s E. Berrar, v. e. P°ur tous renseignements concernant nos publications s’adresser au service documentation Editions Beauchesne, 117, rue de Rennes, Paris vie Tous droits de traduction, de reproduction ou d'adaptation en Quelque langue et de quelque façon que ce soit réservés pour tous pays © 1970 by Beauchesne et ses Fils PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE PREMIER L’ART, PERFECTION DE L’HOMME L'art est une disposition stable, avec un Àoyo; vrai capable de produire. Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 4, 1140 a 20. L'art n'est autre que la raison droite des œuvres à faire. S. Thomas, Somme théologique, MI, q. 57, a. 3. Après avoir étudié l’activité artistique dans toute sa généralité et essayé de préciser les moments spécifiques de son développement, qui aboutissent à l’œuvre, il nous faut maintenant montrer comment cette activité n’a pas seulement une œuvre extérieure : elle transforme aussi l’homme pour en faire un artiste. Il nous faut étudier la transformation de l’homme en artiste et l’enracinement de l’art dans l’homme, autrement dit Y habitus d’art1. L’art semble pouvoir développer, parfois jusqu’à l’extrême, toutes les dimensions de l’activité humaine selon ses diverses orientations. En isolant chacune de ces dimensions et en l’exploitant, on aboutit aux positions les plus extrémistes. L’homme possède en effet des richesses très variées, des virtualités multiples qui peuvent facilement s’opposer et s’exclure dès que chacune d’elle est exaltée pour elle-même. C’est ainsi que l’attitude mystique peut 1 Cf. t. I, p. 211, note 81. 8 l’activité artistique facilement s’opposer à l’attitude intellectualiste-rationaliste, ou l’inverse : un certain intellectualisme rationaliste peut ne rien comprendre à la mystique. L’attitude rationaliste-logique peut s’opposer à la fantaisie et à l’imagination, de même que l’on oppose volontiers l’intuition à l’aspect critique, le sublime à l’ordinaire, le gratuit à l’utilitaire... Il est donc très important de s’efforcer de saisir ce qu’est l’art, pour respecter sa complexité tout en essayant de comprendre la manière dont il organise la richesse de ses éléments. l’art du point de vue descriptif L’artiste est l’homme qui connaît : il sait regarder, sentir, entendre. C’est un homme d’expérience, sensible à son milieu vital dont il sait profiter d’une manière très intense et très personnelle. L’artiste est possédé par certaines inspirations. Il découvre des rap ports nouveaux encore inédits, que personne ne lui a proposés, et il sait les éclairer d’une lumière nouvelle. L’artiste juge, discerne ce qui est valable dans ses inspirations, il les critique et s’efforce de tendre vers une réalisation, une œuvre. Puis il juge et critique cette œuvre. L’artiste sait utiliser les matériaux dont il dispose en vue de réaliser une œuvre. Il est capable de lutter contre les résistances intrinsèques de ces matériaux dont il veut exploiter toutes les richesses (résistances qui font partie de leur nature). Pour son œuvre, l’artiste est capable de découvrir et d’acquérir des techniques, il en connaît la portée et la nécessité, sans en devenir l’esclave. L’artiste est un homme qui, à ses heures, sait contempler et jouir de sa contemplation. Chaque aspect de l’activité artistique est susceptible de perfection nement et peut prendre une place de plus en plus grande, dans la vie de l’artiste en y manifestant son originalité propre. C’est d’ailleurs en tant qu’elle est susceptible de progrès que cette activité peut être à l’origine de l’acquisition de certaines déterminations qu’on appelle habitus d’art et que, même, elle les réclame. Les habitus d’art sont en effet des acquisitions qualitatives déter minant et perfectionnant nos facultés, pour leur permettre d’agir plus facilement et plus efficacement. 'L’habitus n’est-il pas la qualité d’une qualité, la qualité d'une puissance ? Nos facultés intellectuelles et affec l’art, perfection de l’homme 9 tives sont susceptibles d’orientations diverses et de perfectionnements à l’intérieur de leurs orientations naturelles. C’est ainsi qu’on acquiert des mœurs intellectuelles en exerçant son intelligence de telle ou telle manière ; des vertus morales, en exerçant ses passions et sa volonté d’une manière conforme aux exigences de la raison. Notre intelligence peut s’exercer dans des domaines très différents, spéculatifs ou pratiques : par exemple selon une orientation mathématique ou métaphysique, selon une orientation prudentielle ou artistique. Dans chacun de ces domaines, en raison même de sa potentialité et de son indétermination foncière, notre intelligence peut toujours commettre des erreurs et des faux pas, mais elle peut aussi acquérir certaines déterminations : des habitus, des orientations profondes qui la fortifient de l’intérieur et lui permettent de s’exercer d’une manière plus stable, plus ferme, plus efficace. Ces habitus acquis par l’exercice sont de véritables déterminations vitales explicitant pleinement la noblesse de l’intelligence en lui donnant une physionomie interne originale et ferme. Sans tomber dans un concordisme, on pourrait établir un certain parallélisme entre les effets propres des habitus acquis et les notes caractéristiques du moi personnel. On sait en effet comment Charles Odier a décrit et analysé les trois « sentiments du moi » : sentiments d’autonomie, de sécurité, de valorisation 1®. Pour ne pas transformer ce parallélisme en une fausse identité, souli gnons immédiatement la diversité qu’il implique. Si l’on admet l’existence des habitus, on reconnaît que la personnalité psychologique de l’homme peut se nouer de diverses façons : au niveau intellectuel, au niveau moral ou au niveau artistique. A l’intérieur de chacun de ces domaines, il y a encore de très grandes différences : autre est la métaphysique, autres sont les mathématiques ; autres les habitus des arts, autres ceux de l’art artisanal, etc. Tandis que les « sen timents du moi » se prennent d’un point de vue subjectif — celui de la conscience de l’exercice de nos opérations — sans envisager la diversité provenant des réalités considérées. Ils ne se diversifient pas de la même manière et ne nous disent rien des orientations diverses du « moi per sonnel ». Cependant, il semble bien que les habitus acquis soient comme les fondements propres de ces sentiments psychologiques et qu’ils aient donc une importance capitale du point de vue de l’enseignement et de l’éducation. Le souci de former de véritables personnes humaines ne va pas sans une certaine connaissance, non seulement des éléments cons titutifs capables de les structurer, mais encore de la manière dont ceux-ci >“ Voir L’angoisse et la pensée magique, pp. 22-24 et L’homme esclave de son infériorité.