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La médecine basée sur les données pro bantes ou médecine fondée sur des niveaux de pre u ve PDF

13 Pages·2004·0.14 MB·French
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Pédagogie Médicale Ré f é r en c e s REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE La médecine basée sur les données prob a n t e s ou médecine fondée sur des niveaux de preu v e : de la pratique à l’e n s e i g n e m e n t Bernard GAY *, Marie-Dominique BEAULIEU ** Messages clés • Le concept anglo-saxon d’evidence-based medicine, traduit par médecine basée sur les données probantes ou médecine fondée sur des niveaux de preu v e, propose un nouveau modèle de l’e x er cice médical. • Il repose sur la synthèse des trois com- posantes de la décision (données actuelles de la science, contexte de soins et choix du patient) qui détermine la compétence clinique du médecin.• Sa mise en œuvre dans la pratique ne se réduit pas à l’application systématique des connaissances scientifiques validées mais intègre dans la démarche décisionnelle les facteurs liés à la situation clinique et à l’opinion du pa t i e n t . • Ce nouveau paradigme apporte une contribution aux différentes étapes du raisonnement clinique, à la résolu- tion des problèmes complexes et par là même à la struc t u r ation des activités d’enseignement et d’a p p r entissage. Il est cohé- rent avec une perspective socio-cognitiviste et suggère fortement la contextualisation des appren t i s s a g e s . • Le recours au concept de médecine basée sur les données probantes dans la formation médicale implique quelques conditions préalables : pr od u i r e des données pertinentes et adaptées aux différents niveaux de soins, intégrer les enseignements de la médecine basée sur les données probantes à tous les contextes d’enseignement clinique, assurer la formation des enseignants, fournir aux milieux d’a p p r entissage des accès aux res s o u r ces scientifiques. Mots clés evidence-based medicine ; EBM ; médecine basée sur les données probantes ; médecine fondée sur des niveaux de pr eu v e ; raisonnement clinique ; décision médicale ; contextualisation ; enseignement ; appren t i s s a g e Key Mes s a g e s • The concept of evidence-based medicine provides a new model for clinical prac t i c e . • It lies on the synthesis of the three components of decision making (best scientific evidence, clinical state and patients’ pref e r ences) which determines prac t i t i o - ne r ’s clinical competence. • Its setting into daily work is not only a systematic application of validated scientific knowl e d - ge but integrates in the decision making process the factors related to the clinical situation and patient opinion.• This new pa r adigm contributes to the different stages of clinical reasoning, to the resolution of complex problems and consequently to the learning process. It is coherent with a socio-cognitivist point of view which suggests a contextualisation of learni n g . • Facilitating its introduction in medical education implies some prer equisites: to produce rel e v ant data, adapted to the di f f e r ent levels of care, to integrate evidence-based education into all the contexts of clinical teaching, to ensure the trai n i n g of the teachers, to provide to the training settings the access to scientific res o u r ce s . Key words evidence-based medicine; EBM; clinical reasoning ; decision making ; contextualisation; teaching ; learning Pédagogie Médicale 2004; 5. : 171-183 * Département de médecine générale, Université Victor Segalen Bordeaux 2, France. ** Département de médecine familiale de l’Université de Montréal et Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada Correspondance : Bernard Gay - Département de médecine générale - Université Victor Segalen Bordeaux 2 - 146 rue Léo-Saignat 33076 Bordeaux Cedex - France - Téléphone : (33) 5 56 62 92 09 - Fax : (33) 5 56 76 90 75 - Mailto:[email protected] REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE 171 Ré f é r en c e s Int r od u c t i o n même et plusieurs des propositions qui seront avan c é e s Le concept anglo-saxon d’evidence-based medicine (E B M ) sont applicables à d’a u t r es disciplines que la médecine. pé n è t r e le monde francophone et les propositions de tra- Pour des fins de simplification et parce qu’elle est plus près ductions en français sont nombreuses : médecine fondée de la réalité du concept, la formulation médecine fondée sur des preu v es, médecine