Université Mouloud Mammeri Facultés des lettres et langues Département de français Ecole doctorale La place du français dans le discours épilinguistique de lycéens tizi-ouzouèns: approche praxématique Thèse de doctorat En sciences du langage Réalisée par Rabiha Ait Hamou Ali Codirigée par Monsieur le Professeur Yacine Derradji Monsieur le Professeur Jean-François Sablayrolles Présentée devant le jury: Karima Ait Dahmane, Présidente, université Alger 2, Professeure Yacine Derradji, Rapporteur, université Med Mentouri de Constantine, Professeur Jean-François Sablayrolles, rapporteur, université Paris XIII, Professeur Christine Jacquet-Pfau, Examinatrice, Collège de France, Paris, Maître de conférences Ahmed Boualili, Examinateur, université M. Mammeri, Maitre de conférences classe A Aldjia Outaleb-Pellé, Examinatrice, université M. Mammeri, Maitre de conférences classe A Soutenue le 8 septembre 2014 Remerciements Je vous remercie Messieurs les Professeurs Yacine Derradji et Jean- François Sablayrolles pour vos remarques, suggestions et votre soutien. Je vous remercie de m’avoir dirigée à distance et corrigé les versions électroniques de mes travaux. Je remercie les membres du jury d’avoir accepté d’évaluer cette modeste étude. Merci Chérif pour ton soutien et ta disponibilité. Je remercie chaleureusement les élèves et leurs parents qui ont accepté de discuter avec moi la problématique au cœur de la présente thèse. Pour mon beau-frère Salem Pour mes parents et beaux-parents Pour Chérif, Samy et Yani Sommaire Introduction générale……………………………………………………………………….. 02 Chapitre 1: Le cadre théorique et méthodologique…………………………………………….… 07 Introduction………………………………………………………………………………...… 07 Le cadre théorique………………………………………………………………………...… 08 Le cadre méthodologique…………………………………………………………… 26 Conclusion………………………………………………………………………………….… 47 Chapitre 2 : Le français et les langues nationales…………………………………………….……49 Chapitre 3: Le français, une langue de savoir, de technologie et d’avenir?........................... 90 Chapitre 4: Le français, une langue dépassée par l’anglais?................................................ 130 Chapitre 5: Le français, une belle langue?............................................................................ 171 Chapitre 6: Le français, une langue-visa?............................................................................. 206 Conclusion générale……………………………………………………………………………….... 243 Bibliographie…………………………………………………………………………………………. 251 Annexes……………………………………………………………………………………………… 261 Table des matières………………………………………………………………………………... 403 Introduction générale La problématique: En m’appuyant sur les principes de la linguistique praxématique, je me propose, dans la présente étude, de recueillir et d’analyser les procédés linguistiques d’élaboration des représentations du français dans des discours épilinguistiques que je sollicite auprès de lycéens tizi-ouzouéens1 candidats au baccalauréat de l’année 2011. Ces lycéens évoluent, d’un côté, dans un univers pédagogique et didactique plutôt arabisant, la langue de l’école étant l’arabe et, de l’autre côté, dans un espace social plurilingue où le kabyle, langue majoritaire dans la région de Tizi-Ouzou, l’arabe ‘’dialectal’’ ainsi que le français sont en concurrence. Ils s’apprêtent à poursuivre des études universitaires dont les filières scientifiques et techniques sont enseignées en français. En allant à leur rencontre pour discuter avec eux des langues à l’école, en général, et du français, en particulier, sans jamais perdre de vue l’impact que pourrait avoir sur eux ce qui se dit ou s’entend à propos de ces langues autour d’eux, c'est-à-dire dans leur vie quotidienne en rapport avec le bilinguisme social en cours, je me situe donc dans un cadre théorique global qui est celui de la sociolinguistique. En effet, je pars de l’hypothèse selon laquelle les fonctions de langues vernaculaires, véhiculaires, de réussite ou d’échec social, etc., qu’on attribue à chacune de ces langues tout comme les sentiments qu’on éprouve à