UFR DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES ÉCOLE DOCTORALE DROIT ET SCIENCES HUMAINES CENTRE DE RECHERCHE TEXTES ET FRANCOPHONIES Thèse de Doctorat nouveau régime en vue de l’obtention du grade de Docteur ès Lettres de l’Université de Cergy-Pontoise LA REPRÉSENTATION DES CONFLITS CHEZ AHMADOU KOUROUMA ET ALAIN MABANCKOU (1998–2004) Option : Littérature comparée et francophone Présentée par Régina-Marciale MENGUE–NGUEMA ép. CARBONNE-BLANQUI Sous la direction de : Mme. Christiane CHAULET ACHOUR, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise Membres du jury : Mme. Martine MATHIEU-JOB, professeur à l’Université de Bordeaux III, Michel de Montaigne Mr. Papa SAMBA DIOP, professeur à l’Université de Paris Est-Paris XII Mr. Michel NAUMANN, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise NOVEMBRE 2009 DEDICACE A mon père Nguema-Meye Alphonse A ma mère Abessolo Endamane Valentine, Pour m’avoir donné la vie et m’avoir procuré votre amour et toute votre affection depuis ma venue au monde. A ma fille Anna, Dont la naissance m’a donné la force d’aller toujours de l’avant. 2 REMERCIEMENTS C’est un grand honneur de pouvoir témoigner ici ma gratitude envers toutes les personnes et les institutions qui ont rendu ce travail de recherche possible. Je tiens particulièrement à remercier ma directrice, le professeur Christiane Chaulet Achour, qui par son expérience et sa disponibilité a toujours su, depuis 2005, et notamment lors de ces deux dernières années de thèse, me conseiller, me guider et m’encourager. Sans son soutien permanent, ce travail n’aurait jamais vu le jour. Je remercie l’Université de Cergy-Pontoise qui m’a permis d’entreprendre mes travaux au sein de sa structure. Je remercie mon école doctorale EDDSH (Ecole Doctorale de Droit et Sciences Humaines), et tout particulièrement mon centre de recherche le CRTF (Centre de Recherche Textes et Francophonies), qui, par les formations dispensées et par les colloques auxquels ils m’ont permis d’assister et de participer, ont facilité l’enrichissement de mes connaissances. Je n’oublierai pas de témoigner ma gratitude au gouvernement gabonais pour m’avoir octroyé une bourse de recherche qui m’a permis de consacrer mon temps à ce travail. Un grand merci à toute ma famille, tout particulièrement à mon mari, Stéphane, à mon petit frère Body et à mes amis pour leur soutien, leur patience et leurs encouragements infaillibles. J’exprime ma gratitude aux membres du jury qui ont accepté de participer à la soutenance de cette thèse. 3 SOMMAIRE Dédicace 2 Remerciements 3 Sommaire 4 INTRODUCTION GENERALE 5 PREMIERE PARTIE : CONFLITS DES ORIGINES 27 Chapitre I: La famille et la société 30 Chapitre II : L’enfance et la formation 73 DEUXIEME PARTIE : ORIGINES DES CONFLITS 119 Chapitre I : Colonisation et problèmes sociaux 123 Chapitre II : Les différentes guerres 177 TROISIEME PARTIE : LES FIGURES DU CONFLIT 236 Chapitre I : Matérialisation du conflit 238 Chapitre II : Portées des créations romanesques 285 CONCLUSION GENERALE 334 BIBLIOGRAPHIE 340 Index des notions 358 Index des noms 368 Table des matières 370 4 INTRODUCTION GÉNÉRALE 5 1. Formulation et délimitation du sujet La question de « la représentation des conflits chez Ahmadou Kourouma et Alain Mabanckou », telle que nous souhaitons l’aborder, revêt ici un intérêt littéraire. Et dans le vaste domaine de la littérature, elle sera consacrée au sous-ensemble qu’est la littérature africaine et plus précisément la littérature africaine francophone subsaharienne. Une brève historique sur la littérature africaine s’impose ici pour aboutir à l’étude du corpus choisi. La littérature africaine en général retrace ou suit l’Histoire du continent noir. Un continent qui a été victime de siècles de déshumanisation et d’humiliation, à travers l’esclavage et la colonisation. De fait, les écrivains noirs s’étaient alors érigés pour dénoncer, voire réfuter le portrait de l’homme noir dressé par l’esclavagisme et le colonialisme. Ce Portrait octroyait à l’homme noir « une incapacité cérébrale.»1 Cette thèse a nourri bon nombre de critiques, parmi lesquelles, celle de Schoelcher, reprise par Charles-André. En effet, pour ce premier, « la prétendue pauvreté intellectuelle des nègres est une erreur, entretenue, perpétuée par l’esclavage. »2 A lire les diverses herméneutiques justifiant l’émergence historique de la littérature africaine, on peut affirmer que les écrivains nègres fondateurs de la poésie et du roman africain en particulier, avaient entrepris de réhabiliter l’image de l’homme noir. La naissance de la littérature africaine est donc issue du produit d’une lutte ou d’un conflit, à la fois idéologique et politique, mais aussi le résultat d’un déchirement humain. Les théoriciens de la littérature africaine en établissent généralement une périodisation qui tient jusqu’alors en trois phases. La première, c’est-à-dire la phase coloniale est essentiellement contestataire. Les écrivains africains revendiquaient alors l’identité noire. C’est dans ce contexte que la revue Présence Africaine, fût créée en 1947. Une revue dont l’objectif était de constituer un cadre de ralliement et réflexion sereine des intellectuels africains et Noirs, afin d’œuvrer pour la valorisation de la civilisation noire. Une civilisation que Léopold S. Senghor a définie comme « l’ensemble des concepts et techniques d’un 1 Julien (Charles -André), in Avant-propos de l’Anthologie la nouvelle de la poésie nègre et malgache de langue française de L. S. Senghor, PUF/2ème Ed. Quadrige, 1992, p.7. 2 Julien (Charles -André), citant Victor Schoelcher dans l’avant-propos de L’anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, Op. Cit., p. 7. 6 peuple donné à un moment donné de son histoire »3 et qui est omniprésente dans chaque peuple. Contrairement à la thèse soutenue par certains ethnologues occidentaux qui présentaient le peuple noir comme un peuple sans civilisation, Senghor défend l’idée qu’il n’y a pas de peuple sans civilisation. Cette position défensive permet de comprendre le bouillonnement intellectuel des poètes et romanciers noirs pendant cette phase, en même temps qu’elle permet de justifier la naissance de leur mouvement littéraire : la Négritude. Ce mouvement a été pensé pour rassembler les Noirs et leurs amis occidentaux afin de réfléchir sur la condition de l’homme noir, de dénoncer les excès de l’ordre colonial. Au sujet de ce mouvement, Senghor écrit : « Négritude, c’est l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs. »4 Et ce sont ces valeurs que les écrivains africains entendaient mettre en exergue dans leurs premières œuvres, tout en fustigeant l’ethnocentrisme occidental. Jacques Chevrier, dans la même perspective soutient : « les acteurs et les témoins du drame colonial éprouvent l’angoisse du non-être et s’engagent dans une quête douloureuse de leur identité bafouée et brisée, à la recherche d’un hypothétique salut. »5 En effet, la quête identitaire, la réhabilitation du peuple noir et sa culture ont été au cœur du combat des premiers intellectuels et écrivains noirs. Il y a eu, ensuite, la phase des indépendances. Celles-ci ont constitué un mirage pour les peuples africains, une sorte d’épisode noir de l’histoire de la littérature africaine, voire de celle du continent africain. Le cri de joie des indépendances tant attendues s’est vite transformé en cri de douleur et de révolte. En effet, les indépendances ont mis au pouvoir les fils du néo-colonialisme. Cette prise de pouvoir a engendré l’émergence des dictatures dans les anciennes colonies. Et comme pendant la période coloniale, cette réalité historique a à son tour suscité de nombreuses productions littéraires6. La phase actuelle, enfin, est celle des décennies 1980-1990, 1990-2000, qui mettent toujours l’accent sur les réalités sociales, politiques, culturelles et économiques en Afrique. 3 Senghor (Léopold S.), Liberté I : Négritude et Humanisme, Paris, Seuil, 1964, pp. 11-12. 4 Ibid., p. 9. 5 Chevrier (Jacques), in Ethiopiques, numéros 50-51. Revue trimestrielle de culture négro-africaine, Nouvelle série, 2ème et 3ème trimestres 1988, Vol. 5, nos 3-4 sur http://www.refer.sn/ethiopiques/imprimer- article.php3?id_article=1010, du 03/04/2009. 6 Il y a eu entre autres, Les Soleils des indépendances de Kourouma, Le cercle des tropiques d’Alioum Fantouré, La vie et demie de Labou Tansi, etc. Tous ces récits tissent l’histoire complexe des dictateurs qui ont pris les pays en otage après les indépendances. 7 L’actuel discours fait de l’homme et de la société les uniques enjeux d’une littérature qui n’est toujours pas sortie d’un certain réalisme colonial et postcolonial. C’est dans cette phase que peut encore s’inscrire Ahmadou Kourouma et que s’inscrit Alain Mabanckou. Ces deux écrivains suivent de près les thèmes dont les enjeux ne se limitent plus essentiellement à leurs pays, mais qui s’étendent à l’universel. En effet, l’écriture de Kourouma aborde, certes, une certaine fiction, mais celle-ci reste le témoignage de l’histoire tumultueuse des pays de l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Liberia et Sierra Leone). Une histoire qui représente un fléau pour ces pays. Les conflits et surtout l’exploitation des enfants sur des champs de bataille sont des réalités auxquelles ces pays restent exposés. De la même manière, Alain Mabanckou évoque de façon récurrente la question des conflits. Ces conflits, comme nous le verrons, ne trouvent pas les mêmes intonations chez les deux écrivains. Nous envisageons de traiter des conflits comme ils apparaissent dans Allah n’est pas obligé7, Quand on refuse on dit non8 d’Ahmadou Kourouma, Bleu Blanc Rouge9 et Les petits- fils nègres de Vercingétorix10 d’Alain Mabanckou qui sont des écrivains de la sphère francophone. De fait, notre étude des conflits s’inscrit dans le cadre de la littérature africaine francophone du sud du Sahara et se limite aux quatre romans des deux auteurs précités. 2. Justification du choix des auteurs Ahmadou Kourouma et Alain Mabanckou, deux écrivains que seul le fait d’appartenir à un même continent semble lier. Pourquoi avons-nous choisi de travailler sur ces deux écrivains qui n’ont pour dénominateur commun que le statut d’écrivains africains ? Ahmadou Kourouma et Alain Mabanckou présentent plus de divergences que de points convergents. Sur les divergences, il apparaît primordial de souligner qu’ils viennent de pays différents et d’aires culturelles différentes et surtout qu’ils sont de générations différentes. Des univers qui poseraient en effet, quelques soucis pour mener de front l’analyse de leurs œuvres dans une étude les concernant. 7 Kourouma (Ahmadou), Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 1ère Ed. 2000, Coll. Points, 2002. 8 Kourouma (Ahmadou), Quand on refuse on dit non, Paris, Seuil, 1ère Ed. 2004, Coll. Points, 2005. 9 Mabanckou (Alain), Bleu Blanc Rouge, Paris, Présence Africaine, 1998. 10 Mabanckou (Alain), Les petits-fils nègres de Vercingétorix, Paris, Le Serpent à plumes, 1èreEd. 2002, Coll. Points, 2006. 8 Kourouma est un écrivain originaire de la Côte d’Ivoire, un pays de l’Afrique de l’ouest. Il est d’ethnie et de culture malinké ; une ethnie à dominance musulmane. Une biographie de l’auteur semblerait essentielle ici pour évoquer les points divergents entre les écrivains. Kourouma est né en Guinée, pays limitrophe à l’ouest de la Côte d’Ivoire en 1927 dans une famille malinké musulmane. A l’âge de sept ans, il est confié à son oncle infirmier qui exerce à Boundiali en Côte d’Ivoire. Il fréquente l’école française dès 1935. En 1947, il est admis à l’école technique de Bamako au Mali. Les années 1943-1947 sont une période décisive pour l’Afrique, surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale. Car avec la création du Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A.), les premiers mouvements anti-colonialistes voient le jour. Les milieux intellectuels et les grandes écoles sont pris dans cet élan de libération du colonialisme. Considéré comme le meneur de la grève des étudiants, Kourouma est arrêté, expulsé de son école vers la Côte d’Ivoire. Ainsi, pour lui apprendre à modérer son tempérament de nationaliste, il est envoyé dans l’armée en qualité de tirailleur, au bataillon autonome de Côte d’Ivoire pour trois ans. En 1949, les mouvements de révolte du R.D.A. prennent de l’ampleur en Côte d’Ivoire et le bataillon de Kourouma est requis et commis à la répression de la révolte. Kourouma