fondée sur des niveaux de sur les données prob a n t e s sera utilisée dans ce texte. pr eu v es ; médecine fondée sur les faits prouvés ; médecine factuelle ; médecine basée sur les données prob a n t e s . Dé f i n i t i o n La difficulté vient de la traduction de « ev i d e n c e » qui peut Un nouveau paradigme est proposé dans les années 1990: signifier pr eu v eau sens juridique du terme, mais aussi to u t « La pratique fondée sur les données probantes diminue l’e m - élément servant à fonder un jugement ou une décision. Le s phase donnée à l’intuition, à l’expérience clinique non systé- résultats d’un essai randomisé sont une « ev i d e n c e », l’a v i s matique et à l’argumentation physiopathologique comme d’un groupe d’e x p e r ts aussi, de même que l’opinion du bases suffisantes à la prise de décision clinique et insiste sur patient, mais ces « ev i d e n c e s » n’ont pas la même val e u r . l’examen des données issues de la rec h e r che clinique »4.Dan s cette approche, la décision s’appuie sur des faits et non sur Au Canada, le For um national sur la santé a prop o s é des opinions ou des sentiments. Les données de qualité ne comme un des défis pour les prochaines années dans le reposent plus sur la physiopathologie ou sur l’e x p é r i e n c e , système de santé canadien de créer une culture de prise de mais répondent aux critères de l’épidémiologie clinique. décision fondée sur les données probantes1, entérinant par là même une traduction officielle. En France, il n’y a Une approche décisionnelle excl u s i v ement intuitive com- pas de proposition consensuelle mais l’usage semble po r te en effet des risques aux conséquences délétères : co n s a c r er le terme de médecine fondée sur des niveaux pr en d r e ses opinions pour des faits établis et croi r e que son de preuve.Sans entrer dans une analyse sémantique, cette expérience sur un cas isolé a la même valeur que les résul- appellation donne l’i m p r ession que toute l’a f f a i r e rep o s e tats d’une étude méthodologiquement correcte ; pren d r e uniquement sur l’appréciation des niveaux de preu v e son ignorance pour les réelles limites de la connaissance scientifique, alors que ce n’est pas le cas. Le mot prob a n t médicale et ne pas rec h e r cher de données objectives sur le va au delà des niveaux de preu v es et intègre les questions pr ob l è m e . de transférabilité aux différents contextes et de jugement sur l’ensemble des données. Le terme EBM est utilisé par Mais cette proposition de décision fondée sur les preu v es facilité parce qu’il est concis, mais les tentatives d’a c r on y - suscite de nombreuses réactions négatives car elle est per- me francophone n’ont pas abouti, y compris dans ce jour- çue comme réductrice. En effet, elle semble donner très nal où coexistent MBP (médecine basée sur les preu v es ) 2 peu d’i m p o r tance à l’expérience clinique, considérée jus- et MPA (médecine preu v es à l’a p p u i ) 3. qu ’alors comme un des fondements de l’e x p e r tise médicale . Aussi, la définition proposée en 1996 par Sackett précise Alors qu’il était à l’origine destiné à l’enseignement, le la démarche et y intègre le patient : « Utilisation conscien- concept de médecine basée sur les données probantes a été cieuse, explicite et judicieuse des meilleures données actuelles su r tout utilisé pour orienter une réflexion sur les pra- de la rec h e r che clinique dans la prise en charge personnalisée ti q u e s : la question se pose de son intégration dans l’e n - de chaque patient »5. En 2000, Sackett propose une nou- seignement médical actuel. Après avoir décrit ce modèle velle définition qui insiste sur la compétence clinique du conceptuel explicite pour la pratique, sa contribution au médecin : «Int é g r ation des meilleures données de la rec h e r ch e raisonnement clinique et à la structuration des appren t i s - à la compétence clinique du soignant et aux valeurs du sages sera développée, ce qui permettra d’identifier les pa t i e n t »6. enjeux de son utilisation dans l’e n s e i g n e m e n t . Cette évolution de la définition traduit le souci de pondé- rer les données actuelles de la science dans un processus de Enfin, bien que le concept ait été développé par des méde- décision qui tienne compte aussi du patient et du soignant cins, il a été depuis repris par plusieurs professions du dans le contexte de soins. La médecine basée sur les don- domaine de la santé : evidence-based nursing, evidence- nées probantes devient une méthode de formalisation de based management, etc. Dans tous les cas, le concept est le la décision, opérationnelle dans l’e x er cice quotidien. 