2 Ce livre collectif n’aurait pu se faire sans le soutien et la participation de nombreuses personnes. Nous souhaitons tout d’abord remercier Jean-Louis Chiss, Véronique Castellotti et Jean-Claude Beacco pour leur patience et leurs conseils. Nous remercions aussi Emmanuel Fraisse pour sa confiance, ainsi que Francine Cicurel et Corinne Weber pour leurs encouragements. Enfin, nous devons beaucoup à ceux – qu’ils soient experts, acteurs institutionnels, enseignants ou praticiens de la littérature en FLE – qui ont accepté de partager leur savoir et leurs expériences de terrain, en France et à l’étranger : spécialement Fabienne Jacob et Jean Portante qui nous ont ouvert leurs ateliers d’écriture, ainsi que Laurent Attal (Bulgarie), Marie-Laure Basuyaux (lycée Montaigne, Paris), Gérard Enjolras (Tchéquie), Sophia Giero (Allemagne), Sol Inglada (CIEP), Mickaël Lardenois (Espagne), Bruno Laurent (Italie), Gayle Levy (États-Unis), Florent Masse (États-Unis), Emilia Munteanu (Roumanie), Marjorie Nadal (Allemagne), Michel Plat (Laos), Anne-Garance Primel (Fondation AF), Sylvain Tanquerel (EHESS, Paris) et Frédérique Willaume (IF, Paris). Nous les remercions tous chaleureusement pour leurs éclairages et leur disponibilité. Graphisme intérieur et couverture : A.-M. Roederer Mise en pages : Text’oh! (Dole) © Les Éditions Didier, Paris 2015 ISBN : 978-2-278-07616-1 Dépôt légal : 7613 / 01 3 INTRODUCTION par Anne Godard Alors que la didactique de la littérature en français langue maternelle a connu de grandes évolutions depuis une dizaine d’années (Daunay, 2007), les travaux en didactique du français langue étrangère, depuis la parution en 2001 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), ont réservé une place réduite à la littérature, et peu (1) d’ouvrages d’ampleur ont été consacrés à son enseignement . Pourtant, au-delà des descriptions des niveaux de compétences, les lignes de force du CECRL ont renouvelé la réflexion didactique. En effet, l’importance accordée aux dimensions pragmatiques de la communication mettant en jeu non seulement des savoirs linguistiques, mais des savoir- faire et des savoir-être socioculturels ; l’adoption d’une perspective actionnelle permettant d’organiser les apprentissages autour de projets nécessitant l’accomplissement de tâches ; ainsi que la promotion d’approches plurielles en faveur de l’éducation interculturelle et du plurilinguisme peuvent contribuer à transformer les pratiques d’enseignement de la littérature en français langue étrangère. Dans le même temps, plusieurs transformations ont affecté la littérature comme objet et comme discipline. D’une part, de plus en plus la littérature s’appréhende dans un continuum de pratiques culturelles. D’autre part, la reconnaissance des littératures francophones a modifié la notion même de canon littéraire qui avait jusque-là valeur patrimoniale et nationale, changeant aussi, dans le même mouvement, la représentation des relations entre langue et littérature françaises. Dans ce contexte, la valeur formative attribuée à la littérature dans le cadre scolaire met désormais l’accent sur le caractère pluriel des compétences qui se développent au contact des textes littéraires : si elle n’est plus le modèle dominant dans la formation individuelle, scolaire et collective, la littérature reste ainsi un enjeu fort des politiques éducatives françaises et européennes, à l’articulation du linguistique et du culturel, orienté vers l’expérience de l’altérité. Qu’en est-il, cependant, dans l’enseignement du FLE ? La littérature est-elle réservée à certains publics ? À certains niveaux ? Peut-elle être pensée d’emblée dans une progression linguistique ou sa spécificité en classe se situe-t-elle dans un à-côté récréatif ? Comment peut-elle être didactisée tout en ménageant le plaisir comme moyen d’apprentissage ? Comment permet-elle un enrichissement linguistique et culturel et conduit-elle à une modification du regard sur la langue et la culture ? Avant de répondre à ces questions, et pour préciser le rôle spécifique et irremplaçable que la littérature peut jouer dans l’enseignement du français langue étrangère, nous souhaitons indiquer d’emblée qu’à l’encontre d’une tendance à vouloir défendre une didactique de la littérature pour elle-même, nous considérons légitime – spécialement en langue/culture étrangère – d’utiliser la littérature pour « autre chose » qu’elle : à travers elle, en effet, la matière de la langue autant que des formes de la culture sont données à sentir, à goûter et à comprendre, ce qui est, dès les premiers niveaux, non seulement motivant, mais formateur. Qu’elle soit « prétexte » à parler et à écrire n’est pas contraire au rôle qu’elle joue dans les pratiques authentiques, et qu’elle permette ainsi de progresser à la fois dans la maîtrise de la langue et dans la connaissance de la culture, de soi et 4 d’autrui tient justement au fait qu’elle transmet autre chose qu’elle-même. En effet, les mots renvoient à une expérience, qui peut susciter l’émotion, l’imagination ou la réflexion : ce sont toutes ces dimensions qui donnent sens à l’apprentissage. Pour ces raisons mêmes, il importe de ne réduire le texte littéraire ni à servir d’exemplier pour une fiche de grammaire ni à constituer une simple source d’information culturelle comme n’importe quel document fonctionnel : la musique de la langue, l’imaginaire que déploie une fiction, la sensibilité d’une personnalité que l’on perçoit et devine à travers le texte engagent également le lecteur, de manière existentielle. Encore faut-il, dans l’enseignement, parvenir à préserver ces résonances. L’ouvrage est conçu de manière à donner des clés de compréhension de ce que représente la littérature en FLE – historiquement, théoriquement et pratiquement, dans les institutions à l’étranger et dans le matériel pédagogique – ainsi que des pistes de réflexion et des propositions circonstanciées qui répondent aux enjeux linguistiques, communicatifs et éducatifs des enseignements de français langue étrangère. Les chapitres 1 et 2, rédigés par Anne Godard, présentent un cadrage général sur la place de la littérature dans la didactique du français et des langues en cherchant à cerner l’objet « littérature » dans le discours didactique et ses différents enjeux formatifs et éducatifs. Le parti pris historique du chapitre 1 permet de mettre en évidence les nombreuses continuités entre les enseignements de langue maternelle et étrangère, y compris dans les moments de contestation de la place du littéraire dans la formation linguistique. Les spécificités de la réflexion didactique des trente dernières années dans le domaine du FLE font apparaître trois grands axes de renouvellement de l’abord de la littérature en classe de langue autour des compétences de lecture, de la créativité langagière et de l’éducation interculturelle. En relation avec ces trois domaines pour lesquels le rôle de la littérature a été réévalué en FLE, le chapitre 2 analyse au présent les enjeux de la formation littéraire dans l’enseignement scolaire français et européen à travers les positions institutionnelles sur les différentes finalités assignées à la littérature et sur l’ouverture des corpus étudiés. La dimension interprétative de la relation aux textes littéraires constitue une caractéristique cardinale de la compétence littéraire et apparaît comme un enjeu important pour le FLE dans la mesure où elle permet de dépasser l’opposition entre communicatif et culturel. Ainsi, la construction d’une attitude interprétative, bien présente dans la formation scolaire en France, mériterait d’être développée également en FLE, à travers l’adaptation des outils spécifiques qui existent et sont utilisés dans les formations de langue maternelle. Par contraste avec ce cadrage général, qui met en évidence les constantes historiques et les enjeux actuels de la formation littéraire en FLE, les chapitres 3 et 4 s’attachent à analyser la réalité d’une part des situations d’enseignement et de diffusion du français à 5 l’étranger, d’autre part des ressources pédagogiques que constituent, notamment, les méthodes de langue et les manuels de littérature conçus pour le FLE. Le chapitre 3, rédigé par Anne-Marie Havard, avec une contribution de Mathieu Weeger, propose ainsi un panorama des pratiques institutionnelles à l’étranger dans les trois « lieux » de diffusion du français où la littérature joue un rôle notable : le réseau culturel français à l’étranger (instituts français et alliances françaises), les départements universitaires et les filières bilingues du secondaire. Statut du littéraire dans la culture, démarches innovantes et dispositifs d’encouragement aux pratiques littéraires y sont décrits et analysés. Dans un contexte qui est plutôt celui d’un reflux du français comme de la culture littéraire, le parti pris a été de mettre en valeur les points positifs et les initiatives contribuant à rapprocher la littérature de ses lecteurs en langue