Description:Pourquoi l'être humain est-il doté de deux yeux et de deux oreilles ? Pourquoi n'est-il pas recouvert de poils ? Pourquoi l'extrémité de son nez est-elle souple ? Pourquoi naît-il nu et sans arme ? A quoi sert la poitrine des hommes ? La luette ? Les replis intestinaux ? La trachée-artère ? La rondeur des fesses ? Comment se produit la conception ? Comment fonctionne la vessie ? Comment s'endort-on et pourquoi rêve-t-on ? Comment un fils peut-il ressembler à sa mère ? D'où vient l'âme ? D'où viennent la voix et le mutisme ? Qu'en est-il de l'estomac, du coeur, des cheveux, de la barbe, des mains ? C'est à ces questions et à bien d'autres encore que le rhéteur Lactance, fraîchement converti au christianisme, tente de répondre dans son De opificio Dei, composé à l'aube du IVe siècle, au plus fort de la " Grande Persécution " contre les chrétiens. Pourtant, il ne faudrait pas s'y tromper : ce texte atypique qui chante les louanges du corps humain n'est rien moins qu'un traité médical. Loin d'être une fin en soi, l'exposé d'anatomie n'est qu'un moyen pour louer Dieu à travers sa créature et pour réaffirmer en des temps difficiles la perfection et l'efficience de la Providence divine. Le finalisme militant qui oriente la composition met en évidence la visée protreptique d'un ouvrage qui se signale à la fois par une réception éclectique de la culture antique et par une attitude polémique à l'égard de la tradition philosophique. Ainsi la description lactancienne de l'homme se présente-t-elle en premier lieu comme une réponse critique à Lucrèce et à Cicéron. De fait, l'ambiguïté du De opificio Dei ne renvoie pas seulement au contexte événementiel des persécutions, elle s'inscrit aussi dans le cadre d'une confrontation originelle entre christianisme et philosophie, largement diffusée par la littérature apologétique. Même si Lactance, comme la plupart de ses contemporains, pense au moyen des cadres et des outils fournis par les écoles philosophiques, il met leur vocabulaire et leurs concepts au service de la vraie sagesse que représente, à ses yeux, le christianisme. Or cette interpretatio christiana prend une forme paradoxale : dans ce qui semble être son premier ouvrage chrétien, l'apologiste mobilise en effet ce que nous appellerions aujourd'hui son " bagage culturel ", constitué en majorité de classiques latins, mais ne donne quasiment aucune place aux références explicitement chrétiennes. Comment rendre compte de ce " crypto-christianisme ", qui ne put assurément tromper quelque lecteur que ce fût ? L'objectif de la présente édition est de faire connaître à un large cercle de lecteurs éclairés l'intérêt et le rôle médiateur d'un ouvrage méconnu, qui se situe à la croisée de multiples traditions : littéraire, philosophique, médicale, poétique, rhétorique, étymologique, encyclopédique. Il s'agit de restituer le De opificio Dei dans son contexte culturel et intellectuel pour mettre en valeur les enjeux idéologiques d'une synthèse qui constitue une étape importante dans la transmission et la vulgarisation des savoirs anthropologiques depuis le Timée de Platon jusqu'au Moyen Age. Dans cette perspective, l'introduction, fondée sur une mise en perspective à la fois synchronique et diachronique, vise en premier lieu à fournir les éléments nécessaires à l'intelligence de ce traité, qui offre un exemple représentatif de ce que pouvait être la culture générale d'un lettré de l'Antiquité tardive. La traduction se veut attentive à l'enthousiasme - parfois naïf - de Lactance pour l'oeuvre du Créateur, aux images qui pallient l'imprécision de la terminologie anatomique ainsi qu'aux marques d'oralité, qu'elles soient traces d'un dialogue réel avec Démétrianus, le destinataire du traité, ou mise en scène d'une véhémente polémique anti-épicurienne. Quant aux annotations, qui abordent à la fois les questions anatomiques, philosophiques et littéraires, elles s'attachent à situer le texte dans l'histoire des idées et à expliciter le dialogue que Lactance entretient avec ses prédécesseurs. L'approche privilégiée ici tend à dégager le De opificio d'une interprétation religieuse et d'une tonalité chrétienne qui ne suffisent pas à rendre compte de sa spécificité.