172 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Août 2004 - Volume 5 - Numéro 3 Pédagogie Médicale La médecine basée sur les données probantes… REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE Un modèle conceptuel explicite Ce modèle peut être schématisé dans une représentation pour la pratique graphique (figure 1) qui fait apparaître la décision à l’in- tersection des cercles illustrant respectivement ces trois Une démarche opérationnelle composantes. Dans cette perspective, la compétence cli- La pratique d’une médecine basée sur les données pro- nique réside dans la capacité du médecin à faire la syn- bantes repose sur les trois composantes de la décision : thèse de ces trois facteurs afin de prendre la décision la 1)les circonstances de soins et la situation clinique ; 2) les plus adaptée. Cette démarche est utilisée quotidienne- préférences, le comportement et les choix du patient ; 3) les ment par la plupart des médecins, de façon souvent données actuelles de la science apportées par la recherche empirique et automatique. En effet, les situations cou- clinique, avec leurs niveaux de preuve. rantes se prêtent bien à cette approche qui permet une Fig u r e 1 : Représentation graphique de l’ Evidence-based medicined’après Hay n e s 7 REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE 173 Ré f é r en c e s prise en charge globale des problèmes de santé. La - Les circonstances et la situation cliniques sont appré- médecine basée sur les données probantes formalise ciées au cas par cas. Le niveau d’intervention (soins pri- cette démarche, en passant de l’implicite à l’explicite, en maires, secondaires ou tertiaires), les caractéristiques de rendant visibles les étapes successives d’un processus qui l’exercice, le stade d’évolution de la maladie, le cadre est souvent spontané. géographique de la pratique (cabinet ou domicile, milieu urbain ou rural), l’état clinique du patient, les Un processus de formalisation de la décision ressources disponibles, conditionnent la réponse au pro- blème. L’influence du système de distribution des soins Dans sa description formelle, la démarche décisionnelle ne peut pas être oubliée avec les contraintes que celui-ci basée sur les données probantes se décompose en cinq impose à l’exercice médical. étapes successives : 1) poser un problème clinique ; - Les comportements spécifiques et les préférences du 2) recueillir les meilleures données disponibles ; 3) analyser patient dépendent de sa personnalité, de son histoire la validité de ces données ; 4) mettre en adéquation ces personnelle et familiale, de ses représentations de la données avec les circonstances cliniques ; 5) appliquer ces santé et de la maladie, de ses valeurs socio-culturelles, de données de façon personnalisée à chaque cas individuel. l’information médicale médiatisée. La loi sur les droits Les trois premières étapes correspondent à l’analyse cri- des malades en France14confirme la nécessité d’informer tique de la littérature, les deux dernières au transfert de le patient, de recueillir son opinion et d’intégrer son avis connaissances et à leur mise en oeuvre dans la pratique. dans la décision. Il ne s’agit pas de se plier aux exigences La compétence du médecin permet d’intégrer et de du patient mais de rechercher ce qu’il est prêt et capable pondérer les données actuelles de la science en fonction d’accepter. Ce partage de la décision est une évolution de la situation clinique et des choix du patient. Elle significative de la pratique médicale. Il nécessite de résulte : a) de l’applicabilité des données scientifiques fournir aux patients des aides à la décision15qui lui per- (transposabilité des études expérimentales dans la « vraie mettent de faire des choix éclairés parmi les différentes vie ») ; b) de l’évaluation du contexte de la situation de options possibles. soins (gravité, pathologies associées, ressources disponibles, caractéristiques de la discipline) ; c) de l’appréciation du Une mise en œuvre flexible problème du point de vue du patient (représentations, valeurs, information). Ce modèle est séduisant mais peut paraître un peu rigi- de. Le risque de normalisation des pratiques est souvent La démarche clinique tient compte des trois compo- avancé par les opposants qui fustigent la prééminence santes de la décision, sans négliger l’une ou l’autre : biomédicale