étrangère. Ensuite, le chapitre 4, rédigé par Donatienne Woerly, repère et évalue les principes qui orientent l’approche didactique de la littérature dans l’enseignement du FLE, principalement dans les discours institutionnels et le matériel pédagogique paru depuis le CECRL. Ses analyses permettent de mettre au jour les conceptions du littéraire qui dominent et les pratiques d’accompagnement que les textes suscitent. Elles mettent en évidence la difficulté d’intégrer, dans les manuels, une véritable progression autour de la littérature qui assure une transition entre les enseignements langagiers et les enjeux interprétatifs, culturels et interculturels de la littérature. Le panorama dressé aux chapitres 1 à 4 met en évidence les éléments suivants : parallélismes entre les didactiques du FLE et du FLM ; spécificités didactiques des enseignements langagiers et de l’éducation interculturelle ; enjeux de la dimension interprétative de la formation littéraire ; hétérogénéité des pratiques et des corpus dans les différents lieux de diffusion du français à l’étranger ; tendances et limites du matériel pédagogique et des conceptions qui sous-tendent leur présentation des textes. Tous ces éléments permettent de dégager les lignes de force d’un renouvellement des pratiques d’enseignement de la littérature en FLE : intégrer une perspective interprétative aux objectifs communicatifs ; créer des synergies avec les initiatives de médiation culturelle ; mettre en place une progression donnant une large place aux dimensions sensorielles et à la matérialité de la langue. Tenant compte de ces lignes directrices, les approches retenues dans les chapitres finaux approfondissent trois dimensions dans lesquelles la littérature peut transformer le rapport à la langue en situation d’enseignement apprentissage : écriture créative et personnelle pour une appropriation progressive des codes dans le chapitre 5 ; interprétation comme mise en acte à travers la pédagogie de projet dans le chapitre 6 ; décentrement et développement d’une attitude réflexive sur l’expérience plurilingue dans le chapitre 7. Plutôt qu’une série de fiches sommaires et déconnectées de tout contexte, nous avons tenu à associer dans ces chapitres réflexions et propositions pédagogiques en nous appuyant sur un corpus diversifié d’œuvres et de genres littéraires. Les démarches proposées peuvent être adaptées à différents publics, tandis que des exemples 6 contextualisés permettent aux enseignants et futurs enseignants de mieux percevoir les différents paramètres qui orientent les choix pédagogiques. Ainsi, le chapitre 5, rédigé par Auréliane Baptiste, avec des contributions de Donatienne Woerly et Olivier Lumbroso, se focalise sur l’articulation entre langue et littérature à partir de l’analyse comparée de situations d’écriture créative en FLM et en FLE, puis de deux ateliers d’écriture en FLE animés par des écrivains. Sont ensuite présentés les principes d’une progression dans l’enseignement de la langue qui s’appuie sur la richesse linguistique et discursive qu’offre la littérature. En effet, il nous a semblé qu’il était d’abord nécessaire de reprendre à neuf la question de ce qu’apporte la littérature dans les enseignements langagiers auxquels elle a été traditionnellement liée. Cela nous semble d’autant plus pertinent que les acquisitions en langue sont aujourd’hui des priorités y compris au niveau universitaire dans nombre de départements de français à l’étranger, confrontés à la baisse de niveau de leurs étudiants. L’atelier d’écriture permet justement de conjoindre le travail linguistique avec la nécessité de promouvoir un autre rapport à la langue – qui laisse place à la créativité et à la subjectivité, y compris lorsque les acquis linguistiques sont encore fragiles. Dans le même esprit, nous avons voulu consacrer un chapitre entier à ce que peut apporter la perspective actionnelle qui permet, avec la pédagogie de projet, de décloisonner les apprentissages et de mettre l’accent sur une relation active à la langue comme à la culture étrangère. Le chapitre 6, rédigé par Ève-Marie Rollinat-Levasseur, avec une contribution de Véronique Kuhn, présente ainsi le parti que l’on peut tirer de la multimodalité, qui fait entrer dans la littérature à travers le cinéma et les arts, mais aussi comment, en considérant l’interprétation comme une performance, on peut développer des compétences communicatives à travers un travail vocal, dramatique et théâtral en classe de langue. Les