La résolution de problèmes en français scriptural : un outil pour enseigner/apprendre Kristine Balslev, Véronique Claret-Girard, Katia Mazurczak, Madelon Saada-Robert, Carole Veuthey Cette contribution vise essentiellement à répondre à deux questions : la résolution de problèmes constitue-t- elle un outil pertinent pour l’enseignement et l’apprentissage du français scriptural? De surcroît, offre-t-elle un cadre d’analyse pour comprendre les pratiques enseignantes, les siennes propres en tant qu’enseignant ou celles de l’enseignement analysées par le chercheur? Cet article analyse comment des apprenants d’âges très divers, dans des dispositifs différents, résolvent des problèmes de lecture, d’écriture et d’orthographe, avec l’aide plus ou moins directe de leur enseignant. Mots-clés : résolution de problèmes, enseignement, apprentissage, lecture, écriture, orthographe. LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES : de problèmes dépasse le cadre des mathématiques, QUELQUES DÉFINITIONS POUR LA DIDACTIQUE comme l’ont déjà mentionné pour le français plusieurs DU FRANÇAIS SCRIPTURAL auteurs (Angoujard, 1994; Brassard, 1995; Rilliard & Sandon, 1994), sans pour autant que ces travaux aient L’objectif de cette contribution est de défendre la donné lieu à une démonstration systématique. En pertinence du concept de résolution de problèmes en second lieu, il s’agira d’exemples qui concernent les français scriptural (1), par l’analyse d’exemples choi- jeunes enfants dès quatre ans, avant et juste au début sis selon deux logiques. En premier lieu, les exemples de la scolarité obligatoire, et des adultes dont la sco- portent essentiellement sur la lecture, l’écriture, l’or- larité n’a pas permis de venir à bout des difficultés du thographe et la syntaxe, donc sur le versant le plus français écrit. Les compétences en résolution de pro- «instrumental» de l’acquisition du français – par dis- blèmes déjà acquises avant l’apprentissage scolaire tinction des aspects textuels discursifs qui caractéri- formel seront ainsi mises en évidence, tout comme la sent les différentes organisations propres aux genres résolution de problèmes syntaxiques chez l’apprenant de texte –, discipline elle-même considérée à première adulte. Nous montrerons par là que ces compétences vue comme fort éloignée de la résolution de pro- peuvent être à l’œuvre chez tout apprenant et non pas blèmes. Nous montrerons par là (2) que la résolution exclusivement chez l’expert. Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005, 59-72 59 Avant l’analyse des contenus d’enseignement an- Poirier Proulx (1999) souligne la diversité des chemi- noncée ci-dessus, il s’agit tout d’abord de cadrer nements menant à la solution. La résolution de pro- ce que nous entendons ici par «résolution de pro- blèmes y est en effet caractérisée par trois éléments, blèmes»d’un côté, et par «situation-problème com- dont le dernier porte précisément sur cette diversité: plexe» de l’autre, puisque cette dernière caractérise 1) l’existence d’un écart entre une situation présente la mise en œuvre des premières, dans leur dimension jugée insatisfaisante et un but à atteindre; 2) une didactique. absence d’évidence du cheminement menant à la réduction de l’écart, exigeant […] une démarche Cherchant à contextualiser les structures de la cognitive active d’élaboration et de vérification d’hy- connaissance telles que le constructivisme génétique pothèses sur la nature de l’écart et sur les moyens les a étudiées, le courant post-piagétien genevois des possibles pour le réduire; 3) le caractère subjectif années 1970 en est venu à se centrer sur le fonction- relié à la résolution de problèmes : en effet, une nement situéde ces structures, lors de leur actualisa- même situation fera problème à une personne qui tion en situation et de leur transformation – recons- devra comprendre la tâche à accomplir et élaborer une stratégie de résolution, alors que pour une autre truction, conséquente aux connaissances nouvellement il s’agira simplement d’exécuter une procédure. formées dans la situation (Inhelder et al., 1976; Inhel- (Poirier Proulx, 1999; 27-28) der & Cellérier, 1992). Étudier le cheminement situé des connaissances, leur transformation en cours de Dans la perspective didactique, la définition adop- situation, a nécessité de privilégier les situations de tée jusqu’ici est appelée à être élargie. D’une part, la résolution de problèmes, seules à même de faire distance entre l’état initial et l’état final constitue jus- apparaître la distance entre les connaissances pré- tement, sous l’angle didactique, une condition-clé de sentes, potentiellement «utiles», et les procédures l’apprentissage : il s’agit de répondre à une énigme, pour agir, et donc la re-construction nécessaire pour un défi, un enjeu, de dépasser un obstacle, d’être passer des unes aux autres. Ainsi, même dans le cas confronté à un saut épistémologique (Astolfi, 1993, où des connaissances antérieurement acquises suffi- 1997; Vergnaud, 2002). D’autre part, la résolution de raient à trouver rapidement une solution à un pro- problèmes doit nécessairement s’élargir à la dyna- blème, elles passent par une contextualisation qui mique du système didactique [objet de savoir – revient à les transformer, donc à introduire des élé- apprenants – enseignant]. La résolution