! ! La tumba de Antígona de María Zambrano et Antigone d’Henry Bauchau en comparaison : Enjeux génériques, énonciatifs et éthico-politiques THÈSE DE DOCTORAT En Littératures Comparées présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne En co-tutelle avec l’Université Saint-Louis de Bruxelles pour l’obtention du grade de Docteur ès lettres par NADÈGE COUTAZ Directrices de thèse : PROF. UTE HEIDMANN Littératures comparées, CLE, Université de Lausanne PROF. SOPHIE KLIMIS Philosophie ancienne, Université Saint Louis Bruxelles Lausanne'2017' TABLE DES MATIERES INTRODUCTION 1. Importance du contexte et hypothèse générique 2 1.1. Présentation de María Zambrano et de son œuvre 4 1.2. Présentation d'Henry Bauchau et de son œuvre 7 2. De la performance tragique vers une théâtralisation énonciative et générique complexe 12 3. Vers une réactualisation des enjeux éthiques de la tragédie ? 16 4. Élargissement du corpus 19 5. Plan de l’analyse 21 I. CADRE MÉTHODOLOGIQUE 1. État de la recherche 23 2. L’apport de la "comparaison différentielle et discursive" 28 3. Mythe et Tragédie : quelle problématisation ? 29 3.1. Le mythe comme notion opératoire et instrument de connaissance 33 4. Conséquences méthodologiques d’une telle conception 38 5. Du concept de "genre" à la "généricité comme dynamique" 42 5.1. Le genre comme pratique discursive 45 II. RECOURS INTERGENERIQUE ET INTERTEXTUEL À l’ANTIGONÈ DE SOPHOCLE 1. La tragédie athénienne comme spectacle complexe 50 2. Contre une lecture dramatique de l’Antigonè de Sophocle : retour à la généricité tragique 57 2.1. De l’expositio (prologos, parados) à la mise en perspective méta-réflexive (stasimon 1, 2) 59 2.2. L’argument structurel : "La mort d’Antigone, la tragédie de Créon"? 62 2.3. Dynamique agônistique et empreinte de la rhétorique 67 2.4. Ironie, infantilisation, métaphorisation animale : l’interlocuteur discrédité 68 2.5. L’utilisation conceptuelle d’Antigone dans la Phénoménologie 75 2.6. Les lois divines d’Antigone, une supercherie ? 78 2.7. Antigone, garante du lien familial ? 79 III. EXPERIMENTATION GENERIQUES ET ENONCIATIVES : CREUSET DE NOUVELLES PERTINENCES 1. La tumba de Antígona de Zambrano : de l’ensayo culto à l’ensayo filosófico-poético 85 1.1. Spécificités du discours philosophique 86 1.2. Variations autour du genre de l’essai 90 1.3. Histoire d’un parcours éditorial 92 1.3.1. Les textualisations de La tumba et leur composition en comparaison 92 1.3.2. Vocation heuristique et prétention savante de la Revista de Occidente 93 Étude du paratexte In situ : le numéro 54 de la "Revista de Occidente" Un argumentaire à la tonalité mystique "La tumba de Antígona" comme argumentaire 1.3.3. De la prétention aléthique à la vocation poétique 109 Comparaison des versions de septembre et d’octobre 1.3.4. L’essai comme réceptacle d’une "pensée ondoyante" 114 1.3.5. Concordances formelles et fonctionnelles avec le genre de l’essai littéraire 116 2. Antigone de Bauchau : une hétérobiographie du quotidien 125 2.1. Le projet romanesque : le choix d’une liberté formelle 126 Spécificités du roman bauchalien 2.2. Écriture du quotidien : l’étude du chronotope bauchalien 143 Extensibilité du roman et phénomènes d’amplification 2.3. Du Bildungsroman au "roman de l’éveil" 157 2.4 Le roman initiatique 160 L’Antigone d’Io : retournement symbolique de la mort tragique 2.5. Du roman "poétique" au roman"poïétique 166 2.5.1. La place de l’art dans l’auto-poïèse : l'exemple du monologue d'Ismène 169 Importance de la matière 2.5.2. Le timbre d'Ismène 176 Un monologue adressé IV. LA TUMBA DE ANTIGONA : LE STATUT D'UN PROLOGUE INSOLITE DANS UNE NOUVELLE SCENE DE PAROLE 1. Une charge contre Sophocle 