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La théologie comme science selon Saint Thomas PDF

20 Pages·1976·7.185 MB·French
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(Bulletin du CERCLE THOMISTE dainl-c^icolaS de Caen SOMMAIRE N° 73 Nouvelle Série Pages 1. M.-D. PHILIPPE. La théologie comme science, selon Saint Thomas ................................................... 1 2. J.-Y. CHEVALLIER. Un discours sur Saint Thomas . 20 3. R. de GOURMONT. Le Christ et l’Histoire................ 28 4. Thomas d’Aquin proposé par Benoît XIV comme "modèle de polémiste.................................................... 39 5. Bibliographie .........................................................................40 Trimestriel MARS 1976 La théologie comme science selon Saint Thomas * Si l’on remonte aux origines de la philosophie occidentale, on constate que, déjà en Hésiode, les Grecs ont pris conscience d’une recherche de la vérité s’inscrivant à l’intérieur de traditions mythiques religieuses. Ce problème, qui se retrouve aussi bien chez les Ioniens que chez les Pythagoriciens (mais de façon différente) prend toute son acuité chez Xénophane. Emigré d’Ionie en Grande Grèce, Xénophane aura le souci de purifier la tradition religieuse de tout anthropomorphisme pour découvrir ce qu’il y a de plus réel. C’est le Dieu unique et personnel que cherche Xénophane. Quant au Poème de Parménide, sorte de révélation faite au philosophe par « la Déesse » et qui nous est transmise dans un style poétique et religieux, il est évident qu’il ne peut se comprendre en dehors d’une tradition religieuse (orphique et pythagoricienne). Ce Poème, cependant, veut nous révéler autre chose que ce que transmettait la tradition religieuse ; il y a chez Parménide un désir de vérité qui semble bien tout dominer. N’est-ce pas là, précisément, ce qui finalise la recherche philosophique et ce qui permet l’éclosion d’une véritable contemplation philosophique ? Au cœur de cette révélation, il y a la révélation de l’Etre, et de l’Etre identique à la Pensée. Notons bien, cependant, qu’il n’y a pas d’opposition, chez Parménide, entre la tradition religieuse et la découverte de l’Etre- Vérité ; mais une sorte de purification de la tradition religieuse * Cet article a paru pour la première fois en italien, sous le titre La teologia- come scienza in S. Tomum, dans la revue Renovatio (Gênes), 10 (1975), η" 1 (janvier-mars), pp. 11-29 (trad. Mario Caselli). Nous remercions la Rédaction de cette revue de nous avoir autorisés à publier ici l’original français de cet article. 1 s’opère. Car si le philosophe cherche en premier lieu la vérité, la tradition religieuse est avant tout normative, elle donne la norme d’une attitude affective et pratique : l’attitude religieuse, le culte à l’égard de Dieu ou des dieux. Les finalités de la recherche philo­ sophique et de la tradition religieuse sont donc très différentes ■— bien qu’elles puissent coopérer. La recherche philosophique d’un Héraclite est beaucoup plus indépendante de la tradition religieuse que celle de Parménide. C’est le Logos qui a la primauté, et c’est lui qu’il faut découvrir à tout prix ; mais la question se pose : quel lien y a-t-il entre ce Logos et le divin Jusqu’à Plotin et au néo-platonisme, nous retrouvons toujours le même problème : celui de la recherche de l’Absolu s’inscrivant dans les traditions religieuses en les purifiant ou en les assumant. Avec la Révélation chrétienne, un autre problème se pose : celui des rapports de la philosophie et de la foi divine. Là encore, les positions sont multiples, et elles sont d’autant plus diverses que les philosophies existantes, dont les Pères de l’Eglise et les théolo­ giens se servent, sont elles-mêmes plus diverses. On ne peut pas, en tant que croyant, utiliser n’importe quelle