Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Thèse de doctorat d’université Histoire médiévale FANNY MADELINE La politique de construction des Plantagenêt et la formation d’un territoire politique (1154-1216) SOUS LA DIRECTION DE M. JEAN-PHILIPPE GENET, PROFESSEUR A L’UNIVERSITE PARIS 1 PANTHEON-SORBONNE Volume I PRESENTEE LE 13 NOVEMBRE 2009 MEMBRES DU JURY : PATRICK BOUCHERON, MCF (HDR) A L’UNIVERSITE DE PARIS 1 PANTHEON-SORBONNE LAURENT FELLER, PROFESSEUR A L’UNIVERSITE DE PARIS 1, PANTHEON-SORBONNE VERONIQUE GAZEAU, PROFESSEURE A L’UNIVERSITE DE CAEN BASSE-NORMANDIE (RAPPORTRICE) MICHEL LAUWERS, PROFESSEUR A L’UNIVERSITE DE NICE SOPHIA-ANTIPOLIS (RAPPORTEUR) NICHOLAS VINCENT, PROFESSEUR A L’UNIVERSITE DE NORWICH La politique de construction des Plantagenêt et la formation d’un territoire politique (1154- 1216) Auteur : Fanny MADELINE Directeur de thèse : Professeur Jean-Philippe GENET Discipline : Histoire médiévale Résumé : Cette thèse étudie la formation d’un territoire politique à partir de la politique de construction des trois premiers Plantagenêt, Henri II, Richard Cœur-de-Lion et Jean sans Terre. Leur règne correspond à un moment « impérial », au cours duquel se mettent en place des modes de gouvernement permettant d’organiser la visibilité du pouvoir malgré l’étendue des territoires dominés. Le renforcement de la puissance royale s’est effectué par la saisie de nombreux châteaux féodaux, par l’insertion des vassaux dans des réseaux de fidélités à une échelle plus large, et par la redéfinition des prérogatives de la Couronne et d’une législation concernant les travaux « publics ». La question de l’utilité commune apparaît notamment à travers l’enjeu de la défense des frontières. Les conquêtes des Plantagenêt ont en effet contribué à redéfinir la nature de leur domination en même temps que la délimitation de leurs territoires. Les stratégies de résidence et de déambulation dans l’espace ainsi que la construction de monuments véhiculant l’idéologie royale et leur mise en réseau, par la circulation des ingénieurs royaux et des matériaux, ont également été des moyens mis en œuvre pour inscrire dans le territoire leur pouvoir et faire émerger sa dimension souveraine. Mots-clés : Architecture, chantier, châteaux, Common Law, constructions, Couronne, Échiquier, empire, espace, ingénieur, féodalité, frontières, Grande-Bretagne, itinéraires, patronage, pierre de taille, plomb, résidences, royauté, souveraineté, territoire, territorialisation, travaux publics, société politique. THE BUILDING POLICY OF THE ANGEVIN KINGS AND THE FORMATION OF A POLITICAL SPACE. Summary : This thesis uses the construction policy of the first three Plantagenet kings, Henry II, Richard Lionheart and John Lackland, to study the making of a political territory. These kings experimented new, ‘imperial’ methods of government, to ensure the ubiquitous visibility of power in a vast feudal territory. Royal power was staged through a variety of military, legal and symbolic means, including the seizure of many feudal castles, the deployment of vassalic affinities on a large scale, the recasting of the Crown’s prerogative, and the setting up of new legislation on public works. Similarly, the defence of the realm raised various questions of common utility. By establishing the borders of their territory, the Plantagenets have also established the contours of their imperial power. The Plantagenet kings erected buildings that were also vehicles of royal ideology, resided in them, linked them by strolling from one to another, and thus used them to imprint their feudal power and sovereignty on a territory. Keywords : Architecture, building works, castles, Crown, Exchequer, empire, engineer, feudalism, frontiers, Great-Britain, itineraries, residences, kingship, lead, sovereignty, space, square stone, territory, territorialization, public works, political society. Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP) CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris 3 à mes parents à la mémoire de R.M. 4 Remerciements Mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, Jean-Philippe Genet, qui a non seulement guidé et encouragé cette thèse jusqu’au dernier moment, mais qui a eu, plus largement, une influence décisive sur l’orientation qu’elle a prise progressivement au cours de ces dernières années, méthodologiquement mais bien plus encore intellectuellement. Cette recherche n’aurait été possible sans le soutien de l’Université de Paris 1. J’ai en effet pu bénéficier, durant quatre années, d’un poste d’Attaché Temporaire d’Education et de Recherche, pour achever cette recherche et commencer à enseigner (je tiens en particulier à remercier Claude Gauvard pour sa confiance). Le LAMOP a été également été un lieu stimulant et convivial dans lequel il m’a été agréable de travailler, et qui a toujours porté avec enthousiasme les initiatives des doctorant-e-s. Merci à Antoine Destemberg d’avoir partagé nombre de ces projets. Les résultats de cette recherche n’auraient sans doute jamais été les mêmes sans les discussions, les interrogations et les conseils des chercheurs et des historiens que j’ai eu la chance de côtoyer au cours de ces années. Mes remerciements vont en particulier à Etienne Anheim, Patrick Boucheron, Dominique Iogna-Prat, Renaud Morieux et Valérie Theis, ainsi qu’à Danièle Arribet-Deroin, Jean-François Bayard, Marie-Christine Bailly- Maître, Philippe Bernardi, Elma Brenner, Jean et Odette Chapelot, Peter Claughton, Alain Dallo, Judith Everard, Laurent Feller, Anne-François Garçon, Véronique Gazeau, Frédérique Lachaud, Stéphane Lamassé, Gabriel Martinez-Gros, Yann Potin, Daniel Power, Frédéric Saly-Giocanti, Nicholas Vincent et Paul Webster. J’ai également beaucoup appris auprès de Vincent Challet, Julien Demade, François Foronda, Thierry Kouamé, Didier Lett, Olivier Mattéoni, Joseph Morsel, Nicolas Offenstadt et Eric Vallet. Je tiens également à remercier ceux et celles qui m’ont aidé à finaliser ce travail et ceux dont l’amitié m’a portée jusque là : Marie Dejoux, Emmanuelle Delattre, Harmony Dewez, Anaïs Kien, Guylène Madeline, Benjamin Moulet, Priska Morrissey, Camille Taillefer et Magali Watteaux. Enfin, il m’est difficile de dire tout ce que je dois à Julien. Son amour, sa vitalité intellectuelle, son regard sur le monde ont été des sources dans lesquelles j’ai puisé pour donner du sens à ce travail comme à la vie en général. 2 Abréviations A.N.S.: Anglo Norman Studies, Annual proceedings of the Battle Abbey, Boydell press, Woodbridge. Acta Plantagenêt: The Acta of the Plantagenêts 1154-1204, VINCENT, N., EVERARD, J., and Sir James HOLT (éds.), History Data Service, UK Data Archive, à paraître. DNB Oxford Dictionary of National Biography, MATTHEW, C., HARRISON, B. et GOLDMAN, L. (éds.), Oxford University Press, 2004-09. Edition internet: (http://www.oxforddnb.com) DICETO RADULF DE DICETO, Opera historica : The Historical works of Master Ralph de Diceto dean of London, William STUBBS (éd.), Kraus reprint, Wiesbaden, 1965 [1876], (RS 68,1-2). J.B.S. : Journal of British Studies C.C.M. : Cahier de Civilisation Médiévale E.H.R.: English Historical Review H.J.S.: Haskins Society Journal HOVEDEN : ROGER DE HOVEDEN, Chronica magistri Rogeri de Houedene, William STUBBS (éd.), Kraus reprint, Wiesbaden, 1964 [1868-71]. (RS 51, 1-4) Layettes Layettes du Trésor des chartes. T.I: de l'année 755 à l'année 1223, Alexandre TEULET et Joseph DE LABORDE (éds.), Plon, Paris, 1863. MRSN : Magni rotuli Scaccarii Normanniae sub regibus Angliae, Thomas STAPLETON (éd.), Société des Antiquaires de Londres, Londres, 1840-1844. PETERBOROUGH: BENOÎT DE PETERBOROUGH, The Chronicle of the reigns of Henry II and Richard I, A. D. 1169-1192, William STUBBS, (éd.), London, 1867 (RS 49, 1-2),. PL MIGNE, Jacques P., Patrologiae cursus completus seu bibliotheca universalis, integra, uniformis, commoda, oeconomica, omnium ss. patrum, doctorum scriptorumque ecclesiasticorum, Paris, 1844-1865. PR .. H.II Great Rolls of the Pipe for the … Year of the Reign of King Henry the Second, Pipe Rolls Society, Londres 1900-2005. Recueil des actes d’Henri II : Recueil des actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France, Léopold DELISLE et Élie BERGER (éds.), C. Klincksieck, Paris, 1916-1920. Foedora RYMER, Thomas and alii, Foedera, conventiones, literæ, et cujuscunque generis acta publica, inter reges Angliæ, et alios quosvis imperatores, reges, pontifices ... 1967 [1704], vol I. T.R.H.S.: Transactions of the Royal Historical Society, Royal Historical Society, London. RHF: Recueil des historiens des Gaules et de la France, Martin BOUQUET et Léopold DELISLE (éds.), Paris: Victor Palme, 1833 - 1869. Rot. Chart.: Rotuli chartarum In Turri Londinensi asservati, Thomas D. HARDY, (éd.), G. Eyre and A. Spottiswoode, London, 1837. Rot. Lit. Claus. : Rotuli litterarum clausarum in Turri Londinensi asservati. I. 1204-1224, Thomas D. HARDY (éd.), G. Eyre and A. Spottiswoode, London, 1833. Rot. Lit. Pat. : Rotuli litterarum patentium in Turri Londinensis asservati, Thomas D. HARDY (éd.), Public Records, London, 1835. 