n’est alors ments nouveaux non présents au départ. Dans les plus affaire du seul apprenant (elle le reste néanmoins autres cas, ceux où les connaissances sont d’emblée dans les deux phases d’activation des connaissances reconnues comme insuffisantes pour résoudre un pertinentes, antérieurement acquises, et d’intériorisa- problème – ce qu’on peut attendre pour qu’il y ait tion-conservation des connaissances nouvelles). Elle apprentissage –, la nouveauté se construit dans la devient résolution conjointe, culturellement instituée, situation même, à travers l’élaboration des procé- dans laquelle les savoirs sont reconstruits par les par- dures d’actions adéquates. tenaires, enseignant (3) et apprenants. Nous propo- sons donc de concevoir la résolution scolaire de La résolution d’un problème est classiquement problèmes en tant que construction partenariale définie comme la transformation d’un état initial, un (apprenants-enseignant) et progressive d’un contenu problème, en un état final, une solution. Entre ces de savoir transposé en situation, construction finali- deux états, plusieurs opérations définissent le dérou- sée par un problème à résoudre qui met en jeu à la lement de la résolution du problème, opérations qui fois (Saada-Robert & Balslev, 2004) les connais- interviennent chaque fois qu’une/des personne/s se sances disponibles des élèves, les connaissances en trouve/nt en situation de non-réponse immédiateface train de s’élaborer à travers le sens que les parte- à une question nouvelle (Barouillet & Fayol, 1995; naires construisent à propos du savoir (Rastier, Joannert, 1999). Résoudre un problème revient donc 2000), et les connaissances nouvelles que les élèves à mobiliser plusieurs opérations : identifier le pro- vont en tirer. blème, comprendre/se représenter ses enjeux et son but, les investir, activer les connaissances déjà dis- En conséquence d’une telle définition, les situations ponibles et pertinentes, les organiser au moyen des scolaires les plus porteuses d’apprentissage tel qu’il stratégies adéquates –planification, contrôle, évalua- se déroule à travers la résolution de problèmes, sont tion –, construire une procédure de résolution en la les situations-problèmes. Elles font appel, chez l’ap- spécifiant dans l’action, la gérer en situation c’est-à- prenant, à un réseau de composantes cognitives dire en contrôler et en évaluer le déroulement, aboutir connexes, et présentent les composantes du savoir en à la solution, enfin la communiquer et la co-valider. réseau, alors que les activités spécifiques (activités 60 Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005 différées et/ou exercices décrochés selon la distinc- «tâche réalisée» selon Goigoux (2001). Les situa- tion de Ducancel, 1988) mettent en jeu les compo- tions-problèmes présentées ici sont essentiellement santes prises volontairement une à une, isolément. analysées selon le deuxième axe, celui du fonctionne- C’est là un des apports majeurs de la situation-pro- ment en situation des composantes du savoir. blème, celle de présenter les composantes en réseau Le premier exemple présenté ci-dessous décrit une et en lien de significations fonctionnelles, alors que situation-problème complexe en lecture et analyse dans de nombreuses situations proposées aux appre- les stratégies d’un apprenant de 4 ans qui «lit» une nants, ces liens sont laissés à la charge entière de histoire à un enfant plus âgé. Le second analyse la l’élève. La notion de holon (Brassard, 1995; Pinon, résolution d’un problème d’écriture d’un commen- 1980, cité par Brassard) recouvre la même exigence: taire à un dessin, effectuée par un apprenant de 5 ans «Un holon est une activité réduite [dans le sens d’un avec l’aide de son enseignante. La production écrite modèle réduit] […]. Mais, à la différence des dé- autonome avec le recours au dictionnaire constitue le compositions analytiques des tâches en phases ou problème qu’une apprenante de 7 ans va résoudre gestes techniques auxquels on entraîne spécifique- dans le troisième exemple. Le quatrième porte sur la ment l’apprenant (avec ensuite de possibles diffi- cultés de “synthèse” et d’enchaînement de ces résolution d’un problème syntaxique par un adulte micro-actes “sémantiquement” pauvres), il garde avec une formatrice. les caractéristiques de la tâche-but [apprendre à lire/écrire], en particulier sa fonctionnalité et sa complexité». (Brassard, 1995; 116-117) Pour cette raison, et parce qu’elles permettent de LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES EN LECTURE mobiliser des stratégies (4) diverses de résolution, ce INTERACTIVE DE LIVRES IMAGÉS sont des situations-problèmes complexes (5), par dis- tinction d’avec des activités-problèmes qui, plus res- Cet exemple présente la manière dont l’ensei- treintes, ne concernent qu’une seule composante de gnante, au travers d’un dispositif didactique choisi, savoir, ou des activités-exercices consistant à systé- amène des apprenants de 4 ans à se poser les ques- matiser cette dernière (6). De plus, elles revêtent une tions pertinentes pour aborder l’apprentissage de la fonction bien particulière : alors que les activités- lecture et, au préalable, la familiarisation avec le exercices ont pour fonction de systématiser, de monde de l’écrit. La situation didactique durant consolider et d’automatiser les