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La République a-t-elle encore un sens? PDF

311 Pages·2017·2.51 MB·French
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La République a-t-elle encore un sens? Daniel Arnaud To cite this version: Daniel Arnaud. La République a-t-elle encore un sens?. Sciences de l’Homme et Société. Université de Franche-Comté, 2010. Français. ￿NNT: ￿. ￿tel-00448420￿ HAL Id: tel-00448420 https://theses.hal.science/tel-00448420 Submitted on 18 Jan 2010 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Daniel ARNAUD LA REPUBLIQUE A-T-ELLE ENCORE UN SENS ? Essai L’auteur tient à remercier tout particulièrement M. Robert Damien, avec qui il a commencé la thèse dont est issu ce livre, et qui lui a notamment suggéré de suivre la piste des socialistes ; M. Fabrice d’Almeida, pour ces quelques instants de débat et d’échange au Sénat, qui ont contribué à nourrir sa réflexion ; Mlle Delphine Minoui, rencontrée à l’occasion d’une projection du film Persépolis, pour sa très communicative passion de l’Iran ; Mrs Jean-Marie Arrighi et Antoine-Marie Graziani, qui n’ont pas hésité à l’éclairé sur quelques point essentiels du moment paolien ; M. Simon Renucci pour son intérêt et ses encouragements ; M. Edmond Simeoni pour son témoignage soucieux du contrat social ; M. Michel Barat, co-auteur de cette fin des Lumières qu’il dénonçait par ailleurs, pour sa participation involontaire ; Mrs Rudy Cara et Jean-Paul Brighelli pour leurs avis pleins de lucidité concernant la situation de l’école républicaine ; les élèves qui, par leur implication, lui ont appris à ne pas désespérer de cette dernière ; et bien sûr M. Louis Ucciani, avec qui il a mené cette recherche à son terme. 1 AVANT-PROPOS Sous le signe d’une triple ascendance « Reste maintenant à voir quelles doivent être les manières et façons du Prince envers ses sujets et ses amis. Et comme je sais bien que plusieurs autres ont écrit de la même matière, je crains que, si moi-même j’en écris, je sois estimé présomptueux si je m’éloigne, surtout en traitant cet article, de l’opinion des autres. Mais étant mon intention d’écrire choses profitables à ceux qui les entendront, il m’a semblé plus convenable de suivre la vérité effective1 de la chose que son imagination. […] », avertit Machiavel dans un passage clef du Prince2. Le Florentin pointe de la sorte un problème récurrent de la pensée politique, à savoir le décalage qui persisterait entre les textes et le réel. Tel philosophe concevrait un mode d’organisation idéal de la société, qui se révèlerait inopérant pour rendre compte des choses de l’Etat ; ou dont la mise en oeuvre rencontrerait une difficulté qui n’avait pas été prévue dans la théorie. Toutefois, nous ne souhaitons aucunement verser dans le lieu commun3 selon lequel il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien4. Comme l’indique Kant5, un tel décalage ne tient pas tant au manque de portée de la théorie elle-même qu’au fait qu’elle resterait à compléter, éventuellement à partir des leçons de l’expérience. Si nous traiterons dans les pages qui suivent de la République6 en fréquentant prioritairement les écrits de ses théoriciens, il nous arrivera à cet égard de nous intéresser à ce qu’apportent les « hommes de terrain »7, dans la mesure où leur pratique pourrait venir enrichir la réflexion. L’auteur lui-même, s’il a abondamment fréquenté les bibliothèques, n’a pas hésité à quitter sa librairie pour produire le travail qu’il a le plaisir de soumettre au lecteur. Tout en parcourant Condorcet, il s’en est ainsi allé enseigner les lettres dans des lieux où elles paraissaient absentes ; tout en découvrant ou redécouvrant Tocqueville, il a visité les foyers qui ont vu naître la démocratie en Amérique ; habitué à une tradition laïque bien française, qui met en avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il a poussé ses investigations jusqu’en Iran 1 « Verità effetuale », dans le texte original. Il s’agit d’un néologisme de l’auteur, resté célèbre comme formule de son matérialisme historique. 2 Le Prince, in Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 1952, pp. 334-335. 