Dr Jean PRICE-MARS (1953) La République d’Haïti et la République dominicaine. Les aspects divers d’un problème d’histoire, de géographie et d’ethnologie. Depuis les origines du peuplement de l'Île antiléenne en 1492, jusqu'à l'évolution des deux États qui en partagent la souveraineté en 1953. TOME II Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/ Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 2 Politique d'utilisation de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for- melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue. Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle: - être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques. - servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...), Les fichiers (.html, .doc, .pdf., .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classi- ques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif com- posé exclusivement de bénévoles. Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnel- le et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des fins com- merciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est également strictement interdite. L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisa- teurs. C'est notre mission. Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 3 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, profes- seur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de : Dr Jean PRICE-MARS La République d’Haïti et la République dominicaine. Les aspects divers d’un problème d’histoire, de géographie et d’ethnologie. TOME II. Depuis les origines du peuplement de l'Île antiléenne en 1492, jusqu'à l'évolution des deux États qui en partagent la souveraineté en 1953. Port-au-Prince, 1953, 335 pp. Collection du Tricinquantenaire de l'Indépen- dance d'Haïti. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman, 12 points. Pour les citations : Times New Roman, 12 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition numérique réalisée le 18 avril 2010 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec, Canada. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 4 Dr Jean PRICE-MARS La République d’Haïti et la République dominicaine. Les aspects divers d’un problème d’histoire, de géo- graphie et d’ethnologie. TOME II. Port-au-Prince, 1953, 335 pp. Collection du Tricinquantenaire de l'Indépen- dance d'Haïti. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 5 Table des matières Chapitre I. La guerre haïtiano-dominicaine. Indivisibilité du territoire ou Indépendance dominicaine ? L'action militaire Chapitre Il. La guerre haïtiano-dominicaine. L'action diplomatique et les troubles sociaux à l'Ouest Chapitre III. Le Plan Levasseur Chapitre IV. La défense haïtienne après l'échec du Plan Levasseur. Les gou- vernements éphémères Chapitre V. Le Gouvernement de Soulouque et la reprise des hostilités Chapitre VI. Les tractations dominicaines avec les puissances étrangères. L'entrée en scène des États-Unis de l'Amérique du Nord Chapitre VII. Le Gouvernement de Fabre Nicolas Geffrard face au problème dominicain. Les difficultés d'une décision. L'annexion volontaire de la République Dominicaine à l'Espagne accule le Gouverne- ment haïtien à prendre position Chapitre VIII. La nouvelle République Dominicaine et l'âpre compétition des factions. La guerre civile en Haïti et en République Dominicaine. Les Gouvernements de Cabral, de Salnave, de Baez et leur collu- sion Chapitre IX. José Maria Cabral, Nissage Saget, Buenaventura Baez et l'impé- rialisme américain Chapitre X. L'ère des disputes frontalières Chapitre XI. L'exode rural des prolétaires haïtiens en terre dominicaine en conséquence de la pression démographique. L'avenir Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 6 [7] La République d’Haïti et la République dominicaine. Tome II Chapitre I La guerre haïtiano-dominicaine. Indivisibilité du territoire ou indépendance dominicaine ? L’action militaire. I Retour à la table des matières Dès que la nouvelle des événements de Santo-Domingo parvint à Port-au- Prince, Rivière Hérard, Président de la République, s'empressa de prendre les dis- positions les plus propres à la répression du mouvement et au rétablissement de l'ordre. Immédiatement, il mit en branle une expédition de « trente mille hommes, un parc d'artillerie composé d'obusiers et de pièces de gros calibre », dit-il, dans un ordre du jour du 15 mars 1. Peu avant, le 10 du même mois, l'armée avait levé la marche vers l'Est. Il l'avait divisée en trois colonnes sous sa direction suprême. La première, au centre, dont il prit le commandement, lui-même, passa par le Mirebalais, Lasca- 1 Cf. Lepelletier de Saint-Rémy : Saint-Domingue, Étude et solution nouvelle de LA QUESTION HAÏTIENNE. Paris, 1846, tome I, p. 362. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 7 hobas en direction de Las Matas, San Juan de la Magua et la vallée du Yaqui del Sur. La seconde - c'était l'aile droite - traversa la plaine du Cul-de-Sac sous le commandement du général Souffrant et du colonel Brouard, suivit la route des lacs, ayant Neyba pour premier objectif. Ces deux armées devaient se rejoindre quelque part à date fixe pour attaquer Azua conjointement et marcher ensuite sur Santo-Domingo, leur principal objectif. Quant à la troisième armée - c'était l'aile gauche - forte comme les deux autres de dix mille hommes, placée sous la condui- te du général Pierrot, commandant du département du Nord, elle devait envahir le territoire ennemi par Dajabon, traverser le Yaqui del Norte, s'emparer de [8] San- tiago de los Caballeros et, par la route de Moca, La Vega, rallier les forces venues du Sud-Ouest pour livrer assaut avec elles à Santo-Domingo. Il semble que ce fut en ce dernier point qu'on s'attendait à quelque résistance. Cependant, si la première armée put sans encombre s'emparer de Las Matas et de San Juan et s'arrêter le 18 mars devant Azua, la seconde éprouva quelques échecs à Fuente del Rodeo et, après avoir enlevé Las Cabezas de las Marias, cap- tura Neyba. À cause de cette résistance, elle ne put, comme c'était convenu, re- joindre la première, le 18, devant Azua. Donc, seules, les troupes de Rivière Hé- rard attaquèrent cette ville le 19. La bataille dura trois heures environ. Elle fut un insuccès pour les troupes haïtiennes qui ne purent enlever la place. Rivière Hérard retraita à son Quartier général, ayant perdu une cinquantaine d'hommes dans l'ac- tion. De leur côté, les Dominicains qui se défendaient sous les ordres de Pedro Santana, peu sûrs de pouvoir garder la place devant la supériorité numérique des troupes de Rivière Hérard, qui pouvaient être renforcées d'un moment à l'autre par celles de Souffrant, retraitèrent, eux aussi, sur Savana Buey, puis sur Bani, à quel- que trente kilomètres d'Azua. Le lendemain, 20 mars, Rivière Hérard vint s'établir à Azua où Souffrant le rejoignit. Donc, il y avait dans cette ville près d'une ving- taine de milliers d'hommes. Le général en chef fit occuper le littoral de la baie d'Ocoa pour assurer ses communications maritimes avec l'Ouest. Cette première rencontre, qui fut défavorable à Rivière Hérard, quant à son plan d'invasion ininterrompue du territoire ennemi, mais qui n'avait aucun caractè- re décisif, jeta, cependant, un véritable désarroi dans l'armée haïtienne. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 8 La désertion subreptice, au fil des jours d'abord, puis de plus en plus serrée, désorganisa cette partie du corps expéditionnaire au point que cette armée de vingt mille hommes ne fut plus bientôt que l'ombre d'elle-même, une bande disso- ciée qui s'égrenait avec une persistance alarmante. Drame poignant s'il en fut jamais, et qui met en relief cette vérité fondamenta- le, à savoir que dans la guerre d'autrefois et peut-être même d'aujourd'hui - du moins, dans une certaine mesure - un très grand nombre d'hommes n'est pas suffi- sant pour assurer la victoire d'une armée. Ce qui compte en dehors de l'effectif - l'outillage technique étant mis à part, bien entendu - c'est d'abord le moral du combattant, son sentiment intime sur la valeur de la cause pour laquelle on lui demande de verser son sang et de donner sa vie. En ce qui concerne l'espèce dont nous nous occupons, que défendait le soldat haïtien engagé dans la guerre haïtiano-dominicaine ? L'intégrité, l'indivisibilité du territoire insulaire en soutènement [9] de l'indépendance haïtienne ? En était-il averti ? Le lui avait-on fait comprendre ? Non, certainement. De ce fait, la guerre haïtiano-dominicaine était impopulaire. Dans le tumulte des passions soulevées depuis la chute de Boyer, le soldat haï- tien, tiraillé par les idéologies partisanes -ne lui avait-on pas dit de ne pas tirer sur ses frères ! - ne pouvait plus savoir où étaient le droit et la justice, où même était la patrie. Il suivait le drapeau en automate, allant d'un point du territoire à l'autre, malgré lui, sans ardeur et sans enthousiasme. Travaillé, en outre, par la politique régionaliste, il était parti à pied, dans cette expédition, pour une zone distante de quelque cinq à six cents kilomètres de son foyer, sans service de ravitaillement, sans aucun idéal et décidé à abandonner la partie au moindre revers. Voilà comment s'explique le drame de la désertion continue de l'armée de Ri- vière Hérard à Azua. Le Président resta figé dans sa position, prisonnier de l'inaction forcée, inca- pable de poursuivre l'offensive préméditée. Réduit à menacer les déserteurs de la peine de mort sans en arrêter le flot, sans oser exécuter son dessein de peur de provoquer la panique, il expédiait courrier sur courrier à Port-au-Prince, sollicitant des renforts et des secours de son cousin Hérard Dumesle, Ministre de la Guerre, perdu de sybaritisme dans la débauche et la luxure. Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 9 Situation tragique. D'autre part, sans nouvelles de son aile gauche puisque le service de liaison était inexistant dans ce pays ennemi, dépourvu de bonnes routes, il attendait que Pierrot fut à pied d'œuvre, au rendez-vous donné sous les murs de la ville de San- to-Domingo. Mais de ce côté-là aussi, de ce côté-là surtout, la position des troupes haïtien- nes était désastreuse. Pierrot, qui marchait sur Santiago de los Caballeros après avoir fait franchir à son armée les 234 kilomètres qui séparent le Cap Haïtien de la ville sus- dénommée sans rencontrer de résistance, traversa le Yaqui del Norte et attaqua les troupes dominicaines à la Sabana Talaquera. Celles-ci se replièrent sur Santiago et jetèrent l'alarme dans la ville, qui fut mise fiévreusement en sérieux état de dé- fense par le général José Maria Imbert. Le 30 mars, à 1 heure de l'après-midi, les troupes haïtiennes donnèrent l'as- saut. Le combat dura plus de quatre heures sans que la ville succombât. À ce moment, vers les cinq heures, un parlementaire vint du camp haïtien sol- liciter une suspension d'armes. Aussitôt, une conférence tenue à égale distance des deux camps, s'amorça entre MM. Toussaint Dupuy et Charles Westen, délégués haïtiens dûment autorisés par Pierrot et le général Imbert, accompagné d'autres [10] officiers supérieurs dominicains. On discuta non plus sur les termes d'une suspension d'armes mais sur ceux d'un véritable armistice. Il fut convenu qu'un arrangement définitif interviendrait entre Haïti et la Ré- publique dominicaine sur la base d'un Traité d'amitié et de commerce entre les deux parties, et leur ferme résolution de n'épargner aucun sacrifice pour soutenir l'indépendance de leurs territoires respectifs. En foi de quoi, le général Pierrot retraiterait ses troupes vers le Nord-Ouest à la condition qu'elles ne fussent pas inquiétées dans leur contremarche. Pierrot était-il sincère dans ces tractations ou voulait-il se tirer d'un mauvais pas ? Cependant, ainsi arrêtée, la retraite fut ordonnée pendant la nuit même. Mais malgré la convention des parties, Pierrot ayant appris que deux colonnes domini- caines, l'une venant de Puerto Plata et l'autre de San José de la Sierra, menaçaient Jean Price-Mars, La République d’Haïti et la République dominicaine . Tome II (1953) 10 de couper sa retraite, accéléra sa marche pour évacuer le sol dominicain le plus rapidement que possible. Néanmoins, avant d'atteindre cet objectif, il fut surpris dans une embuscade entre Guayabin et Talaquera où ses troupes déjà désorgani- sées subirent des pertes sévères. On évalue à plus de sept cents hommes, tués et blessés, les pertes totales de son armée avant qu'il pût traverser le Massacre et regagner le Cap Haïtien. Voici d'ailleurs comment s'exprime le général José Maria Imbert dans son rapport du 5 avril 1844 adressé à la Junte centrale gouvernementale de Santo- Domingo pour rendre compte de la bataille de Talaquera et de celle de Santiago. « ... En ce qui concerne le combat de Talaquera entre nos troupes avancées et celles de l'ennemi qui étaient en nombre supérieur, écrit-il, je me suis aperçu tout de suite que mes précautions n'étaient pas inutiles. Nos troupes, en nombre très inférieur, se virent dans la nécessité précise de se retirer de cette cité sans avoir obtenu cependant des avantages dans ce combat où « l'ennemi a subi quelques pertes »... ... Et il continue : « À Santiago, l'ennemi n'a pas laissé sur le champ de bataille moins de six cents morts et, selon l'effet que produisit la mitraille, le nombre de ses blessés a été bien supérieur. La route de sa retraite n'a été qu'un vaste ci- metière. Par une protection manifeste de la divine providence, l'ennemi a souffert les pertes telles que nous les avons énoncées, sans que nous ayons eu à déplorer la perte d'un homme ou la blessure d'un soldat. » Chose miraculeuse qu'on doit seulement au Dieu des armées et à la justi- ce de notre cause. » 2 [11] D'autre part, d'une correspondance publiée par Garcia dans Guerra de la separacion Dominicana et reproduite dans le volume officiel de la Secrétairerie d'État de la Guerre et de la Marine dominicaine sur la guerre « Dominico- Haïtiana » 3, nous retiendrons quelques faits intéressants et qui éclairent bien des 2 Guerra Dominico-Haitiana : Editorial el Diario y Marina. Rep. Dom. Secre- taria de Estado de Guerra y Marina, 1944, p. 92-95. 3 Op. loc. cit., p. 84.