mêmes composantes laquelle les enfants sont guidés dans leur approche de du savoir, les situations-problèmes permettent à l’ap- la lecture est présentée, de même que les stratégies prenant de découvrir, de prendre conscience, de tra- de résolution qu’ils élaborent. Dans la situation de lec- vailler, de rendre signifiantes les composantes du ture émergente (Saada-Robert et al., 2003), des stra- savoir et leurs relations, et ainsi de les construire. tégies de lecture ont été repérées, comme raconter l’histoire et reconstituer son organisation sémantique, Ci-après, nous nous intéressons au fonctionnement s’appuyer sur des indices tirés des images, sur le de situations-problèmes en enseignement/ apprentis- texte mémorisé, sur des indices linguistiques (déco- sage du français scriptural (la lecture, l’écriture, l’or- der), etc. L’objectif poursuivi ici est de montrer préci- thographe phono- et morphographique, et finalement sément les questions que des enfants peuvent se la syntaxe interphrastique), plus particulièrement aux poser ainsi que les outils utilisés pour dépasser leurs procédures et stratégies mises en œuvre par les conflits quant aux choix des stratégies à activer. apprenants pour les résoudre. Analyser une situation- problème (Saada-Robert & Mazurczak, 2001) suppose de distinguer d’une part l’analyse a priori des compo- Déroulement de la situation-problème santes du savoir qu’elle va permettre de mettre en scène, (c’est l’analyse du «milieu de problème», Avec le support d’un livre imagé, les enfants sont selon Newell & Simon (1972), ou celle de la «tâche amenés avec l’aide de l’enseignant à faire des hypo- prescrite»selon Goigoux (2001)), et d’autre part l’ana- thèses sur le sens et les propriétés de l’écrit, en pas- lyse de leur fonctionnement en situation, c’est-à-dire sant en revue chaque page du livre. L’enseignant la manière dont les composantes potentiellement amène les enfants à comparer leur version anticipée contenues dans la situation, vont progresser à travers de l’histoire à celle écrite par l’auteur, en la lisant au les échanges entre les partenaires, enseignant et fur et à mesure avant de la lire en entier. Des activités apprenants (c’est l’analyse de «l’espace du pro- autour du texte sont ensuite proposées pour per- blème» selon Newell & Simon (1972) ou celle de la mettre son appropriation, et lors d’une autre séance, La résolution de problèmes en français scriptural: un outil pour enseigner/apprendre 61 chaque enfant «lit», raconte l’histoire à un camarade découvre et construit les propriétés de la structure plus âgé qui ne la connaît pas encore, en utilisant le narrative ainsi que certains aspects syntaxiques et support du livre. Ainsi, son rôle de lecteur est pleine- orthographiques de l’écrit. La correspondance pho- ment investi, par la présence et parfois l’aide de nographique est l’un des problèmes majeurs qu’il doit l’élève plus âgé. résoudre, mais ne constitue pas, à 4 ans, l’objectif central de l’enseignement. Dans cette situation de lecture émergente (Saada- Robert et al., 2003) l’enfant est amené à résoudre divers sous-problèmes qui lui permettent de prendre La résolution de Tom, 4 ans conscience des propriétés de l’écrit, tant scripturales que textuelles, et de sa fonction, différente de celle L’exemple choisi est celui de Tom (7), 4 ans, qui de l’image. Il réalise progressivement que l’écrit «lit» une histoire de «Léo et Popi»à Alex, 5 ans. Les passe par un système de signes graphiques porteurs énoncés dont sont tirées les analyses se déroulent au d’une dimension sémantique et communicative. Il début de l’interaction. 1. Tom: (tourne la page de couverture, tourne la page de garde, arrive à la p. 1, pointe la 1religne, et la balaye rapidement des yeux, puis pointe la maman sur l’image) Il discute avec la maman Texte du livre: 2. Tom: (pointe le texte presque simultanément, avec la main gauche) Léo (pointe Léodans la «Léo et Popi chez le 1religne), co / nnaît (suit du doigt) … le (pointe bien) docteur (pointe le) … le (revient à docteur», p. 1): leavec son doigt) … docteur (pointe docteur) … Le do… cteur… (suit plus lentement Léo connaît bien le avec son doigt) …, il (pointe la virgule de la fin de la 1religne) docteur, il n’a pas 3. Alex: N’a… (Alex essaie de lire en même temps que Tom) … pas… peur. Il s’installe tout 4. Tom: Il (pointe il) n’a… de suite sur le drôle de lit, comme Popi. 5. Alex: Non c’est faux tu vas là! (pointe la 3eligne) 6. Tom: Peur (pointe n’a, puis pas) … (tout en pointant) … passs… (lève la tête, regarde l’image) Il (pointe Il) … S(nom de la lettre), |s| (son) … sonne … 7. Alex: Tu peux regarder le dessin, c’est pas grave si on n’arrive pas à lire… c’est pas ça qu’on doit faire… 8. Tom: (il a perdu le fil…) On doit dire ou lire? 9. Alex: Quoi? Texte du livre p. 2: 10. Tom: Soit on doit dire soit on doit lire… (tourne la page, p. 2, pointe l’image avec la main Le docteur a un long droite, sur la main du docteur. Pointe le texte avec la main gauche, presque en simul- tuyau qu’il promène sur tané, 1ermot, 1religne) Il l’ausculte Léo. Brr… Brr… Ça fait froid sur son dos! 11. Tom: (regarde l’image, enlève sa main gauche du texte) Le docteur… (suit du doigt) ausc… 12. Alex: A… 13. Tom: (oscillations du regard entre image et texte) A… (pointe un) … (Tom a perdu le fil de l’histoire) 14. Alex: Un… 15. Tom: Stéthoscope… et il ausculte Léo 16. Alex: Ça veut dire quoi l’ausculte? 