que ce modèle implique à leurs yeux. En - l’accès aux données actuelles de la science nécessite une effet, pour beaucoup de médecins, la médecine basée veille documentaire qu’un médecin isolé peut difficile- sur les faits probants se réduit à une application systé- ment réaliser. La littérature quaternaire8 permet, matique et sans nuance des données acquises de la scien- avec les recommandations pour la pratique clinique, ce, dans une perspective positiviste. Cette dérive , d’accéder à une synthèse argumentée de l’information qu’illustre d’ailleurs bien la traduction d’EBM utilisée médicale. La gradation des recommandations9donne le en France, décrédibilise l’idée de médecine basée sur les degré de validité en fonction du niveau de preuve10 des données probantes. En réalité, la définition précise clai- études qui ont conduit à leur proposition. Le risque rement la place du contexte clinique et des choix du d’obsolescence des recommandations, en raison de patient dans la décision. La description rend bien l’évolution rapide des connaissances et du délai d’élabo- compte de la nécessaire personnalisation des soins selon ration, impose leur actualisation périodique11. Entre l’importance de l’un ou de l’autre des éléments de la temps, les revues méthodiques du type de celles élabo- décision dans chaque situation. Cette approche plus rées par la Cochrane Collaboration12 peuvent apporter éclectique est cohérente avec une perspective construc- une information plus récente. Dans tous les cas, les tiviste des problèmes de santé. De plus, la variabilité résistances individuelles au changement13 limitent l’uti- potentielle de la proportion respective des trois cercles lisation des recommandations et freinent leur mise en du schéma permet de donner la flexibilité nécessaire à ce œuvre. modèle. Il est des situations dans lesquelles les données 174 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Août 2004 - Volume 5 - Numéro 3 Pédagogie Médicale La médecine basée sur les données probantes… REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE actuelles de la science sont rares ou contradictoires et le processus hypothético-déductif, en une étape sponta- laissent une place encore plus grande aux choix du née et automatique. C’est une démarche classiquement patient. Il est des situations dans lesquelles le contexte utilisée dans le raisonnement médical20, qui fait appel clinique est tellement particulier qu’il prend le pas sur aux connaissances, elles mêmes organisées selon divers les deux autres facteurs. modèles, sous forme de représentations cognitives com- plexes comme par exemple les « scripts » cliniques21, 22 ou Une démarche pédagogique à partir de la les réseaux sémantiques23. Les différentes couches de connaissances sont basées sur des associations, en une médecine basée sur les données prob a n t e s série d’attributs, chacun recevant une probabilité d’oc- Pour certains formateurs, l’enseignement de la médeci- currence plus ou moins élevée selon un contexte spéci- ne basée sur les données probantes se résume à l’ensei- fique. Par exemple, le « script » d’une angine d’origine gnement de l’analyse critique de la littérature médicale : streptococcique est constitué d’une série d’attributs maîtriser les concepts de l’épidémiologie clinique et les comme la présence d’hyperthermie, d’adénopathies cer- appliquer à la lecture d’articles scientifiques, souvent vicales, d’exsudat, etc., auxquels une probabilité d’oc- dans le cadre de clubs de lecture. La proposition formu- currence est attribuée (une sorte de valeur « défaut »). lée dans ce texte offre une vision beaucoup plus large de Les valeurs défauts sont issues de l’expérience mais aussi la contribution du concept de médecine basée sur les de la recherche clinique sur la valeur prédictive des données probantes à la formation des professionnels de signes et des symptômes. la santé : faciliter l’acquisition du raisonnement clinique Le modèle de Ba r row s2 4 permet d’ i l l u s t rer cette et la prise de décision dans des situations complexes. En démarche en montrant que la médecine basée sur les conséquence, ce concept est de nature à contribuer à la données probantes peut s’appliquer à chacune des structuration de la démarche pédagogique menant à la étapes du processus de raisonnement (figure 2). maîtrise des compétences essentielles au clinicien. Les connaissances issues de la recherche clinique et épi- Contribution à la modélisation démiologique, contributives aux représentations