bénéfices langagiers, culturels et personnels d’une approche « en acte » des textes littéraires sont notamment d’associer étroitement les dimensions corporelles à l’acquisition linguistique et culturelle. Les chapitres 5 et 6 invitent ainsi à un rapport différent à la langue à travers la littérature. C’est aussi le pari du dernier chapitre, rédigé par Anne Godard avec une contribution de Myriam Suchet, qui propose, dans une démarche réflexive et interprétative propre à l’éducation interculturelle, de donner aux enseignants eux-mêmes une occasion de faire l’expérience de « l’étrangéité » de la langue française. C’est d’abord la littérature québécoise qui est envisagée, pour sa mise en jeu exemplaire de l’hétérogénéité linguistique et de ses dimensions identitaires et politiques. Ce sont ensuite des textes autobiographiques ou introspectifs d’écrivains francophones plurilingues qui sont analysés, pour l’entrée qu’ils permettent dans « la fabrique de la langue » (Gauvin, 2004) et dans l’apprentissage du français. L’enjeu, au-delà de leur faire connaître une partie du corpus francophone qui peut renouveler leur représentation de ce qu’est la littérature en français aujourd’hui, est, à travers l’expérience d’un décentrement, d’initier les enseignants et professionnels du FLE aux problématiques plurilingues, essentielles dans ce domaine, et de les sensibiliser à la nécessité d’introduire une dimension interprétative dans leur approche des textes. 7 À travers ce large éventail d’analyses, de propositions pédagogiques et d’exemples situés et contextualisés, notre objectif est de donner aux enseignants, futurs enseignants, formateurs, acteurs de la coopération linguistique et culturelle ou auteurs de manuels, la matière et les outils de réflexion et de conception pour faire de la littérature le levier d’une approche renouvelée de la langue, afin de développer des compétences à la fois communicatives et interprétatives en associant l’apprentissage langagier avec la sensibilité, l’imaginaire et la pensée. Note (1) On peut signaler, en 2014, la très brève synthèse de Defays et al. publiée par Hachette FLE. 8 C HAPITRE 1 La littérature dans la didactique du français et des langues : histoire et théories par Anne Godard Le rôle dévolu à la littérature dans les enseignements de langue – maternelle et étrangère – a connu des évolutions très contrastées au cours du temps. Le propos de ce chapitre est d’en retracer les grandes lignes, en adoptant une double perspective, historique et théorique, qui nous semble la plus à même d’en saisir les ressorts et les enjeux. Tout en ayant comme objet privilégié le français langue étrangère, nous adoptons ici délibérément une perspective plus large : les débats sur les méthodologies e d’enseignement des langues, de la fin du XIX siècle jusqu’aux approches communicatives actuelles, sont en permanence traversés par la question des relations entre langue et littérature et se trouvent éclairés par la connaissance des évolutions parallèles en langue maternelle. En présentant ces méthodologies, nous espérons mettre au jour les conceptions sous-jacentes et les attitudes face à la langue, à l’apprentissage et à la littérature sur lesquelles elles reposent. Celles-ci, qui comportent de nombreux traits communs en langue maternelle, seconde e et étrangère, donnent jusqu’à la deuxième moitié du XX siècle un rôle central à la littérature – Isabelle Gruca parle de « couronnement » du texte littéraire (1994). Dans les années 1960, au moment où les didactiques du français, langue maternelle et langue étrangère, se constituent comme disciplines en se distinguant les unes des autres, l’étude de la littérature se trouve dissociée de l’apprentissage de la langue et de la culture. Après les années 1980, dans le sillage du renouveau linguistique des études littéraires, se développe de nouveau une didactique de la littérature en classe de langue, dont la spécificité est saisie d’abord en tant que discours, puis dans la perspective de la lecture et de l’écriture littéraires ainsi que dans les approches anthropologiques. Si le terme de méthodologie traditionnelle est souvent utilisé aujourd’hui pour désigner – et quelquefois dénigrer – un type d’enseignement dans lequel un texte sert de base à des questions de vocabulaire, de syntaxe et de compréhension puis à des exercices de réemploi plus ou moins imitatifs, il est en fait hérité de méthodologies qui diffèrent à la fois par leurs méthodes et par leurs