philosophie pour expliciter la Parole de Dieu ; car certaines philosophies risquent toujours, au lieu d’aider à pénétrer plus avant dans la Parole de Dieu, de détour­ ner le croyant de la véritable signification de cette Parole. Tel est sans doute le problème qui a dû se poser à S. Thomas avec beaucoup d’acuité. Après avoir reçu d’Albert le Grand sa formation philosophique et théologique, S. Thomas, au bout de quelques années d’enseigne­ ment, a pu connaître directement les écrits métaphysiques d’Aristote; il a alors éprouvé le besoin d’orienter autrement sa recherche théolo­ gique. Il y a eu là, de la part de Frère Thomas, une option très personnelle et très audacieuse. Ne disons pas que cette option s’est faite en vertu d’une « mode », en fonction de ce que faisaient et pensaient les autres. S. Thomas n’a pas opté pour se mettre « au goût du jour », pour faire comme tout le monde ; il a opté en accep­ tant d’être seul s’il le fallait ; il a opté par souci de vérité, parce qu’il avait découvert dans la philosophie d’Aristote, dans sa « philo­ sophie première », une recherche plus réaliste, plus certaine, plus exacte, plus scientifique (c’est-à-dire une connaissance parfaite), plus vraie parce que plus proche de la réalité existante. S. Thomas a eu alors le courage de ne pas redire ce qu’on lui avait appris, mais d’approfondir, d’aller plus loin, de faire œuvre originale — non par souci de « créativité », mais pour être plus vrai. Celle soif île vérité, qui est si forte chez S. Thomas, peut seule faire comprendre son audace, audace d’autant plus étonnante qu’il était très enraciné dans la tradition et qu’il avait pour S. Augustin une grande vénération. 2 S. Thomas est très lucide eu face de ces deux manières diffé­ rentes de penser : celle des platoniciens et celle d'Aristote ; et il opte très nettement pour cette dernière. Pourquoi ? Il ne nous le dit pas explicitement, niais la raison en est nettement exprimée à travers l’œuvre théologique de la dernière période de sa vie. Même lorsqu’il commente le De Causis, S. Thomas exprime clairement son option en faveur d’Aristote, tout en reconnaissant ce qu’il y a de vrai dans cette œuvre néoplatonicienne. S. Thomas choisit la philosophie d’Aristote et critique Platon, parce qu’Aristote est le philosophe de l’expérience et que son réalisme est plus profond que celui de Platon. Aristote, grâce à son réalisme, a mieux saisi ce qu’est la cause finale au niveau de l’être ; il a découvert la division de ce-qui-est-en- acte et de l’être en puissance, et, par le fait même, il a découvert comment le bien peut exercer le rôle de causalité finale (le bien est «ce que tous désirent»). Or, pour pouvoir expliciter le mystère de la Parole de Dieu, il faut une philosophie réaliste, une philosophie qui reconnaisse la transcendance de ce-qui-est atteint dans le jugement d’existence ; il faut une philosophie capable de considérer ce-qui-est du point de vue de l’être ; il faut enfin une philosophie de la finalité, capable de discerner ce qu’est la béatitude de l’homme. Car la foi est une connaissance réaliste (d’un réalisme divin), une connaissance qui nous fait atteindre T Autre existant dans Sa Trans­ cendance, et une connaissance affective toute tournée vers la béati­ tude — la foi n’est-elle pas essentiellement une attente de la béatitude ? Grâce à cette philosophie première, philosophie de ce-qui-est considéré du point de vue de l’être, S. Thomas peut saisir avec beau­ coup plus de précision comment l’intelligence humaine peut démon­ trer l’existence de l’Acte pur, Substance parfaite, que le croyant appelle Dieu. Il peut critiquer avec plus de justesse et d’exactitude la position de S. Anselme, qu’un Guillaume d’Auxerre et un Alexandre de Halés avaient maintenue, et que l’on retrouve, du reste, chez S. Bonaventure. S’il y a un