cogni- tives mobilisables lors du processus de résolution de du raisonnement clinique problème, concernent des domaines variés. Quelques La médecine basée sur les données probantes, c’est uns peuvent être évoqués à titre d’exemple : d’abord une attitude, une relation aux connaissances - Perception, mise en contexte : prévalence en fonction des biomédicales : ce n’est pas une « recette » que le méde- caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, cin utilise ou non. Putman parle d’« evidence mind- culture, pays, etc.). ness »16, Junod évoque « un état d’esprit plus qu’une - Analyse :confrontation des éléments de l’histoire et de méthode »17. L’évaluation et l’utilisation judicieuse des l’examen à un ensemble de « scripts » afin d’établir les connaissances biomédicales nécessitent une habileté hypothèses les plus plausibles. dont aucun médecin ne peut prétendre se passer. Elle - Stratégie de questionnement : valeur prédictive des supporte ce qui est à la base même de l’expertise médi- signes et symptômes. cale, à savoir le raisonnement clinique, auxquels s’ajou- - Choix des tests : définition de la normalité ; sensibilité, tent la capacité de recueillir l’histoire clinique du patient valeurs prédictives selon différentes prévalences. et les habiletés cliniques (sémiologie, examen physique). -Traitement : efficacité, risques, conséquences des diffé- rentes options, conséquences de la non-intervention En effet, les connaissances biomédicales et l’expérience (histoire naturelle). (qui bâtit ce que Schön18 et d’autres appellent la meta- - Diagnostic : probabilité de maladie selon les résultats. connaissance) sont à la base du raisonnement clinique. Le développement de l’expertise est largement une Les étapes nécessaires à un raisonnement clinique de qua- question de ré-organisation des connaissances et des lité sont rappelées par Nen d a z 25 . La phase initiale de rep r é - processus cognitifs de performance de tâches19. sentation du problème permet d’a c t i v er des connaissances Les connaissances biomédicales et l’expérience sont organisées et élaborées, ce qui génère des hypothèses dia- mobilisées pour la génération d’hypothèses qui initient gnostiques pertinentes. L’interprétation des données et REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE 175 Ré f é r en c e s Fig u r e 2 : Contribution de l’Evidence-based medicine (E B M ) au processus du raisonnement clinique, selon le modèle de Bar r ows24 Information du patient Hab i l e t é s Tes t s Per ce p t i o n EB M cl i n i q u e s Stratégie de An a l y s e EB M EB M qu e s t i o n n e m e n t Hyp o t h è s e s EB M Syn t h è s e mu l t i p l e s Dia g n o s t i c EB M Tra i t e m e n t EB M 176 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Août 2004 - Volume 5 - Numéro 3 Pédagogie Médicale La médecine basée sur les données probantes… REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE l’é v aluation des hypothèses servent de guide pour obtenir té, sur ses propres biais personnel, etc.). Elle relève de la des données supplémentaires qui viennent modifier la métacognition (évaluation de ses propres connaissances représentation initiale jusqu’à l’obtention d’un diagnostic et processus cognitifs en situation d’action). cl i n i q u e . Le recours explicite aux connaissances biomédicales for- Cette contribution du concept de médecine basée sur les melles dans le processus de raisonnement clinique dimi- données probantes au raisonnement clinique est perti n e n - nue avec l’expertise26. Chez les cliniciens d’expérience, te. Mais plusieurs obstacles en limitent l’a p p l i c a b i l i t é 27 : certains travaux suggèrent qu’après six mois, une nou- - absence de données validées dans certains domaines velle information biomédicale était intégrée dans le (soins primaires vs soins secondaires ou tertiaires) et réseau de connaissances et mobilisable de façon auto- pour certains sous-groupes de patients ; matisée16. - connaissances parfois décalées du contexte clinique : la Les connaissances biomédicales restent néanmoins pré- production des données actuelles de la science fait appel sentes et accessibles22: elles placent les contraintes sur les à des études le plus souvent expérimentales, produites valeurs acceptables des scripts ; elles alertent le clinicien dans des contextes cliniques contrôlés ; quand une découverte ne correspond pas à ce qui était - recherche des données et analyse critique très chrono- attendu ; elles sont aussi utilisées explicitement