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La Violente Amour PDF

590 Pages·1983·2.47 MB·French
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1 LA VIOLENTE AMOUR Robert Merle est né à Tebessa en Algérie. Il fait ses études secondaires et supérieures à Paris. Licencié en philosophie, agrégé d’anglais, docteur ès lettres, il a été professeur de lycée, puis professeur titulaire dans les facultés de lettres de Rennes, Toulouse, Caen, Rouen, Alger et Paris-Nanterre où il enseigne encore aujourd’hui. Robert Merle est l’auteur de nombreuses traductions (entre autres Les Voyages de Gulliver,), de pièces de théâtre et d’essais (notamment sur Oscar Wilde). Mais c’est avec Week-end à Zuydcoote, prix Goncourt 1949, qu’il se fait connaître du grand public et commence véritablement sa carrière de romancier. Il a publié par la suite un certain nombre de romans dont on peut citer, parmi les plus célèbres, La Mort est mon métier, L’Île, Un animal doué de raison, Malevil, Le Propre de l’Homme, et la grande série historique en six volumes Fortune de France. Avec La Volte des vertugadins et récemment L’Enfant-Roi, Robert Merle a donné une suite à Fortune de France. Il est rare dans l’édition de voir une saga en plusieurs volumes obtenir pour chacun de ses livres un égal succès. Fortune de France fut un de ces cas d’exception où les lecteurs demeurent fidèles de livre en livre aux héros imaginés par l’écrivain. Nombreux sont ses romans qui ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique ou télévisuelle. Le cinquième volume de la saga des Siorac couvre, de 1588 à 1594, les avant-derniers soubresauts de l’atroce guerre de religion qui, depuis un demi-siècle, déchire les Français : la « Sainte Ligue », soutenue par l’ambition des Princes lorrains et l’or de l’Espagne, veut l’éradication par le fer et le feu des protestants. Au rebours, le très catholique Henri III, puis son successeur huguenot, Henri IV, s’emploient à faire coexister pacifiquement les deux Églises. Mais, à son avènement, Henri IV, époux sans femme et général sans argent, est aussi un roi sans couronne. Son 2 royaume est à reconquérir sur la Ligue. Sa capitale même est aux mains des Seize et des prêtres qui les fanatisent. Pierre de Siorac est d’abord soldat dans les armées royales – métier qui, au XVIe siècle, « enrichit son homme quand il ne le tue pas » ; puis, sur les instances du roi, retourne à ses périlleuses missions secrètes dans le Paris occupé de la Ligue. Dans cette chronique où se mêlent en une seule ardente coulée la petite histoire du héros – riche en aventures et amours – et la grande Histoire du royaume, foisonnent les scènes saisissantes : les retrouvailles à Plessis-lez-Tours d’Henri III et du futur Henri IV ; l’assassinat à Saint-Cloud d’Henri III ; la victoire d’Ivry sur la Ligue ; les horreurs du siège de Paris ; la conversion, si controversée, du roi à la religion catholique ; son entrée triomphale dans sa capitale. Au long de ces pages colorées, où les dialogues et l’action abondent, le détail, le quotidien et le vécu, recréés par l’imagination romanesque, viennent jeter sur l’Histoire événementielle un éclairage nouveau. Pierre de Siorac peint au vif les seigneurs féroces, vénaux ou vertueux, les « piaffants capitaines », les grandes dames rêvant de matrimonie royale, les gens de robe prudents, les prédicateurs déchaînés, mais aussi la piétaille : bonnetières, drapiers, menuisiers, ouvriers mécaniques, lansquenets cannibales, pages turbulents, « femmes d’amour » et laquais : petit peuple ignorant et tyrannisé, prêt à périr pour sa foi dans les rues fangeuses de Paris, mais dont le retournement en faveur d’Henri IV après sa conversion décidera – momentanément – de la paix. 3 ROBERT MERLE La Violente Amour Fortune de France V ÉDITIONS DE FALLOIS 4 « La violente amour que je porte à mes sujets. » HENRI IV 5 CHAPITRE PREMIER T out passe : notre siècle, notre terre et nous-même, et fort heureusement, l’avenir reste clos et celé à nos yeux, lequel, s’il nous était connu, fanerait nos joies dans l’instant de leur conception. Ainsi en eût-il été pour moi de l’exaltant moment où tomba le Guise – sa mort soulageant le roi, et nous tous qui l’aimions, d’un poids insufférable – soulagement qui eût fait place pourtant tout de gob à un irrémédiable désespoir, si nous avions pu prévoir la male fortune qui, moins d’une année plus tard, accabla notre pauvre maître. J’aimerais, comme un peintre sur un tableau, immobiliser ce moment où le duc de Guise, percé de coups et gisant, géantin et sanglant, au pied du lit royal, le roi, sur le seuil de son cabinet neuf, et en croyant à peine ses yeux de la mort de son ennemi, me dit de l’examiner. Et sur mon