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La Parole trouee : Beckett, Tardieu, Novarina (Archives des lettres modernes, 292) PDF

162 Pages·2016·6.21 MB·French
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ARCHIVES DES LETTRES MODERNES collection fondée et dirigée par Michel MINARD 292 LYDIE PARISSE la "parole trouée" Beckett, Tardieu, Novarina lettres modernes minard CAEN 2008 Toute citation formellement textuelle (avec sa référence) se présente soit hors texte, en caractère romain compact, soit dans le corps du texte en italique entre guillemets, les soulignés du texte d'origine étant rendus par l'alternance romain [italique ; mais seuls les mots en PETITES CAPITALES y sont soulignés par l'auteur de l'étude. À l'intérieur d'un même paragraphe, les séries continues de références à une même source sont allégées du sigle commun initial et réduites à la seule numérotation ; par ailleurs les références consécutives identiques ne sont pas répétées à l'intérieur de ce paragraphe. Le signe * devant une séquence atteste un écart typographique (italiques isolées du contexte non cité, PETITES CAPITALES propres au texte cité). Les citations d'un texte non publié (dialogues de films, émissions radiophoniques, traductions personnelles, archives, collections privées) sont présentées en romain et entre guillemets. Une séquence entre barres verticales * | | indique la restitution typographique d'un texte non avéré sous cette forme (rébus, calligrammes, montages, découpages, sites Internet). Une séquence entre crochets [séquence] indique la transcription typographique d'un état manuscrit (forme en attente, alternative, option non résolue, avec ou sans description génétique). Les descriptions des manuscrits se font en conformité avec le Code de Description génétique des Lettres Modernes (Mémento sur demande). toute reproduction ou reprographie même partielle et tous autres droits réservés PRODUIT EN FRANCE ISBN 978-2-256-90488-2 INTRODUCTION DANS Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d'une recherche, par Jean Pierre Sarrazac, nous trouvons cette notation : Un théâtre de la parole s'écrit ainsi indépendamment d'un théâtre de person nages, caractérisé aussi bien par sa rareté chez Samuel Beckett, que par son abondance chez Valère Novarina. [...] À force d'accueillir des paroles éparses ou des énoncés en déshérence, il arrive même que ces théâtres, sensibles aux effets de chœur, expulsent radicalement tout semblant de personnage et se passent de source émettrice figurée. [...] L'acteur ne peut plus prendre en charge de tels personnages selon les systèmes de jeu ayant cours, qu'ils visent à l'identification ou à des formes de distance. On le dit traversé par la parole.1 Si rapprocher Novarina et Beckett va de soi, c'est la présence de Jean Tardieu qui peut surprendre ici. En effet, son théâtre s'impose avec moins d'évidence, et ne peut se comprendre que par référence à l'œuvre poétique, aux essais, aux fragments d'autobiographie. Historiquement, Tardieu appartient, comme Beckett, à la période du Nouveau Théâtre, comme Ionesco d'ailleurs, qui partage un certain nombre de leurs hantises, touche également à la poésie et à la peinture, et alimente pleinement, dans Le Solitaire notamment, les problématiques abordées ici. Ce qui le démarque peut-être de ses deux contemporains, c'est sans doute, à la fin de sa vie, un attrait pour le religieux, alors que Tardieu et Beckett ne quittent pas le cadre de l'athéisme. Nous proposons ici l'état d'une recherche qui ne se prétend ni exhaustive, ni achevée. Il invite, à partir de deux de ses repré sentants qui nous bouleversent, à une lecture du théâtre de la 3 notes, p. 7 période dite du Nouveau Théâtre, en montrant comment l'influence des théâtres virtuels de la fin du XIXe siècle a conduit à refonder l'esthétique d'un théâtre souvent qualifié — peut- être à tort — de « métaphysique ». La recherche sur le langage, propre à Tardieu et à Beckett, apparaît comme une spécificité de la langue française, et trouve ses prolongements aujourd'hui dans le "théâtre des paroles" de Novarina. Étudier ces trois auteurs, héritiers du primitivisme littéraire présent chez Lautréamont, Rimbaud, Jarry et Artaud, mais aussi du théâtre symboliste de Villiers de LTsle-Adam et de Maeter linck, revient moins à décrire une dramaturgie, qu'à tracer les contours d'un rêve de théâtre, une certaine façon d'imaginer l'espace-temps théâtral comme un espace du possible et de l'impossible, soumis au sentiment d'un manque essentiel, manque ontologique, manque structural, lié à la nécessité de l'incarnation, aux conditions concrètes de la représentation, à la nature de la parole, toujours paradoxale, toujours aux franges du silence. Leur théâtre est nourri par autre chose : une démarche, une