189 2. Le discours comme manière de faire sens 197 3. Le délire : un discours d’outre-tombe 199 4. Renforcement de la scénographie dans les versions ultérieures 201 5. Un temps à soi : étude de la chronographie zambranienne 201 6. La topographie : étude de la descente au tombeau 205 V. LA VOIX DE LA CONCORDANCE DANS ANTIGONE DE BAUCHAU 1. "Transfictionnalité" et cycle thébain : pertinence d’une œuvre qui se déploie 209 2. Une scène de parole marquée par l’empathie et la consonance 215 Un roman familial VI. THEATRALISATION DE LA PENSEE DANS LA TUMBA DE ANTIGONA 1. La piste didascalique : élargir la perspective d’un phénomène linguistique 227 1.1 Typographie théâtrale et didascalies de "balisage" 227 L’Índice : entre marqueur théâtral et brouilleur d’identité générique Indications des sources locutoires Les didascalies : vecteurs d’ambiguïté 1.2 Les didascalies "scéniques" et leurs vestiges 244 Didascalies kinésiques et spatiales Hors-scène et création d’un espace intermédiaire 2. "Romanisation" de l’écriture théâtrale 257 2.1. Quel éclairage tirer de la consultation des manuscrits ? 257 2.2. Typographie et mise en page 261 Conséquences de cette complexification de la parole 3. Utilisation du dialogue et autres procédés de dialogisation 265 3.1. Du Delirio de Antígona à La tumba de Antígona 265 3.2. De l’appel resté sans réponse à la reconstitution d’un dialogue 268 3.3. Famille et histoire, points nodaux de cette (r)écriture des Labdacides 269 Ismène : la rencontre onirique Œdipe : le devenir d’une fille-mère L’ombre de la mère La Harpie : se confronter à sa potentialité monstrueuse 3.4. Tracer son chemin dans le labyrinthe de l’histoire 290 En route vers la cité des frères : dépolariser le conflit VII. ENTRE SOUFFLE EPIQUE ET DESTINEE TRAGIQUE : REPONSES DE L’ANTIGONE DE BAUCHAU AUX INTERTEXTES ANTERIEURS 1. Temporalité tragique : ouverture d’un second plan énonciatif 299 1.1. Échos et (re)configurations de l’Antigonè sophocléenne 300 1.2. Transformer la destinée tragique 302 1.3. "Scène" et représentation en direct : le retour de Créon 307 1.3.1. L’exposition d’un cadavre : effets de réel et hypotyposes 308 1.4. Réponses à l’Antigonè sophocléenne et à ses horizons d’attente 311 2. La fresque du temple rouge : une variation autour de la choralité tragique 316 2.1. Un sanctuaire rocheux aux échos polyphoniques 321 2.1.1. Dialogue croisé avec les Hymnes homériques et les Métamorphoses d’Ovide 324 Rythme, sonorité et signifiance du rouge 2.1.2. Dialogue chromatique : de l’Hymne homérique à Delacroix 328 2.2 Premier retournement symbolique de l’injustice originelle, nommer l’innommé 331 Représentation d’un combat en oscillation 2.3. Second retournement : de la prodigiosité effrayante à l’humanité d’un monstre 338 2.3.1. Anthropomorphisation du monstre et ombre du Minotaure : échos intratextuels 340 2.4. Du combat à l'échange : l'inversion du paradigme antique 342 Une création en deux temps 2.5. Réactiver la dimension agônistique par la métaphore 346 L’action réciproque de la lutte : une initiation Création d’un nouvel espace Une logique "du tiers inclus" Cheval et cavalier : construction d’un réseau empathique 3. Assaut et fratricide : passages épiques en dialogue 362 3.1. Dialogue avec les Sept contre Thèbes 364 Du combat épique à la lutte intime 3.2. Une mort séquencée : dialogue croisé avec Eschyle, Sophocle et Racine 380 3.3. Ces "deux guerriers, objets de notre double angoisse" 390 Valorisation de l’ennemi 3.4. Une "sororité active", contre-modèle pour les frères ennemis 392 VIII. ECRITURES DE LA MARGE ET POETIQUES DE L'EXCLUSION 1. Une héroïne romanesque "suscitée" par la route 395 1.1. Contre les valeurs