certain contact immédiat avec Dieu, c’est au niveau de notre appétit de bonheur, mais ce n’est pas au niveau de la connaissance spéculative. Aussi l’affirmation « Dieu existe » n’est-elle pas pour nous évidente. Elle ne serait évidente que si nous connaissions la signification exacte du mot « Dieu ». Or « Dieu » n’est pas un ternie philosophique, mais un terme religieux ; c’est donc au niveau d'une connaissance affective que l’on parle de « Dieu ». L’intelligence humaine a naturellement une certaine appré­ hension de ce-qui-est du point de vue de l’être, et c’est pourquoi Avicenne a raison de dire que ce-qui-est est saisi en premier lieu par l’intelligence — primo in intellectu cadit'ens. Mais notre intelligence n’a pas d’appréhension de Dieu, elle n’a pas de concept de Dieu. Si elle saisit le ratio entis, elle ne peut saisir la ratio Dei, c’est-à-dire l’intelligibilité propre de Dieu. Si notre intelligence n’appréhende pas ce qu’est Dieu, elle peut cependant démontrer qu’il existe ; non pas selon une démonstration 3 propter quid, car rien n’est avant Dieu, mais selon une démonstration à partir des effets. Et S. Thomas précise, dans le fameux article 3 de la question 2 de la Somme, comment l’intelligence humaine peut, en revenant aux grandes expériences et en les éclairant au moyen du principe de causalité finale saisi au niveau métaphysique, décou­ vrir analogiquement l’existence d’un Etre Premier et Nécessaire, qui est au delà de tout mouvement, parfait en sa Vie, Intelligence substantielle : Celui que l’âme religieuse et le croyant appellent « Dieu ». Il semble bien que ce soit en utilisant d’une manière géniale la métaphysique aristotélicienne de l’acte et de la puissance (Méta­ physique, livre thêta) que S. Thomas a pu écrire cet article ; et pour lui cet article est capital, car il fonde la possibilité d’une théologie scientifique, celle-là même qu’il veut édifier et qui constitue son œuvre originale, personne ne l’ayant élaborée avant lui. En effet, si l’intelligence humaine était incapable par elle-même de démontrer l’existence de l’Etre Premier, elle ne pourrait pas élaborer une théologie rigoureuse, scientifique, se servant d’analogies propres. Car si elle ne pouvait pas démontrer elle-même l’existence de l’Etre Premier, elle n’aurait de Lui qu’une connaissance symbo­ lique, métaphorique, une connaissance poétique (ce que l’on doit dire si l’on est disciple de Kant). S. Thomas a bien vu l’enjeu. On peut donc dire que sa théologie scientifique n’a pu s’élaborer que grâce à la métaphysique aristotélicienne de l’acte et de la puissance. C’est un fait. Mais est-ce légitime ? S. Thomas, en faisant cela, ne s’est-il pas laissé séduire par la philosophie première d’Aristote Par le fait même, n’a-t-il pas beaucoup trop « rationalisé » la foi, ne l’a-t-il pas détournée de sa véritable signification '! (1) On sait combien certains jugent sévèrement l’œuvre théologique de S. Thomas, le rejetant et allant jusqu’à la condamner comme « démoniaque ». Tout ce qui détourne la foi de sa vraie finalité est certes démoniaque ! Or la foi, pour certains, est essentiellement irrationnelle, elle est mystique et purement silencieuse, elle est faite exclusivement pour vivre de la Parole de Dieu et la garder dans toute sa limpidité de Parole divine. Le discours théologique de S. Thomas ne respecte plus cette pureté de la Parole de Dieu, car c’est le logos métaphysique qui l’emporte. Il suffit de regarder l’ordre du traité du mystère de Dieu, la manière de considérer la grâce et les vertus théologales comme des habitus... Nous touchons là, évidemment, un problème crucial, une objec­ tion qui remet en cause non seulement l’œuvre théologique de S. Thomas, mais le statut même de la théologie scientifique. (1) S. Thomas n’a-t-il pas réalisé une véritable « gnose » donnant de