leur égard, ont un ancrage social. Les discours qui les concernent le sont aussi. Mais en choisissant le milieu scolaire et plus précisément des candidats au baccalauréat, je souligne combien il est important, pour moi, enseignante dans un département universitaire de français, de comprendre le fondement social des imaginaires autour du français dont témoigne la parole de ces élèves finissant un parcours scolaire essentiellement en arabe et se préparant à un cursus universitaire en français. La préoccupation du pédagogue et du didacticien n’est donc pas lointaine même si elle est ici en amont puisque la recherche cible la compréhension des mécanismes de fonctionnement à la base des attitudes exprimées à l’égard du français par des locuteurs engagés dans un examen en arabe pour entreprendre des études en français ou de français2. Le cadre théorique de la recherche: 1 De Tizi-Ouzou, une des principales villes kabylophones. 2 Il y a bien sûr ceux qui seront orientés vers des filières enseignées en arabes (psychologie, droit…) vers les langues arabe, française, anglaise… Je précise, toutefois, que ces discours bien qu’authentiques ne sont pas tout à fait spontanés puisque je les provoque et je pourrai même dire qu’en les (re)centrant sur les langues, en relançant leurs auteurs, etc., je participe à leur élaboration sans avoir l’intention de faire produire telle parole ou telle mise en mots ou en discours. Par conséquent, ce sont des discours co-produits dans des échanges intersubjectifs sur ces langues. Ce qui exige la praxématique comme mode de recueil et d’analyse de ces discours car ce qui est recherché ce sont surtout les manières avec lesquelles les représentations autour du français s’y élaborent en tant que processus et non pas en tant que produit, c'est-à-dire définitif et figé. Il n’est pas non plus, en effet, question de mises en mots ou en discours spontanées telle que, par exemple, les productions écrites dont le sujet principal ne concerne pas la façon avec laquelle on voit le français parmi les langues présentes dans l’univers social et pédagogique des élèves ‘’interrogés’’: lettres, compositions sur table, devoirs de maison… Sans doute, ce type de productions discursives contient des éléments épilinguistiques pouvant renseigner sur l’imaginaire des auteurs en ce qui concerne cette langue. Toutefois, ces mises en mots du fait qu’elles sont beaucoup plus produites (bien qu’elles constituent des réponses à une question en situation pédagogique) que co-produites dans un cadre d’échanges directs, elles sont plutôt à soumettre aux procédés de l’analyse du contenu. Et c’est, de ce fait, tout l’aspect interactif, intersubjectif, dialogal et dialogique/polyphonique, à la base du processus de la construction linguistique de ces représentations, qui est évacué. Or, l’inscription du sujet dans sa parole tout comme la gestion et la négociation du sens en train de se produire constituent, pour moi, ce qui fait de ce projet un sujet de sciences du langage. Autrement dit, ce n’est pas uniquement ce qui est dit à propos du français, en compétition avec l’arabe, le kabyle et l’anglais qui m’intéresse. Les modalités de sa mise en discours sont encore plus importantes. Ce que cible la présente étude réside aussi dans ce qui est passé sous silence sous forme de non-dits, d’autocensures, de camouflages et d’évitements stratégiques ou inconscients; car dans les deux cas il faut y dégager les indices et les ingrédients linguistiques dans la perspective de reconstituer les processus qui sous-tendent ces représentations. Il est donc plutôt question de provoquer la parole de ces lycéens dans le cadre d’entretiens centrés sur la manière avec laquelle ils perçoivent le français ou, pour être précis, sur ce qu’ils acceptent de (me) dire à propos du français dans cet univers scolaire et social. Ici, la démarche praxématique semble adéquate. En adoptant ses principes, les entretiens dépassent l’échange classique questions/ réponses pour faire de l’investigation verbale: interroger ce qu’on présente comme des