17. Tom: Ça veut dire avec ça (pointe le stéthoscope dans l’image) il va sur le dos… (revient sur le texte, 1religne, 1ermot, pointe) Le doc… 18. Alex: On a déjà dit ça… 19. Tom: (pointe la 4e ligne : ça fait froid sur son dos; suit du doigt la 1re, la 2e puis la 3eligne et dit: ) Brrrr. 20. Alex: Bra… vo 21. Tom: Bravo, bravo (il suit du doigt les deux mots Brr… Brr…) 22. Alex: Ce…ça… (4eligne) 23. Tom: Non a… 24. Alex: Non ça, (pointe le ç) ça, ça fait |s|… le C(nom), il a un crochet… 25. Tom: Ça … ffff… 26. Alex: Fa… |i| |t|… (Ils rient tous les deux) 27. Tom: Qu’est ce que ça veut dire: |fa|i|t|? (pointe la suite) … for… 28. Alex: Fro… |i| |d|, de 29. Tom: Qu’est ce que ça veut dire? (Tom rit) 30. Alex: J’sais pas!, (pointe sur) Là c’est facile! 31. Tom: … 32. Alex: Saute… son… doss… dos… saute son dos… 33. Tom: Oh… saute son dos! (Tom rit); (Tom tourne la page, p. 3) 62 Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005 Pour «lire» le livre à Alex, Tom commence par texte est finalement perdu, et la suite des phonèmes raconter l’histoire, tout en s’appuyant sur une straté- émis par les deux enfants (26, 27, 28, 29) entraînent gie d’énonciation narrative (1 et 2). Il tente donc de se les rires de la surprise. rappeler l’histoire qu’il a mémorisée au cours des En résumé, Tom a compris les enjeux et le but du activités qui se sont déroulées antérieurement autour problème à résoudre, il les a investis et tente de du texte, comme la remise en ordre des images de construire une procédure de résolution pour aboutir à l’histoire. Cette activation des connaissances se fait une solution. Cependant, il oscille entre deux stratégies également sur la base des images. Cependant, en fondamentales, celle de la narration et celle du déco- même temps qu’il raconte l’histoire, il pointe le texte dage, qui ne lui permettent ni l’une ni l’autre de (2, 6), mettant ainsi en évidence son intérêt pour résoudre le problème de lire l’histoire à Alex, ni de coor- l’identification des mots et l’activation conjointe de donner ses propres ressources cognitives, i. e. l’appui ses nouvelles connaissances concernant le déco- sur les images, le rappel mnésique de l’histoire et dage. Pour lui, la résolution du problème se résume l’identification lexicale. Tom –apparemment– se repré- donc à deux opérations «soit dire (raconter) soit lire sente la lecture comme une activité de décodage. Un (transcoder les signes graphiques en sons)». Alex qui des sous-problèmes a donc été résolu, qui correspond essaie également de lire, conforte Tom à s’intéresser à l’objectif visé par la situation, même si la procédure toujours davantage au texte plutôt qu’à l’image. Son de résolution optimale suppose de pouvoir coordonner pointage le met d’ailleurs en évidence. l’identification des mots, la récupération de leur sens lexical et le maintient du fil sémantique de la narration. La stratégie de Tom va donc progressivement évo- Dans sa résolution, Tom a tiré parti des propositions luer : si, pour commencer, il raconte l’histoire (ceci d’Alex, qui, tout en adhérant aux stratégies proposées étant suffisant pour répondre à la tâche), il active par Tom, a fonctionné comme un «coach»attentif. En ensuite la stratégie du décodage. Tom se construit bref, l’exemple analysé ici permet de constater qu’à cet ainsi une nouvelle représentation mentale de la réso- âge les enfants se trouvent déjà confrontés à des pro- lution (lire c’est décoder). Son but est alors celui de blèmes qu’ils peuvent résoudre avec les moyens qu’ils décoder mais cet essai d’identification des mots ont et que l’enseignant leur propose. aboutit à un échec – ce qu’Alex constate par ailleurs (7) – Tom marque un temps d’arrêt réflexif, peut-être Une situation pour découvrir et construire, lié à une incertitude quant à l’activité demandée «dire d’autres activités spécifiques pour consolider ou lire» (8). Une re-centration sur le but et le contrat et systématiser sous-jacent à la situation-problème est effectivement nécessaire pour qu’il puisse continuer dans sa résolu- Cette situation de lecture émergente constitue une tion, avec l’aide d’Alex qui lui permet de clarifier le situation-problème dite complexe (Allal et al., 2001) en problème. Finalement, Tom va re-identifier la résolu- raison du réseau de composantes qu’elle met en jeu. tion comme celui de «dire». Il revient donc à sa stra- Si elle favorise les apprentissages grâce à l’implication tégie initiale: une compréhension narrative basée sur de l’enfant, à ses découvertes, à la construction du l’image et un rappel mnésique de l’histoire (10, 11, savoir par la coordination des composantes, elle n’est 13, 15). Cependant, Alex va à nouveau tenter d’identi- pas la seule à être pratiquée. Des activités dites spéci- fier les mots, et par là recentrer Tom sur sa seconde fiques sont également proposées pour approfondir, stratégie, celle du décodage (12, 14). Alex l’amène consolider ou systématiser les apprentissages. Ces également à s’interroger sur la définition lexicale du dernières ne suivent pas forcément un ordre temporel mot «ausculter» (16), absent du texte écrit. Il prend et peuvent se faire individuellement, en groupe, en le rôle de l’enseignant questionnant ses élèves et vali- duos ou encore collectivement, soit