la Parole de Dieu une interprétation qui lui est étrangère ? La philosophie première d’Aristote n’a rien à voir avec la Parole de Dieu, elle exprime un autre univers et s’enracine dans une culture qui n’est pas celle au sein de laquelle s’est communiquée la Parole de Dieu... 4 Devant une telle objection, on pourrait, du point de vue catho­ lique, affirmer que l’Eglise, en la personne de nombre de ses Papes, a proclamé S. Thomas üoctor Communis et a considéré sa doctrine théologique comme la plus sûre. L’Eglise se serait-elle trompée ? Mais un tel argument ne suffit pas ; car il faut essayer de comprendre pourquoi l’Eglise a honoré la doctrine de S. Thomas d’une telle confiance. Essayons donc de comprendre comment la théologie scientifique, telle que S. Thomas l’a exposée dans sa Somme théologique, n’est pas chose aberrante, n’est pas une « gnose », mais a une signification profonde au service de la Tradition la plus orthodoxe. Pour comprendre cela, il faut évidemment faire appel à une certaine interprétation de la foi. Or une telle interprétation de la foi, étant l’œuvre de la théologie, dépend elle-même d’une théologie. Si donc on se sert de l’interprétation théologique de la foi, telle que S. Thomas la présente dans la Somme, pour justifier la doctrine théologique scientifique de S. Thomas telle qu’elle est exposée dans cette même Somme, on comprend que certains puissent prétendre qu’il y a là une pétition de principe. En réalité, si cette théologie est reconnue par l’Eglise comme conforme à sa Tradition, il n’y a plus alors pétition de principe. Car la théologie, comme sagesse dépen­ dante de la foi, et conforme à l’enseignement traditionnel de l’Eglise, peut et doit se justifier elle-même dans la lumière de la foi. Cepen­ dant, nous pouvons et nous devons donner une autre justification, plus radicale, en considérant la foi telle que nous la présente le Magistère de l’Eglise catholique. Ce faisant, nous nous fonderons sur l’enseignement traditionnel de l’Eglise pour voir, à la lumière de cet enseignement, si l’élaboration d’une théolog’ie comme celle de S. Thomas est conforme à la Tradition de l’Eglise catholique ou si, au contraire, cette œuvre originale de S. Thomas n’est pas conforme à la Tradition, et est donc dangereuse. Selon la Révélation et l’enseignement de l’Eglise, « la foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (2). Le grand chapitre XI de YEpître aux Hébreux nous montre le rôle si important de la foi dans la vie des hommes de Dieu, et nous montre donc ce qu’elle devrait être dans notre vie. La foi nous donne un sens divin de la Parole de Dieu : elle nous permet de comprendre que cette Parole est une parole efficace, capable de réaliser ce qu’elle signifie. La foi se traduit dans l’adora­ tion et l’offrande dues à notre Dieu ; elle se traduit dans l’obéissance et dans la contemplation. L’TV vangile de Jean nous montre bien cette foi qui nous permet de pénétrer dans les secrets de Dieu et d’en vivre. Par la foi, nous avons la vie éternelle ; et la vie étemelle, c’est (2) Hébr., XI, 1. 6 vivre ce que Dieu vit, c’est vivre Son mystère de Lumière et d’Amour, Son mystère de contemplation. Par la foi, nous pouvons suivre le Christ et « demeurer » auprès de ΓAgneau. Par la foi, nous devenons témoins du Christ en vivant Son mystère. L’Eglise précisera au deuxième Concile d’Orange que l’initium fidei, le point de départ de la foi, est la pia affectio, ou le credulatis affectum (3). A l’origine de la foi, il y a une tendance affective sur­ naturelle inclinant l’intelligence à accepter une vérité qu’elle ne peut comprendre, qu’elle accepte par amour. Cette tendance est réellement un amour surnaturel provenant de l’Esprit Saint. La foi est donc, radicalement, une connaissance affective présupposant un amour divin, surnaturel, gratuit. Par