3 TORIGNI : ROBERT DE TORIGNI, Chronique suivie de divers opuscules historiques, Léopold DELISLE, (éd.), A. Le Brument, Rouen, 1872-1873. £ : livre sterling liv. ang. : livre angevine. À cette date, elle équivaut à la livre tournoise, c'est-à- dire quatre fois moins que la livre sterling. Pour toute comparaison entre les deux monnaies, il faut donc soit multiplier par quatre les sommes en livre sterling, soit diviser par quatre les sommes de livre angevine. Dans les graphiques et les cartes élaborés dans une perspective comparative, c’est cette dernière option qui a été choisie. N.B. : les notes de bas de page contiennent une forme abrégée des références bibliographiques. Celles-ci sont présentées sous forme développée dans la bibliographie en fin de volume. 4 Introduction La formation de l’empire des Plantagenêt est le résultat d’une politique de conquêtes territoriales et d’alliances matrimoniales, que l’on peut faire remonter à l’impérialisme angevin de Foulque V, au XIe siècle. Cette origine angevine de l’empire a justifié, jusqu’à présent, l’expression d’« empire angevin », forgée à la fin du XIXe siècle et devenue courante dans l’historiographie britannique1. Dès 1096, Foulque étend ses droits sur la Touraine, qu’il conquiert château par château et construit les grandes forteresses de Loches, Chinon et Loudun. Puis en 1110, à la mort de son grand-père maternel, Hélie, le comte du Maine, Foulque hérite de sa principauté. En 1128, une nouvelle étape est franchie avec le mariage de son fils Geoffroy le Bel et de Mathilde, la fille de Henri Ier d’Angleterre, dite l’Empresse parce qu’elle avait été couronnée impératrice à Rome en tant qu’épouse de l’empereur Henri V. À cette date, Mathilde est la seule héritière de Henri Ier. Celui-ci était parvenu depuis 1106, après une longue guerre fratricide qui s’achève à la bataille de Tinchebray, à réunir à nouveau sous sa seule autorité le regnum d’Angleterre et le duché normand. L’« empire normand »2 était né en 1066, lorsque Guillaume duc de Normandie était parvenu à conquérir le trône d’Angleterre à la mort d’Edward le Confesseur, en l’emportant sur Harold FitzGodwin. L’origine normande constitue donc la seconde racine de l’empire des Plantagenêt, et pour certains historiens, elle est d’ailleurs la plus légitime. Pour Thomas K. Keefe et Charles W. Hollister, en effet, l’idée d’un « empire » serait née davantage de la volonté d’Henri Ier plutôt que des ambitions de Foulque d’Anjou3. Mais quel qu’en ait été le concepteur, il est admis que sa réalisation pleine et entière a été principalement l’œuvre d’Henri II. À la mort de Geoffroy le Bel, en 1151, Henri, qui a à peine 20 ans, hérite de la Normandie, à charge pour lui de la reconquérir ainsi que l’Angleterre, dont le trône 1 GILLINGHAM, J., The Angevin Empire, 1984; BACHRACH, B. S., « The idea of the Angevin Empire », Albion,10: 4 (1978), p. 293-299. 2 LE PATOUREL, J. H., Feudal Empires : Norman and Plantagenet, 1984; Id., The Norman Empire, 1976. 3 HOLLISTER, C. W. et KEEFE, T. K., « The making of the Angevin Empire », The Journal of British Studies, 12: 2 (1973), p. 1-25. 5 avait été usurpé à la mort de Henri Ier, en 1135, par son cousin Étienne de Blois. L’année suivante, en 1152, il épouse Aliénor, l’héritière du duché d’Aquitaine, qui vient d’être répudiée par son premier époux, le roi de France Louis VII. Ainsi, lorsqu’en décembre 1154, Henri II est couronné roi d’Angleterre à Westminster, il se retrouve maître d’un espace s’étendant des monts Cheviots aux Pyrénées. Mais son pouvoir n’en reste pas moins théoriquement en partie soumis au roi de France, auquel il a rendu hommage pour ses territoires continentaux. Si l’empire des Plantagenêt n’avait qu’un seul maître, il était composé de principautés territoriales aux coutumes, aux langues et aux rapports de pouvoir très différents qui en faisaient un espace profondément hétérogène. Cette hétérogénéité ainsi que son effondrement précoce, au bout de cinquante ans, ont été les principaux arguments des historiens qui ont refusé de considérer que l’espace politique