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La matrice de la race PDF

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Elsa Dorlin La matrice de la race Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française Préface de Joan W. Scott 2009 Présentation La race a une histoire, qui renvoie à l’histoire de la différence sexuelle. Au XVIIIe siècle, les discours médicaux affligent le corps des femmes de mille maux : « suffocation de la matrice » « hystérie », « fureur utérine », etc. La conception du corps des femmes comme un corps malade justifie efficacement l’inégalité des sexes. Le sain et le malsain fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de « race » : les Indiens Caraïbes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible. Ce sont ces articulations entre le genre, la sexualité et la race, et son rôle central dans la formation de la Nation française moderne qu’analyse Elsa Dorlin, au croisement de la philosophie politique, de l’histoire de la médecine et des études sur le genre. L’auteure montre comment on est passé de la définition d’un « tempérament de sexe » à celle d’un « tempérament de race ». La Nation prend littéralement corps dans le modèle féminin de la « mère », blanche, saine et maternelle, opposée aux figures d’une féminité « dégénérée » ? la sorcière, la vaporeuse, la vivandière hommasse, la nymphomane, la tribade et l’esclave africaine. Il apparaît ainsi que le sexe et la race participent d’une même matrice au moment où la Nation française s’engage dans l’esclavage et la colonisation. Pour en savoir plus… L'auteur Elsa Dorlin est professeure de philosophie politique et sociale au département de Sciences politiques de l’université Paris-VIII. Ses travaux portent sur l’histoire de la médecine, les théories féministes et la production du racisme. La presse « ... l’ampleur de sa documentation et la puissance de ses analyses feront assurément de ce livre la matrice féconde d’un renouveau de la réflexion, tant sur le plan théorique que politique. » LE NOUVEL OBSERVATEUR « La matrice de la race est un livre important. Il signale l’ouverture des sciences sociales françaises à la pluridisciplinarité, au thème de la construction de l’altérité et à la recherche universitaire américaine. » LA VIE DES IDÉES Collection La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales n° 312 Cet ouvrage a été précédemment publié en 2006, dans la collection « Textes à l’appui / genre & sexualité » dirigée par Éric Fassin, aux Éditions La Découverte. Copyright © Éditions La Découverte, 2006, 2009. ISBN numérique : 9782707179128 ISBN papier : 9782707159052 En couverture : gravure à partir d’un dessin original de Pietro da Cortona (1618), Tabulae Anatomicae…, Rome, 1741. Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre national du livre. Ce livre numérique a été converti initialement au format XML et ePub le 11/12/2013 par Prismallia à partir de l’édition papier du même ouvrage. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. S’informer Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d’information bimensuelle par courriel à partir de notre site http://www.editionsladecouverte.fr, où vous trouverez l’ensemble de notre catalogue. À Grégoire, À mes étudiant(e)s, pour m’avoir tant appris. Préface C’est une des difficultés auxquelles l’histoire féministe continue d’être confrontée : comment donner à voir les relations qui unissent l’histoire de la sexualité à celle de la politique ? Le plus souvent, on s’attache à décrire ce qu’on pourrait appeler la politique du sexe : l’histoire des relations de pouvoir entre hommes et femmes, soit les efforts des hommes pour maintenir les femmes en position dominée. La tâche est plus ardue lorsqu’il s’agit de montrer comment la conduite de la politique, autrement dit la négociation d’intérêts économiques, la guerre, la construction de la nation ou le colonialisme, est liée à des conceptions du sexe et de la sexualité. Bien sûr, il existe des études qui analysent l’usage de l’imaginaire sexuel dans la représentation de la nation et dans la construction des idéologies racistes qui ont légitimé la conquête impériale ; mais leurs analyses n’abordent le plus souvent qu’un côté des choses. On montre que le nationalisme et le racisme recourent à des notions de genre, mais on fait comme s’il s’agissait de concepts fixes préexistant aux usages qui en sont faits dans le domaine de la politique. Lorsqu’on s’intéresse à des changements dans les représentations du genre, le versant politique est fréquemment oublié : la science, et singulièrement la médecine, est alors appréhendée comme le facteur causal. Ainsi, on a pu spéculer sur les liens entre théorie médicale et théorie politique, mais il ne s’agit précisément que de spéculations. C’est le cas dans l’ouvrage célèbre de Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe. Après avoir examiné en détail les écrits médicaux, cet auteur suggère, sans guère le démontrer, que les idées des médecins sur la différence sexuelle, en se transformant, pourraient bien avoir influé sur l’émergence de la démocratie. Plus rares sont les études qui mènent l’enquête dans les deux sens, pour mieux nous permettre d’appréhender comment la science et la politique contribuent mutuellement à se former, comment (comme je l’ai écrit par ailleurs) le genre construit la politique et la politique construit le genre. Il est heureux que ce livre prenne place parmi de telles études. On en achève la lecture avec nombre d’éclairages nouveaux et avec un sens de la complexité de l’histoire des idées concernant les femmes, le sexe et le genre. Elsa Dorlin, philosophe de formation, a écrit une histoire exemplaire qui comprend les concepts non comme de simples définitions, mais comme des tentatives, susceptibles de mutations, pour imposer une cohérence, dans l’espoir de se défaire des contradictions. Son argument central est que la science médicale, depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle, appréhendait le corps féminin, par contraste avec le corps masculin, comme fondamentalement malade. La notion de tempérament en était la clé : on pensait que les sexes différaient dans leurs tempéraments — prédisposant les femmes à la maladie et les hommes à la santé. Les maladies des hommes n’étaient qu’indispositions passagères ; leurs corps se trouvaient