2 et cherché à comprendre comment une république pouvait être islamique. Ce faisant, il espère avoir su lui aussi s’attacher à la verità effetuale de son objet. La démarche aurait pu strictement relever de l’histoire des idées. Elle aurait alors pris la forme d’un parcours axé sur les façons de penser la république depuis l’Antiquité. Elle aurait pu également être historique, et avoir trait soit à la naissance du régime républicain en France, soit aux circonstances de son installation à une époque donnée. Elle s’avère foncièrement philosophique : si nous solliciterons au cours de notre cheminement les auteurs du passé d’une part, et le travail de l’historien d’autre part, ce sera uniquement dans le but d’élucider une problématique contemporaine. La République a-t-elle encore un sens ? La question, posée en ces termes, suggère qu’elle en aurait eu un auparavant, mais qu’elle l’aurait peut-être perdu, ou qu’elle serait en passe de le perdre. Aussi devrions-nous mettre au jour ce qu’il était, et ce qui le conduirait à disparaître. Encore faudrait-il que nous nous entendions sur le sens du mot « sens »8… Téléologique ? Nous nous demanderions si la République poursuivrait une certaine évolution ou, au contraire, si elle déboucherait sur une impasse. Sémiologique ? Nous nous intéresserions, après l’avoir définie9, à la pertinence de sa signification. Axiologique ? Nous nous arrêterions sur sa validité en tant que modèle politique10. C’est ce dernier sens que notre questionnement nous incitera plutôt à retenir, même s’il sera en réalité impossible de le séparer complètement des deux autres. En effet, déterminer si la République demeure 3 Dont nous trouvons déjà la trace dans le discours de Calliclès : « […] Aussi doué qu’on soit, si on continue à faire de la philosophie, alors qu’on en a passé l’âge, on devient obligatoirement ignorant de tout ce qu’on doit connaître pour être un homme de bien, un homme bien vu. Pourquoi ? Parce que petit à petit on devient ignorant des lois en vigueur dans sa propre cité, on ne connaît plus les formules dont les hommes doivent se servir pour traiter entre eux et pouvoir conclure des affaires privées et des contrats publics, on n’a plus l’expérience des plaisirs et passions humaines, enfin, pour le dire en un mot, on ne sait plus du tout ce que sont les façons de vivre des hommes. Et s’il arrive qu’on soit impliqué dans une affaire privée ou publique, on s’y rend ridicule […]. » (Platon, Gorgias, 484c-d.) 4 Kant, Théorie et pratique, Paris, Flammarion, 1994, p. 43. 5 « […] il se peut que la théorie soit incomplète et qu’on ne puisse la parachever qu’en lui adjoignant des essais et des expériences qui restent à faire et dont le médecin, l’agronome ou le financier, au sortir de leur école, pourront et devront tirer de nouvelles règles et compléter ainsi leur théorie. Dans ce cas, si la théorie ne vaut pas grand-chose pour la pratique, cela ne tient pas à la théorie, mais au fait que n’était pas suffisante la théorie que l’homme aurait dû apprendre de l’expérience et qui est la vraie théorie, même s’il n’était pas en mesure de la donner lui-même et de l’exposer systématiquement comme professeur dans des propositions universelles et, par suite, même s’il ne pouvait prétendre au titre de théoricien de la médecine, de l’agronomie, etc. […] » (Ibid, p. 46.) 6 Nous écrivons ici le terme avec une majuscule car il est question du régime politique qui, sous des formes constitutionnelles différentes et malgré plusieurs interruptions au cours de l’Histoire, est en place en France depuis 1792. Nous l’emploierons en revanche avec une minuscule chaque fois qu’il désignera un régime politique dans sa généralité, ou bien une idée en tant qu’objet philosophique. La République, dans sa version française donc, représente effectivement le point de départ d’une réflexion qui fera appel aux regards croisés de l’historien et du philosophe. 7 Nous entendons par là non plus ceux qui conçoivent une théorie, mais ceux qui se trouvent en situation de l’appliquer. Le témoignage du professeur confronté à la verità effetuale de sa classe nous sera par exemple précieux lorsqu’il sera question du volet éducatif de la République. 8 Voir sur ce point André Comte-Sponville : « […] Sens se dit en effet en trois sens : téléologique (qui concerne la fin, le telos, le but), sémiologique (qui concerne les signes et les significations), enfin axiologique (qui concerne les valeurs). […] » (L’Univers a-t-il un sens ?, in Ciel et espace n° 249, juillet-août 1990, pp. 38-41.) 