guerrières : ascétisme, intériorité et don de soi 397 1.2. Le dispensaire : le point de départ de "communautés en devenir" 399 1.3. Donner une voix au peuple de la "ville souterraine" 403 1.4. L'écriture du cri 1.5. Henry Bauchau : un "exilé de l'histoire" 415 2. De l'atopie à l'utopie : de l'exil à la patrie intérieure 417 2.1. Portrait de l'exilé : la tentative théorique du prologue 418 Exil et sacrifice Le frère exogame contre l'oppression 2.2. L'exil prophétique d'Antigone dans la seconde partie 425 De la dé-naissance à la renaissance 2.3. Contrepartie symbolique à la douleur de l'exil 428 CONCLUSION 435-441 BIBLIOGRAPHIE 443-467 INDEX DES ILLUSTRATIONS 468 ANNEXE : TRADUCTION DE TRAVAIL DE DELIRIO DE ANTIGONA 469-478 INTRODUCTION Cette thèse se propose de comparer deux textes du XXème siècle, La tumba de Antígona (1967) de la philosophe espagnole María Zambrano et le roman Antigone (1997) de l’écrivain et psychanalyste belge Henry Bauchau, en analysant les façons dont ces œuvres modernes1 (r)écrivent la pièce homonyme du tragique grec Sophocle (-441). Cette comparaison permettra de mettre en cause le présupposé d’un « mythe- substance » d’Antigone, dont il faudrait parvenir à retrouver les traits distinctifs de la version originale sophocléenne dans des « variantes ultérieures ». Dans cette recherche, nous souhaiterions au contraire mettre en évidence la capacité des écrivains à inventer2 leurs Antigones, en (r)écrivant non un « mythe » ou une « figure » mais bien une œuvre, la tragédie de Sophocle3, en dialogue avec les lectures et (re)configurations qui l’ont suivie. Il faudra également comprendre face à quels modèles de (r)écritures4 et contre quelles interprétations chaque œuvre, s’élaborant, se positionne. Pour le montrer, nous ferons référence au concept de « dialogue intertextuel » développé par Ute Heidmann, dans lequel « le nouveau texte déplace ou même inverse un ou plusieurs motifs, créant ainsi, en réponse aux textes anciens, des significations différentes et nouvelles » (2008a : 151). Souhaitant à la fois nous distancer de l’analyse par motifs, fréquemment utilisée dans la recherche sur les récits qualifiés de « mythiques » et nous éloigner d’une comparaison focalisée sur la figure d’Antigone, nous examinerons la manière dont se dégagent, pour nous, de ces deux œuvres modernes, certaines dynamiques formelles et fonctionnelles qui évoquent la tragédie « athénienne »5. 1 Tout au long de ce travail, l’adjectif « moderne » se rapportera au statut de ces (r)écritures par rapport aux œuvres antiques qu’elles choisissent de réinventer et donc d’actualiser. 2 Au sens étymologique du terme : créer et découvrir, voire créer pour découvrir. 3 Comme Véronique Gély, nous estimons que « parler d’Antigone n’a effectivement de sens que si l’on précise de quelle Antigone l’on parle, – celle de Sophocle ? celle de Brecht ? » (2007b : 70). Ou alors, cela a du sens, comme le précise la comparatiste « si l’on tente la collecte de toutes les Antigones qui ont été composées » ou si l’on est « persuadé que les mythes ont une “essence”, mais c’est alors une question de foi » (Gély 2007b : 70). Nous revenons plus précisément sur ces enjeux dans les points 3 et 4 du chapitre intitulé Cadre méthodologique, cf. infra, p. 29 et sqq. 4 Comme Ute Heidmann l’explique, « les textes qui recourent aux mythes grecs sont à la fois des écritures et des (r)écritures [le graphisme de (r)écritures sert alors à signaler cette convergence] dans le sens où, dès l’Antiquité, elles reprennent, sous forme de nouvelles écritures et pour leur donner une nouvelle pertinence, des récits de la tradition hellène qui étaient toujours déjà des “vieilles histoires”, ta archaia » (2008 : 143). 