LA STRUCTURE , DES REVOLUTIONS SCIENTIFIQUES Champs Flammarion LA STRUCTURE DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES Dans la même collection BRUNHES Bernard La dégradation de l'énergie EINSTEIN Albert Comment je vois le monde EINSTEIN Albert Conceptions scientifiques EINSTEIN Albert et INFELD Leopold L'Évolution des idées en physique FRANK Philippe Einstein, sa vie, son œuvre GLEICK James Théorie du Chaos HEISENBERG Werner La Partie et le Tout. Le monde de la physique atomique BROGLIE Louis de La Physique nouvelle et les quanta HAWKING Une brève histoire du temps LOCHAK Georges, DINER Simon, FARGUE Daniel L'Objet quantique PECKER, REEVES, DELSEMME Pour comprendre l'univers PERRIN Jean Les Atomes PLANCK Max Initiation à la physique Autobiographie scientifique THOM René Paraboles et catastrophes Dans la Nouvelle Bibliothèque Scientifique MANDELBROT Benoît Les Objets fractals SELLERI Franco Le Grand Débat de la théorie quantique THOMAS S. KUHN LA STRUCTURE DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES Ouvrage traduit de l'américain par Laure MEYER C eUe traduction correspond à la nouvelle édition augmentée de 1970 et a été revue par l'auteur. FLAMMARION Titre de l'ouvrage original : THE STRUCTURE OF SCIENTIFIC REVOLUTIONS Éditeur original : THE UNIVERSITY OF CHICAGO PRESS, CHICAGO, ILLINOIS, U.S.A. © 1962, 1970 by The University of Chicago. Ali rights reserved. Published 1962. Second Edition, enlarged 1970. © FLAMMARION, 1983 Printed in France ISBN 2-08-081115-0 A JAMES B. CONANT qui a été à l'origine de ce livre Les éditions Flammarion et l'auteur remercient le professeur Claude Savary de l'Université du Québec à' Trois-Rivières pour ses conseils dans la révision de la traduction française. PRÉFACE L'essai qui suit est la première publication complète d'un projet dont l'origine remonte à près de quinze ans. A cette époque, j'avais passé mes examens de physique théorique et j'entrevoyais déjà la fm de mon mémoire. Par un heureux hasard, on me demanda de collaborer à un enseignement universitaire expérimen tal de physique pour des non-scientifiques. Ce fut mon premier contact avec l'histoire des sciences. A ma grande surprise, ce contact avec des théories et des pratiques scientifiques dépassées mina en profondeur certaines de mes conceptions fondamentales sur la nature de la science et les raisons de son succès particulier. Ces conceptions, je les avais tirées en partie de ma formation scientifique elle-même, en partie d'un inté rêt ancien et spontané que je portais à la philosophie des sciences. Or, quelles que fussent leur utilité pédagogique et leur plausibilité abstraite, ces notions ne s'adaptaient pas du tout à l'entreprise que révélait l'étude historique. Pourtant elles étaient et sont à la base de nombreuses discussions sur la science; les invraisemblances que je leur découvrais semblaient donc mériter vraiment qu'on s'y attache. Il en résulta un changement total dans mes projets de carrière: je passais de la physique à l'histoire des sciences puis, graduellement, de problèmes purement historiques je revins aux préoccupations plus philosophiques qui -- 8 LA STRUCTURE DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES m'avaient à l'origine conduit à l'histoire. A l'exception de quelques articles, cet essai est le premier, parmi mes œuvres publiées, où ces anciennes préoccupations tiennent la première place. Il constitue parfois une tentative pour expliquer à moi-même et à mes amis comment j'en suis arrivé à passer de la science à son histoire. Une première possibilité de poursuivre en profon deur certaines des idées exposées ci-dessous m'a été fournie par une bourse de trois ans de la Society of Fellows de l'université de Harvard. Sans cette période de liberté, passer à un nouveau domaine d'étude m'aurait été beaucoup plus difficile, peut-être impos sible. Une partie de mon temps durant ces années a été consacrée à l'histoire proprement dite des sciences. J'ai poursuivi en particulier l'étude des œuvres d'Alexandre Koyré et abordé pour la première fois celles d'Emile Meyerson, Hélène Metzger et Anne liese Maier 1. Ce groupe a montré avec une clarté particulière ce que c'était que de penser scientifique ment à une époque où les canons de la pensée scientifique étaient très différents de ceux qui sont courants aujourd'hui. Bien que me paraissent de plus en plus discutables certaines de leurs interprétations historiques particulières, leurs œuvres et le livre de A. O. Lovejoy, the Great chain of being, ont joué un rôle capital, immédiatement après les textes originaux, dans la formation de ma conception de ce que peut être l'histoire des idées scientifiques. J'ai cependant passé beaucoup de temps durant ces années à explorer des domaines apparemment sans liens avec l'histoire des sciences mais où la recherche 1. M'ont particulièrement influencé: les Etudes galiléennes d'Alexandre Koyré (3 vol., Paris, 1939); Emile Meyerson, Identité et réalité, trad. Kate Loewenberg, New York, 1930; Hélène Metzger, les Doctrines chimiques en France du début du XY/T à la fin du XVI/T, Paris, 1923 et Newton, Stahl, Boerhaave et la doctrine chimique, Paris, 1930; Anneliese Maier, Die Vorliiufer Galileis im XIV Jahrhundert (<< Studien zur Naturphilosophie der Spiitscholastik », Rome, 1949). PRÉFACE 9 révèle maintenant des problèmes semblables à ceux que l'histoire me proposait. Une note explicative rencontrée par hasard me fit connaître les expériences de Jean Piaget explorant les différents univers de l'enfant qui grandit et le processus de transition qui permet de passer de l'un à l'autre 2. L'un de mes collègues me fit lire les articles de psychologie de la perception, en particulier ceux des psychologues ges taltistes; un autre m'initia aux spéculations de B. L. Whorf à propos des effets du langage sur notre conception du monde. W. V. O. Quine me fit apprécier les énigmes philosophiques que pose la distinction entre l'analytique et le synthétique 3. Sans ce genre d'exploration au hasard que permet la Society of Fellows je n'aurais jamais rencontré la monographie presque inconnue de Ludwig Fleck, Entstehung und Entwicklung einer wissenschaftlichen Tatsache (Bâle, 1935), essai qui anticipait nombre de mes idées. Le travail de Fleck, et aussi une remarque d'un autre boursier, Francis X. Sutton, m'ont fait comprendre que ces idées demanderaient peut-être à être ratta chées à la sociologie de la communauté scientifique. Les lecteurs ne trouveront ci-dessous que peu de références à ces travaux et à ces conversations, mais je leur suis redevable à plus d'égards qu'il ne m'est possible actuellement d'analyser ou d'évaluer. Durant ma dernière année de bourse, je fus invité à faire des conférences pour l'Institut Lowell de Boston, première occasion pour moi de mettre à l'épreuve ma conception des sciences, encore en formation, dans 2. Du fait qu'ils exposent des concepts et des processus qui se dégagent directement de l'histoire des sciences, deux domaines dans les recherches de Piaget se sont révélés particulièrement impor tants : la Causalité physique chez l'enfant, Paris, 1927, et les N orions de mouvement et de vitesse chez l'enfant, Paris, 1946. 3. Les articles de Whorf ont été réunis par John B. Caroll dans Language, thought and reality - selected writings of Benjamin Lee Whorf (New York, 1956). Quine a présenté ses vues dans « Two Dogmas of Empiricism » ; réimprimé dans son livre From a Logical Point ofView (Cambridge, Mass., 1953), pp. 20-46.