9 Dans L’Idée républicaine en France (1789-1924), Claude Nicolet entreprend un travail sémantique : « Je me propose de rechercher si, en français, le mot République a un sens. […] » (L’Idée républicaine en France (1789-1924), Paris, Gallimard, 1994, p. 9.) La démarche est celle d’un historien, et couvre une période allant de la Révolution française (1789) au Cartel des gauches (1924) ; la nôtre, plus philosophique, portera sur un concept, et sur le rapport que la République entretient avec lui. 10 C’est-à-dire comme construction intellectuelle sur laquelle régler le gouvernement de la Cité. 3 opératoire implique d’abord d’interroger ce qu’elle signifie (pour savoir de quoi, au juste, nous parlons), et rejoint ensuite l’enjeu de la direction (parce que si elle était dépassée, elle n’irait plus nulle part et devrait céder la place à autre chose). En France, depuis la Révolution, toute enquête menant sur les traces de l’idée républicaine rencontre du reste, en raison de l’appropriation dont elle fait l’objet, une difficulté d’ordre idéologique. « La République »11, réduite à sa version hexagonale, jouirait d’une exclusivité conceptuelle, avec un contenu allant de soi12. Comme si, coupée d’autres traditions, elle s’était auto-engendrée : il s’agirait en somme d’une espèce endémique. D’où une matière souvent traitée en vase clos, dont on ne sait plus très bien si les éléments renvoient à un invariant républicain ou à une spécificité française. Nous avons fait le choix d’en finir avec un tel endémisme, et de refuser le vase clos13. Tout en nous concentrant sur le cas français, nous n’hésiterons pas, dans une telle optique, à le désingulariser afin de mieux démêler ce qui lui serait propre de ce qu’il partagerait avec d’autres modèles. Nous verrons notamment comment le situer par rapport à la querelle entre les Anciens et les Modernes, ce qu’il doit aux Lumières, ou encore à la tradition machiavélienne. Un tel exercice d’identification influerait directement sur la question du sens. Si l’essence de la république se trouvait mise en cause, alors le devenir du concept lui-même serait en jeu ; s’il n’était question que d’un caractère optionnel, alors la République changerait peut-être simplement de cap, sans forcément renoncer à elle-même. La matière étant particulièrement riche, nous ne pouvions prétendre à l’exhaustivité, et les auteurs rencontrés font d’abord l’objet d’un positionnement relatif à notre sujet. A cet égard, nous privilégions les éditions les plus accessibles, ainsi que les anthologies14. Dans le même esprit, nous incluons la majeure partie de la bibliographie dans les notes de bas de page, de manière à ce que le lecteur puisse immédiatement mettre en relation un ouvrage avec un thème, une trame ou une controverse. D’un point de vue historique, nous nous réservons enfin la possibilité de passer aisément d’une période à une 11 « […] pays de l’exception, l’exception collective à tout bout de champ brandie, pays des droits de l’homme quand l’homme vous convient, le pays de ce “la” qui précède République pour mettre au diapason les enfants qui s’écartent du modèle national… […] » (Sampiero Sanguinetti, Le Désordre des identités, Gémenos, Autres Temps, 2007, p. 114.) 12 La laïcité, par exemple, ferait figure d’étalon permettant de distinguer ce qui serait « républicain » de ce qui ne le serait pas : « La laïcité est inscrite dans nos traditions. Elle est au cœur de notre identité républicaine. […] », affirme Jacques Chirac lors de son second mandat présidentiel, dans un discours prononcé le 17 décembre 2003 (Discours relatif au respect du principe de laïcité dans la République, in Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui (ouvrage collectif), Paris, Delagrave, 2004, p. 9). Au début du vingt-et-unième siècle, il existe pourtant plus d’une centaine de républiques à travers le Monde, et nombre d’entre elles ne sont pas laïques. La laïcité ne saurait donc être admise comme un critère définitif. 