refuse d’y participer. Le soldat est alors dégradé et renvoyé au corps expéditionnaire d’Indochine, en vue d’une autre guerre de libération. Il y reste jusqu’en 1953, avant d’être affecté à l’état major de Saigon. En 1954, démobilisé, il rentre en Côte d’Ivoire avec le grade de sergent. En 1955, il entreprend d’aller poursuivre ses études en France, à ses propres frais. Il y prépare différents concours dont celui de l’école de construction aéronautique et navale de Lyon auquel il est reçu. Mais il ne suivra pas cette formation, faute d’avoir obtenu une bourse d’étude. Tout en militant au sein de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (F.E.A.N.F.), il réussit au concours d’entrée à l’institut des actuaires de Lyon. En 1959, il obtient son diplôme d’actuaire et un certificat d’administration des entreprises. Un an plus tard, il se marie à une Française et travaille dans une compagnie d’assurance à Paris. En 1961, il rentre au pays devenu indépendant et exerce comme directeur adjoint d’une banque à Abidjan. Mais deux ans plus tard, il est soupçonné de complicité avec des meneurs du complot visant à destituer le pouvoir en place. Il est arrêté puis relâché, faute de preuves mais perd son poste. 9 Après sept mois d’inactivité, il quitte la Côte d’Ivoire pour la France, puis se rend en Algérie où il travaille dans une compagnie d’assurance de 1965 à 1969 et pendant cette période, il écrit Les Soleils des indépendances11. Roman que Gassama présente comme «le roman le plus original, le plus riche et le plus singulier, tant par les thèmes abordés que par l’écriture. »12 De 1969 à 1971, il travaille dans une banque parisienne qui lui confie en 1971, la sous- direction de son agence d’Abidjan. En décembre 1972, la représentation de sa pièce théâtrale Le diseur de vérité13, est jugée subversive et lui vaut une affectation à Yaoundé au Cameroun où il est directeur de l’institut international des assurances, un organisme panafricain. Il occupe ce poste jusqu’en 1983 avant de se voir confier à Lomé au Togo, la compagnie d’assurance des Etats membres de la C.I.C.A. Il en a été directeur jusqu’en 1992. Cette biographie permet d’apprécier le militantisme de Kourouma. En effet, l’histoire atypique de l’homme instruit sur son engagement qui l’a conduit à la littérature. Né en Guinée, Kourouma se retrouve Ivoirien au soir des indépendances. Pourtant, de la Guinée en Côte d’Ivoire, en passant par le Mali, Kourouma se sentait dans un espace qui lui appartenait. Car durant la période de la colonisation le grand ensemble de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.), fédération des colonies françaises d’Afrique de l’Ouest (1895-1958) qui regroupait les territoires de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Soudan, du Dahomey (actuel Mali), de la Haute Volta (actuel Burkina-Faso), de la Mauritanie, du Niger et du Sénégal, donnait le sentiment à ces populations ouest–africaines qu’aucun changement ne s’était opéré depuis l’invasion coloniale. Il y avait toujours la libre circulation des biens et personnes. Mais après les indépendances, ces populations avaient été surprises par les nouvelles valeurs introduites par ces dernières. Elles devaient dorénavant avoir un justificatif de leur nationalité donc une carte d’identité nationale. Les populations ne pouvaient plus se déplacer selon leur gré car elles se devaient de respecter les frontières érigées par l’ancien colonisateur. Kourouma décrit bien cette situation dans Les Soleils des indépendances. En effet, l’engagement littéraire de 11 Kourouma (Ahmadou), Les Soleils des indépendances, 1968, Rééd. Paris, Le Seuil, 1970. D’abord refusé par les maisons d’éditions pour son style déroutant, douteux et fautif. C’est grâce à l’ingénieuse intuition des Presses Universitaires de Montréal au Canada qu’on a pu apercevoir qu’y battait le cœur d’un ton ou d’un style qui devait influencer toute une génération de romanciers africains. 12 Gassama (Makhily), La langue d’Ahmadou Kourouma, Paris, ACCT/Karthala, 1995, p. 12. 13 Kourouma (Ahmadou), Le diseur de vérité, Paris, Accoria, 1998. 10
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