dominé par Henri II et ses fils constituait un « empire ». Nous discuterons ces arguments dans le chapitre 1, qui présente la documentation et expose les bases méthodologiques de cette étude ainsi que l’historiographie de la problématique impériale. Qu’il soit contesté ou accepté, le cadre impérial a constitué, depuis près d’une vingtaine d’années, l’objet de recherches menées au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers, plus récemment sous la direction de Martin Aurell4. Favorisant les perspectives interdisciplinaires et transnationales, ces travaux ont ainsi permis de mieux saisir ces spécificités propres à chaque territoire de l’empire des Plantagenêt. S’il est composé de multiples territoires, aux féodalités contrastées, l’empire constitue également un cadre commun à partir duquel les comparaisons sont possibles. Son échelle d’analyse permet en effet de surmonter les schémas narratifs des historiographies nationales et de proposer, moins un décentrement, comme le prônait John Pocock5, qu’une perspective 4FAVIER, J. (éd.), Henri II Plantagenêt et son temps. Actes du colloque de Fontevraud, 29 septembre- 1er octobre 1990, 1994 ; AURELL, M. (éd.), La cour Plantagenêt, 1154-1204. Actes du colloque tenu à Thouars du 30 avril au 2 mai 1999, 2000 ; Id. , Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224. Table ronde tenue à Poitiers le 13 mai 2000, 2001 ; Id., Culture politique des Plantagenêt (1154-1224). Actes du colloque tenu à Poitiers du 2 au 5 mai 2002, 2003 ; AURELL, M. et TONNERRE, N.-Y. (éds.), Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006; La thèse M. BILLORÉ., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de M. Aurell, 2005, à paraître chez Brépols sous le titre : Pouvoir et noblesse en Normandie. De l’autorité des Plantagenêt à celle des rois de France (1150-1259); Mais aussi au sein de l’équipe du CRAHM : FLAMBARD HÉRICHER, A. M. et GAZEAU, V. (éds.), 1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens. Actes du colloque international tenu du 16 au 19 juin 2004 à Caen et à Rouen, 2007. 5 POCOCK, J. A. G., « British History : a plea for a new subject », The Journal of Modern History, 47 :4 (1975), p. 610-621 : propose d’adopter une perspective « archipélagique » incluant l’histoire britannique dans une histoire impériale, plutôt qu’européenne. 6 comparative, sans tentation uniformisante et attentive à la spécificité propre de chaque territoire6. Cette étude consacrée à la politique de construction des Plantagenêt s’inscrit dans cette perspective comparative, cherchant à jeter un pont entre deux historiographies qui se sont souvent tournées le dos7. Certes, de nombreux historiens britanniques ont travaillé sur la Normandie ou sur le monde anglo-normand, mais les études transversales, ou globales, sur l’empire des Plantagenêt, ont rarement intéressé les historiens français et britanniques, à quelques exceptions près et surtout lorsqu’il s’agissait de discuter de la question de « l’empire »8. Contrairement aux travaux qui ont été menés jusqu’à présent, essentiellement dans un cadre national ou régional, l’analyse de la politique de construction des Plantagenêt a pour objectif de saisir les différentes manifestations de l’implantation du pouvoir princier dans chacune de ces principautés, non pas dans une perspective « identitaire »9 mais dans le but de comprendre comment l’organisation des constructions à l’échelle impériale a changé la donne, autrement dit, comment l’empire a contribué à l’avènement d’un territoire politique. Cet objectif implique tout d’abord de saisir quelles étaient les spécificités territoriales de l’empire, du point de vue des rapports de pouvoir et de domination : Quelles étaient les féodalités des différents territoires de l’empire ? La présentation de la « marqueterie » territoriale ne doit cependant pas occulter l’idée que le moment impérial est aussi une étape essentielle dans le long processus de dépersonnalisation et de spatialisation des rapports de pouvoir qui caractérise la féodalisation de la société occidentale médiévale. 1.1.1- Territoires et féodalités L’historiographie britannique a longtemps discuté pour savoir dans quelle mesure la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, en 1066, avait 6 C’est le programme que proposait en effet Rees R. Davies, dans un article où il reprochait à la British History de n’être qu’une déclaration d’intentions sans perspective heuristique, s’il s’agissait juste de décentrer sans comparer. DAVIES, R. R., « In praise of British History », dans The British Isle 1100- 1500. Comparisons, Contrasts and Connections, 1988, p. 9-26. 