sur incitation des dant ou non leurs réponses. Tom doit résoudre le élèves posant des questions, soit sur décision de l’en- sous-problème posé par son camarade (15, 17) et seignant dans un but de différenciation. cette recherche du sens va redéfinir la voie de résolu- tion, car les deux enfants vont se retrouver face à un Dans le cas précis de Tom et après l’avoir entendu nouveau sous-problème : comment faire du sens, «lire»le livre, l’enseignant peut lui proposer des acti- tout en décodant? À partir de l’interaction 19, Tom vités ciblées qui vont l’aider à dépasser le conflit finit par tenter d’identifier les mots en utilisant une entre décoder et faire du sens. Par un travail de seg- stratégie de correspondance phonographique, qui mentation lexicale à l’oral notamment, il lui donnera aboutit à des aberrations de sens, l’unité lexicale l’occasion de faire le lien entre construire du sens et n’étant plus récupérée dans sa globalité. Le sens du décoder, par exemple. La résolution de problèmes en français scriptural: un outil pour enseigner/apprendre 63 LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES EN scolaire (Auvergne et al., 2003; Rieben & Saada- LECTURE/ÉCRITURE «AVANT LA LETTRE» (8) Robert, 1997). L’enseignant présente le projet et, par un questionnement approprié, discute avec les élèves pour les aider à se représenter le déroulement de l’ac- Il s’agit ici d’une activité de production écrite qui tivité, la forme finale du travail (but et destinataire) et s’adresse à des enfants de 5-6 ans. Le problème les raisons de l’entreprendre. Puis les enfants éla- posé à l’enfant consiste à écrire un commentaire borent collectivement un texte à partir d’un livre correspondant à un dessin déjà produit. Pour le d’images, d’un événement vécu collectivement, etc. résoudre, il utilise un Texte de référence élaboré L’énonciation, mise au point oralement, est ensuite préalablement par la classe, texte dans lequel il va écrite par l’adulte sous dictée. Après une relecture rechercher et copier les mots dont il a besoin pour interactive de l’ensemble du texte, chaque enfant écrire. Comme dans l’exemple précédent, cette situa- choisit un épisode et le dessine. Il planifie oralement tion d’enseignement/apprentissage, dite complexe, un projet d’écriture (commentaire au dessin) puis met met en jeu plusieurs composantes du savoir, aussi son projet en texte, déterminant le mot qu’il va écrire bien scripturales que textuelles, et suppose des voies en premier et allant le chercher dans le texte de réfé- de résolution diverses. rence. Lorsqu’il a trouvé le mot dont il a besoin, il le Dans un premier temps, l’enfant va s’approprier le copie. En cours de production, il est amené à relire problème, c’est-à-dire comprendre ce qu’on attend fréquemment sa production, voire à la modifier, sous de lui et saisir le but visé dans cette activité. Puis il va le guidage de l’adulte. À la fin de la séquence, les tra- traiter le problème, c’est-à-dire mettre en jeu des vaux des élèves sont mis en valeur sous différentes stratégies de recherche et de copie de mots, et pour formes: livres, portfolio, etc. chaque mot que l’enfant va chercher et copier, un certain nombre de sous-problèmes vont surgir, qu’il La résolution de Léo, 5 ans, en interaction avec va devoir résoudre en activant les connaissances déjà l’enseignante, E. acquises, en se confrontant à de nouvelles connais- sances et en les organisant en stratégies, puis en L’extrait de protocole choisi pour illustrer puis ana- actions contrôlées. lyser la résolution de problèmes en production écrite est celui d’un élève de deuxième année du cycle élé- Déroulement de la situation-problème mentaire. Léo a dessiné un épisode de l’histoire et souhaite écrire le commentaire suivant : La dent de La situation se déroule en une séquence de six Marie-Laure est tombée, en cherchant les mots dans phases, reprises trois à cinq fois au cours de l’année le Texte de référence (TR). (Léo ne se souvient plus de ce qu’il veut écrire) 1. E: C’est: La dent de Marie-Laure est tombée (9),tu te rappelles? 2. Léo: (Léo répète la phrase) 3. E: Qu’est-ce que tu vas écrire en premier? 4. Léo: La dent 5. E: Oui, qu’est-ce que tu dois écrire en tout premier? 6. Léo: La 7. E: Comment tu vas l’écrire? 8. Léo: Je sais comment l’écrire Il écrit la(Léo regarde le TR et regarde ce qu’il a écrit) 9. Léo: dent (Il lit dans le TR) (Il regarde le TR page 1) et écrit dentest (le sest écrit en miroir) 10. Léo: J’aimerais une gomme (Il efface tet écrit t) 11. (Léo regarde le TR pour trouver la suite) 12. E: Qu’est-ce que tu veux écrire? 13. (Léo ne répond pas) 14. E: Qu’est-ce que tu as écrit? 15. Léo: La dent est tombée. (Il suit avec le doigt et montre le t du mot tombée) 64 Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005 16. E: Comment t’as trouvé? 17. Léo: En lisant le titre 18. E: Je croyais que tu voulais écrire: La dent de Marie-Laure. Qu’est-ce que tu dois effa- cer? 19. (Léo efface la dent) 20. E: Qu’est-ce que tu effaces? 21. Léo: La dent 22. (Léo efface tout ce qu’il a écrit) 23. E: La dent, tu ne dois pas garder? 24. (Léo écrit la dentsur ce qu’il a effacé) 25. Léo: Je sais l’écrire (…) 59. Léo: Je sais pas écrire /tom/ 60. E: Quoi? 61. Léo: Tombée 62. E: Vas le chercher! 