13 Ici, nous rejoignons une orientation fixée par Jean-Fabien Spitz dans son Moment républicain en France : « Si nous voulons éviter la substitution de la critique à l’explication, nous devons donc commencer par mieux comprendre les articulations théoriques de la philosophie politique républicaine. Nous devons ensuite reconstituer la tradition républicaine euro-atlantique de l’âge moderne, et nous devons enfin tenter d’y replacer la culture politique de la République française. Grâce aux travaux de Philip Pettit et de Quentin Skinner, la première tâche est désormais en voie d’achèvement. Quant à la seconde, elle est aussi bien avancée grâce aux travaux des historiens anglo-américains sur le moment machiavélien. En revanche, il reste beaucoup à faire pour réinsérer la culture politique de la République française dans ce courant plus vaste et pour contribuer ainsi à sa “dé-singularisation”. A son tour, cette “dé-singularisation” permettrait de corriger quelques incompréhensions majeures - le caractère éruptif et révolutionnaire, le démocratisme exacerbé, le culte mystique de l’unité du peuple, l’universalisme abstrait - car, à la lumière de cette tradition plus vaste, il est possible de réinterpréter certains traits de notre culture politique nationale comme des manifestations excessives mais classiques de la tradition républicaine. […] » (Le Moment républicain en France, Paris, Gallimard, 2005, p. 38.) 14 Le lecteur retrouvera néanmoins les éditions de référence en fin d’ouvrage, dans le cadre d’un « complément bibliographique ». 4 autre, ou au contraire de nous attarder sur un moment donné, puisque notre démarche vise des concepts, non la restitution d’une chronologie. 5 INTRODUCTION Un objet philosophique non identifié ? Il semblerait que le terme de « république », pendant longtemps, n’ait pas, ou plus, fait l’objet d’un problème philosophique déterminé. Les dictionnaires spécialisés, s’ils possèdent une entrée correspondante, ne font que reproduire les définitions couramment admises, qui sont au nombre de deux : d’abord synonyme d’« Etat », quel qu’il soit, ensuite « tout Etat qui n’est pas monarchique ». Précisons d’emblée qu’il désigne le plus souvent un régime représentatif, dans lequel la souveraineté se voit détenue par des représentants élus au suffrage universel, ce qui assure sa proximité sémantique avec la démocratie15. Il renverrait dès lors uniquement à une forme de gouvernement, qu’il permettrait de qualifier. Concernant la France, il est notamment employé par l’historien pour nommer les périodes au cours desquelles le pays a cessé d’avoir à sa tête un pouvoir héréditaire : la « République », en 1792, a remplacé la Monarchie constitutionnelle, qui avait elle-même succédé à la Monarchie absolue de droit divin. En tant que nom propre, le mot s’écrit cette fois avec une majuscule16. Ce travail est motivé par deux constats. Le premier, c’est la résurgence d’un débat, dans les dernières années du vingtième siècle, autour du devenir de la République elle-même. Serge Audier, dans Les Théories de la République17, en pose très bien les termes : 15 Les représentants, en s’exprimant au nom des représentés, ne font qu’assurer la démocratie, c’est-à-dire la souveraineté du peuple. C’est bien dans une telle mise en avant de la représentation que les termes de « république » et de « démocratie » semblent converger. Est-ce à dire qu’ils sont synonymes, ou au contraire qu’ils demandent à être distingués ? Quel(s) critère(s) permettrai(en)t alors de les différencier ? Notre travail nous amènera à apporter des réponses à de telles questions. 16 En 1990, c’est dans ce sens-là qu’il figure dans les articles « Deuxième République » et « Troisième République » de l’Encyclopoedia universalis. En revanche, l’encyclopédie en question ne comporte pas d’entrée « République », en tant que concept cette fois. S’agit-il alors seulement d’un concept ? Tandis que la Guerre froide s’achève - l’année est charnière, entre la chute du mur de Berlin en 1989 et le démantèlement de l’URSS en 1991 -, l’idée républicaine ne semble devoir surgir, ou plutôt resurgir, qu’un peu plus tard, après la fin de la bipolarisation du débat idéologique entre le capitalisme et le communisme. 17 Les Théories de la République, Paris, La Découverte, 2004. 