examen (à vrai dire inutile) apprenant de ma bouche que le prince lorrain avait rendu son âme à qui que ce fût qui l’était venu prendre, redressa sa haute taille et le regard calme et assuré, sans hausser le ton, mais avec une majesté que nous ne lui avions pas vue en son regard et sa contenance depuis notre fuite hors Paris révolté, prononça ces paroles : — Le roi de Paris est mort. Je suis maintenant le roi de France, et non plus captif et esclave comme je le fus depuis les barricades. Et me donnant alors une bague que Beaulieu venait d’enlever du doigt de Guise, laquelle avait dans son chaton un cœur de diamant, le roi me commanda de l’apporter à Navarre, avec qui se voulant réconcilier, il désirait unir ses forces pour lutter contre la prétendue Sainte Ligue, se doutant bien que la fin du guisard n’était point la fin de la Ligue, bien le rebours. Je fus à quelque peine de saillir hors du château en la ville de Blois, toutes les portes ayant été closes, remparées et gardées 6 dès l’arrivée au conseil de Guise et du cardinal, afin que la nasse se refermât sur eux et les retînt. Et encore que Laugnac de Montpezat, le capitaine des quarante-cinq, me donnât pour escorte La Bastide et Montseris, lesquels se bouchaient fort étroitement dans leurs manteaux pour qu’on ne vît point leur pourpoint éclaboussé du sang guisard, il ne fallut pas moins que l’intervention du seigneur de Bellegarde pour me faire ouvrir une petite poterne donnant sur l’arrière du château. De là nous passâmes en ville laquelle, sous une pluie battante et un ciel lourd et noir, s’éveillait à peine, ignorant encore l’exécution du prince lorrain, mais pour fort peu de temps, car nous vîmes, cheminant en sens inverse de notre trio, et gagnant le château, une forte troupe d’archers y conduisant, les piques basses, une demi-douzaine de prisonniers ligueux, parmi lesquels je reconnus le président de Neuilly, La Chapelle-Marteau et le comte de Brissac, desquels je fus bien aise de n’être pas reconnu, ayant, comme j’ai dit, les cheveux et la barbe teints en noir et la toque des quarante-cinq fort enfoncée sur les yeux. J’observai que La Chapelle-Marteau, plus jaune que jamais, trémulait comme feuille de peuplier au vent ; que le président de Neuilly larmoyait (mais ni plus ni moins qu’à l’accoutumée, ayant le pleur facile et le cœur dur) et que seul faisait bonne contenance le comte de Brissac, se peut parce qu’il avait, comme dit Chicot, plus d’un tour dans ledit sac, et ne désespérait pas de la clémence du roi. Il marchait, la crête haute, l’épaule roide et de sa physionomie (mais c’était là son ordinaire) l’œil louche et la bouche tordue, et à ce que j’imaginais, tournant déjà en sa retorse cervelle quelque belle phrase d’excusation à Sa Majesté pour la part qu’il avait prise aux barricades de Paris. Je laissai ces archiligueux à leur fortune et combien que j’appète peu au sang, la leur souhaitant la plus male possible, tant ils avaient fait d’écornés au nom de la Ligue à mon pauvre bien-aimé souverain. Et les dalles de l’Auberge des deux pigeons à la parfin sous mon pied fatigué, sourd aux questions de mon Miroul, me jetai sur mon lit et sans même me débotter, m’endormis, n’ayant pour ainsi dire pas fermé l’œil depuis deux jours, ma nuit avec Du Halde dans la garde-robe du roi n’ayant été qu’une longue veille devant le feu, tant Du Halde avait craint 7 de passer l’heure à laquelle le roi lui avait commandé de l’éveiller. J’eus le sentiment de ne m’être ensommeillé que cinq petitimes minutes quand deux mains me saisissant au col et me secouant, je les contresaisis et les serrant au poignet dans l’étau de mes doigts, huchai d’une voix terrible : — Mordedienne ! Qu’est-cela ? Que me veut-on ? Qui ose m’affronter céans ? — Hé ! Monsieur ! Lâchez-moi ! Ce n’est que je ! Je, Margot, votre chambrière ! Plaise à vous de me dépoigner ! Je ne vous veux point de mal et suis sans arme ! — Sans arme, Margot ! dis-je, mon œil charmé se déclosant sur elle tout à plein. — Sans arme, Monsieur. — Vramy, Margot ! répétai-je en riant, et l’attirant à moi des deux mains je la couchai sur moi contre ma poitrine et poutounai son cou mollet. Sans arme, dis-tu ? Et cela que je baise ne vaut-il pas épieu et dague sur mon tant faible cœur ? Ne sais-tu pas, Mignonne, que quelqu’une qui est belle, ainsi passe fer et feu ? — Voire mais ! dit Margot, la voix aiguë et l’œil sourcillant, plaise à vous, Monsieur, de me lâcher ! Je ne suis point de ces dévergognées ribaudes que M. de Montpezat baille le lundi à ses Gascons. — Quoi ! Margot ! dis-je, serais-tu donc pucelle ? — Oui-da, Monsieur, et le veux rester ! Que m’oyent la Benoîte Vierge et tous les saints ! — Que donc ils te protègent ! dis-je en la lâchant. Margot, point de rancune ! Accepte ces deux sols pour aiser ta conscience de ces baisers volés, lesquels n’étaient que demi-jeu en mon demi-sommeil. Et la grand merci à toi pour avoir offert à mon réveil ta face fraîchelette ! Un renard prend plaisir à voir passer poulette, même s’il ne peut l’attraper. — Monsieur, dit-elle, rosissant et l’œil suspicionneux, deux sols, c’est prou ! Et plus que ce que je gagne à labourer céans tout le jour. Deux sols pour deux minutes en vos bras ! Monsieur, attentez-vous de me tenter ? 8 — Nenni, nenni, gentille mignote ! dis-je en riant, d’ores en avant je serai avec toi manchot. Seuls mes yeux, qui sont irréfrénables, te diront mon appétit. — Voire mais ! dit-elle, cramoisie et se tortillant sur un pied, les deux mains dans les plis de son vertugadin. Votre œil, c’est quasiment une main, tant il me caresse et me flatte. — Qu’y peux-je, Margot ? Ensauve-toi ! — C’est que j’ai message pour vous. Sans cela, vous aurais-je désommeillé ? Un gentilhomme dans la salle commune requiert de vous voir, lequel a le chapeau sur l’œil et le menton dans son manteau. Il se dit des amis de Monsieur votre père. — Comment est-il ? — Homme de bon lieu. Beau assez. À peine trente ans, à ce que je cuide. — L’œil ? — Bleu. Le nez droit et bien fait, la pommette large. Épée et dague, et pistolet, à ce que je gage, sous la cape. Quelque hautesse en la mine et l’air à ne pas se laisser morguer, mais franc comme écu non rogné, et comme vous, Monsieur, sans chicheté ni méchantise. — Voilà qui est gentiment dit ! Si je ne me voulais manchot, je te donnerais une forte brassée ! Va, Margot, et m’amène céans le gautier ! Ce qu’elle fit en un battement de cil et mon visiteur, dedans ma chambre, referma l’huis sur nous, l’œil en fleur et la lèvre amicale. — Monsieur, dit le baron de Rosny1 en s’ôtant son chapeau de dessus l’œil, et découvrant un grand front où, en dépit de ses vertes années, le cheveu blond devenait rare, je connais mieux le baron de Mespech que votre personne. Mais sachant que vous servez le roi tant fidèlement que moi-même le roi de Navarre – j’aurai quelque affaire à vous, si vous consentez à m’ouïr. À quoi je lui dis courtoisement de s’asseoir et s’aiser, que je savais par mon père ses immenses mérites et que mon maître et souverain le roi Henri Troisième le tenait, bien qu’il fût à Navarre, pour grandement affectionné au bien de l’État. 1 Plus tard créé par Henri IV duc de Sully (Note de l'auteur). 9 Je lui fis part de tout ceci dans la langue du Louvre qui veut qu’on dise à longueur ce qui se peut dire en bref, et cependant que je parlais, l’envisageai fort curieusement, ne l’ayant qu’entr’aperçu jusque-là, et trouvai que Margot avait dit vrai et qu’il y avait quelque hautesse en sa contenance. Mais à la différence du duc d’Épernon, de qui elle était d’autant insufférable qu’elle s’accompagnait du déprisement de tout le genre humain, celle de M. de Rosny faisait bon ménage avec une sorte de bénignité virile et bon enfant. Ni son bel œil bleu, ni son ample front, ni ses pommettes fortes et rieuses n’y contredisaient, non plus que sa lèvre friande. C’était là à ce qu’on m’avait dit, un huguenot de beaucoup d’esprit, propre à donner de bons coups d’épée au combat et aussi à mener des négociations délicates en les brouilleries de nos affaires. J’observais qu’il lapait comme chat mes compliments de cour, ayant de lui-même une tant haute idée qu’aucune hyperbole ne lui semblait imméritée. Mais quand je le connus mieux, j’entendis qu’à la différence d’Épernon, qui, notre bon maître mort, ne voulut plus qu’avancer soi et asseoir sa fortune sur la ruine et le démembrement de l’État, Rosny, lui, ne s’était jamais donné pour but que la conservation du royaume, la réunion des Français et l’universelle paix. — Monsieur, dit-il, quand j’eus mon discours conclu, j’ai pu, grâce à M. de Rambouillet, parler au roi, lequel me témoigna de se vouloir réconcilier secrètement à Navarre, la Ligue le pressant, et me commanda d’aller lui faire entendre son intention, mais sans cependant me vouloir bailler passeport, de peur que le duc de Nevers ne le sût, Nevers étant royaliste fidèle, mais tant papiste de cœur qu’il ne voudrait pas d’une alliance d’Henri Troisième avec un hérétique et excommunié. Raison pour quoi, commandant les armées du roi, il ne se ferait pas faute de m’arrêter, ou pis peut-être, s’il me trouvait à Blois, ou m’encontrait sur le chemin. — Ha ! Monsieur ! dis-je, entendant à la parfin où tendait ce discours, n’est-ce pas pitié que le roi se doive méfier d’un serviteur fidèle, le pape mettant toujours le doigt entre ses sujets et lui ? 10

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