63. (Léo va devant le TR, regarde la page 2, puis la page 3. Il y a beaucoup d’enfants devant la page 1) (Il écrit son prénom et regarde la feuille d’une camarade) 64. Léo: Il dit: tombée 65. (Jan qui se trouve aussi devant le texte montre à Léo le titre et pointe le mot: tombée avec le doigt) 66. Léo: J’ai trouvé (Il écrit tombée) cales (à l’oral), d’aller chercher le premier mot, de le copier sur sa feuille, et de faire de même pour les autres mots tout en conservant son projet. Notons que le problème de la segmentation se pose égale- ment au moment de la copie des mots, problème non encore résolu comme l’atteste sa production. Lorsque Léo répond qu’il doit écrire la dent (deux mots), l’enseignante répète sa question pour l’amener à segmenter et à focaliser sa recherche sur le premier Figure 1. – La production de Léo, 5 ans mot: la (5). Le problème suivant pour Léo (en fait, un sous-pro- blème, inclus dans celui de l’écriture du commentaire) Les problèmes que Léo doit résoudre est de savoir quelle stratégie mettre en œuvre pour écrire le mot la. La question de l’enseignante «Com- Tout d’abord, Léo identifie bien le problème à ment vas-tu l’écrire?» (7) oriente la résolution vers résoudre : écrire un commentaire à son dessin. Léo une recherche qui fait appel à ses propres connais- souhaite écrire : La dent de Marie-Laure est tombée. sances, car elle sait que le mot la fait partie du voca- Mais au moment de commencer sa production, son bulaire familier de cet enfant et qu’il est capable de projet est oublié et l’enseignante intervient pour l’ai- l’écrire sans faire appel à une source de référence. der à le récupérer. Elle le lui rappelle, le lui fait répéter pour l’aider à l’intégrer et lui demande ce qu’il va Léo doit maintenant écrire le mot dent. Il doit faire écrire en premier (3). Il s’agit d’aider l’enfant à démar- un choix dans les différentes stratégies de recherche rer sa production en le centrant sur les opérations possibles (se baser sur l’aspect global du mot, locali- essentielles de la résolution. Pour résoudre ce pro- ser le mot en fonction du sens de l’histoire et de sa blème, l’enfant doit être capable de conserver en structure, faire appel à ses connaissances liées au mémoire son projet, de le segmenter en unités lexi- code alphabétique). Le mot dent se trouve dans le La résolution de problèmes en français scriptural: un outil pour enseigner/apprendre 65 titre du texte de référence, ce qui facilite sa localisa- d’écriture de l’élève et/ou son cheminement person- tion; c’est pourquoi Léo utilise cette stratégie plutôt nel dans la construction et l’activation des stratégies, qu’une autre. Il se dirige vers la première page du l’ensemble des composantes de la lecture/écriture ne texte et veut copier le titre : La dent est tombée. peuvent pas être touchées, et certaines méritent un Il écrit : [dentest] (9). Lorsque l’enseignante lui approfondissement dans des situations plus ciblées. demande de vérifier ce qu’il a écrit, Léo se retrouve Comme on peut le voir dans l’extrait du protocole par confronté à un nouveau sous-problème. Il essaie de exemple, Léo n’a pas utilisé de stratégies liées au lire et montre un mot écrit pour chaque mot oral, mais code alphabétique. Un travail plus spécifique sur les comme il n’a pas segmenté en copiant, il échoue (15). correspondances phonème/graphème et plus parti- Puis, ayant copié le titre «à l’aveugle» (c’est-à-dire culièrement sur le premier phonème pourrait être en ayant copié le titre tel quel), apparaît un nouveau entrepris avec Léo. De même, la segmentation lexi- sous-problème : intercaler les mots de Marie-Laure cale à l’écrit ne constitue pas encore une stratégie entre dentet est. L’enseignante lui rappelle son projet systématique et peut donc être consolidée dans des d’écriture et lui demande ce qu’il doit effacer (18). Il activités spécifiques. efface alors tout ce qu’il a déjà écrit, sans se rendre compte qu’il aurait suffit d’effacer les deux derniers LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES mots (22). Il recommence depuis le début et écrit la EN PRODUCTION ORTHOGRAPHIQUE dent en disant cette fois qu’il sait l’écrire tout seul. Avec l’aide de l’enseignante, Léo a pu gérer le pro- Ce troisième exemple traite de la manière par blème qui a surgi en cours de résolution. Lorsqu’il laquelle une apprenante de 7 ans construit et intègre veut ensuite écrire tombée, l’enseignante lui suggère des connaissances orthographiques en situation de d’aller chercher ce mot dans le texte (62) sachant Production textuelle, pour résoudre le problème qu’il se trouve dans le titre et que Léo a déjà utilisé d’ «écrire un texte correctement et de manière auto- cette stratégie de localisation. L’exemple de Jan qui nome». Le dispositif proposé est basé sur des situa- pointe le mot recherché par Léo montre que l’enfant tions de productions insérées dans différents peut aussi utiliser l’aide de ses camarades pour contextes de communication (écrire pour terminer un résoudre un problème (65-66). D’ailleurs, il arrive par- récit, écrire pour communiquer les règles d’un jeu, fois que plusieurs élèves cherchent le même mot en etc. ), au cours desquelles les apprenants écrivent et même temps. Comme l’enseignante, le pair constitue révisent des textes en vue de leur transmission à un alors une personne-ressource. destinataire interne ou externe à la classe. L’objectif est ici de