provisoirement féminisés. La santé était donc un trait masculin. « La conceptualisation de la différence sexuelle à l’âge classique passe ainsi par les catégories du sain et du malsain, qui sont tout autant des catégories médicales que politiques… » Les exceptions à l’image ordinaire de la faible femme, sexuellement passive, telles que les prostituées, lesbiennes ou nymphomanes, étaient traitées comme des anomalies : il y avait dans leur caractère trop de masculinité. Ces catégories qu’Elsa Dorlin appelle « mutantes » contribuaient à construire l’emprise des catégories normatives : les exceptions ne faisaient que confirmer la règle. Au XVIIIe siècle, les choses changèrent : la population jouait désormais un rôle crucial dans la prospérité de la nation. Dès lors qu’on mettait davantage l’accent sur la procréation, la santé du corps maternel devenait l’objet d’une attention particulière. De fait, le corps maternel renvoyait maintenant au corps de la nation : il en était la plus grande source de richesse. En conséquence, si le corps maternel était malade, la nation l’était également. C’est ainsi que débuta une réévaluation du statut du corps des femmes : comme les hommes, elles se trouvaient désormais fondamentalement définies par la santé. « Qui dit Nation dit origine et donc génitrice unique : à cette origine imaginaire et fantasmée, le tempérament féminin sain offre des corps ayant tous le même “naturel”, le même type. » La vieille notion de tempérament fut alors redéployée pour marquer la différence entre la France et ses colonies. Si l’on pensait jadis que le tempérament était fonction du sexe (les femmes étant froides et humides, et les hommes chauds et secs), voire du climat (aux terres chaudes les peuples lascifs et sous les froides latitudes les peuples rationnels), on y voyait désormais un trait national, non pas acquis, mais héréditaire. Les Français qui vivaient dans les colonies ne couraient pas le risque de devenir comme les indigènes qu’ils dominaient, dès lors que le tempérament était inné, transmis par des mères patriotes qui ne se contentaient pas de porter les enfants, mais qui les nourrissaient aussi désormais. « La Nation n’est plus le rassemblement de sujets hétérogènes sous l’autorité d’un même roi, mais la réunion de frères, fils d’une seule et même mère. La question de la nation renvoie constamment à sa corporéité. » Le schème de la race était littéralement situé dans les entrailles maternelles. D’où le titre de l’ouvrage : La Matrice de la race. Selon Elsa Dorlin, à l’âge classique, les questions de santé et de tempérament conféraient aux corps sexués leurs significations. Elle apporte ici un rectificatif important au travail de Thomas Laqueur : pour lui, ce qui justifiait la supériorité politique et sociale des hommes, c’était la perception médicale de la différence physique, avec le corps féminin conçu comme une version inférieure du corps masculin dont les organes externes seraient retournés vers l’intérieur. La possibilité de l’égalité n’apparaissait, selon lui, qu’une fois que ces corps étaient appréhendés comme irréductiblement différents. Pour Elsa Dorlin, la question n’est pas tant l’apparence physique que la santé. « La santé doit ainsi être comprise non pas seulement comme un état physiologique fluctuant, mais aussi comme un attribut de la domination dans le cadre d’un rapport de pouvoir, un attribut de la domination de genre. Ainsi, l’absence ou l’ambiguïté d’une notion de santé féminine tient au fait que la conceptualisation du sain et du malsain fonctionne, par l’intermédiaire du tempérament, comme un opérateur de sexuation des corps qui assure et figure un rapport de domination. » L’émergence de la notion d’un corps féminin en bonne santé change donc la relation de pouvoir — ou, du moins, elle a le potentiel d’alimenter les argumentaires favorables à l’égalité des femmes. L’auteure cite les écrits d’Olympe de Gouges pour illustrer très précisément ce point. Ce faisant, elle m’a permis de comprendre ce qui était resté pour moi un aspect déconcertant de l’introduction à la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Dans ce texte, Olympe de Gouges parle au nom du « sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles ». Pourquoi, me suis-je longtemps demandé, invoquait-elle la maternité pour revendiquer l’égalité ? L’explication d’Elsa Dorlin fait sens. Elle rejette l’idée selon laquelle Olympe de Gouges serait une féministe « différentialiste ». Sa revendication d’égalité empruntait plutôt à l’idée selon laquelle il n’y avait pas de différence fondamentale entre la santé des corps masculins et féminins. Ce n’est pas la différence entre les sexes que désignait Olympe de Gouges, mais l’égal statut en nature des corps humains. Il en découlait que les sexes devraient être égaux dans la sphère politique. Au-delà de la nature, l’importance politique de la maternité, c’est-à-dire le fait que les femmes engendrent des citoyens, devait justifier leur inclusion dans le corps politique. Olympe de Gouges révélait ici une contradiction dans la pensée des révolutionnaires : si les femmes, par la procréation, constituent littéralement le corps politique, alors elles devraient être admises à participer à son gouvernement. En associant le corps des femmes à la pensée raciale, Elsa Dorlin éclaire un autre argument féministe sur lequel je m’interroge depuis longtemps. C’est l’usage, formulé par Hubertine Auclert, de la différence raciale pour promouvoir les droits des femmes blanches. Nombre de féministes, au XIXe siècle et au début du XXe, demandaient comment on pouvait privilégier les hommes indigènes par rapport aux femmes blanches au moment d’accorder des droits politiques. L’ouvrage d’Elsa Dorlin montre que cet argument ne fait pas que refléter les préjugés raciaux de l’époque ; il est profondément enraciné dans des représentations de l’importance du corps féminin (blanc) pour la santé et la prospérité nationales. « La pensée médicale a bien permis de naturaliser un rapport social de domination. » Mais si le discours médical a offert le moyen de naturaliser les relations de pouvoir entre les colonies et la métropole, il a également fourni les termes d’une résistance. L’auteure suggère qu’en pratique le mélange des races a servi à subvertir les

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