6 « Une des mutations intellectuelles des dernières décennies du XXe siècle aura été le retour en force de l’idée républicaine. Si cette idée n’a jamais déserté le vocabulaire politique, elle avait rarement fait l’objet d’investigations philosophiques rigoureuses depuis le début du siècle. Dans les travaux anglo-saxons, le républicanisme était en partie oublié, au point d’être absent des dictionnaires de philosophie politique. En France, bien que le discours républicain ait perduré, l’effort de conceptualisation a été pour l’essentiel en sommeil. […] »18 Le second, c’est qu’un tel débat se signale paradoxalement, en particulier lorsqu’il intervient dans le temps médiatique, par l’absence d’identification de l’objet dont il est question. Tel évènement, relevant parfois du fait divers, suffit à dénoncer quelque chose de contraire aux « valeurs républicaines », ou à lancer une initiative en vue de leur promotion. En 2004, la diffusion du Guide républicain19 dans les établissements scolaires répond à une série d’incidents violents20 ayant marqué l’opinion. François Fillon, qui en signe la préface en tant que ministre de l’Education nationale, y affirme sans détours : « […] il [le présent ouvrage] nous renvoie vers une question essentielle qui se pose à nous : comment concevons-nous notre “vivre ensemble” ? Cette interrogation est d’autant plus importante que nous vivons une période où se nouent et se décident des choix qui dessineront le visage de notre avenir. Or, le combat pour la République n’est jamais fini. Preuve en est, alors même que nous sortons d’un siècle de fer et de sang, voici que resurgissent certains des démons qui ont fait le malheur du passé : la violence, l’antisémitisme, le racisme ou encore l’égoïsme identitaire… Autant de phénomènes d’intolérance auxquels nous devons opposer avec conviction la rigueur et la générosité des valeurs républicaines. »21 Mais le texte, qui se réfère implicitement à la Seconde Guerre mondiale et à la Shoah, ne dit pas en quoi la lutte contre l’intolérance, le racisme ou l’antisémitisme serait spécialement l’affaire de la République. Après tout, il est des vainqueurs de 1945, tels que le Royaume-Uni, qui ne sont point républicains. Aussi, pourquoi n’associerions-nous pas tout autant la lutte contre de tels « démons » à la défense des valeurs de la monarchie constitutionnelle ? Ces « valeurs républicaines », qui se voient du reste attribuer une « générosité », que sont-elles au juste ? Relèvent-elles d’un invariant républicain, d’une spécificité française, ou d’autre chose ? Si la république, en tant que type de régime, désigne une forme, il semblerait également qu’elle soit dotée d’un fond, c’est-à-dire d’un contenu, dont il nous faudrait établir la nature. Comme le souligne Claude Nicolet, la France, qui est porteuse d’une longue tradition républicaine, n’a pas seulement connu cinq Républiques. Il a également été question des Républiques girondine, montagnarde, opportuniste, libérale, bourgeoise, ou encore 18 Ibid, p. 3. La quatrième de couverture du livre que Marie-Claude Blais consacre à Charles Renouvier, en 2000, s’avère elle-même révélatrice : « La République [française] avait son philosophe [Charles Renouvier] et nous ne le savions pas. […] L’interrogation générale dont la République fait aujourd’hui l’objet redonne toute son actualité à cette grande tentative pour en clarifier le principe. » (Au principe de la République. Le cas Renouvier, Paris, Gallimard, 2000.) Le vocabulaire lié à la République est lui aussi interrogé. Ainsi, le mot « citoyen » : « Le terme de citoyen, dont la Révolution avait déjà fait un usage enthousiaste et parfois excessif, est revenu à la mode depuis quelques années d’une manière insistante, sinon obsédante, dans les pays démocratiques. » (Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Paris, Gallimard, 2000, p. 9.) 19 Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui (ouvrage collectif), Paris, Delagrave, 2004. 20 Au cours du premier semestre 2004, 1041 actes à motivation raciste et 235 actes à motivation antisémite dans les établissements publics du second degré ont été recensés par le ministère de l’Education nationale. 21 Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui (ouvrage collectif), Paris, Delagrave, 2004, p. 19. 