montrer la manière dont l’élève Plusieurs stratégies de résolution tente de résoudre le sous-problème de la norme orthographique, les stratégies qu’il met en place et Cet exemple montre qu’à travers la situation-pro- les moyens qu’il utilise. S’approprier l’écrit n’est pas blème du Texte de référence, Léo a construit des un simple travail de copie et de mémorisation, mais la stratégies et développé des compétences dans le construction d’un savoir nécessitant de la part de domaine de la lecture/écriture. Pour écrire son l’apprenant, en interaction avec l’enseignant et avec commentaire, il a dû segmenter son projet en unités ses pairs, l’activation de connaissances sur les lexicales. Il a fait appel à différentes sources de réfé- genres de textes, l’organisation des idées, la mise en rence: documents, interactions avec l’adulte ou avec mots, la recherche orthographique, l’écriture propre- les pairs. Il a activé des connaissances, utilisé des ment dite, le contrôle et la révision. stratégies lui permettant d’identifier des mots. Il a été amené à relire plusieurs fois sa production pour véri- fier ses hypothèses et contrôler le déroulement de Déroulement de la situation-problème son action. La situation-problème de Production textuelle est En conclusion, la résolution d’un problème com- composée de séquences d’enseignement élaborées plexe comme celui de l’écriture d’un texte bref à cinq dans le but de favoriser chez l’apprenant la construc- ans est non seulement possible, mais elle provoque tion puis la systématisation des règles orthogra- l’émergence de sous-problèmes touchant des com- phiques de base en les pratiquant en situation tex- posantes essentielles de la lecture/écriture (la seg- tuelle (Allal et al., 2001). Ce faisant, l’utilisation de mentation lexicale, la correspondance phonème/ documents de référence est encouragée. Une graphème, l’organisation textuelle). Selon le projet séquence se compose de deux situations de produc- 66 Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005 tion écrite, dites complexes, dont les objectifs ortho- consulter (liste de mots, dictionnaires, livres, guide graphiques sont choisis au préalable par l’ensei- orthographique, etc.). Cette réflexion aboutit à l’éla- gnant. La première des deux situations permet à boration d’un guide orthographique qui contient, pour l’élève de découvrir (ou de réactiver) les règles ortho- chaque objectif, la règle telle que les élèves l’ont graphiques, alors que la seconde vise plutôt la énoncée, illustrée d’un exemple. La deuxième phase consolidation de ses connaissances. Entre les deux est celle de production, au cours de laquelle les situations, une période est consacrée à des activités élèves font appel aux documents de références et spécifiques de systématisation des règles, à l’aide de aux personnes-ressources, l’objectif étant de les corrections, d’ateliers et de fiches de travail indivi- aider à construire leurs connaissances orthogra- duelles. phiques. Après la production écrite et en fonction des difficultés rencontrées par l’élève, l’enseignant pro- Chacune des deux situations-problèmes complexes pose des activités spécifiques de systématisation de se déroule en deux phases. La première consiste en son apprentissage. une préparation collective de la production. L’ensei- gnant présente la situation aux élèves qui activent leurs connaissances, par exemple sur le genre de La résolution d’Ama, 7 ans texte traité. Les élèves élaborent oralement des idées de contenu, ce qui va leur permettre, lors de la pro- duction, de se centrer sur les aspects orthogra- L’exemple présenté ci-dessous a été choisi durant la phiques de leur texte. Puis l’enseignant introduit les dernière période de l’année scolaire du cycle élémen- objectifs orthographiques ciblés prioritairement, afin taire. Dans cette situation de bilan, l’apprenant pou- de permettre aux élèves d’anticiper la réflexion à vait écrire en utilisant les documents de référence, faire, d’analyser des exemples, de discuter des règles mais sans la possibilité de faire appel à ses pairs ou à à mettre en oeuvre et d’identifier les références à l’enseignant. 1. Ama écrit le titre de son histoire O non(sans chercher l’orthographe des mots) Phrase d’amorce donnée aux élèves: 2. Puis elle écrit il va(également sans chercher) C’est l’histoire d’un 3. Ama cherche le mot pique-niquer dans le «dictionnaire des 1000 mots». Elle ne le trouve facteur qui porte des pas. Elle cherche dans le «dictionnaire du mini-débutant». Elle ne le trouve pas non plus. lettres aux habitants de la campagne. 4. Elle écrit picncé 5. Elle relit son texte depuis le début 6. Ama écrit avaic// son chat 7. Elle cherche le mot noirdans ledictionnaire des 1000 mots, elle le trouve et copie le mot noir 8. Puis elle écrit et 9. En cherchant noirelle a aussi trouvé blancet elle copie le mot blanc. 10. Elle relit son texte depuis le début. Elle corrige avaic, elle écrit avéc 11. Ama écrit Aréfléchit puis rajoute …praie 12. Elle écrit le(sans chercher) Il va picnicé avéc son chat noir et blanc. 