pensée, une inquiétude, qui s'exprime ailleurs, dans leurs essais, dans leurs poèmes. Tous trois ressentent le théâtre comme le lieu d'une lacune. Tous trois sont des poètes, et fondent leur théâtre sur le "sentiment d'étrangeté" dans la langue. Tous trois pensent l'espace scénique à partir de la peinture, de son regard radicale ment autre, de son langage radicalement autre. Tous trois sont attachés à la figure de la singularité, tous trois ont leur double, qu'il se nomme Jean, Froeppel, ou toutes ces créatures de vieillards-enfants qui finissent par n'en faire qu'une chez Beckett. Tous trois ont leur part d'enfance. Tous trois, au fondement de l'écriture, revendiquent l'expérience de sortie de soi, tout en étant résolument athées. L'héritage des mystiques est hautement reven diqué par Novarina, le vocabulaire mystique parcourt l'œuvre de Beckett et de Tardieu. Pour simplifier, on peut avancer que Tardieu lisait Jean de la Croix, que Beckett lisait Maître Eckhart, que Novarina lit Jeanne Guyon, dont l'écriture torrentielle s'accorde à la sienne, comme sa pensée. Novarina s'inspire du pur amour pour repenser l'espace théâtral, la relation de l'acteur au spectateur, 4 mais aussi de l'auteur au lecteur, la scène étant transposition de l'acte de lecture ; enfin, pour lui, le théâtre est le lieu où affirmer les valeurs dites « féminines » de passivité. Tous trois fondent l'acte théâtral sur la pratique — et non pas seulement l'idée — de dépossession. L'interrogation sur ce qu'est le langage a partie liée avec le questionnement sur le réel, qui trouve ses racines dans un lien très profond avec ce que nous pourrions appeler "l'expérience mystique". Au théâtre, cela abou tit à une mise en cause radicale de Fespace-temps, comme le souligne ce personnage de Novarina : L'OUVRIER OUICEPS — Nous ne pouvons passer dans le temps retourné — et cependant nous savons qu'il s'inverse; nous ne pouvons voir à l'envers l'univers — mais nous pouvons entendre de l'autre côt édu langage que l'espace nous apparaît . (01, 162) Il s'agit de fonder le théâtre sur un vide de théâtre, d'interroger sur scène les limites du rcprésentable, de confronter le spectateur à la question des limites de l'incarnation, mais aussi des percep tions. Leurs parcours sont marqués par une expérimentation concrète de ce que peut être le vide : en cela, ce serait une erreur de voir en eux des pessimistes, des nihilistes, ou des abstraits. Absorbés dans un travail concret, ils semblent ne pouvoir penser l'écriture, penser le théâtre sans entrer dans un acte d'humilité, en regard de l'obsession — ou de la nostalgie — du non-né : J'étais moi-même, je me voulais moi-même et je me connaissais moi-même, pour faire cet homme qu'ici-bas je suis. Et c'est pourquoi je suis cause de moi-même selon mon être qui est éternel, mais non pas selon mon devenir, qui est temporel. C'est pourquoi je suis non-né et selon mon mode non-né je ne puis plus jamais mourir.2 Que l'on nomme ce point de vue le non-né, le non-savoir, l'infor mulé, le silence, le vide, l'incréé, il est le centre de la réflexion théâtrale. L'être humain « a plutôt été fait pour être une bête pour le vide » (TP, 140), écrit Novarina. Beckett, auteur, comme Maître Eckhart, d'un ouvrage nommé L'Innommable, cherche un point de séparation de la parole et de la pensée, qui ne peut s'étreindre que dans la « misère des mots » (/, 145-6), hors de la langue du pays 5 natal, et dans un lieu-non-lieu : «[...] c'est au milieu qu'il faudrait être, là où on souffre, là où on exulte, d'être sans pensée, d'être sans parole, là où on ne sent rien, n'entend rien, ne sait rien, ne dit rien, n'est rien, c'est là où il ferait bon être, là où on est. ». Tout le théâtre de Tardieu est hanté par le non-lieu, ou lieu de la rencontre mystérieuse des opposés, qui est une donnée du langage primitif comme de l'expérience humaine. La contra diction est une figure majeure de son œuvre et le leitmotiv de son théâtre, sorte de laboratoire de l'indicible, de l'invisible, de l'impensé, d'où son nécessaire inachèvement. Dans Le Professeur FroeppeU Tardieu imagine que l'illustre savant a laissé les traces d'une non-œuvre qui reste à imaginer : des machines qui restent à décrire et à dessiner (FF/, 437), une œuvre plastique à meubler, des problèmes de toutes sortes à résoudre (PFii, 1222), la seule préoccupation étant : le rien, le vide. Novarina imagine l'entrée improbable d'un personnage : « Entrée de la parole, en sang. » (01, 162). Ces situations ont un point commun : elles convoquent sur la scène du théâtre, et par les moyens de l'illusion, l'irreprésentable. La scène n'est plus seulement le lieu d'une contradiction, mais l'espace de l'oxymore, chargé de dépasser la contradiction, char gée de faire jaillir le vrai de l'illusion. Tous trois