7 GENET, J.-P., « Histoire politique anglaise, histoire politique française », dans Saint-Denis et la royauté. Études offertes à Bernard Guenée, 1999, p. 621-636. 8 LE PATOUREL, J. H., « The Plantagenet dominions », History, 50 (1965), p. 289-308 ; BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956; GILLINGHAM, J., The Angevin Empire, 1984; AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004; FAVIER, J., Les Plantagenêts, 2004. 9 BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S., 2002, p. 43-70; BAUDRY, M.-P. et al. (éds.), Les fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe- XIVe siècles. Actes du colloque international tenu à Poitiers, les 11-13 novembre 1994, 2000. 7 contribué à féodaliser le royaume anglo-saxon d’Edward le Confesseur. Depuis la fin du XIXe siècle et les travaux de John H. Round puis de Frank Stenton sur l’introduction du service chevalier en Angleterre10, la doxa plus ou moins établie véhiculait l’idée que l’arrivée des Normands avait introduit en Angleterre une forme radicalement nouvelle de tenure militaire. L’une des manifestations les plus visibles de cette « révolution féodale » anglaise était notamment la construction massive de châteaux en Angleterre, qui ont également été introduits par les Normands11. L’idée d’une continuité féodale entre la Normandie et l’Angleterre commence cependant à être remise en cause dans les années 196012. À partir des années 1970, avec la critique du féodalisme comme catégorie « tyrannique » de l’écriture de l’histoire, ce schéma est plus violemment rejeté13. Selon Susan Reynolds, l’idée que le féodalisme aurait été introduit en Angleterre au moment de la conquête relevait d’une conception nationaliste « profondément ancrée dans des traditions linguistiques et pseudo-raciales »14. Elle attribue également la longue prégnance d’une telle idée dans l’historiographie à l’absence d’histoire réellement comparative entre l’Angleterre et le continent que la disparité des traditions documentaires rendait difficile. Récemment, la réhabilitation du concept de féodalisme a été justifiée non plus pour décrire l’introduction d’une pyramide féodale parfaite (dont les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire qu’elle constitue un mythe), mais pour décrire les transformations sociales qui ont lieu autour de 110015. Ces transformations ont notamment contribué à insérer l’Angleterre dans un réseau continental de relations, non seulement féodo-vassaliques, mais aussi ecclésiastiques. Si la féodalité anglaise était différente des féodalités continentales qui constituaient l’empire des Plantagenêt, c’est parce qu’elle intégrait en partie l’héritage 10 ROUND, J. H., Feudal England. Historical Studies on the XIth and XIIth centuries, 1964; STENTON, F. M., The First Century of English Feudalism, 1066-1166, being the Ford lectures delivered in the University of Oxford in Hilary term 1929, 1968. 11 BROWN, R. A., Origins of English Feudalism, 1973. 12 DOUGLAS, D. C., The Norman Conquest and British Historians, being the Thirteenth Lecture on the David Murray Foundation in the University of Glasgow, delivered on February 20th, 1946, 1946; HOLLISTER, C. W., « The Norman conquest and the genesis of English feudalism », The American Historical Review, 6 (1961), p. 641-664. 13 BROWN, E. A. R., « The tyranny of a construct : feudalism and historians of medieval Europe », The American Historical Review, 79: 4 (1974), p. 1063-1088; GILLINGHAM, J., « The introduction of the knight service into England », Ante, 4 (1981), p. 53-64; PRESTWICH, M. O., « Anglo-Norman feudalism and the problem of continuity », Past & Present, 26: 1 (1963), p. 39-57. 14 REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 323-324. 15 CARPENTER, D. A., The Struggle for Mastery, 2003, p. 81-87; HOLT, J. C., « The Casus Regis: the law and politics of succession in the Plantagenet dominions 1185-1247 », dans Colonial England, 1066- 1215, 2003, p. 307-326; HOLT, J. C., Colonial England, 1066-1215, 2003, p. 81-101. Pour un résumé des débats voir notamment CHIBNALL, M., The Debate on the Norman Conquest, 1999. 8
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