13. Elle copie facteur(qui est écrit dans la phrase donnée en haut du texte) Apraie le facteur 14. Elle relit le tout. Elle corrige picncéen rajoutant un i et son chat se ropose 15. Elle écrit et son // chat se ropose (sans chercher). Figure 2. – La production autonome d’Ama, 7 ans La résolution de problèmes en français scriptural: un outil pour enseigner/apprendre 67 Les stratégies de résolution d’Ama Puis elle contrôle sa progression en relisant sa pro- duction (5), et la poursuit en écrivant avaic son chat Comme on le voit, l’exemple concerne la première (6) par activation de ses connaissances. Elle cherche phrase du texte produit par Ama. Elle débute sa pro- le mot noir dans le dictionnaire (7) et le trouve. Elle duction par l’écriture du titre O non (1) en se centrant l’écrit, y ajoute et (8), de mémoire, puis copie le mot avant tout sur une stratégie de mise en correspon- blanc (9) qui se trouvait dans la définition du diction- dance phonographique qui traduit ses connaissances naire. Elle effectue une seconde relecture (10) pour du système orthographique. contrôler sa progression et corrige le son |e| du mot avaic qu’elle remplace par avéc. Ce faisant, elle use La première phrase de l’histoire étant déjà écrite, de la même stratégie phonographique mais la module elle doit imaginer et écrire la suite. Elle poursuit l’his- en constatant que le digramme aiétait plausible dans toire en écrivant il va (2) de manière correcte. Toute- la configuration orthographique de ce mot. Elle pour- fois, elle oublie la majuscule et ne se réfère donc pas à suit (11) en écrivant Apraie sans omettre, cette fois, la règle orthographique écrite dans le guide mention- la majuscule après le point. Elle semble donc nant «mettre une majuscule après un point». On peut connaître cette règle orthographique sans l’avoir pour supposer qu’elle a mémorisé les mots il et va qu’elle autant automatisée. Puis elle écrit le (12) et utilise la réactive, ou bien qu’elle utilise la stratégie de mise en stratégie de copie pour écrire le mot facteur (13) en correspondance des phonèmes |i|l|v|a| et des gra- se référant à ce qui est écrit dans la phrase de départ. phèmes «i, l, v, a», cette stratégie étant suffisante Elle effectue une troisième relecture (14) qui lui per- pour obtenir l’orthographe correcte de ces deux mots. met de corriger le mot picncé auquel il manquait le Ama veut écrire ensuite pique-niquer (3). Pour graphème «i». Puis elle termine sa phrase en acti- résoudre ce nouveau défi, elle s’appuie sur une stra- vant ses connaissances: et son chat se ropose (15), tégie de recours aux sources de référence en utilisant quoique le mot chat ait peut-être été copié du texte le dictionnaire posé devant elle. Ama se retrouve d’amorce. alors face à d’autres sous-problèmes : activer les règles de pratique du dictionnaire, activer ses En résumé, le problème de l’écriture autonome en connaissances phonographiques pour isoler le pre- s’aidant des moyens de référence est bien investi par mier son puis la lettre correspondante, activer ses Ama. Son texte est lisible pour une personne exté- connaissances du code et de l’ordre alphabétiques. rieure à la situation et, sur une totalité de dix-sept Une procédure spécifique de résolution de problèmes mots, treize sont correctement orthographiés. Le pro- pour chercher les mots dans le dictionnaire doit donc blème de l’écriture alphabétique est résolu et celui de s’intégrer dans la procédure plus générale qui est l’écriture orthographique, qui fusionne le principe celle de produire un texte correctement orthographié. alphabétique et la totalité lexicale, est en voie de résolution, attesté par sa correction du mot avec. De fait, elle utilise plusieurs stratégies pour trouver le Dans le cas de cet élève, la mise en place d’activités mot. Ama, ayant segmenté le premier phonème |p|, spécifiques complémentaires va permettre la systé- tourne les pages du dictionnaire jusqu’à ce qu’elle arrive matisation de ce qui a été découvert et construit en à la bonne lettre, ce qui lui prend beaucoup de temps situation-problème. mais lui permet d’aboutir. Elle utilise la même stratégie phonographique pour trouver la deuxième lettre, «i». Elle cherche alors de la même manière en parcourant toute la liste et en s’arrêtant aux mots qui commencent par «pi», LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES ce qui la rapproche de la solution finale. Encouragée par EN PRODUCTION TEXTUELLE ses résultats positifs, elle poursuit en utilisant les mêmes CHEZ L’APPRENANT ADULTE stratégies. Mais Ama se confronte cette fois à une diffi- culté: la transcription du son |k|. Après réflexion, pendant laquelle il est possible qu’elle se souvienne de plusieurs La situation de résolution de problèmes présentée manières d’écrire ce phonème, sans savoir laquelle est la ici se déroule lors d’un atelier de français destiné bonne, elle opte pour une autre stratégie, et cherche à des adultes rencontrant des difficultés à l’écrit. l’image qui pourrait correspondre au mot pique-niquer. L’analyse qui en est faite montre l’importance des Elle ne trouve pas mais persévère en changeant de dic- interactions entre enseignant et apprenant. En effet, tionnaire et en utilisant les mêmes stratégies que précé- seulement certaines interactions entre ces deux par- demment. Sa nouvelle tentative échoue, et Ama écrit tenaires de la construction du savoir permettent à picncéen activant ses propres connaissances (4). l’apprenant de résoudre le problème posé. 68 Revue française de pédagogie, n° 150, janvier-février-mars 2005
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