vérités générales souvent perçues comme inutiles à démontrer comme le français est une langue de sciences et de culture, une belle langue ou une langue dépassée par l’anglais… Il s’agit, en partie, de préciser ce qu’il y aurait de beau dans cette langue qui, faut-il le rappeler, est évaluée en rapport avec l’arabe, le kabyle et l’anglais. En quoi le français est-il scientifique ? Qu’est-ce qu’il y a de scientifique et de culturel dans cette langue? Pourquoi la considère-t-on ainsi ? Les autres langues (pas seulement l’arabe et le kabyle) ne seraient-elles pas scientifiques et/ou culturelles alors? Bref, comment catégorise-t-on ces notions parmi d’autres? Le contenu des chapitres: Six chapitres composent la rédaction de cette thèse Dans le premier, j’explicite le cadre théorique et méthodologique dans lequel j’ai recueilli et décrit les processus linguistiques d’élaboration des représentations du français dans les discours épilinguistiques suscités. Dans les cinq autres chapitres, je présente les analyses des discours recueillis en y faisant ressortir, d’un côté, la place du français respectivement vis-à- vis des langues nationales et de l’anglais, et, de l’autre côté, les catégorisations que l’on se fait du français tour à tour comme une langue de savoir, de technologie et d’avenir; comme une belle langue et/ou une langue pour voyager. Voici les intitulés des ces six chapitres: Chapitre 1: Le cadre théorique et méthodologique Chapitre 2: Le français et les langues nationales Chapitre 3: Le français, une langue de savoir, de technologie et d’avenir? Chapitre 4: Le français, une langue dépassée par l’anglais? Chapitre 5: Le français, une belle langue? Chapitre 6: Le français, une langue-visa? Après la bibliographie, figurent les annexes et le corpus: le questionnaire de la pré-enquête, le guide d’entretien ayant servi l’enquête proprement dite et les entretiens. Impliquée à la fois en tant qu’enseignante mais aussi en tant que citoyenne dans le débat suscité dans le cadre de cette thèse sur les langues à l’école et dans la vie sociale, en général, je considère inutile de rappeler que ce travail n’est pas la seule façon d’aborder la construction des représentations dans l’activité langagières intersubjectives des locuteurs. Les situations tout comme les partenaires des échanges langagiers sont si variés qu’il est évident que ce qui est recevable ici ne l’est pas forcément ailleurs. Peut-être qu’en attirant une fois de plus l’attention sur la motivation socio-didactique à sa base, son interprétation ne dépassera pas le cadre de son élaboration. Chapitre 1 Le cadre théorique et méthodologique 1.1. Introduction: En m’inscrivant dans l’orientation sociolinguistique de langues en contact, je fais mienne l’affirmation selon laquelle les langues sont égales de principe: elles sont toutes doublement articulées. Mais elles n’ont pas les mêmes fonctions sociales. Cette inégalité, dans les fonctions sociales qu’elles remplissent, a des répercussions sur les façons de les percevoir, d’en parler, sur les façons d’adopter des attitudes à leur égard, à l’égard de leurs locuteurs, et même des comportements faisant que certaines sont recherchées et considérées plus faciles à connaître, à apprendre quand d’autres sont fuies et dites «difficiles» ou «compliquées». En effet, parler une langue inconnue ou parler mal un français ou un anglais, par exemple, est de moins en moins qualifié, comme autrefois, de chinois ou encore de chinoiserie. Cela a sans doute un rapport avec le poids économique de la Chine dans la mondialisation en cours qui fait que le chinois devient petit-à-petit une langue ‘’désirée’’. C’est pourquoi on relativise la complexité et les difficultés de son apprentissage liées, entre autres, au grand nombre d’idéogrammes qui lui sert d’écriture. C’est dire que les langues en elles mêmes sont ‘’pour rien’’ dans ce qu’on leur attribue comme valeurs ou vices. Ce sont les locuteurs qui les utilisent aussi bien dans la vie de tous les jours que dans le cadre de la parole élaborée (à l’écrit plus qu’à