5 Nous précisons d’emblée avec Sophie Klimis : « Il n’y a de tragédie qu’athénienne, tant cette forme de théâtre est inséparable du fonctionnement politique de la cité démocratique » (2013b : 8). La philosophe précise néanmoins : « Cette affirmation est valable “pour nous” : même si la tragédie a fait son apparition sous la tyrannie de Pisistrate, la seule tragédie dont quelques témoignages consistants (sous forme de textes, essentiellement) nous sont parvenus est celle du Vème siècle av. J.C. D’Eschyle à Euripide en passant par Sophocle, la tragédie, “pour nous”, est donc indiscutablement athénienne et démocratique » (idem). 1 1. Importance du contexte et hypothèse générique Notre projet se fonde sur une « analyse comparative différentielle et discursive », telle que l’a développée Ute Heidmann, une méthode comparative qui « renonce à l’universalisation des phénomènes littéraires et culturels en faveur d’une différenciation qui porte sur leur dimension discursive et plus précisément énonciative et textuelle » (2010 : 27)6. Il prendra comme point de départ « l’inscription générique »7 des représentations modernes. María Zambrano et Henry Bauchau ont fait un choix singulier, en préférant respectivement l’essai et le roman au théâtre, à la différence de nombreuses autres (r)écritures du XXe siècle. La perception de cette dissidence générique a été le point de départ de notre volonté de mettre en comparaison ces deux textes. Or, le passage d’une tragédie à un roman ou à un essai les libère ces (r)écritures des contraintes inhérentes à la performance théâtrale, amenant des changements fondamentaux par rapport à l’œuvre antique. Dans les deux cas, la perception du temps raconté est plus souple, n’obéissant plus à la contrainte imposée par la durée d’une représentation scénique. Les (r)écritures doivent désormais répondre aux exigences des nouveaux genres qu’elles ont choisis. Bien que la dramaticité ne soit pas retenue en définitive comme canevas générique principal, nous montrerons néanmoins que la théâtralité n’est totalement écartée par aucune des œuvres modernes. Leur théâtralisation se distingue donc de la théâtralité effective de la pièce de Sophocle en tant que « conformité d’une œuvre aux exigences fondamentales de la construction théâtrale » (Larue 1996 : 6), qui possède le « caractère de ce qui se prête adéquatement à la représentation scénique » (Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre 1991: 820). Nos analyses dégageront la mise en place d’une certaine théâtralisation, celle-ci devant se comprendre comme le résultat d’un processus qui vise à « donner le caractère de théâtralité » (Le Petit Robert), en « adopt[ant] les modes du théâtre », ou en « immit[ant] le théâtre » (Enrichissement de la langue française, dictionnaire de mots nouveaux, P.-B. Richard, 1842). Nous mobiliserons cette notion de théâtralité avant tout comme « transposition, dans un registre littéraire non théâtral, de qualités qui, elles, sont supposées être théâtrales » (Larue 1996 : 4). À la fois multiples et variés, ces « modes de présence de la théâtralité dans un genre non dramatique » peuvent ainsi renvoyer à « des aspects du théâtre très différents, dans leur nature comme dans leur importance » (Sternberg 1996 : 52). C’est pourquoi, nous resituerons ce processus de 6 Voir également Heidmann 2005 ; 2008a et 2008b. 7 Comme elle-même le signale, Ute Heidmann partage avec Dominique Maingueneau l’idée que « tout acte d’énonciation ne peut se poser sans justifier d’une manière ou d’une autre son droit à se présenter tel qu’il se présente » (Maingueneau 2004 : 33). C’est donc en ce sens qu’il faut comprendre l’expression d’« inscription dans des genres de discours » en tant que celle-ci « contribue de manière essentielle à ce travail de légitimation qui ne fait qu’un avec l’exercice de la parole : un genre implique par définition un ensemble de normes partagées par les participants de l’activité de parole » (idem). 