cherchent à convoquer l'abîme, à rendre palpable sur scène ou dans les mots l'écart creusé entre le mot et la chose, entre moi et le monde, entre le dire et le voir, au point de montrer, comme dans Quad de Beckett, la gravitation autour d'un centre, centre vital, centre qui aspire et repousse. Sans ce vide, pas de matière, pas de rythme possible, précise Novarina dans Pour Louis de Funès. Derrière l'acteur, derrière la personne, derrière le personnage, se tient le non-personnel. Toute fonction psychologique ou mimétique doit être écartée. Les acteurs ne sont que des masques destinés à faire descendre des fragments de vérité. Dans la perte de soi prend place le souffle, la notion de sujet est balayée par la présence concrète du pneuma, cet avatar du Verbe qui, dans sa dimension créatrice et sonore, est chargé de relier à l'unité secrète de l'univers. 6 Sur l'espace fait chair de la scène, fonder le théâtre sur un vide de théâtre, par la surabondance verbale (Novarina), par l'écono mie de la négation (Beckett), par l'oxymore (Tardieu), tel est le point commun entre trois tentatives qui interrogent les limites du représentable, de l'incarnation, des codes de perception et de représentation, pour refonder, à partir de ce qu'est la parole, un langage théâtral. À l'intérieur de l'espace du divertissement, il nous faut contem pler le vide, l'absolu. Par les moyens du simulacre et de l'illu sion, il est peut-être possible d'accéder au caché, à condition d'assumer le déficit ontologique, l'écart qui sépare le mot de la chose. 1. Jean-Pierre SARRAZAC, Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d'une recherche (Université de Paris III, Belgique, Louvain-la-neuve, 2001), pp. 88-9. 2. Maître ECKHART, DU Détachement et autres textes (Paris, Payot, « Rivages poche/Petite Bibliothèque», 1995), p.23. 7 ŒUVRES DE SAMUEL BECKETT CITÉES THÉÂTRE CA Catastrophe et autres dramaticules (Cette fois, Solo, Berceuse, Impromptu d'Ohio, Quoi ou). Paris, Minuit, 1982. CO Comédie et actes divers {Va-et-vient, Cascando, Paroles et musique, Dis Joe, Acte sans paroles I, Acte sans paroles II, Film, Souffle). Paris, Minuit, 1970. DB La Dernière bande. Paris, Minuit, 1959. E Eleutheria. Paris, Minuit, 1995. FP Fin de partie. Paris, Minuit, 1957. G En attendant Godot. Paris, Minuit, 1952. Oh Oh les beaux jours. Paris, Minuit, 1963. PM Pas moi. Paris, Minuit, 1963. Q Quad et autres pièces pour la télévision (Trio du fantôme, ...que nuages..., Nacht und Traiime). Paris, Minuit, 1992. TC Tous ceux qui tombent. Paris, Minuit, 1992. ROMANS, NOUVELLES, ESSAIS CC Comment c'est. Paris, Minuit, 1961. CP Cap au pire. Paris, Minuit, 1991. D Le Dépeupleur. Paris, Minuit, 1970. DIS Disjecta, Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragments. Londres, John Calder, 1983, traduction française Bernard HŒPFFNER, dans Objet Beckett, Paris, catalogue de l'exposition Beckett, Centre Pompidou/ IMEC, 2007. / L'Innommable. Paris, Minuit, 1953 M Molloy. Paris, Minuit, 1951. MP Le Monde et le pantalon, suivi de Peintres de l'empêchement. Paris, Minuit, 1989. MV Mal vu mal dit. Paris, Minuit, 1981. P Proust, traduction Edith FOURNIER. Paris, Minuit, 1990. PA Premier amour. Paris, Minuit, 1970. PO Poèmes et mirlitonades. Paris, Minuit, 1978. TM Têtes-mortes (D'un ouvrage abandonné, Assez, Imagination morte imaginez, Bing, Sans). Paris, Minuit, 1972. 8 SAMUEL BECKETT LA THÉOLOGIE NÉGATIVE EN SCÈNE Ici tout bouge, nage, fuit, revient, se défait, se refait. Tout cesse, sans cesse. On dirait l'insurrection des molécules, F intérieur d'une pierre un millième de seconde avant qu'elle ne se désagrège. C'est ça, la littérature. (MP, 35) Le théâtre de Samuel Beckett a ceci de singulier qu'il inter roge, dans l'espace-temps limité de la représentation, les compo santes de la forme humaine tout en esquissant leur effacement. Tous les personnages de Beckett rêvent de disparaître, toutes les données de leur existence visible sont autant de vestiges en deve nir : leurs corps, leurs gestes, leur voix, leurs mots, leur image même sont menacés. Cette menace de l'ombre est en lien étroit avec une approche qui, appliquée à une manière de penser l'écri ture et la scène, est celle de la théologie négative : penser le monde, l'être, le langage ne font qu'un chez Beckett, mais si tout tend à s'effacer, c'est dans une tension vers un insaisissable qui, s'il n'est pas de nature théologique, s'en approche structurelle- ment. Parler d'un "théâtre de la parole" semble paradoxal dans le cadre d'une dramaturgie qui la présente toujours plus raréfiée. Raréfiée mais néanmoins précieuse, la parole est un élixir qu'il ne s'agit pas de laisser déborder. C'est en penseur, en poète, en prophète que l'écrivain l'aborde. notes, p 59 9

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