La politique internationale de la Chine

705 Pages·2022·2.713 MB·French

by  Jean-Pierre CABESTAN

La politique internationale
de la Chine
Domaine Monde et sociétés
DirigéparLætitiaBucailleetArielColonomos
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Pourenfiniravecleparadigmedela ZakiLaïdi
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internationales LaQuestionmigratoireauXXIesiècle
3eédition Migrants,réfugiésetrelations
internationales
CatherineWihtoldeWenden
2eédition
LaDémocratieparledroit CatherineWihtoldeWenden
Pologne1989-2016
LaGaucheenAmériquelatine,1998-
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2012
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Lesapprochescritiques
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Théoriesdesrelationsinternationales
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LeSystèmepolitiquechinois Philosophiedesrelationsinternationales
Unnouveléquilibreautoritaire 2eédition
Jean-PierreCabestan FrédéricRamel
La politique internationale
de la Chine
Entre intégration et volonté
de puissance
Jean-Pierre Cabestan
3e édition mise à jour et enrichie
CatalogageÉlectre-Bibliographie(avecleconcoursdelaBibliothèquede
SciencesPo)
LapolitiqueinternationaledelaChine/Jean-PierreCabestan.-3eéditionmise
àjouretaugmentée.–Paris:PressesdeSciencesPo,2022.-(Références).
ISBNpapier978-2-7246-3790-8
ISBNpdfweb978-2-7246-3791-5
ISBNepub978-2-7246-3792-2
ISBNxml978-2-7246-3793-9
RAMEAU:
– Relationsextérieures:Chine:1997-….
– Géopolitique:Chine:2000-….
– Sécuriténationale:Chine:2000-….
DEWEY:
– 327.51:Chineetrégionsadjacentes
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©2022.PRESSESDELAFONDATIONNATIONALEDESSCIENCESPOLITIQUES
À la mémoire de mon père,
Jean Cabestan (1909-1978)
Introduction
Depuis 1979, la Chine est engagée dans un processus de déve-
loppementéconomiqueetdemontéeenpuissancesansprécédent.
Après la répression du mouvement démocratique et le massacre
deTiananmen(1989),sousl’impulsiondeDengXiaoping,cepro-
cessuss’estaccéléré,favorisantunvéritabledécollagedel’écono-
mie chinoise. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012,
la Chine est devenue beaucoup plus ambitieuse, cherchant à dis-
puterauxÉtats-Unislaplacedepremièregrandepuissancemon-
diale,tout enmaintenantàl’intérieur desesfrontières unrégime
politique autoritaire de plus en plus répressif.
La Chine a connu pendant quatre décennies un taux annuel
moyen de croissance d’environ 8%, lui permettant en 2005 de
dépasser, en valeur du produit intérieur brut (PIB), la France,
l’année suivante le Royaume-Uni et, dès 2007, l’Allemagne.
En 2010, cinq ans plus tôt que prévu, elle a rattrapé le Japon. En
2014, son économie est devenue plus grande que l’américaine en
paritédepouvoird’achat(PPP).En2021,envaleurbrute,sonPIB
n’étaitplusque22%inférieuràceluidesÉtats-Unis(18milliards
dedollarscontre23milliardsdedollars).Ilestdoncprobableque
la masse de son activité économique la hisse avant 2030, sans
doute en 2028, soit plus de dix ans plus tôt que le prédisait en
2005 Goldman Sachs au rang de première économie mondiale,
détrônant peut-être de manière irréversible les États-Unis.