dans des phages à la fois pour les étudiants et les professeurs. situations où les scripts ne sont pas élaborés pour géné- De plus, l’approche critique des données scientifiques, rer des hypothèses. Les schémas opératoires qui fondent si elle est trop prématurément mise en avant, peut la compétence médicale associent d’ailleurs les connais- déstabiliser les étudiants qui, au cours des premières sances biomédicales formelles et les connaissances issues années de leur formation, ont tout à apprendre. Une de l’expérience au sein de réseaux cognitifs complexes grande partie des connaissances à maîtriser au début des grâce à de riches interconnexions. Un raisonnement cli- études médicales est de nature fondamentale et physio- nique basé sur des connaissances erronées ou inappro- pathologique. Enfin, la transposabilité des données priées ne peut pas être optimal. La validité des sources expérimentales n’est pas toujours possible : les patients est donc une condition essentielle bien qu’elle ne soit qui consentent à participer aux essais cliniques sont dif- pas seule garante d’un raisonnement clinique adéquat. férents de ceux qui ne consentent pas ; les patients poly- Ces données suggèrent la nécessité que, lors des activi- pathologiques sont en général exclus ; le contexte de tés d’enseignement et d’apprentissage du raisonnement l’intervention clinique est souvent spécifique ; l’effet clinique, la démarche pédagogique prenne en compte Hawthorne28 (tendance des investigateurs à améliorer l’organisation des connaissances et le processus cognitif. leur performance quand ils savent qu’ils sont observés) L’enseignant doit développer des interventions facili- peut perturber l’analyse. tantes appropriées : - présenter des connaissances rigoureuses aux étudiants, Ces limites sont toutes réelles mais, pour la plupart, comme bases de leur savoir biomédical : questionner les elles font parties des limites inhérentes à la production critères de rigueur, développer l’« evidence mindness » ; et à l’utilisation des connaissances dans le domaine de la - donner les clés qui permettront aux étudiants d’éva- santé. Il est important d’initier les étudiants à ces réali- luer les connaissances produites pour mettre à jour leur tés et de leur donner les outils pour y faire face. Le choix « base de données » (leurs connaissances antérieures), au des références à proposer doit favoriser les synthèses de fur et à mesure (en se rappelant que la qualité des l’information (littérature quaternaire) qui font gagner connaissances ne peut s’évaluer que dans une mise en du temps et représentent le type de littérature la plus contexte, car l’évaluation des critères scientifiques d’une consultée dans la pratique. Il est cependant indispen- étude est directement liée à la question clinique à sable que les étudiants comprennent le mode d’élabora- laquelle elle tente de répondre) ; tion et les limites propres de cette littérature médicale. - développer le réflexe de remise en question des connaissances sur lesquelles le médecin base son raison- Contribution à la modélisation du processus nement. Cette démarche fait partie du processus de rai- de résolution des problèmes complexes sonnement comme les autres réflexes (celui de revoir les hypothèses, de se questionner sur son état de réceptivi- Le médecin doit être en mesure d’offrir des services REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE 177 Ré f é r en c e s Fig u r e 3 : Composantes du processus de prise de décision 178 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Août 2004 - Volume 5 - Numéro 3 Pédagogie Médicale La médecine basée sur les données probantes… REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE judicieux et réfléchis, dans des situations toujours 2. Faciliter la rec h e r che des meilleures données disponibles. uniques, complexes et floues, où il est fort probable qu’il 3. Stimuler l’analyse des données. soit co n f r onté à des conflits de valeur et à des prob l è m e s 4. Enc o u r ager la mise en adéquation des données avec ét h i q u e s 18, 29, 30. Les données actuelles de la science, seules, les circonstances cliniques. ne permettent pas de résoudre de tels problèmes com- 5. Fav oriser l’application personnalisée de ces données pl e x es. Il ne suffit pas de faire une analyse de la littérature à chaque cas individuel. pour être dans une démarche basée sur les données pro- bantes (club de lecture, revue bibliographique) : le risque Dans cette dynamique, trois questions se posent