7 socialiste22. La monarchie de Juillet elle-même aurait été présentée par La Fayette comme « la meilleure des républiques »23. La diversité de ces qualifications - diversité dans laquelle il est aisé de se perdre - indique qu’il n’existe pas un « prêt-à-penser » républicain définitif et arrêté une fois pour toutes. Ce qui fait la spécificité de l’histoire républicaine française, à cet égard, plus qu’un contenu précisément déterminé, c’est le conflit. En d’autres termes, la confrontation récurrente entre différentes versions de la République. Contrairement aux Etats- Unis, pays jeune qui n’a pas connu d’autre régime, la France a d’ailleurs édifié la sienne en renversant une monarchie vieille de plusieurs siècles. C’est dès l’origine qu’elle se manifeste dans un cadre conflictuel. Il est en outre courant, depuis la Révolution, d’opposer la république et la démocratie d’une part, et la monarchie et l’Ancien Régime d’autre part. A celles-ci reviendraient la liberté, l’égalité et la fraternité, et à ceux-là la tyrannie, les privilèges et l’absolutisme. Pourtant, nous ne saurions nous satisfaire d’une telle dichotomie. Tandis que la tête de Louis XVI tombe, d’autres Etats réalisent leur transition démocratique sans pour autant abattre la personne et la fonction royales. Ils l’avaient même quelquefois réalisée avant que les révolutionnaires n’en récupèrent les principes24. Aussi la démocratie ne nécessite-t- elle pas la république. Il convient de dissocier les deux régimes, de la même manière que nous ne saurions entretenir l’amalgame entre la monarchie et l’absolutisme. La souveraineté du peuple, la séparation des pouvoirs, ainsi que les droits de l’homme et du citoyen, sont du reste affirmés dès 1789. Ce n’est donc nullement la proclamation de la Première République, en 1792, qui les apporte (qui les importe ?) en France. Dès lors, pourquoi la République ? La « trahison » du roi fuyant à Varenne suffit-elle à expliquer son instauration ? Peut-être faut-il, après tout, en revenir à l’étymologie du mot « république » : res publica, la chose de tous. Elle renverrait à un bien commun, c’est-à-dire à quelque chose qui lierait les membres d’une société politique25 et qui définirait, au-delà des intérêts particuliers poursuivis par chacun, un intérêt général bénéficiant à un être collectif26. Le conflit qui oppose, depuis l’origine, les républicains et leurs adversaires, ou encore les républiques dans leurs différentes versions, porterait sur la nature du lien. Ce dernier serait-il ethnique, religieux, civique, social, ou encore économique ? C’est en identifiant à la fois le bien commun et le lien que nous saurions de quoi nous parlerions, et que nous pourrions établir si la République aurait encore un sens. Tocqueville observe que le lien, aux Etats-Unis, doit beaucoup au sentiment religieux : 22 L’Idée républicaine en France (1789-1924), Paris, Gallimard, 1994, p. 10. 23 La formule est sujette à caution : « En cet après-midi du 31 juillet 1830, La Fayette n’avait pas fait un roi, mais selon sa formule “la meilleure des républiques”, formule d’ailleurs qui semble avoir été forgée après coup par Odilon Barrot. » (Duc de Castries, La Fayette, Paris, Tallandier, 1981, p. 435.) 24 La démocratie, étymologiquement, renvoie à la souveraineté du peuple ; elle désigne aussi, plus largement, un régime dans lequel le pouvoir ne peut être concentré en une seule main, et où l’individu se voit garantir certains droits. Or, la monarchie, lorsqu’elle est parlementaire, remplit la première exigence ; et, lorsqu’elle est constitutionnelle, également les secondes. Aussi peut-elle déjà représenter une alternative à l’absolutisme, voire assurer plus de liberté qu’une république : « Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs [le législatif et l’exécutif], laisse à ses sujets l’exercice du troisième [le judiciaire]. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. Dans les républiques d’Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moins que dans nos monarchies. […] » (Montesquieu, De l’esprit des lois (1748) XI, VI, in Pierre Manent, Les Libéraux (anthologie), Paris, Gallimard, 2001, p. 226.) 25 Nous entendons par là un ensemble d’individus réunis sous le même gouvernement. 26 Dont il nous faudra établir s’il doit être admis en tant que tel, ou bien comme une somme de singularités. Dans le premier cas, la primauté de la collectivité pourrait signifier la négation de l’individu ; dans le second, l’individu se verrait attribuer une valeur propre, et c’est à ce titre qu’il aurait sa part dans le bien commun. 8

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républicaine ; les élèves qui, par leur implication, lui ont appris à ne pas . travaux des historiens anglo-américains sur le moment machiavélien. bipolarisation du débat idéologique entre le capitalisme et le communisme.
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