Lacrisefinancièremondialesurvenueen2008puislapandémie
provoquée par la Covid-19 en 2020-2021 ont accéléré plutôt que
ralenticeprocessus.Stimuléparunénormefluxd’investissements
étrangers, le commerce extérieur chinois a enregistré un essor
10 | LapolitiqueinternationaledelaChine
encoreplusrapidepouratteindre,en2021,6050milliardsdedol-
lars. De telle sorte qu’après être devenue un temps «l’usine du
monde»,laChineenestàprésentl’undesgrandscentresàlafois
de production, de recherche et développement et d’innovation de
la planète. La part des échanges avec l’étranger dans son PIB a
diminué,réduisantsadépendanceàl’égarddestechnologiesocci-
dentales ou japonaises et laissant une plus grande place à son
marché intérieur. Dans le même temps, elle a accumulé un excé-
dent commercial très important (676 milliards de dollars en 2021
contre 382 milliards de dollars en 2014) et d’immenses réserves
en devises, écornées en partie seulement par la crise boursière de
2015(3220milliardsen2022contre4000milliardsdedollarsau
printemps2015).Témoignantd’unerapideinternationalisationde
son économie, l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale
ducommerce(OMC)en2001aincontestablementfavorisécevéri-
tabletake-off.Etbienquelarécessionmondialesurvenueen2008
puis la crise de la Covid-19 n’aient pas totalement épargné une
économie chinoise devenue très dépendante des marchés exté-
rieurs, celle-ci reste l’une des rares à avoir continué sa course en
avant(2,3%decroissanceen2020,8,1%en2021).Cettedépen-
danceanettementdiminué,leratioentresoncommerceextérieur
et son PIB étant passé de 64% à 33% entre 2006 et 2021.
Le décollage et la mondialisation de l’économie chinoise ont
aussi eu une autre série de conséquences, internationales celles-
ci:larecompositiondesfluxcommerciauxetfinanciersetl’accé-
lération des phénomènes de délocalisation industrielle puis des
services. Cette évolution fondamentale a hissé la Chine au rang
des tout premiers exportateurs (le 1er, devant l’Allemagne
depuis2009)etimportateursmondiaux(le2eaprèslesÉtats-Unis
et devant l’Allemagne), obligeant ce pays et les opérateurs qui y
sont installés à sans cesse rechercher à la fois de nouveaux mar-
chés extérieurs, pour écouler leurs produits, ainsi que des res-
sources naturelles et des matières premières toujours plus
Introduction | 11
abondantes pour alimenter leurs lignes de production. Ainsi,
en 2012, la République populaire est devenue la première puis-
sance commerciale de la planète devant les États-Unis.
Certes,laChinen’estpaslaseuleéconomieengagéedanscette
aventure. Avant elle, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et l’Asie
du Sud-Est y ont pris part. Aujourd’hui, des pays comme l’Inde,
leBrésil,leNigeriaetl’Éthiopiesuiventlamêmevoie,quoiqu’avec
moins de bonheur. Mais dans le cas chinois, c’est la rapidité et
l’ampleur des transformations et des conséquences pour l’écono-
mie mondiale qui frappent le plus.
Néanmoins, la Chine est aujourd’hui un acteur économique
international de premier plan. Le rôle qu’elle joue depuis
l’automne2008auseinduG20,legroupedesvingtplusgrandes
économiesdumondecenséaideràtrouverdessolutionsàlacrise
financière, témoigne de cette incontournable réalité.
Ilestclairquedepuisenviron2010legouvernementchinoisest
conscient des limites du modèle de développement adopté par
Deng Xiaoping et maintenu par ses successeurs, en particulier
Jiang Zemin et Hu Jintao, secrétaires généraux du Parti commu-
niste chinois (PCC), respectivement de 1989 à 2002 et de 2002 à
2012. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en
novembre 2012, d’importantes réformes structurelles ont été
engagées, destinées à favoriser l’adoption d’un autre modèle de
développement, moins tiré par les investissements, notamment
industriels et dans les infrastructures, ainsi que les exportations,
et plus stimulé par l’innovation technologique, l’expansion des
services et du marché intérieur. Et surtout s’accommodant d’un
taux decroissance plusraisonnable (autourde 5%), plusdurable
etplusrespectueuxdel’environnement.LasignatureparlaChine
de l’accord de Paris sur le climat à l’issue de la COP21 en
décembre 2015 constitue une étape importante dans cette évo-
lution.