2 théâtralisation pour chacune des œuvres « dans son rapport avec les genres littéraires [qu’elle a choisis] » (Larue 1996 : 4). L’histoire des œuvres entrera également en compte pour expliquer la manière à chaque fois singulière dont se réalise cette théâtralisation. María Zambrano a longtemps nourri le projet de monter sur scène La tumba de Antígona. Ce désir dont le texte édité garde des traces participe à sa complexité générique de manière plus globale. Par contre, si seuls les derniers chapitres du roman d’Henry Bauchau utilisent des éléments et des dynamiques empruntés à la scène8, c’est qu’ils s’inscrivent dans une dynamique plus ponctuelle de dialogue intertextuel avec le corpus tragique. Le roman vise alors à recréer une théâtralité plus précisément tragique9. La (r)econfiguration générique10 s’inscrit toujours dans un contexte d’énonciation particulier. Il s’agira donc, dans un premier temps, de montrer les nombreuses dissemblances dues aux époques et aux langues de ces trois textes11. La prise en compte des contextes d’écriture sera, pour cette raison, indispensable, entendant à la suite de Roger Chartier que « l’historicité première d’un texte est celle qui lui vient des négociations nouées entre l’ordre du discours qui gouverne son écriture, son genre, son statut, et les conditions matérielles de sa publication » (2008 : 51). Nous pensons en effet, à la suite de Claude Calame, d’Ute Heidmann, de Sophie Klimis et de Véronique Gély, que c’est grâce à l’inscription dans une forme et un contexte d’énonciation particuliers que les récits mythologiques trouvent leur sens12. C’est pourquoi la question générique sera au centre de notre recherche. (R)écrire Antigone n’épouse pas la même signification, si l’on choisit de le faire par le biais d’une tragédie, d’un roman ou d’un essai, ni si la transformation est opérée par un tragédien « maître de chœur » (khorodidaskalos) (Klimis 2012 : 60) ou sous la plume d’un romancier psychanalyste ou encore d’une femme philosophe et écrivaine. Nous prendrons la mesure de l’importance des « (re)configurations génériques »13 opérées dans ces œuvres, en tant qu’elles permettent, comme l’explique Ute Heidmann, de 8 Le remaniement de ces chapitres sera pour une bonne part à l’origine du livret d’opéra La Lumière Antigone. 9 Des notions linguistiques distinctes nous permettrons de rendre compte d’effets de théâtralisation qui diffèrent par leur mise en œuvre et leur intensité. La tension entre texte lu et texte joué sera appréhendée dans La tumba par les notions de romanisation et d’épicisation décrites par Alain Petitjean, tandis que les effets visuels seront mis en relief par les figures de style de l’hypotypose et de la diatypose dans le roman de Bauchau. 10 Nous adoptons la graphie (re)configuration proposée par Ute Heidmann avec le préfixe entre parenthèses pour « traduire l’idée que toute configuration d’un genre est toujours déjà une (re)configuration de genres préexistants » (Heidmann 2009 : 91, note 1). 