objectifs : objectif pratique de communication ; objectif formatif, intellectuel ou moral ; objectif culturel. En cherchant à comprendre pourquoi ces méthodologies se sont succédé et ont été abandonnées au moment où se sont imposées des approches issues de la linguistique appliquée, nous sommes conduits à expliciter les différentes conceptions sur lesquelles elles reposent et les valeurs qui déterminent les finalités des enseignements et de la formation scolaires. Ce faisant, c’est le lien entre langue, littérature et culture qui est précisé, et les raisons qui peuvent justifier, hier et aujourd’hui, que la littérature occupe une place importante dans les enseignements de langue. 1.1. Évolution de la place de la littérature dans l’enseignement scolaire des langues e e étrangères et du français (du XIX au milieu du xx siècle) Selon Christian Puren (1988/2012) et Isabelle Gruca (1993, 1994), les principales 9 e méthodologies scolaires, qui se sont succédé jusqu’au milieu du XX siècle, sont fondées sur une conception assez proche des relations entre langue, littérature et culture et utilisent le texte littéraire comme support principal des leçons en considérant qu’il est à la fois un réservoir de formes, un modèle de langue et un concentré de culture étrangère. Pourquoi ? D’abord, parce que la littérature est assimilée à la culture, dont elle est considérée comme l’accomplissement artistique dans le domaine langagier et qu’on s’intéresse peu, alors, aux formes anthropologiques de la culture, qui se donnent à voir dans des pratiques sociales. Ensuite, la littérature, en tant qu’art de langage, est placée au sommet d’une hiérarchie établie dans la langue entre d’un côté les formes populaires et le langage courant, jugés moins dignes d’être enseignés, et de l’autre, les formes savantes valorisées par la culture scolaire centrée sur l’écrit. Cependant, les raisons de cette valorisation et le rapport entretenu avec la littérature ne sont pas identiques dans les trois méthodologies successivement adoptées dans l’enseignement scolaire des langues – grammaire/traduction, méthodologie directe et méthodologie active – qui ont, en revanche, de nombreux points communs avec les enseignements de langue maternelle correspondant aux mêmes périodes. 1.1.1. Grammaire/traduction et « colinguisme » jusqu’aux années 1880 La méthodologie dite grammaire/traduction, qui vient des langues anciennes, se développe au moment de la scolarisation de l’enseignement des langues vivantes, dans la e seconde moitié du XIX siècle. Elle ne concerne que les élèves admis dans le cycle long, qui sont également ceux qui faisaient du latin (voire du grec). Elle considère le texte comme la seule réalité linguistique et culturelle. L’apprentissage se fait par la traduction du texte littéraire, c’est un travail minutieux sur les textes comme matériau qu’il faut analyser pas à pas de manière exhaustive et détaillée pour arriver à la traduction la plus précise et la plus fidèle possible. Le contenu culturel est, d’une certaine manière, au second plan ; de même, la langue étrangère n’est pas véritablement l’objet d’une appropriation puisque l’objectif est la traduction dans la langue maternelle. Cette méthodologie se trouvait particulièrement légitime pour le latin – langue « morte », accessible uniquement par l’écrit – qui était considéré comme la « langue mère » du français, par laquelle il semblait nécessaire de passer, de manière indirecte, pour décrire et comprendre à la fois la grammaire et le vocabulaire français. Transposée aux langues vivantes, elle révèle ses limites, à commencer par l’absence d’apprentissage de l’oral. Dans la grammaire/traduction, l’élève travaille de manière silencieuse et solitaire, dans un tête-à-tête avec le texte. L’objectif est celui du transfert : être capable de faire passer le texte étranger dans la langue maternelle dont la maîtrise conditionne la réussite de l’exercice de traduction, et qui est perfectionnée par cet exercice. L’exercice de version apparaît ainsi comme une manière de traquer les contresens plus que comme une exploration de la polysémie dont la traduction chercherait à préserver les potentialités. On est ainsi loin des démarches actuelles, inspirées des recherches en traductologie (Plassard, 2009), qui font de la traduction l’aboutissement d’une lecture interprétative approfondie et peuvent, à travers des exercices de double traduction, amener à une réflexion sur la singularité de toute interprétation. 10