12 | LapolitiqueinternationaledelaChine
Néanmoins, la nature du régime politique a imposé d’impor-
tanteslimitesàcesréformes.Contrairementauxprédictions,Xia
consolidé la position dominante des entreprises d’État, favorisant
l’émergencedegrandsconglomérats,amislesprincipauxgroupes
privés, comme Alibaba, sous une tutelle plus étroite du PCC et
renforcé la coopération public-privé notamment en matière
d’innovation. Défiant les théories libérales, l’économie chinoise
continue néanmoins d’enregistrer des taux de croissance que
jalousentnonseulementlesEuropéensmaisaussilesautresémer-
gents et les pays en développement; elle reste l’un des facteurs
essentiels de la croissance mondiale. Plus généralement, on peut
direquelaChinearéussisaréintégrationparmilesgrandespuis-
sances économiques de la planète, représentant en 2021 environ
19% de l’économie mondiale (contre 24% pour les États-Unis)1.
Ces évolutions ont bouleversé la société chinoise et elles ont
contraint le pouvoir politique à engager un certain nombre de
réformes institutionnelles. Toutefois, loin de disparaître ou de
s’affaiblir, le parti communiste s’est adapté. Le double paradoxe
bienconnudesréformeschinoisesestdonclesuivant:d’uncôté,
jamaisauparavantdansl’histoireunpaysdirigéparunPCn’avait
accepténin’avaitréussiunetellemondialisationdesonéconomie
et de sa société; de l’autre, les réformes engagées n’ont pas pour
objectif de remettre en question les fondements du système poli-
tique mis en place en 1949, la République populaire de Chine
(RPC), ni ne sont pour l’heure parvenues à les déstabiliser. Elles
l’ont au contraire renforcé, ayant avant tout pour but d’enrichir
lepays,donclepeuple,etderenforcerl’armée,doncl’État(fuguo
qiangbing), prolongeant ainsi la vieilleambition des réformateurs
de la fin de l’Empire.
1. Rappelonsqu’avant1840,laChinereprésentaitenvironuntiersdel’économie
mondiale.
Introduction | 13
S’iln’estplustotalitaire,lesystèmepolitiquechinoisrestedirigé
parunpartiuniquequimonopolisel’ensembledesleviersdecom-
mande de l’État et favorise une concentration des pouvoirs entre
lesmainsdesonpremierresponsable,aujourd’huiXiJinping.Cet
États’estmodernisé,amisenplacedesinstitutionsplusenphase
avec ses nouvelles missions et a lancé des réformes juridiques
souvent d’inspiration occidentale. Il a aussi décollectivisé l’agri-
culture, introduit des mécanismes de marché et privatisé une
partie de l’industrie et des services. Mais le régime politique est
demeurétrèsautoritaire,bridantleslibertéspubliques,etpromou-
vant une idéologie qui, si elle n’est plus que superficiellement
communiste, demeure profondément nationaliste et s’inspire
chaque jour davantage des aspects les plus conservateurs et éli-
tistesdelapenséeconfucéenne1.Parallèlement,leParti-Étatcen-
tralcommelocaletlesfamillesdelaNomenklaturacontinuentde
contrôler de larges secteurs de l’économie. Le gouvernement
encadre le marché et gère étroitement la monnaie ainsi que le
système financier2. Afin de maintenir la stabilité de la société, il
gère de manière plus flexible les conflits sociaux; cependant, il
dépense aujourd’hui plus pour le contrôle de la société et la ges-
tiondesesrevendications(lefameuxweiwen)quepourlasécurité
extérieuredu pays.Depuis2013, sousl’impulsionde Xi,lePCC a
aussi lancé unecampagne sans précédent contrela corruption de
sescadresdirigeants.Maisopérantdemanièreopaqueetsélective,
rétif à toute introduction de checks and balances qui risqueraient
d’affaiblirsonpouvoir,iln’estpasparvenuàvéritablementjugu-
lercefléau.Malgrél’ambitionaffichéed’établirun«Étatdedroit
1. Jean-PierreCabestan,LeSystèmepolitiquechinois:unnouveléquilibreautori-
taire,Paris,PressesdeSciencesPo,2014;DavidL.Shambaugh,China’sCommunist
Party : Atrophy and Adaptation, Berkeley (Calif.), University of California Press,
2008.
2. Nicholas R. Lardy, The State Strikes Back. The End of Economic Reform in
China?,NewYork(N.Y.),ColumbiaUniversityPress,2019.