à l’e n s e i - est d’isoler les connaissances du contexte clinique. gnant : Comment préparer l’étudiant aux situations dans lesquelles il n’y a pas de données validées ? Faut-il dire aux En partant de la représentation de la prise de décision pro- étudiants que la charge de la preu v e peut résider dans la posée par Bea u l i e u 31 et en y intégrant les données du démonstration de l’efficacité ou de l’inefficacité ? Que dire contexte, il est possible de développer un processus de aux étudiants sur les circonstances dans lesquelles il faut prise de décision qui découle directement du concept de rec h e r cher des données validées pour aider la décision dia- médecine basée sur les données probantes (f i g u r e 3). gnostique ou thérapeutique33 ? Cette approche tridimensionnelle n’est pas sans rappeler le L’accès à l’information n’est pas la seule façon d’amener les modèle biopsychosocial d’E ng e l 32 qui prend en compte les étudiants à entrer dans une médecine basée sur les don- aspects biomédicaux, psych o c o m p o r tementaux et socio nées probantes. Les situations d’i n c e r titude ou de com- en v i r onnementaux. Elle facilite la gestion de l’i n c e r ti t u d e plexité req u i è r ent une approche parti c u l i è r e que les don- et de la complexité et permet une prise de décision même nées actuelles de la science ne peuvent pas toujours régler. en l’absence de données val i d é e s . L’a p p r entissage doit faire le lien entre la science et la pra- tique et associer à la connaissance formelle, issue des résul- Contribution à la structuration des activités tats de la rec h e r che, les savoirs pratiques, acquis dans des situations authentiques, au contact des patients dans un d’enseignement et d’a p p r en t i s s a g e contexte de soins donné34 . Les compétences dével o p p é e s Historiquement, la perspective de la médecine basée sur ne concernent pas seulement l’e x p e r tise clinique, mais les données probante avait comme préoccupation prem i è - aussi l’empathie, l’aptitude à la communication, le déve- re l’enseignement. Telle qu’elle s’est développée et codifiée loppement personnel, permettant de proposer un modèle ces dernières années, en tant que paradigme pour la pra- pour la sélection, la formation et la prog r ession des étu- tique médicale, elle ne postule pas d’orientation théorique diants, en particulier en médecine générale35 . L’objectif est pa r ti c u l i è r e concernant l’enseignement ou l’a p p r en t i s s a g e . de développer une manière de penser s’appuyant sur les En proposant un cadre conceptuel général de l’a c t i o n tr ois éléments de la décision, sans privilégier systémati- médicale et du processus de résolution de problème en quement et a priori l’un ou l’a u t r e. Il s’agit d’un appren - médecine, elle offre cependant un modèle contributif tissage contextualisé de compétences globales organisées pour illustrer auprès des étudiants la finalité de leurs en schémas opératoires, de l’application d’une démarch e ap p r entissages et pour aider les enseignants à concevoi r ré f l e x i v e en situation authentique : « La compétence n’e s t leurs interventions. En mettent l’accent sur le processus de pas le produit d’une accumulation des savoirs : elle est résolution de problèmes, cette perspective se révèle par av ant tout une disposition à agir qui s’a c q u i e r t dans l’a c - ailleurs fortement convergente avec la perspective cogniti- tion » (Min v i e l l e 36 ). viste de l’a p p r entissage et avec le courant de l’e n s e i g n e - La difficulté est dans le changement de paradigme éduca- ment contextualisé. tionnel qui est ainsi, de fait, proposé. La médecine basée sur les données probantes est sous-utilisée dans l’e n s e i g n e - Transposées dans l’enseignement, les étapes de la pratique ment médical car elle procède implicitement d’une « cer- médicale suggérées par la médecine basée sur les données taine conception de l’enseignement où le contenu cogni- pr obantes sont utilisables de manière cohérente avec les tif n’est pas la seule finalité mais où la capacité à identifier deux orientations précédentes : l’information pertinente et d’en établir la validité compte 1. Amener l’étudiant à poser une question clinique. tout autant »17 . REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE 179 Ré f é r en c e s objection classique des généralistes est l’absence de don- Des enjeux pour le développement nées issues des soins primaires permettant d’étayer une décision. En fait, une