là, l’Eglise rappelle que la foi est un don de l’Esprit Saint. Au Concile de Trente, l’Eglise précisera que la foi est une vertu théologale donnée gratuitement. Si la foi nous permet de recevoir la Parole de Dieu, elle ne s’arrête pas au contenu intelligible de cette Parole ; elle adhère à la Vérité divine se révélant à travers cette Parole. La foi est une vertu qui regarde en premier lieu Dieu — elle est « théologale » — et non Ses effets. Au premier Concile du Vatican, en face de certaines tendances modernistes et protestantes voulant ramener la foi à un simple sentiment, l’Eglise précise que la foi implique une adhésion de l’intelligence (surélevée par la grâce) à la Révélation, à la Parole de Dieu et aux propositions définies par l’Eglise (4). Cela est très net : indépendamment de toute conception philosophique, la foi, don de Dieu, se situe au plus intime de notre vie d’amour et d’intelligence, à sa racine, et elle nous communique une lumière divine qui ne détruit pas notre intelligence, ni ne la modifie dans sa structure propre, mais qui la surélève et l’ennoblit. En ennoblissant notre intelligence, elle l’éprouve également, car elle nous fait adhérer à une vérité qui ne . nous est pas évidente ; en ce sens on peut dire qu’elle constitue une «taille» du Père (5). C’est pourquoi on pourra dire que la foi est une lumière divine qui nous est donnée, nous permettant d’atteindre certaines vérités que nous ne pourrions pas atteindre autrement, et qu’elle nous fait marcher dans l’obscurité, car elle nous fait adhérer à une vérité que nous ne comprenons pas avec évidence. La foi implique donc à la fois une certitude et une certaine cogitatio, comme le dit S. Augustin. Si elle est une décou- (3) Voir Denzinger, 34' éd. 1967, n° 375 : « Si quis, sicut augmentum, ita etiam initium fidei ipsumque credulitatis affeetum, quo in eum credimus, qui justificat impium, et ad (re) generationem sacri baptismatis perve­ nimus... » (4) Voir Denzinger, n"1 3008 sq. ; cf. 377 (ΙΓ concile d’Orange). (5) Cf. Jn XV, 2. 6 verte mystérieuse de l’Amour de Dieu, elle implique une certaine recherche, car cette découverte certaine n’est pas réalisée dans l’évidence. Ce qui est évident, c’est le lien essentiel voulu par Dieu entre foi et Parole de Dieu (Dieu aurait pu, en effet, réaliser un mystère de foi d’une autre manière). Or la Parole de Dieu n’est pas, appa­ remment, une parole différente de celle des hommes. Dieu n’a pas voulu inventer une langue propre pour le croyant. Il s’est servi, de fait, du langage des hommes pour leur révéler Son mystère ; et, en se servant du langage humain, il n’a pas voulu modifier le condition­ nement humain de ce langage ; Il n’a pas inventé une nouvelle logique, ni une nouvelle grammaire : Il s’est servi de la logique et de la grammaire des hommes, de leur poésie, de leur histoire... Cependant la Parole de Dieu a quelque chose de propre et d’unique. C’est une Parole vivante qui relie immédiatement le croyant à sa Source, c’est-à-dire à Dieu lui révélant Son mystère ; c’est une Parole créatrice et efficace qui réalise dans le croyant ce qu’elle signifie ; c’est une Parole étemelle, qui ne change pas ; c’est une Parole d’Amour, celle de l’Epoux qui confie ses secrets à l’Epouse ; c’est une semence divine qui demande à fructifier et, pour cela, à être reçue dans la « bonne terre »... On peut donc dire que la Parole de Dieu, dans son apparence sensible, est comme la parole des hommes ; mais que, en tant qu’elle est reçue par le croyant et qu’elle est pour lui, elle porte en elle un mystère : celui du Verbe de Dieu. Si l’on ne regarde que ce qui est sensible en cette Parole (son conditionnement humain, historique), on n’entre pas dans son mystère. Celui-ci ne peut être atteint que par le croyant, qui découvre alors l’intention même de Celui qui