l’oral) qui sont à la base des façons de les voir, de les classer, de les rechercher ou de les abandonner… Ainsi, les fonctions sociales des langues ont un rôle déterminant dans les façons avec lesquelles ces dernières sont catégorisées par les locuteurs. C’est pourquoi il me semble nécessaire de prendre en considération le statut du français dans l’espace social où évoluent les élèves auprès de qui je sollicite des discours épilinguistiques justement, mais aussi ceux de l’arabe et du kabyle avec qui cette langue partage des domaines sociaux mais surtout scolaire pour ce qui concerne, en premier lieu, la présente étude. Je fais également mienne l’idée selon laquelle contourner ou évacuer ma subjectivité dans le traitement d’un objet aussi politique, car il est géré institutionnellement, que polémique, car il fait partie de l’ensemble social (auquel j’appartiens d’ailleurs), ne relève pas de l’objectivité mais, bien au contraire, ressemble à une abstraction des enjeux de la réalité complexe et dont la saisie est encore plus complexe. Voilà qui m’amène donc à m’interroger sur les voies et les moyens de recueillir et d’analyser des paroles auxquelles je participe. Ce n’est pas que j’ignore que ces voies et ces moyens constituent en réalité un bloc: c’est pourquoi je les mets dans le même chapitre. Tout juste que pour un besoin de clarté, je les présente sous forme de deux sous-chapitres complémentaires. 1.2. Le cadre théorique Je m’interroge donc, dans ce chapitre, successivement sur le cadre théorique et méthodologique avec ce souci de faire ressortir, comme cela est formulé en «linguistique du désordre et de la complexité» (L. J. Calvet, 2007: 3, Ph. Blanchet, 2012: 16), le point à partir duquel je décris l’élaboration des représentations linguistiques de lycéens tizi-ouzouéens avec qui j’échange autour du français, tout en sachant qu’il y a d’autres façons d’aborder ce thème: les représentations du français en milieu scolaire. Je me situe donc dans l’activité langagière que je provoque et conduis avec eux. Autrement dit, je me propose de faire ressortir l’élaboration de ces représentations dans ces activités interactives en m’appuyant sur les principes de la linguistique praxématique. D’où l’utilité de préciser en quoi consiste cette linguistique et ce que son adoption ici implique comme dispositif théorique et méthodologique à la base de la présente étude. Qu’est-ce que donc la linguistique praxématique? Quels sont ses sources, ses fondements et ses principes? Qu’est-ce que son adoption implique sur la collecte et l’étude des discours épilinguistiques? Qu’est-ce qu’un discours épilinguistique? S’agit-il de simples mises en mots des représentations que l’on se ferait des langues? Qu’est-ce qu’on entend au juste par la notion de représentations? Pourquoi le pluriel? Quel est le statut des représentations dans les sciences du langage? Comment ces dernières y sont-elles étudiées? Sont-elles de même nature selon qu’on les décrit à partir d’une interaction verbale ou dans des productions à caractère plutôt ‘’mono-énonciatif’’? Qu’est-ce que l’interaction verbale? A quoi renvoient les notions de co-construction, de dialogisme et de polyphonie, celle de l’un et du multiple, celle du Même et de l’Autre, de l’Ici et de l’Ailleurs de la personne, etc., dans les échanges langagiers? Qu’est-ce qu’on entend par réglage et négociation sociaux du sens durant un échange langagier ou une interaction verbale? 1.2.1. La praxématique: théorie de la production du sens dans le langage 1.2.1.1. Qu’est-ce que la praxématique? Théorie de la production dynamique du sens en langage qui se propose d’expliquer la parole en action, la praxématique est fondée, durant les années soixante-dix, à l’université Paul Valéry III de Montpellier, par Robert Lafont. Autour de celui-ci, il y a Françoise-Gardes Madray, Paul Siblot, Jeanne-Maris Barbéris, etc. Parmi les universitaires qui inscrivent leurs recherches dans cette perspective, il y a notamment J. Bres, B. Maurer, M. Sandré, A. Salazar Orvig, M. Grossen…
Description: