La noblesse dans la tourmente (1774-1802)

367 Pages·1992·98.361 MB·French

by  Luc Boisnard

LA NOBLESSE DANS LA TOURMENTE
(1774-1802)

LUC BOISNARD
LA NOBLESSE
DANS LA TOURMENTE
(1774-1802)
Préface
de Pierre Chaunu
TALLANDIER
DU MÊME AUTEUR
Les Phélypeaux. Une famille de ministres sous l'Ancien
Régime, préface du recteur Yves Durand, Sédopols,
1986.
Dictionnaire des anciennes familles de Tour aine (X-
XX siècle), avec 2 535 notices, Floch, 1992.
Les Grands Notables du premier Empire : l'Ille-et- Vilaine,
Éditions du CNRS (à paraître).
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'arti-
cle 41, d'une part, que les «copie ou reproductions strictement réservées à
l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'au-
tre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et
d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle,
faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause
est illicite » (alinéa I de l'article 40).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants
du Code pénal.
© Librairie Jules Tallandier, 1992.
18, rue Neuve-des-Boulets, 75011 Paris.
ISBN : 2-235-02100-X
Préface
La gageure est gagnée. Comment écrire encore sur la
noblesse ? Tout n'a-t-il pas été dit depuis le retour d'émi-
gration sous la Restauration et depuis trente ans que fut
portée sur les fonts baptismaux l'histoire sérielle que l'on
a dit quantitative ? Les nobles ont tous les mérites : le petit
nombre qui permet de constituer un corpus sûr, à prix
négociable, une masse documentaire imputable, à la fin de
l'Ancien Régime, à la réfection des terriers, la petite réac-
tion de défense nobiliaire, les comptes des voleurs et vio-
leurs (de sépultures, entre autres) et des tueurs... et surtout
cette belle rangée de mémoires, souvenirs, confessions,
repentirs, voire même ces correspondances presque authen-
tiques et la grande tradition orale pieusement transmise
jusqu'à l'aube du XX siècle, de la dernière parole de l'Aïeul
sur les marches poisseuses de l'échafaud. Et puis ils
avaient du panache, ils savaient dire et écrire, qu'ils fus-
sent vraiment nés, ou mieux encore, comme Victor Joseph
Étienne de Jouy, de Jouy... par sa naissance dans un vil-
lage d'Ile-de-France dont il emprunte le nom, comme
Rivarol, monté droit « au paradis des gentilshommes d'es-
prit ». En leur compagnie, ajoutez Luc Boisnard.
Sa noblesse des derniers éclats, de la « douceur de vivre »
au hachoir (1774-1802), sa noblesse par elle-même, dans
tous ses états, vous la recevrez pour votre plaisir — vous en
êtes convaincu... il suffit d'ouvrir au hasard —, vous la
recevrez aussi pour votre instruction. Je m'en porte garant.
Avec un talent qui l'a poussé vers cette époque de l'apo-
gée nôtre du bien dire, Luc Boisnard, en effet, a totalement
transformé en un vrai livre une thèse sur la noblesse en
Touraine, une thèse authentique, à l'ancienne, qui lui valut
le bonnet carré que l'on reçoit au terme d'un long effort,
pour sa satisfaction personnelle, incidence immédiate de
carrière ou rémunération quelconque. Si la République,
comme il se doit, quand il s'agit de noblesse, se pare de
l'ingratitude des rois, la République des Lettres, elle, sait
reconnaître le talent dans l'art de dire et la noblesse du
cœur.
Tout ici est dans l'écriture, tout est dans la nuance. Il
avait choisi pour une monographie la Touraine, assez
proche de Paris pour qu'on y existe, assez éloignée pour
qu'on s'y ennuie et que l'on voit un peu contraint à
une vie utile qui fait mentir Arthur Young. Elle annonce un
XIX siècle sous-estimé, celui d'une aristocratie au milieu
d'un pays dont les meilleurs guides redevenus chrétiens ont
été avec bonheur les facteurs de progrès économiques,
de paix sociale, de convivialité douce et de la consolidation
d'une tradition chrétienne épargnée, renouée, voire revigo-
rée. La Touraine est trop proche, trop découverte. La Ven-
dée la protège contre les pires excès de Paris. Si bien que
la Touraine livre une modalité pas trop dramatique. Il est
vrai que souvent les nobles, grâce aux paysans dont ils
avaient su se faire aimer, ont pu sauver leur vie et une
bonne partie de leurs biens. Dans le tribut versé à Moloch,
proportionnellement, le deuxième ordre vient loin derrière
le Clergé et sensiblement devant le Tiers. Mais quelle
hécatombe bête d'intelligences stupidement sacrifiées !
Ne vous laissez pas trop prendre à l'apparence. Certes,
elle est vaine, frivole, amorale ; certes, une partie de la
jeunesse noble en crise affaiblit l'armée autant qu'elle la
sert. Certes, vous serez confirmé dans ce que vous n 'igno-
riez pas. Mais combien sont-ils mal dans leur peau ? Beau-
coup moins d'un quart. De toute manière, les survivants
ont compris. Contrairement à l'adage de mauvaise foi, ils
ont beaucoup appris et, dans une proportion inespérée,
pardonné. Beaucoup se sont souvenus de la cinquième et
si difficile requête du Notre Père.
Luc Boisnard n'a pas tout conservé du livre savant qu'il
avait préparé pour l'exercice universitaire, mais il a lar-
gement dépassé le point de départ. Dès « Être ou ne pas
être noble » vous serez conquis. Il a pénétré, il s'est laissé
envahir, puis il a pris du recul : bien peu ont aussi bien
cerné cette réalité mouvante, fuyante. On a plaidé, non
sans raison, l'unité de la noblesse au XVIII siècle ; Bois-
nard dit... fluidité, diversité. Les rapports sociaux, les
représentations ont peut-être plus bougé dans les vingt
dernières années heureuses de l'Ancien Régime que dans la
décennie simplificatrice de notre déclassement. Ne pous-
sons pas trop loin le paradoxe.
Je ne veux pas trahir un jeune historien qui unit synthèse
et analyse. Ce livre marie, pour votre bonheur, l'intelli-
gence et le cœur. Au talent, il joint l'intelligence du cœur.
Pierre Chaunu, de l'Institut.