lui parle en Père, en Epoux, et qui l’introduit dans Son mystère d’Amour. La Parole de Dieu reçue par le croyant justifie celui-ci, le sauve, lui donne la vie d’enfant de Dieu. Pour le croyant qui, lui aussi, demeure un homme, avec sa sensibilité et son intelligence d’homme, les mots utilisés par Dieu qui Se révèle sont bien toujours ceux dont tous les hommes se servent habituellement ; mais les réalités signifiées ne sont plus les mêmes. Car le croyant, comme tel, en recevant la Parole de Dieu, est immédiatement instruit par le Père, par Jésus, sous le souffle de l’Esprit ; il est instruit sur le mystère même de Dieu ou sur le mystère de l’homme tel que Dieu le considère dans Sa Sagesse. Son acte de foi, par la Parole, lui fait « toucher » le mystère d’Amour de Dieu qui le sauve. « Celui qui croit a la vie éternelle », et cette vie est celle de Dieu. Nous voyons donc que si la foi ne donne pas au croyant de nouveaux mots, ni une nouvelle grammaire, ni une nouvelle logique, ni de nouvelles catégories, elle lui donne une nouvelle lumière inté­ rieure lui permettant d’atteindre de nouvelles réalités existantes. C’est donc au niveau du jugement d’existence qu’il faut considérer ce qu’il y a de tout à fait nouveau dans la foi, et non au niveau de la considération des mots pris en eux-mêmes dans leur signification 7 originelle et usuelle (6). Autrement dit, il y a un nouveau jugement d’existence adhérant au mystère qui nous est révélé. Par le fait même, les éléments du jugement (le nom et le verbe) sont eux-mêmes transformés dans la mesure où ils sont intégrés dans ce jugement d’existence ; mais, considérés en eux-mêmes, séparés de ce jugement d’existence, ces mots n’acquièrent pas de signification nouvelle. En ce sens, on peut dire qu’il y a une nouvelle lumière (lumière de foi) transformant le jugement d’existence, mais qu’il n’y a pas de nouvelle « appréhension ». La foi implique un réalisme divin qui nous fait atteindre une Réalité tout autre, qui nous dépasse infiniment. Cette Réalité, nous l’atteignons réellement dans sa propre existence, sans pourtant la comprendre. Cela nous fait bien saisir l’intention de Dieu Se révélant à nous. En Se révélant à nous, Dieu ne veut pas nous donner un ensei­ gnement philosophique, ni un enseignement scientifique ; Il veut nous éduquer et nous enseigner à un niveau beaucoup plus profond, car II veut changer notre cœur et notre intelligence pour les tourner vers Lui en Son mystère d’Amour. Il veut nous introduire dans Son intimité et, par là, Il nous révèle à nous-mêmes ce que nous sommes : images de Dieu, créés à Sa ressemblance, mais pécheurs par notre faiblesse et notre mauvaise volonté, rachetés par Jésus et, en Lui, fils de Dieu, enfants du Père. Dans cette éducation aimante que Dieu nous donne, il y a un véritable enseignement sur le mystère du Dieu-Créateur, Dieu unique, et sur le mystère du Dieu Père, Fils et Esprit, sur le mystère du Verbe « devenu chair », sur le mystère du Pain de vie, sur le mystère même de la Parole de Dieu, sur l’homme, sur le pécheur, (6) Nous ne considérons ici que les rapports de l’intelligence et de la foi. Mais Dieu peut surélever l’intelligence humaine autrement que pal­ la foi : II peut la surélever par une connaissance prophétique. Saint Thomas distingue nettement deux manières dont « la révélation de la grâce vient au secours de la connaissance humaine » : la lumière gratuite de la foi qui vient surélever la lumière naturelle de l’intelligence ; et le fait que « soient formés divinement, dans l’imagination de l’homme, des images exprimant les réalités divines plus que les images que nous recevons naturellement des [réalités] sensibles, comme cela apparaît dans les visions prophétiques» (Summa, I, q. 12, a. 13, c.). La connaissance prophétique parfaite implique donc que l’intelligence