11 Y seront ajoutées des comparaisons plus ponctuelles avec d’autres œuvres importantes pour les projets de (r)écritures. La comparaison avec des créations plastiques ou des mises en scène complèteront l’analyse, tout comme le recours à d’autres œuvres des auteurs du corpus (pour plus de détails, voir infra p. 19 et sqq. 12 Voir à ce sujet, le point 3 « Mythe et tragédie, quelle problématisation ? » qui lui est dans Cadre méthodologique, infra. p. 29 et sqq. consacré 13 Nous adoptons la graphie (re)configuration proposée par Ute Heidmann avec le préfixe entre parenthèses pour « traduire l’idée que toute configuration d’un genre est toujours déjà une (re)configuration de genres préexistants » (Heidmann 2009 : 91, note 1). 3 « comprendre l’inscription d’énoncés dans des systèmes de genres existants comme une tentative d’infléchir les conventions génériques en vigueur et de créer de nouvelles conventions génériques, mieux adaptées aux contextes socioculturels et discursifs » (Heidmann-Adam 2010 : 34-35). À différents niveaux, les œuvres choisies sont toutes issues d’un processus de (re)configuration générique. La tragédie athénienne met elle-même déjà en scène des héros de la tradition épique, dont elle se distingue désormais, notamment en raison de sa dimension de performance théâtrale. Elle constitue en outre, une véritable « institution politico-rituelle » (Klimis 2013b : 8) dans le contexte qui la voit éclore, la cité démocratique athénienne. 1.1. Présentation de María Zambrano et de son œuvre C’est dans un contexte historique, culturel et politique très différent de l’Athènes de Périclès que la philosophe espagnole, María Zambrano (1904-1991) prend la plume. D’origine andalouse, María Zambrano est la fille de l’humaniste et pédagogue Blas Zambrano14. À travers lui, elle découvre les poètes de la Generacion del 98, notamment l’œuvre d’Antonio Machado, dont son père est un ami proche. Dès son plus jeune âge, María Zambrano reçoit une éducation humaniste et a accès à un grand nombre d’ouvrages classiques (« una biblioteca notable » ; Mora García Préface à Blas Zambrano : 10)15. À Madrid où elle engage des études secondaires puis universitaires, elle devient la disciple de philosophes influents comme José Ortega y Gasset et Xavier Zurbiri, qu’elle secondera bientôt à l’Université Centrale de Madrid. Dans les années 30, elle fréquente également les poètes et artistes de la Generacion del 27 (Federico García Lorca, Emilio Prados, Pedro Salinas) et fait partie du groupe de discussion et de recherche (tertulia), organisé autour de la Revista de Occidente et de son directeur José Ortega y Gasset. Ces années correspondent à une période d’efforts intellectuels collectifs pour mener à bien l’ouverture de l’Espagne sur l’Europe. Le projet est emmené par José Ortega y Gasset, qui croit au pouvoir émancipateur de la raison scientifique. Il trouve un écho chez toute une « série d’intellectuels qui s’organisent autour de revues, institutions éducatives et culturelles et autres “clubs” qui promeuvent [notamment] l’émancipation de la femme » (Mora García 2015b : 60 ; [Nous traduisons]). À cette époque, les premiers écrits de 14 Maître d’école, puis enseignant à l’École Normale, Blas Zambrano fait partie des intellectuels qui cherchent à entamer une réforme pédagogique en profondeur en Espagne. José Luis Mora García analyse ce mouvement très important d’éducateurs/réformateurs dans l’article qu’il consacre à cette Génération dite « de 1914 » (Mora García 2014a). 15 De récentes recherches ont montré l’importance de Blas Zambrano dans la formation de la philosophe, notamment dans son goût pour les auteurs et philosophes antiques. Voir à ce sujet les éditions commentées des textes de Blas Zambrano par José Luis Mora García (Blas J. Zambrano ; 1998) et par Luis Miguel Pino Campos (Blas J. Zambrano ; 2015a). Nous reviendrons à cette influence dans la partie consacrée au rapport au mythe et au classicisme. Cf infra p. 33 et sqq. 4
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