étude rétro s p e c t i ve sur de la médecine basée sur les données 122 consultations montrait que 81% des décisions dis- pr obantes dans l’e n s e i g n e m e n t posaient d’essais cliniques randomisés ou de données cliniques convaincantes publiées dans la littérature40. L’apprentissage a pour finalité l’acquisition des compé- Enfin, il ne faut pas non plus négliger le fait que le dis- tences nécessaires à la prise en charge des problèmes de cours sur les données probantes a aussi été repris par les santé dans le champ d’activité concerné. La mise en différentes industries de la santé (pharmaceutique, tech- situation authentique permet le développement de la nologique, etc.), ainsi que par les gouvernements, et performance nécessaire. Il peut paraître difficile d’appli- qu’il est de ce fait au centre des arbitrages sur les coûts quer la médecine basée sur les données probantes à tous et les choix politiques en matière de santé. De ce fait, les les contextes d’enseignement. Les conditions favorables données scientifiques ne sont pas exclues des enjeux de ne sont pas toujours réunies pour cette nouve l l e pouvoir, ce qui rend certains sceptiques sur leur valeur. a p p roche pédagogique et quelques pré-requis sont Sans laisser le cynisme envahir le débat, il est clair qu’il indispensables. s’agit d’une limite importante dont les étudiants doivent apprendre à tenir compte. Produire des données pertinentes et adaptées aux différents niveaux de soins Intégrer les enseignements de la médecine basée sur Le premier enjeu concerne la production des données les données probantes à tous les contextes d’enseigne- scientifiques et n’est pas spécifique à l’enseignement. Les ment clinique limites de la médecine basée sur les données probantes sont inhérentes aux limites imposées par la démarche Dans la mesure où la pratique de la médecine fondée sur scientifique dans le domaine biomédical : les données probantes est avant tout une attitude, une - contrôle des situations expérimentales ; approche des connaissances scientifiques et de leur - choix d’objets de recherche qui peuvent être pertinents application dans le domaine clinique, il est important sur le plan de l’avancement des connaissances biomédi- d’en intégrer les concepts dans les différentes activités cales mais pas de façon évidente sur le plan clinique ; d’apprentissage. Il faut voir plus large que l’enseigne- - transférabilité entre milieux de soins (en particulier des ment théorique de l’épidémiologie clinique dans le milieux de soins secondaires ou tertiaires vers les milieux cadre de clubs de lecture. Les cinq étapes de la médeci- de soins primaires) ; ne basée sur les données probantes s’appliquent à toutes - mise en contexte des données ; les formes d’enseignement : - inférence à des individus. - dans les premiers cycles : approche par problème, Ces limites sont liées notamment à la très large préémi- cours magistraux ; nence du paradigme positiviste en recherche biocli- - par nature, dans les activités d’apprentissage du rai- nique, qui tend à privilégier la validité interne des sonnement clinique, que les formats en soient codifiés études (la solidité de la preuve expérimentale) au détri- (ARC) ou non ; ment de sa validité externe, c'est-à-dire de la généralisa- - lors des activités de supervision clinique, directe (au lit bilité des résultats37. L’important développement actuel du malade) ou indirecte, et lors des discussion de cas ; des travaux cliniques s’inscrivant dans une perspective - en formation médicale continue ; différente, celle la recherche qualitative38, 39, devrait à - en situation d’interaction avec les collègues et les terme contribuer à faire admettre une conception plus consultants. éclectique des données probantes. Le mouvement en faveur de la prise de décision clinique Assurer la formation des enseignants fondée sur des données probantes a imposé des pres- sions aux milieux de recherche qui sont devenus plus La tentation à laquelle il faut résister est de déléguer un sensibles aux considérations cliniques. Par exemple, une enseignant qui devient un « champion » de la médecine 180 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Août 2004 - Volume 5 - Numéro 3

Description:
p re u ve ; raisonnement clinique ; décision médicale ; contextualisation ; enseignement ; appre n t i s s a g e. Key Me .. et les habiletés cliniques (sémiologie, examen physique). Schekelle P, Eccles MP, Grimshaw JM, Woolf SH.
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