humaine soit élevée au-dessus de sa nature de deux manières : du côté du jugement, elle reçoit une nouvelle « lumière intellectuelle » ; du côté de la représentation des réalités, elle reçoit « divinement la représentation de certaines réalités par des simili­ tudes imaginaires (...) ou même par des similitudes corporelles » (Summa II-II, q. 173, a. 2, c.). Il y a évidemment un ordre entre ces deux manières dont Dieu transforme l’intelligence du prophète ; la principale est la sur­ élévation du jugement. N’est véritablement prophète que celui dont l’esprit est illuminé afin de pouvoir juger ce qui est « vu » imaginairement par lui-même ou par d’autres (cf. II-II, loi:. cit.). - Notons que le prophète, grâce à la représentation nouvelle de certaines réalités, peut, lui, avoir de nouvelles images et de nouveaux mots. Saint Thomas affirme qu’il peut avoir des species de novo impressae vel aliter ordinatae (II-II, loe. cit.). 8 sur l’univers... Le croyant peut réfléchir sur cet enseignement et s’en imprégner ; il peut comparer les livres de l’Ecriture qui parlent de tel ou tel mystère ; il peut, en comparant ces diverses affirmations, parvenir à mieux les comprendre. Il y a là une première réflexion sur· la Parole de Dieu ; ce n’est plus la pure et simple adhésion de foi, mais une certaine réflexion au service d’une foi plus lucide, plus pénétrante, plus capable de se communiquer et d’instruire les autres. Jusqu’où peut aller cette réflexion au service de la foi ? Connaît- elle des limites ? Pour le croyant, puisque c'est le même Dieu qui a créé l’intelli­ gence de l’homme et qui lui a communiqué le don de la foi, qui a créé l’univers et qui a parlé par les prophètes, il ne peut y avoir d’opposi­ tion entre l’intelligence et la foi (7), si du moins il s’agit de l’intel­ ligence qui recherche la vérité — ce pour· quoi elle est faite. L’intelligence, en effet, n’est parfaitement elle-même que lorsqu’elle cherche la vérité ; mais évidemment, il y a de nombreuses modalités dans cette recherche. A cela, le croyant peut objecter qu’il en était ainsi avant le péché, mais qu’après la faute ce’a est devenu impossible, car la créature pécheresse ne peut plus, par elle-même, rien faire de bon : son cœur et son intelligence n’accomplissent plus que des œuvres perverses (8). S’il en est ainsi, on ne peut plus allier l’œuvre de l’intelligence humaine — de la raison — et la pureté de la foi : ce serait téméraire, ce serait oublier que la foi seule justifie, et que les œuvres ne servent à rien. Dans une telle perspective, la théologie est condamnable, toute réflexion théologique est suspecte, et même, puis­ qu’elle devient l’œuvre de l’orgueil, elle est satanique. Cette position n’est pas celle de l’Eglise catholique. Celle-ci affirme que si le péché a affaibli l’homme et l’a même, d’une certaine manière, mis dans un état de corruption, la nature de l’homme, cependant, demeure à l’image de Dieu et son intelligence demeure capable d’atteindre la vérité (bien que très souvent l’homme, à cause de sa paresse, n’y parvienne pas). Il faut en effet reconnaître que l’intelligence de l’homme, en ce qu’elle a de plus profond, n’a pas été touchée par le péché. On peut donc dire que plus l’intelligence de l’homme atteint quelque chose de fondamental, de « primitif », plus elle est elle-même, et moins elle est touchée par le péché. L’intelli­ gence de l’homme dans sa recherche métaphysique est donc moins (7) Il y a, certes, différence de niveau : d’un côté, il y a l’œuvre du Créateur qui regarde en premier lieu l’esse des réalités créées ; de l’autre, il y a l’œuvre du Dieu-Père qui communique gratuitement Sa lumière à Sa créature spirituelle. (8) Cf. Genèse VI, 5 : « Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée ». 9

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